Soldat SY Mamadou, pendu à la base militaire d'Inal
De novembre 1990 à février 1991, 500 à 600 prisonniers politiques noirs furent exécutés ou torturés à mort par les forces gouvernementales. Les victimes faisaient partie des quelque 3.000 Noirs arrêtés entre octobre 1990 et mi-janvier 1991 (75), pour leur implication alléguée dans une tentative de coup d'Etat contre le gouvernement. Les prisonniers, pour la plupart des militaires, furent détenus au secret et soumis à d'affreuses tortures, apparemment dans le but de leur arracher des aveux et des informations sur les autres.
Les premières informations sur ces décès circulèrent fin mars 1991, lorsque des prisonniers politiques, libérés à la faveur d'une amnistie, révélèrent le sort des centaines de leurs compagnons de détention, tués et torturés. Parmi les survivants, un grand nombre serait estropié, paralysé ou mutilé du fait des tortures, et on pense que certains sont morts après leur libération du fait des effets prolongés de la torture. Presque toutes les personnes décédées étaient des militaires noirs appartenant au groupe ethnique halpulaar.
Malgré les nombreuses preuves qui existent liant des hauts fonctionnaires aux violations des droits de l'homme perpétrées contre les groupes ethniques noirs, le gouvernement mauritanien refuse de reconnaître sa responsabilité dans ces meurtres ou de permettre la réalisation d'enquêtes indépendantes. Pour assurer l'impunité des responsables et éviter toute tentative d'identifier et de punir les auteurs des violations passées, le gouvernement a décrété, en juin 1993, une amnistie couvrant tous les crimes commis par les forces armées et les services de sécurité entre avril 1989 et avril 1992.
LES ARRESTATIONS
Les arrestations eurent lieu à travers tout le pays, mais se concentrèrent surtout à Nouakchott, Nouadhibou et Aleg. Le gouvernement commença par cibler les militaires noirs, mais, par la suite, la campagne s'élargit aux agents de l'administration. Parmi les personnes arrêtées, certaines furent libérées sans qu'aucune charge n'ait été retenue contre elles après plusieurs jours ou mois de détention; d'autres furent accusées de trahison, mais aucun procès n'a jamais eu lieu. Parmi les personnes arrêtées, se trouvaient des membres de la petite force navale mauritanienne, des fonctionnaires des douanes, des membres des forces armées, des officiers de police, des fonctionnaires et même de simples citoyens.
Ces arrestations provoquèrent parmi les Noirs ce qu'un réfugié mauritanien décrivit comme "une psychose de la peur", due non seulement au nombre considérable des arrestations mais aussi à leur caractère manifestement arbitraire. Un Négro-mauritanien, qui se trouvait à Nouakchott au moment des arrestations décrivit l'atmosphère qu'elles provoquèrent:
A l'époque des arrestations, aucun Noir ne se sentait en sécurité. Comme la plupart des arrestations avaient lieu en pleine nuit, les gens se couchaient souvent sans se déshabiller. Mon cousin a été arrêté alors qu'il était en pyjama, il ne portait même pas ses chaussures. Lorsque vous sortiez de chez vous, tout le monde savait que si vous ne reveniez pas, c'était parce que vous aviez été arrêté (76).
Le gouvernement mauritanien justifia ces arrestations en accusant le Sénégal d'avoir appuyé la prétendue tentative de coup d'Etat, accusation que réfuta ce dernier. Cette explication n'est cependant pas plausible, et cela à plusieurs titres: premièrement, les accusations n'ont été prononcées qu'en décembre, alors que les arrestations commencèrent en octobre; deuxièmement, les soldats noirs n'étaient vraisemblablement pas en mesure d'organiser un coup d'Etat étant donnée la réduction considérable du nombre des officiers et des soldats noirs effectuée à la suite de la prétendue tentative de coup d'Etat d'octobre 1987; la plupart de ceux qui restèrent dans l'armée furent désarmés (77).
Ces arrestations ont sans doute eu un rapport avec la campagne électorale pour la mairie de Nouakchott à laquelle participait Messaoud Ould Boukheir, candidat galvanisait les populations noire et haratine contre le gouvernement. Le gouvernement aurait ainsi fabriqué cette tentative de coup d'Etat pour démontrer à la population que les Noirs étaient dangereux pour la société mauritanienne. Si tel était effectivement le raisonnement du gouvernement, il était inutilement excessif: la plupart des Noirs n'étaient pas en mesure de faire renouveler ou d'obtenir de nouvelles cartes d'identité, nécessaires pour voter (78).
Un réfugié interrogé à Dakar le 18 février 1991 jugea d'un façon plus sinistre les arrestations:
Nous n'avons pas été surpris par les arrestations de 1990; elles faisaient partie intégrante d'une politique destinée à exterminer les Négro-mauritaniens. Pour se débarrasser des Noirs, il fallait commencer par arrêter ceux d'entre eux qui faisaient partie de l'armée et de l'administration. Il était particulièrement important de renvoyer les Noirs de l'armée, car c'est la seule institution capable de s'emparer du pouvoir.
L'un des officiers noirs, commandant de brigade dans une école militaire, décrivit la confusion qui s'empara de beaucoup d'autres collègues lorsqu'il fit le récit de son arrestation, intervenue le 6 décembre 1990 à Atar:
L'arrestation des Noirs a commencé le jeudi matin à Atar. Un officier des services de sécurité, Mohamed Ould Gafar, s'est présenté, armé de son fusil et a dit: "Lieutenant, vous devez vous présenter devant le commandant de la compagnie". Ce dernier, le Capitaine Cheibatta, m'a demandé de m'asseoir et m'a dit qu'il avait reçu de Nouakchott l'ordre de m'arrêter. J'étais surpris -- qu'avais-je fait? avais-je enfreint quelque règlement? J'étais choqué. Il a répondu qu'il n'en savait rien. Le Commandant de l'Ecole Militaire, Abderrehim Ould Sidi Ali, reçut de Nouakchott un ordre qui commandait au Capitaine d'arrêter les personnes suivantes: Cpt. Bâ Pathé, Lt. Diagana Chouaibou, Lt. Diop Hameth, Lt. Abderrahmane Mamadou Dia, Lt. Diaw Djibril, Lt. Soumaré Mamadou, Sous-Lt. Diagana Abdoulaye Youssouf, Sous-Lt. N'iang Ibrahima, Sergents chef Diallo, Adjudant chef. Dembélé, Sergent Sow, Sergent chef Bousso.
Nous avons été détenus dans des réduits et humiliés pendant quatre jours, du 6 au 10. On nous a à peine donné de quoi boire et manger. Nous étions surveillés par des soldats armés, des Maures. Jusque-là, nous n'étions pas attachés. Ils se sont contentés de nous retirer nos épaulettes et nos affaires.
Le 10, on nous a fait monter à bord d'avions de type Buffalo, yeux bandés et mains attachées. Ils ne voulaient pas que l'on sache où l'on allait. Nous ne savions rien, ni ce que nous avions fait, ni où nous allions, ni si nous allions mourir (79).
Un adjudant-chef, interrogé par Human Rights Watch/Africa, fut arrêté le 27 novembre 1990 et conduit à Inal. Il décrivit de la manière suivante les mauvais traitements et, dans certains cas, les exécutions, dont ses compagnons et lui-même firent l'objet dès leur arrivée:
On m'a amené dans une pièce où il y avait des soldats armés et un adjudant appartenant à l'une des compagnies. On m'a donné l'ordre de me déshabiller; je me suis exécuté. On m'a fait coucher par terre et on m'a attaché les mains et les pieds dans le dos. Je n'avais sur moi que mes sous-vêtement. On m'a ensuite bandé les yeux et conduit dans une autre pièce. Là, j'ai entendu du bruit. J'ai demandé qui était là et j'ai découvert de quelques-uns de mes amis se trouvaient là, entre autres Sy Mbaye et Bâ Mamadou Samba.
Nous sommes restés là jusqu'au milieu de la nuit. On nous a ensuite conduits à Inal à bord d'un camion. Inal se trouve à 400 kilomètres de la base. Nous sommes arrivés vers 4 heures du matin. Pendant tout ce temps, nous étions attachés, les pieds dans le dos. On nous frappait de temps en temps. On nous urinait dessus. On nous piétinait en lâchant quelques paroles du genre: "Vous allez voir que vous allez tous disparaître. Nous allons tuer tous les Noirs, tous les Négro-africains".
Lorsque nous sommes arrivés à Inal, nous avons trouvé des gens couchés. Nous sommes dits qu'ils avaient certainement été battus, mais, en fait, ils étaient tous morts.
Rapport de HRW
Les premières informations sur ces décès circulèrent fin mars 1991, lorsque des prisonniers politiques, libérés à la faveur d'une amnistie, révélèrent le sort des centaines de leurs compagnons de détention, tués et torturés. Parmi les survivants, un grand nombre serait estropié, paralysé ou mutilé du fait des tortures, et on pense que certains sont morts après leur libération du fait des effets prolongés de la torture. Presque toutes les personnes décédées étaient des militaires noirs appartenant au groupe ethnique halpulaar.
Malgré les nombreuses preuves qui existent liant des hauts fonctionnaires aux violations des droits de l'homme perpétrées contre les groupes ethniques noirs, le gouvernement mauritanien refuse de reconnaître sa responsabilité dans ces meurtres ou de permettre la réalisation d'enquêtes indépendantes. Pour assurer l'impunité des responsables et éviter toute tentative d'identifier et de punir les auteurs des violations passées, le gouvernement a décrété, en juin 1993, une amnistie couvrant tous les crimes commis par les forces armées et les services de sécurité entre avril 1989 et avril 1992.
LES ARRESTATIONS
Les arrestations eurent lieu à travers tout le pays, mais se concentrèrent surtout à Nouakchott, Nouadhibou et Aleg. Le gouvernement commença par cibler les militaires noirs, mais, par la suite, la campagne s'élargit aux agents de l'administration. Parmi les personnes arrêtées, certaines furent libérées sans qu'aucune charge n'ait été retenue contre elles après plusieurs jours ou mois de détention; d'autres furent accusées de trahison, mais aucun procès n'a jamais eu lieu. Parmi les personnes arrêtées, se trouvaient des membres de la petite force navale mauritanienne, des fonctionnaires des douanes, des membres des forces armées, des officiers de police, des fonctionnaires et même de simples citoyens.
Ces arrestations provoquèrent parmi les Noirs ce qu'un réfugié mauritanien décrivit comme "une psychose de la peur", due non seulement au nombre considérable des arrestations mais aussi à leur caractère manifestement arbitraire. Un Négro-mauritanien, qui se trouvait à Nouakchott au moment des arrestations décrivit l'atmosphère qu'elles provoquèrent:
A l'époque des arrestations, aucun Noir ne se sentait en sécurité. Comme la plupart des arrestations avaient lieu en pleine nuit, les gens se couchaient souvent sans se déshabiller. Mon cousin a été arrêté alors qu'il était en pyjama, il ne portait même pas ses chaussures. Lorsque vous sortiez de chez vous, tout le monde savait que si vous ne reveniez pas, c'était parce que vous aviez été arrêté (76).
Le gouvernement mauritanien justifia ces arrestations en accusant le Sénégal d'avoir appuyé la prétendue tentative de coup d'Etat, accusation que réfuta ce dernier. Cette explication n'est cependant pas plausible, et cela à plusieurs titres: premièrement, les accusations n'ont été prononcées qu'en décembre, alors que les arrestations commencèrent en octobre; deuxièmement, les soldats noirs n'étaient vraisemblablement pas en mesure d'organiser un coup d'Etat étant donnée la réduction considérable du nombre des officiers et des soldats noirs effectuée à la suite de la prétendue tentative de coup d'Etat d'octobre 1987; la plupart de ceux qui restèrent dans l'armée furent désarmés (77).
Ces arrestations ont sans doute eu un rapport avec la campagne électorale pour la mairie de Nouakchott à laquelle participait Messaoud Ould Boukheir, candidat galvanisait les populations noire et haratine contre le gouvernement. Le gouvernement aurait ainsi fabriqué cette tentative de coup d'Etat pour démontrer à la population que les Noirs étaient dangereux pour la société mauritanienne. Si tel était effectivement le raisonnement du gouvernement, il était inutilement excessif: la plupart des Noirs n'étaient pas en mesure de faire renouveler ou d'obtenir de nouvelles cartes d'identité, nécessaires pour voter (78).
Un réfugié interrogé à Dakar le 18 février 1991 jugea d'un façon plus sinistre les arrestations:
Nous n'avons pas été surpris par les arrestations de 1990; elles faisaient partie intégrante d'une politique destinée à exterminer les Négro-mauritaniens. Pour se débarrasser des Noirs, il fallait commencer par arrêter ceux d'entre eux qui faisaient partie de l'armée et de l'administration. Il était particulièrement important de renvoyer les Noirs de l'armée, car c'est la seule institution capable de s'emparer du pouvoir.
L'un des officiers noirs, commandant de brigade dans une école militaire, décrivit la confusion qui s'empara de beaucoup d'autres collègues lorsqu'il fit le récit de son arrestation, intervenue le 6 décembre 1990 à Atar:
L'arrestation des Noirs a commencé le jeudi matin à Atar. Un officier des services de sécurité, Mohamed Ould Gafar, s'est présenté, armé de son fusil et a dit: "Lieutenant, vous devez vous présenter devant le commandant de la compagnie". Ce dernier, le Capitaine Cheibatta, m'a demandé de m'asseoir et m'a dit qu'il avait reçu de Nouakchott l'ordre de m'arrêter. J'étais surpris -- qu'avais-je fait? avais-je enfreint quelque règlement? J'étais choqué. Il a répondu qu'il n'en savait rien. Le Commandant de l'Ecole Militaire, Abderrehim Ould Sidi Ali, reçut de Nouakchott un ordre qui commandait au Capitaine d'arrêter les personnes suivantes: Cpt. Bâ Pathé, Lt. Diagana Chouaibou, Lt. Diop Hameth, Lt. Abderrahmane Mamadou Dia, Lt. Diaw Djibril, Lt. Soumaré Mamadou, Sous-Lt. Diagana Abdoulaye Youssouf, Sous-Lt. N'iang Ibrahima, Sergents chef Diallo, Adjudant chef. Dembélé, Sergent Sow, Sergent chef Bousso.
Nous avons été détenus dans des réduits et humiliés pendant quatre jours, du 6 au 10. On nous a à peine donné de quoi boire et manger. Nous étions surveillés par des soldats armés, des Maures. Jusque-là, nous n'étions pas attachés. Ils se sont contentés de nous retirer nos épaulettes et nos affaires.
Le 10, on nous a fait monter à bord d'avions de type Buffalo, yeux bandés et mains attachées. Ils ne voulaient pas que l'on sache où l'on allait. Nous ne savions rien, ni ce que nous avions fait, ni où nous allions, ni si nous allions mourir (79).
Un adjudant-chef, interrogé par Human Rights Watch/Africa, fut arrêté le 27 novembre 1990 et conduit à Inal. Il décrivit de la manière suivante les mauvais traitements et, dans certains cas, les exécutions, dont ses compagnons et lui-même firent l'objet dès leur arrivée:
On m'a amené dans une pièce où il y avait des soldats armés et un adjudant appartenant à l'une des compagnies. On m'a donné l'ordre de me déshabiller; je me suis exécuté. On m'a fait coucher par terre et on m'a attaché les mains et les pieds dans le dos. Je n'avais sur moi que mes sous-vêtement. On m'a ensuite bandé les yeux et conduit dans une autre pièce. Là, j'ai entendu du bruit. J'ai demandé qui était là et j'ai découvert de quelques-uns de mes amis se trouvaient là, entre autres Sy Mbaye et Bâ Mamadou Samba.
Nous sommes restés là jusqu'au milieu de la nuit. On nous a ensuite conduits à Inal à bord d'un camion. Inal se trouve à 400 kilomètres de la base. Nous sommes arrivés vers 4 heures du matin. Pendant tout ce temps, nous étions attachés, les pieds dans le dos. On nous frappait de temps en temps. On nous urinait dessus. On nous piétinait en lâchant quelques paroles du genre: "Vous allez voir que vous allez tous disparaître. Nous allons tuer tous les Noirs, tous les Négro-africains".
Lorsque nous sommes arrivés à Inal, nous avons trouvé des gens couchés. Nous sommes dits qu'ils avaient certainement été battus, mais, en fait, ils étaient tous morts.
Rapport de HRW