Douze mois après l’avènement du 3 août 2005 et la prise en main totale de la destinée du pays par le CMJD (Conseil militaire pour la justice et la démocratie) où en sommes-nous avec les militaires ? Où en sont et la justice et la démocratie qu’ils promettent si fièrement ? La partition élaborée est-elle jouée sans fausse note par Ely, ses hommes et son gouvernement ? Ou plutôt ont-ils laissé de côté les dossiers les plus lourds, et forcément les plus dangereux à court, moyen et long terme, pour ne s’occuper que de ce qu’ils jugent prioritaires avant de rendre le pouvoir aux civils en mars 2007 ? Le changement prôné par le mouvement du 3 août et la rupture avec le passé, ont-ils été réalisés? La transition survivra-t-elle au retour des militaires dans leurs casernes?
Autant de questions auxquelles nous tenterons de trouver des réponses mais avant tout pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Et surtout, l’ancien président Ould Taya pouvait-il éviter ou échapper au coup d’Etat du 3 août 2005 ?
Fallait-il nécessairement, voire coûte que coûte, un coup d’Etat pour l’éloigner du Pouvoir ? Un an plus tard, est-il vrai que rien ne sera comme avant et que l’ère de Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya est belle et bien révolue?
La révolution de velours
Dirigé, entre autres, par le directeur de la Sûreté, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, l’un des plus fidèles hommes du président Ould Taya, le coup de force du 3 août 2005 n’aura pas laissé de grande marge à l’échec. Forcément longtemps réfléchi, bien mûri et minutieusement préparé, le putsch du 3 août a donné l’impression de prolonger le voyage programmé par l’ancien président Ould Taya, en Arabie Saoudite pour assister aux obsèques du Roi Fahd, décédé deux jours plus tôt. La véritable révolution de palais s’était donc opérée sans effusion de sang.
C’en était donc fini, du jour au lendemain, du long règne du président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya (près de 21 ans durant lesquels il arboré l’uniforme et le costume). Pourtant d’aucuns pensaient que l’homme avait mis en place un appareil si bien huilé qu’il était indéboulonnable. Surtout pas à quelques mois de l’exploitation pétrolière, la situation intérieure étant apaisée depuis le verdict clément des putschistes du 8 juin 2003 et grâce au Forum du RDU qui avait brisé la glace entre sa Majorité et son Opposition. Surtout pas maintenant que l’ouverture politique à l’endroit de l’opposition et l’association de celle-ci dans la gestion des affaires n’étant plus qu’une formalité à remplir, ne tenant plus à grand chose. Mais tout cela étant sans compter sur ce que réserve le destin à tout un chacun, sur la fatalité qui avait mis fin, dès son envol à destination de l’Arabie Saoudite, au pouvoir du président Ould Taya. Ce qui doit arriver, arrivera et la poignée d’hommes choisie pour réussir "l’impensable", n’a pas tardé à devenir les maîtres réels voire incontestés du pays.
Que reproche-t-on à Ould Taya ?
De l’avis de spécialistes, plusieurs facteurs ont joué en faveur de la chute de Ould Taya. Il s’agit essentiellement du fait que l’ancien président soit resté au pouvoir pendant plus de vingt ans, créant un parti-Etat, véritable machine à faire gagner les élections, à faire passer les lois au parlement où sa majorité est largement écrasante, d’une part et d’autre part parce qu’au bout de ces vingt ans, il s’était créé trop d’ennemis. A cela s’ajoute une gestion hautement personnalisée des questions politiques, économiques, militaires et administratives qui l’avait progressivement isolé et enfermé dans sa tour d’ivoire. La corruption, la gabegie, le laisser-aller, l’absence d’une administration proche du citoyen et l’insécurité qui règne depuis les tentatives de coups d’Etat avortées de 2000 à 2003 et 2004 en passant par l’attaque de Lemgheity en juin 2005 perpétrée par le GSPC, seront autant de bonnes raisons pour renverser Ould Taya. Surtout que l’ancien président ne saura pas tirer les leçons du coup d’Etat sanglant du 8 juin 2003.
Ainsi, s’appuyant sur un contexte national politique, économique et social particulièrement difficile et une crise profonde qui a entraîné une dangereuse instabilité débouchant par deux fois, sur des situations de ruptures violentes (coup d’Etat manqué du 8 juin 2003 et le remake de septembre-octobre 2004), le CMJD offrait donc une solution de sortie de crise.
Les gages du CMJD
Cela est d’autant plus vrai qu’en décrétant son inéligibilité et celle de son gouvernement aux échéances électorales, le CMJD a tout de suite conquis les cœurs de la classe politique, notamment celui de l’Opposition qu’il aura "débarrassé" de sa "bête noire" mais aussi "libéré" le pays d’une lourde atmosphère d’impasse, d’insécurité et d’incertitudes dans laquelle l’ancien président l’avait enfermé. Ainsi, la junte militaire s’est engagée à réaménager et compléter les dispositions de la constitution du 20 juillet 1991 par une charte constitutionnelle, affirmant que le nouveau dispositif prévoit le maintien des dispositions de cette constitution relatives à l’Islam et aux libertés individuelles et collectives.
S’arrogeant le droit d’exercer les pouvoirs législatif et exécutif et donc mettant un terme aux pouvoirs du parlement qui existait, le Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD) avait également décidé "le maintien du Conseil supérieur de la magistrature, des cours et tribunaux, de la Cour des comptes, du Haut conseil islamique et le réaménagement des compétences du Conseil constitutionnel. Pour leur part, les conseils municipaux continueront l’exercice de leur mandat, les partis politiques, les associations et syndicats légalement constitués et les publications autorisées continueront à exercer librement leurs activités conformément à la loi. Mieux, le CMJD ouvrira rapidement les médias officiels, radio, télévision et organes écrits gouvernementaux, aux leaders politiques, et adoptera un projet de loi sur la presse. C’est dire combien le coup d’Etat du 3 août avait tout prévu pour réussir, portant sur lui l’engagement de redresser la situation. Une aubaine pour les acteurs politiques qui vont accueillir favorablement ses objectifs, même si dans un premier temps, certains, tels le RDU qui "exige le retour rapide à la légalité constitutionnelle", ou l’UFP qui "lance un appel au respect du cadre républicain de l’Etat, à la Constitution d’un gouvernement d’unité nationale consensuel de transition", se montreront très inquiets quant à l’avenir.
Pourtant en s’engageant "à créer les conditions favorables d’un jeu démocratique ouvert et transparent sur lequel la société civile et les acteurs politiques auront à se prononcer librement" et en criant haut et fort qu’ils "n’entendent pas exercer le pouvoir au delà d’une période de deux ans, jugée indispensable pour la préparation et la mise en place de véritables institutions démocratiques", les tombeurs de Ould Taya, malgré un soutien populaire vite acquis, devront faire face à une communauté internationale hostile à la prise du pouvoir par la force, les coups d’Etat en Afrique ayant partout plongé les pays dans le chaos.
Lors de sa rencontre avec les Partis Politiques, le Président du CMJD, le Colonel Ely Ould Mohamed Vall ne se prononcera pas sur le gouvernement d’union nationale de transition demandé par une majorité de l’opposition. Mais, il marquera son premier point en libérant une vingtaine d’islamistes dont le Cheikh Deddew, Mohamed Moussa, etc. Cette libération aura au moins le mérite de réconcilier le nouveau pouvoir avec une opinion publique nationale, convaincue que la chasse aux sorcières lancée contre les islamistes était excessive et servait plus des objectifs de politique extérieure.
Un mois après le coup d’Etat du 03 Août, vendredi 02 septembre 2005, le président du CMJD promulgue une ordonnance accordant amnistie pleine et entière pour les infractions commises avant le 03 Août 2005. Les infractions à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, les délits de presse, de réunion et de constitution des associations et enfin toutes infractions à caractère politique ou militaire sont couvertes par cette ordonnance d’amnistie. Il en résulte une liste de 115 personnes allant du leader du Front populaire, Chbih Ould Cheikh Mélainine aux auteurs de la tentative de putsch du 08 Juin en passant par les islamistes, les "auteurs de Grab I" et les exilés. Ainsi, en dehors de quelques rares éléments islamistes incarcérés pour collusion avec les terroristes algériens du GSPC qui avaient l’on se rappelle beaucoup fait parlé d’eux à Lemghaïty, l’ensemble des détenus politiques et autres exilés ont bénéficié de la mesure. Cette libération qui était indispensable pour une décrispation de la scène politique nationale a été très favorablement accueillie par l’opinion publique et l’ensemble des acteurs politiques locaux dont certains continuent néanmoins à lier l’assainissement de la scène nationale au règlement équitable et définitif de la question des réfugiés basés au Sénégal et au Mali.
Face à la communauté internationale
Une confrontation à laquelle le CMJD tentera de parer en avouant dès le 4 août, qu’il "s’engage à respecter tous les traités et conventions internationaux ratifiés par la Mauritanie", mais en vain. Une véritable campagne de séduction sera alors lancée par le CMJD pour se "légitimer" aux yeux de la communauté internationale, les Etats-Unis ayant déjà exigé tout de suite le retour au pouvoir du président déchu (ils se rétracteront le 9 août) et l’Union Africaine suspendant immédiatement la Mauritanie de l’organisation jusqu’au rétablissement de la légalité constitutionnelle. D’autres institutions, telle l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui a également annoncé le 27 août la suspension de sa coopération avec la Mauritanie, ont demandé que les nouvelles autorités précisent le calendrier et les modalités du "rétablissement" de la démocratie.
La condamnation du coup d’Etat par la communauté internationale sera vigoureuse. Allant du secrétaire général de l’ONU Kofi Annan ("profondément troublé") au président ivoirien Laurent Gbagbo (qui demande un retour immédiat à l’ordre constitutionnel) en passant par la France, la Grande-Bretagne (présidente à l’époque de l’Union européenne), l’Espagne, la Commission européenne à Bruxelles, la Tunisie, les Comores, la condamnation du coup d’Etat était sur toutes les lèvres, ce mercredi 3 août 2005. Au Sénégal voisin, Me Wade s’engage à préserver les liens avec la Mauritanie. Au Mali, le gouvernement a exprimé, jeudi, le lendemain du coup d’Etat, sa préoccupation, alors que l’Union européenne (UE) l’a déploré vendredi, appelant au respect "strict" de la démocratie et du cadre constitutionnel légal. Jouant la carte du soutien intérieur que les populations mauritaniennes ont rapidement manifesté dans les rues, suivies par les acteurs politiques et les organisations de la société civile, le CMJD forcera la communauté internationale à revoir sa "tolérance zéro" à l’égard des coups d’Etat. Depuis on ne compte plus les missions de l’union africaine, de l’UE. Il est vrai que le lancement des Journées nationales de concertation, auxquelles pas moins de cinq cents leaders d’opinion nationaux venus de la classe politique, de la sphère intellectuelle, des milieux d’affaires et des organisations de la société civile, les 4 et 19 août, viendront également amollir les réticences internationales.
Pourtant la constitution du Gouvernement dirigé par M. Sidi Mohamed Ould Boubacar (nommé le 7 août) laissera à désirer, certains de ses ministres n’ayant ni les qualifications ni les compétences nécessaires pour convaincre et rassurer quant à l’avènement d’un réel changement. Pas moins de six ministres ne méritaient pas leurs postes.
Etait-ce par recherche de figures nouvelles, propres et sans passé ou plutôt est-ce parce qu’à chacun des membres du CMJD, un poste ministériel était donné à pourvoir et partant la loterie ne pouvait sortir mieux. Première fausse note, la constitution de ce gouvernement sera vite dépassée car toute la transition ne devait pas durer plus de deux ans. Un délai réclamé par le CMJD pour réussir des "élections démocratiques et ouvertes à toutes les sensibilités politiques" à organiser sous la supervision d’une commission électorale indépendante, en présence d’observateurs étrangers et en concertation avec toute la classe politique et la société civile.
Pour ce faire, dès le 17 août, trois comités interministériels (un pour le processus de transition démocratique, un pour la justice et un pour la bonne gouvernance) vont être mis en place. Mieux, le CMJD donnera comme gage de sérieux et de bien fondé de son action, une autre garantie de neutralité et transparence. Il adoptera le 24 août, une ordonnance qui interdit à ses membres et à ceux du gouvernement de se présenter aux élections ou de soutenir un candidat. Deux jours plus tard, le 26 août, il demande l’appui du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour l’organisation des scrutins qui commenceront par un référendum sur la Constitution de juillet 1991et dont l’enjeu principal sera de réduire le mandat présidentiel à cinq ans au lieu de six et, surtout, le rendre renouvelable une seule fois. Des élections municipales et législatives auront ensuite lieu, le 19 novembre 2005, des sénatoriales le 21 janvier 2007 et la présidentielle est prévue pour le 11 mars 2007. En cas de ballottage, un second tour de la présidentielle est prévu pour le 25 du même mois. L’organisation du référendum sur la Constitution, le 25 juin 2006 sera un plébiscite avec ses 97% de OUI et son taux élevé de participation, confirmant ainsi le soutien populaire et l’adhésion des populations aux objectifs du CMJD.
Les périples d’Ely à l’Etranger
De voyage en voyage à l’étranger, le président du CMJD s’activera à aller expliquer son projet et enverra ses ministres presque partout. Ould Mohamed Vall se fera ainsi inviter partout où il peut, de la Gambie au Sommet mondial de la société de l’information en Tunisie, en passant par Alger, Rabat, Arabie Saoudite, Soudan, Sénégal, etc. Il fera la paix avec la Libye et accueillera Blaise Compaoré à Nouakchott avec les honneurs que l’on témoigne à un "grand ami". L’homme se dévoile et prend le risque d’aller à la rencontre des personnalités, Chefs d’Etats et autres pour se faire comprendre et solliciter leur soutien à la transition en cours en Mauritanie.
Côté redressement économique
Sur le front économique, le CMJD a vite fait de redresser la situation. Affichant dès le départ les trous budgétaires laissés, ici et là par l’ancien régime, les énormes difficultés avec les institutions financières internationales, il aura fallu commencer par éponger les dettes intérieures de l’Etat. Le report de l’effacement de la dette de notre pays (plus de 800 millions de dollars) par le FMI sera un coup dur que l’on supportera pourtant pendant six mois avant de réussir, le 21 juin dernier et au prix fort d’engagements difficiles mais respectés, à l’obtenir. De même, l’annulation des avenants de Woodside et le bonus de 100 millions de dollars qui en a résulté, mais aussi en engrangeant plus de 100 millions de dollars, tirés de la vente de la 3ème licence GSM et en améliorant sensiblement les salaires des fonctionnaires et en rationalisant les dépenses, les nouvelles autorités du pays, le CMJD a démontré que bien des choses positives peuvent être rapidement réalisés. Fini donc le temps de l’inflation galopante, de la vulnérabilité de l’économie aux chocs exogènes, de la dépendance accrue vis-à-vis de l’aide extérieure et bonjour le renforcement de l’Ouguiya
Les ratés du CMJD
Parmi les ratés du CMJD, on notera le règlement du dossier des réfugiés et du passif humanitaire et le refus d’une formation politique islamiste. Même si sur le premier point, celui des déportés et donc du passif humanitaire, les militaires ont estimé qu’ils n’ont pas le temps et que cela sera du ressort du prochain pouvoir, il est indiscutable qu’étant en période d’exception, ils auraient pu, d’un trait passer une éponge sur ce problème crucial par une solution ou une autre. En laissant ce problème pendant, ils auront montré une grande faiblesse.
Sur un autre plan, en s’opposant fermement à la création d’une formation islamiste, parce que dans la loi interdit à tout courant politique de faire de l’islam, religion de tous les Mauritaniens, un "apanage exclusif", le CMJD aura là aussi joué sur le temps. Pourtant la mouvance islamiste est très présente sur la scène politique où elle mène ses activités au su et au vu de tout le monde, sans aucun cadre légal. Même si certaines nouvelles formations politiques ont été sommées de rayer de leurs listes des figures islamistes si elles veulent être autorisées à exercer leurs activités dans la légalité, force est de constater que le courant islamiste a bien pris part au processus de transition démocratique en cours depuis le 3 août 2005. Une manière de ménager la chèvre et le chou qui réussit jusque là bien aux uns et aux autre, mais reste fragile. Car, on a, certes libéré les ténors islamistes, on a même autorisé les candidatures indépendantes pour qu’ils en profitent mais on leur a interdit de créer ou d’appartenir à une formation politique. Ce qui a, au moins, le mérite de réconcilier le nouveau pouvoir avec une opinion publique nationale, convaincue que la chasse aux sorcières lancée contre les islamistes par l’ancien régime était excessive et servait plus des objectifs de politique extérieure. Seulement, en donnant à la mouvance toute la latitude de mobiliser ses troupes, de côtoyer d’autres venant d’ailleurs, c’est une force tranquille qui fera demain le poids devant n’importe quelle formation ou personnalité politique.
Le plus dur reste à faire
Certes, après douze mois, le CMJD a fait de grands pas dans la réalisation des objectifs qu’il s’est assigné de créer les conditions favorables à l’instauration d’une démocratie véritable. Seulement, le plus difficile reste à faire, à savoir d’organiser des élections présidentielles libres et transparentes où le peuple aura réellement choisi son destin. Et une fois, cela fait, le plus difficile sera encore de rentrer dans les casernes, aussi jeunes seront-ils, ceux qui auront parmi le CMJD, choisi de donner leur parole de rendre le pouvoir aux civils à l’issue de la transition. Sans aucun doute, le président du CMJD vient de le confirmer dans une interview accordée à Jeune Afrique, "la retraite est assurée", mais …
Nouakchott-info
Cheikhna Ould Nenni
et Mohamed Ould Khattat
Autant de questions auxquelles nous tenterons de trouver des réponses mais avant tout pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Et surtout, l’ancien président Ould Taya pouvait-il éviter ou échapper au coup d’Etat du 3 août 2005 ?
Fallait-il nécessairement, voire coûte que coûte, un coup d’Etat pour l’éloigner du Pouvoir ? Un an plus tard, est-il vrai que rien ne sera comme avant et que l’ère de Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya est belle et bien révolue?
La révolution de velours
Dirigé, entre autres, par le directeur de la Sûreté, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, l’un des plus fidèles hommes du président Ould Taya, le coup de force du 3 août 2005 n’aura pas laissé de grande marge à l’échec. Forcément longtemps réfléchi, bien mûri et minutieusement préparé, le putsch du 3 août a donné l’impression de prolonger le voyage programmé par l’ancien président Ould Taya, en Arabie Saoudite pour assister aux obsèques du Roi Fahd, décédé deux jours plus tôt. La véritable révolution de palais s’était donc opérée sans effusion de sang.
C’en était donc fini, du jour au lendemain, du long règne du président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya (près de 21 ans durant lesquels il arboré l’uniforme et le costume). Pourtant d’aucuns pensaient que l’homme avait mis en place un appareil si bien huilé qu’il était indéboulonnable. Surtout pas à quelques mois de l’exploitation pétrolière, la situation intérieure étant apaisée depuis le verdict clément des putschistes du 8 juin 2003 et grâce au Forum du RDU qui avait brisé la glace entre sa Majorité et son Opposition. Surtout pas maintenant que l’ouverture politique à l’endroit de l’opposition et l’association de celle-ci dans la gestion des affaires n’étant plus qu’une formalité à remplir, ne tenant plus à grand chose. Mais tout cela étant sans compter sur ce que réserve le destin à tout un chacun, sur la fatalité qui avait mis fin, dès son envol à destination de l’Arabie Saoudite, au pouvoir du président Ould Taya. Ce qui doit arriver, arrivera et la poignée d’hommes choisie pour réussir "l’impensable", n’a pas tardé à devenir les maîtres réels voire incontestés du pays.
Que reproche-t-on à Ould Taya ?
De l’avis de spécialistes, plusieurs facteurs ont joué en faveur de la chute de Ould Taya. Il s’agit essentiellement du fait que l’ancien président soit resté au pouvoir pendant plus de vingt ans, créant un parti-Etat, véritable machine à faire gagner les élections, à faire passer les lois au parlement où sa majorité est largement écrasante, d’une part et d’autre part parce qu’au bout de ces vingt ans, il s’était créé trop d’ennemis. A cela s’ajoute une gestion hautement personnalisée des questions politiques, économiques, militaires et administratives qui l’avait progressivement isolé et enfermé dans sa tour d’ivoire. La corruption, la gabegie, le laisser-aller, l’absence d’une administration proche du citoyen et l’insécurité qui règne depuis les tentatives de coups d’Etat avortées de 2000 à 2003 et 2004 en passant par l’attaque de Lemgheity en juin 2005 perpétrée par le GSPC, seront autant de bonnes raisons pour renverser Ould Taya. Surtout que l’ancien président ne saura pas tirer les leçons du coup d’Etat sanglant du 8 juin 2003.
Ainsi, s’appuyant sur un contexte national politique, économique et social particulièrement difficile et une crise profonde qui a entraîné une dangereuse instabilité débouchant par deux fois, sur des situations de ruptures violentes (coup d’Etat manqué du 8 juin 2003 et le remake de septembre-octobre 2004), le CMJD offrait donc une solution de sortie de crise.
Les gages du CMJD
Cela est d’autant plus vrai qu’en décrétant son inéligibilité et celle de son gouvernement aux échéances électorales, le CMJD a tout de suite conquis les cœurs de la classe politique, notamment celui de l’Opposition qu’il aura "débarrassé" de sa "bête noire" mais aussi "libéré" le pays d’une lourde atmosphère d’impasse, d’insécurité et d’incertitudes dans laquelle l’ancien président l’avait enfermé. Ainsi, la junte militaire s’est engagée à réaménager et compléter les dispositions de la constitution du 20 juillet 1991 par une charte constitutionnelle, affirmant que le nouveau dispositif prévoit le maintien des dispositions de cette constitution relatives à l’Islam et aux libertés individuelles et collectives.
S’arrogeant le droit d’exercer les pouvoirs législatif et exécutif et donc mettant un terme aux pouvoirs du parlement qui existait, le Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD) avait également décidé "le maintien du Conseil supérieur de la magistrature, des cours et tribunaux, de la Cour des comptes, du Haut conseil islamique et le réaménagement des compétences du Conseil constitutionnel. Pour leur part, les conseils municipaux continueront l’exercice de leur mandat, les partis politiques, les associations et syndicats légalement constitués et les publications autorisées continueront à exercer librement leurs activités conformément à la loi. Mieux, le CMJD ouvrira rapidement les médias officiels, radio, télévision et organes écrits gouvernementaux, aux leaders politiques, et adoptera un projet de loi sur la presse. C’est dire combien le coup d’Etat du 3 août avait tout prévu pour réussir, portant sur lui l’engagement de redresser la situation. Une aubaine pour les acteurs politiques qui vont accueillir favorablement ses objectifs, même si dans un premier temps, certains, tels le RDU qui "exige le retour rapide à la légalité constitutionnelle", ou l’UFP qui "lance un appel au respect du cadre républicain de l’Etat, à la Constitution d’un gouvernement d’unité nationale consensuel de transition", se montreront très inquiets quant à l’avenir.
Pourtant en s’engageant "à créer les conditions favorables d’un jeu démocratique ouvert et transparent sur lequel la société civile et les acteurs politiques auront à se prononcer librement" et en criant haut et fort qu’ils "n’entendent pas exercer le pouvoir au delà d’une période de deux ans, jugée indispensable pour la préparation et la mise en place de véritables institutions démocratiques", les tombeurs de Ould Taya, malgré un soutien populaire vite acquis, devront faire face à une communauté internationale hostile à la prise du pouvoir par la force, les coups d’Etat en Afrique ayant partout plongé les pays dans le chaos.
Lors de sa rencontre avec les Partis Politiques, le Président du CMJD, le Colonel Ely Ould Mohamed Vall ne se prononcera pas sur le gouvernement d’union nationale de transition demandé par une majorité de l’opposition. Mais, il marquera son premier point en libérant une vingtaine d’islamistes dont le Cheikh Deddew, Mohamed Moussa, etc. Cette libération aura au moins le mérite de réconcilier le nouveau pouvoir avec une opinion publique nationale, convaincue que la chasse aux sorcières lancée contre les islamistes était excessive et servait plus des objectifs de politique extérieure.
Un mois après le coup d’Etat du 03 Août, vendredi 02 septembre 2005, le président du CMJD promulgue une ordonnance accordant amnistie pleine et entière pour les infractions commises avant le 03 Août 2005. Les infractions à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, les délits de presse, de réunion et de constitution des associations et enfin toutes infractions à caractère politique ou militaire sont couvertes par cette ordonnance d’amnistie. Il en résulte une liste de 115 personnes allant du leader du Front populaire, Chbih Ould Cheikh Mélainine aux auteurs de la tentative de putsch du 08 Juin en passant par les islamistes, les "auteurs de Grab I" et les exilés. Ainsi, en dehors de quelques rares éléments islamistes incarcérés pour collusion avec les terroristes algériens du GSPC qui avaient l’on se rappelle beaucoup fait parlé d’eux à Lemghaïty, l’ensemble des détenus politiques et autres exilés ont bénéficié de la mesure. Cette libération qui était indispensable pour une décrispation de la scène politique nationale a été très favorablement accueillie par l’opinion publique et l’ensemble des acteurs politiques locaux dont certains continuent néanmoins à lier l’assainissement de la scène nationale au règlement équitable et définitif de la question des réfugiés basés au Sénégal et au Mali.
Face à la communauté internationale
Une confrontation à laquelle le CMJD tentera de parer en avouant dès le 4 août, qu’il "s’engage à respecter tous les traités et conventions internationaux ratifiés par la Mauritanie", mais en vain. Une véritable campagne de séduction sera alors lancée par le CMJD pour se "légitimer" aux yeux de la communauté internationale, les Etats-Unis ayant déjà exigé tout de suite le retour au pouvoir du président déchu (ils se rétracteront le 9 août) et l’Union Africaine suspendant immédiatement la Mauritanie de l’organisation jusqu’au rétablissement de la légalité constitutionnelle. D’autres institutions, telle l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui a également annoncé le 27 août la suspension de sa coopération avec la Mauritanie, ont demandé que les nouvelles autorités précisent le calendrier et les modalités du "rétablissement" de la démocratie.
La condamnation du coup d’Etat par la communauté internationale sera vigoureuse. Allant du secrétaire général de l’ONU Kofi Annan ("profondément troublé") au président ivoirien Laurent Gbagbo (qui demande un retour immédiat à l’ordre constitutionnel) en passant par la France, la Grande-Bretagne (présidente à l’époque de l’Union européenne), l’Espagne, la Commission européenne à Bruxelles, la Tunisie, les Comores, la condamnation du coup d’Etat était sur toutes les lèvres, ce mercredi 3 août 2005. Au Sénégal voisin, Me Wade s’engage à préserver les liens avec la Mauritanie. Au Mali, le gouvernement a exprimé, jeudi, le lendemain du coup d’Etat, sa préoccupation, alors que l’Union européenne (UE) l’a déploré vendredi, appelant au respect "strict" de la démocratie et du cadre constitutionnel légal. Jouant la carte du soutien intérieur que les populations mauritaniennes ont rapidement manifesté dans les rues, suivies par les acteurs politiques et les organisations de la société civile, le CMJD forcera la communauté internationale à revoir sa "tolérance zéro" à l’égard des coups d’Etat. Depuis on ne compte plus les missions de l’union africaine, de l’UE. Il est vrai que le lancement des Journées nationales de concertation, auxquelles pas moins de cinq cents leaders d’opinion nationaux venus de la classe politique, de la sphère intellectuelle, des milieux d’affaires et des organisations de la société civile, les 4 et 19 août, viendront également amollir les réticences internationales.
Pourtant la constitution du Gouvernement dirigé par M. Sidi Mohamed Ould Boubacar (nommé le 7 août) laissera à désirer, certains de ses ministres n’ayant ni les qualifications ni les compétences nécessaires pour convaincre et rassurer quant à l’avènement d’un réel changement. Pas moins de six ministres ne méritaient pas leurs postes.
Etait-ce par recherche de figures nouvelles, propres et sans passé ou plutôt est-ce parce qu’à chacun des membres du CMJD, un poste ministériel était donné à pourvoir et partant la loterie ne pouvait sortir mieux. Première fausse note, la constitution de ce gouvernement sera vite dépassée car toute la transition ne devait pas durer plus de deux ans. Un délai réclamé par le CMJD pour réussir des "élections démocratiques et ouvertes à toutes les sensibilités politiques" à organiser sous la supervision d’une commission électorale indépendante, en présence d’observateurs étrangers et en concertation avec toute la classe politique et la société civile.
Pour ce faire, dès le 17 août, trois comités interministériels (un pour le processus de transition démocratique, un pour la justice et un pour la bonne gouvernance) vont être mis en place. Mieux, le CMJD donnera comme gage de sérieux et de bien fondé de son action, une autre garantie de neutralité et transparence. Il adoptera le 24 août, une ordonnance qui interdit à ses membres et à ceux du gouvernement de se présenter aux élections ou de soutenir un candidat. Deux jours plus tard, le 26 août, il demande l’appui du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour l’organisation des scrutins qui commenceront par un référendum sur la Constitution de juillet 1991et dont l’enjeu principal sera de réduire le mandat présidentiel à cinq ans au lieu de six et, surtout, le rendre renouvelable une seule fois. Des élections municipales et législatives auront ensuite lieu, le 19 novembre 2005, des sénatoriales le 21 janvier 2007 et la présidentielle est prévue pour le 11 mars 2007. En cas de ballottage, un second tour de la présidentielle est prévu pour le 25 du même mois. L’organisation du référendum sur la Constitution, le 25 juin 2006 sera un plébiscite avec ses 97% de OUI et son taux élevé de participation, confirmant ainsi le soutien populaire et l’adhésion des populations aux objectifs du CMJD.
Les périples d’Ely à l’Etranger
De voyage en voyage à l’étranger, le président du CMJD s’activera à aller expliquer son projet et enverra ses ministres presque partout. Ould Mohamed Vall se fera ainsi inviter partout où il peut, de la Gambie au Sommet mondial de la société de l’information en Tunisie, en passant par Alger, Rabat, Arabie Saoudite, Soudan, Sénégal, etc. Il fera la paix avec la Libye et accueillera Blaise Compaoré à Nouakchott avec les honneurs que l’on témoigne à un "grand ami". L’homme se dévoile et prend le risque d’aller à la rencontre des personnalités, Chefs d’Etats et autres pour se faire comprendre et solliciter leur soutien à la transition en cours en Mauritanie.
Côté redressement économique
Sur le front économique, le CMJD a vite fait de redresser la situation. Affichant dès le départ les trous budgétaires laissés, ici et là par l’ancien régime, les énormes difficultés avec les institutions financières internationales, il aura fallu commencer par éponger les dettes intérieures de l’Etat. Le report de l’effacement de la dette de notre pays (plus de 800 millions de dollars) par le FMI sera un coup dur que l’on supportera pourtant pendant six mois avant de réussir, le 21 juin dernier et au prix fort d’engagements difficiles mais respectés, à l’obtenir. De même, l’annulation des avenants de Woodside et le bonus de 100 millions de dollars qui en a résulté, mais aussi en engrangeant plus de 100 millions de dollars, tirés de la vente de la 3ème licence GSM et en améliorant sensiblement les salaires des fonctionnaires et en rationalisant les dépenses, les nouvelles autorités du pays, le CMJD a démontré que bien des choses positives peuvent être rapidement réalisés. Fini donc le temps de l’inflation galopante, de la vulnérabilité de l’économie aux chocs exogènes, de la dépendance accrue vis-à-vis de l’aide extérieure et bonjour le renforcement de l’Ouguiya
Les ratés du CMJD
Parmi les ratés du CMJD, on notera le règlement du dossier des réfugiés et du passif humanitaire et le refus d’une formation politique islamiste. Même si sur le premier point, celui des déportés et donc du passif humanitaire, les militaires ont estimé qu’ils n’ont pas le temps et que cela sera du ressort du prochain pouvoir, il est indiscutable qu’étant en période d’exception, ils auraient pu, d’un trait passer une éponge sur ce problème crucial par une solution ou une autre. En laissant ce problème pendant, ils auront montré une grande faiblesse.
Sur un autre plan, en s’opposant fermement à la création d’une formation islamiste, parce que dans la loi interdit à tout courant politique de faire de l’islam, religion de tous les Mauritaniens, un "apanage exclusif", le CMJD aura là aussi joué sur le temps. Pourtant la mouvance islamiste est très présente sur la scène politique où elle mène ses activités au su et au vu de tout le monde, sans aucun cadre légal. Même si certaines nouvelles formations politiques ont été sommées de rayer de leurs listes des figures islamistes si elles veulent être autorisées à exercer leurs activités dans la légalité, force est de constater que le courant islamiste a bien pris part au processus de transition démocratique en cours depuis le 3 août 2005. Une manière de ménager la chèvre et le chou qui réussit jusque là bien aux uns et aux autre, mais reste fragile. Car, on a, certes libéré les ténors islamistes, on a même autorisé les candidatures indépendantes pour qu’ils en profitent mais on leur a interdit de créer ou d’appartenir à une formation politique. Ce qui a, au moins, le mérite de réconcilier le nouveau pouvoir avec une opinion publique nationale, convaincue que la chasse aux sorcières lancée contre les islamistes par l’ancien régime était excessive et servait plus des objectifs de politique extérieure. Seulement, en donnant à la mouvance toute la latitude de mobiliser ses troupes, de côtoyer d’autres venant d’ailleurs, c’est une force tranquille qui fera demain le poids devant n’importe quelle formation ou personnalité politique.
Le plus dur reste à faire
Certes, après douze mois, le CMJD a fait de grands pas dans la réalisation des objectifs qu’il s’est assigné de créer les conditions favorables à l’instauration d’une démocratie véritable. Seulement, le plus difficile reste à faire, à savoir d’organiser des élections présidentielles libres et transparentes où le peuple aura réellement choisi son destin. Et une fois, cela fait, le plus difficile sera encore de rentrer dans les casernes, aussi jeunes seront-ils, ceux qui auront parmi le CMJD, choisi de donner leur parole de rendre le pouvoir aux civils à l’issue de la transition. Sans aucun doute, le président du CMJD vient de le confirmer dans une interview accordée à Jeune Afrique, "la retraite est assurée", mais …
Nouakchott-info
Cheikhna Ould Nenni
et Mohamed Ould Khattat