Samedi 27 janvier. Lieu : Palais des Congrès. Moment attendu que celui qui va voir le colonel Eli Ould Mohamed Val, président du CMJD et chef de l’Etat, prendre la parole à l’occasion du 6ème Congrès des Maires de Mauritanie. Depuis le temps qu’un éclaircissement de sa part était attendu !
Atmosphères
Le colonel Ould Mohamed Val est-il candidat ? Est-il intéressé par une rallonge de la transition ? Soutient-il un candidat particulier ? Autant de questions qui rongent les esprits des Mauritaniens et qui empoisonnent l’espace public. Les rumeurs les plus folles se sont emparées du pays tout entier. Le silence des autorités, l’absence totale de communication, l’incapacité de l’entourage à tenir sa langue… tout a contribué à exacerber la rumeur.
Quand on arrive vers 10 heures 30 au Palais, la majorité des Maires est déjà sur place. Des jeunes pour la plupart. Il faut dire que c’est la première fois qu’une telle assemblée peut s’enorgueillir d’être ‘bien élue’. Les 216 maires devant participer au congrès ont été choisis, pour la plupart du moins, à l’issue d’un processus sain. C'est-à-dire loin des malversations électorales qui ont caractérisé jusque-là les élections en Mauritanie.
Une opération saluée par tous et dont les résultats furent acceptées par tous. Même si l’épisode de Nouadhibou est venu montrer combien certains pans des microcosmes affairistes étaient déterminés à confisquer la volonté populaire. Mais dans l’ensemble, les Mauritaniens n’ont pas à se plaindre. Au contraire !
Dans l’assemblée des maires pas de femme. Les trois maires femmes – toutes négro-africaines – ne sont pas là. Et elles ne font pas d’ailleurs les 20% tans espérés. D’ailleurs, quand la salle sera pleine, on ne comptera pas une dizaine de femmes dans les premières loges – les tribunes du bas.
Dans le premier compartiment sont installés les membres du conseil militaire, ceux du gouvernement, les conseillers du président et du Premier ministre, le corps diplomatique et les partis politiques qui devaient occuper toute une rangée. RDU, PRDR, Alternative, UDP pour commencer par ceux du Mithaq, avec bien sûr les petits partis satellites, du côté de la Coalition, seul Ahmed Ould Daddah du RFD fera le déplacement. Mohamed Ould Maouloud de l’UFP, Messaoud Ould Boulkheir de l’APP, Saleh Ould Hanenna ne feront pas partie des présents.
Les deux premiers avaient mal perçu la manière utilisée pour les inviter. C’est un fonctionnaire quelconque du ministère de l’intérieur, qui les a appelés la veille, en pleine nuit, pour les prier de passer au ministère récupérer les badges s’ils avaient ‘l’intention d’y aller’. Pour de grands partis qui ont leurs adresses, leurs sièges, leurs représentants à l’Assemblée future, la démarche est pour le moins cavalière. Suffisant pour amener les concernés à ne pas se rendre sur les lieux, considérant qu’ils n’ont pas été invités n’ayant pas reçu leurs badges.
Une présence qui surprend, c’est celle de Lemrabott Sidi Mahmoud Ould Cheikh Ahmed, coordinateur du rassemblement national des indépendants, une sorte de conglomérat qui ne fait pas encore un parti et qui n’est plus une association. A quel titre est-il là ? Pas de réponse. Il prend cependant le siège de l’AJD – alliance pour la justice et la démocratie -, au moins deux lettres sur les quatre du sigle du CMJD.
A ses côtés vient s’asseoir Ahmed Ould Daddah. Les journalistes affluent de ce côté, guettant ici un mot, là un geste entre les deux hommes. Mais Ould Daddah se plonge dans le téléphone. Et il faudra du temps pour échanger quelques mots. Quelques photos sont prises, des caméras s’approchent. C’est peut-être l’événement du jour.
Dans le compartiment des maires, le directeur adjoint des collectivités locales indique aux élus la manière avec laquelle il faut mettre l’écharpe : ‘de la droite vers la gauche’. Avant de s’embourber dans une discussion avec l’un d’eux sur la décentralisation.
'Monsieur le maire, il faut changer la mentalité pour aboutir à la décentralisation. Il faut donner le temps au temps’. Quels liens entre la mentalité et la décentralisation ? de qui faut-il changer la mentalité ? Le fonctionnaire se perd en conjectures. Non loin de lui, un flic de la DST qui se fait passer tantôt pour un journaliste, tantôt pour un animateur d’ONG. Même s’il est connu par tous, il ne peut s’empêcher de provoquer du désordre.
‘Nous, les journalistes nous sommes mal lotis’. Une énième manière d’humilier la presse en l’assimilant au système sécuritaire et policier du pays. Il fait assez de bruits pour attirer les agents du protocole. Toujours les mêmes que du temps de Ould Taya. Moins de courtoisie cependant. Surtout chez les policiers nouvellement promus au titre d’agents du protocole. Mais malgré tout, l’atmosphère reste agréable. On se détend en attendant.
Le temps des mots
13 heures déjà. La salle s’agite. Les derniers membres du CMJD font leur entrée. Deux places restent vides à côté des chefs d’Etat Major de l’Armée, colonel Abderrahmane Ould Boubacar, et de la Gendarmerie, colonel Ahmed Ould Bicrine. Le colonel Mohamed Ould Abdel Aziz fait son entrée, il va saluer ses amis du CMJD avant de prendre place à côté de Ould Boubacar. Le colonel Mohamed Ould Ghazwani viendra en retard occuper la seconde place. On surveille les faits et gestes des uns et des autres.
Une présence qui intrigue, celle du commandant de la 7ème Région militaire, le colonel Mohamed Ould Abdi, membre du CMJD. En général seuls sont présents les membres du CMJD travaillant à Nouakchott. Alors pourquoi la présence de l’ancien aide de camp de Ould Taya ? Pas de réponse. Seuls en civil le permanent du CMJD, colonel Alioune Ould Mohamed et son adjoint colonel Tourad Ould Boibacar.
L’animateur de la salle, Mohamed Lemine Ould Biye, un traducteur hors paire, annonce le programme. D’abord une lecture de versets de Coran. Par un nommé Joum’a Ould Amar. Un haratine qui choisit des versets appelant à l’unité, à la tolérance et à l’égalité. Le domaine religieux n’est plus l’apanage des seuls marabouts. Signe de la libéralisation des fonctions sociales vite assimilé à une évolution des mentalités. On donne la parole au président. Silence total.
Il commence. Sur un ton hésitant. En arabe classique. Puis en hassaniya. Puis en français. Trois moments du discours. Le premier concerne l’occasion, l’ouverture du Congrès des Maires.
L'expérience communale mauritanienne a connu, au cours des dernières échéances et pour la première fois dans son histoire, l'élection de conseils municipaux que tous ont qualifié de transparente et d'honnête, contrairement aux pratiques du passé qui étaient marquées par l'intervention des autorités de tutelle. ‘Les maires étaient nommés comme les fonctionnaires’. Il a appelé les maires à exercer leurs missions, en toute liberté et responsabilité, conformément aux intérêts des citoyens qui les ont élus, se déclarant fier de présider ce congrès, en cette importante étape de la démocratie mauritanienne.
Promesse de réforme de l'Administration qui s'est répercutée positivement sur les maires à travers la décentralisation. Décentralisation qui donnera aux maires des compétences de plus en plus importantes, affirmant qu'aucun effort ne sera ménagé, à quelque niveau que ce soit, pour la réussite des maires dans leurs missions, dans l'intérêt des populations et pour l'amélioration des conditions de leur vie et que l'Etat est au service de cette orientation.
Campagne contre les rumeurs
Deuxième moment, réponse aux rumeurs qui ont abouti à une mise en alerte sans précédent. Le Chef de l'Etat s'est interrogé sur les causes de cet état et sur les fins qui sont visées à travers cela, indiquant que l'accent a été mis sur un seul point comme s'il était le plus important dans le pays du point de vue économique, social et politique à savoir: la neutralité du Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie.
"Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet, certains ont cru que les affaires du pays doivent s'arrêter jusqu'à ce que la question soit tranchée, d'autres ont parlé de la question des compétences du Chef de l'Etat, des décisions qu'il prend, des nominations qu’il fait." La neutralité ne veut nullement dire le laisser-aller ou l'empêchement de la mission du CMJD et du gouvernement de transition et qu'il n'y a personne qui puisse dicter ses conditions, s'agissant de la gestion des affaires du pays.
La scène politique, dans ce contexte précis "a connu plusieurs approches dont certaines ont brandi la menace de ne pas accepter ce qui est de nature à arrêter le processus démocratique de transition, s'adressant dans ce sens à l'autorité et se basant sur des rumeurs sans fondements. D'autres ont, par contre, et sans preuve aussi, avancé l'idée d'arrêter la période de transition, car s'acheminant vers ce qui ne leur plaît pas".
Le Colonel Ely Ould Mohamed Vall devait dire que ce qui se pose aujourd’hui, au peuple mauritanien, c'est de choisir un Président de la République et préciser à cet effet, que certains croient que cela doit se passer sur la base du calendrier définitif et des candidatures présentes, tandis que d'autres, se prononcent contre ce calendrier et les candidatures actuelles. La solution à cette question ne peut pas être envisagée à travers des ententes illicites avec les parties prenantes et/ou des décisions arbitraires, mais plutôt, en revenant à la Constitution.
Qu'est ce qu'on peut déduire de la constitution et des lois organiques pour répondre aux questions qui se posent aux mauritaniens? Ce que je viens de vous dire, a indiqué le président du CMJD, est tout simplement la possibilité pour chacun de vous d'exprimer toute son opinion à travers une élection nationale. Cela veut dire -précisera-t-il- que la constitution de la République Islamique de Mauritanie adoptée avec un taux de participation 76% et avec 96% de Oui et les lois organiques complétant, reprennent les mêmes dispositions et disent que pour être élu, un président doit avoir au moins, la majorité absolue des voix exprimées et que les voix exprimées sont celles obtenues par tous les candidats ainsi que les votes blancs.
Osez choisir et voter !
On peut en déduire que chacun d'entre vous, chaque mauritanien, chaque parti, chaque initiative, chaque groupe peut imposer sa solution à travers la constitution et les lois a expliqué le chef de l'Etat. Il n'est nullement besoin que l'on prenne des dispositions illégales, ni des dispositions par des négociations parallèles par rapport à nos lois soulignera-t-il. Et de poursuivre: "cela veut dire tout simplement que demain vont se présenter à vous, une vingtaine de candidats. Ce sont des mauritaniens qui briguent vos suffrages, qui briguent la charge suprême de l'Etat. Avec la constitution que nous avons, nous avons toutes les solutions pourvu qu'elles s'inscrivent dans la constitution. Et la solution c'est quoi? C'est comme je vous ai dit donner une majorité absolue des suffrages exprimées au premier tour".
Cela veut dire pour lui, que si par le jeu du vote blanc, vous ne désirez aucune de ces candidatures, ni au premier, ni au deuxième tour, vous pouvez les refuser par votre vote blanc. Et qu'est ce que cela impliquera-t-il? s'est demandé le président du CMJD. Pour être élu, a-t-il dit, le conseil constitutionnel doit constater que le président a eu la majorité absolue des votes exprimés ou qu'aucun des candidats n'a obtenu une majorité absolue. Dans ce cas, cela veut dire que c'est un vote de rejet. Et en ce moment là, a précisé le chef de l'Etat, le conseil constitutionnel ne peut constater l'élection d'un président.
Quelle est la conséquence? Si aucune majorité ne s'est dégagée, dira le président, en faveur d'un candidat, la conséquence est que le vote est validé, que le calendrier est respecté, que la constitution est respectée, que toutes les lois organiques de la République sont respectées et que le peuple mauritanien n'est pas intéressé par ceux qui se sont présentés devant lui, et demande à ce que d'autres choix se représentent, plus tard devant lui.
En pratique, ajoute le chef de l'Etat, c'est tout simplement qu'aucun candidat n'a obtenu la majorité absolue et que personne ne peut être déclarée président de la République et qu'une nouvelle date pour une élection présidentielle devra être déterminée par le gouvernement. Et en ce moment là, a-t-il poursuivi, il se créera une situation juridique nouvelle par rapport à la première. Et les choix seront ouverts pour les mauritaniens qui auront à choisir plus tard de nouveau.
Votez blanc !
Les premiers surpris sont naturellement les hommes politiques. De Ould Daddah à Ould Sidi Baba, en passant par Ould Cheikh Ahmed, Ould Mokhtar Hacen, Ould Baba, Ould Mohamed Val, la question est la même : ‘haadah chinhu ?’ ça c’est quoi ? On n’attendra pas la fin du discours pour poser la question.
Visiblement mal préparée, l’idée est la conséquence d’une position assez inconfortable dans laquelle se trouve le président du CMJD. Seul à profiter réellement de la bonne conclusion du processus, le colonel Ould Mohamed Val qui a tout fait pour convaincre ces derniers mois, se trouve encore une fois dans la position de celui qui ne peut s’empêcher d’interférer. Pourquoi ? Ses proches parlent de pressions exercées sur lui pas d’autres membres du CMJD. Ceux-là voudraient bien voir le Conseil contrôler l’issue du scrutin futur. Ce sont eux qui développent la nuance entre neutralité et indifférence. D’autres parlent du mauvais génie de certains de ses conseillers, véritables apprentis-sorciers, qui n’ont d’autres soucis que celui de perpétrer leurs privilèges. Quelques-uns enfin soutiennent qu’il est le seul maître à bord et qu’il essaye des manœuvres pour rester au pouvoir.
Dans un cas comme dans l’autre, le colonel Ould Mohamed Val doit comprendre qu’il n’a pas la marge de manœuvre qu’il pense visiblement pouvoir s’accorder. Pays fragilisé par tant d’années d’exercice autoritaire du pouvoir, la Mauritanie a subitement découvert le goût de la liberté. Liberté de parole (malgré les relents des responsables de TVM), liberté d’action et surtout liberté de choix. Cette douce révolution, a produit un effet inestimé par nos gouvernants mais aussi par notre classe politique. L’invention de formes politiques nouvelles induisant l’émancipation de l’individu, l’offre de neutralité faite par les autorités sont autant d’éléments moteurs d’une conscience novatrice libérée des pesanteurs liées au diktat de l’autorité.
Le colonel Ould Mohamed Val est le premier à savoir que c’est ici que se trouve le fondement idéologique des prétentions individuelles et communes à faire valoir ses désirs et ses choix. N’est-ce pas lui qui invitait le peuple mauritanien ‘à rêver debout’ lors de ses meetings de campagne pour la Constitution. C’est probablement volontairement qu’il a semé le germe de toutes les révoltes et du refus de l’ordre ancien. Devant l’incapacité pour lui de faire directement la révolution/rupture.
Le colonel Ould Mohamed Val avait-il un autre choix ? Rien n’est moins sûr. En plus des divergences de vue certaines au sein de l’équipe qu’il dirige, il faut compter aussi avec la faiblesse du débat politique qui n’arrive pas à s’instaurer. Ainsi qu’avec l’éclatement de la société avec 20 candidats et plus de 35 partis, des centaines d’ONG et de journaux... Assez pour inquiéter celui qui s’est trouvé, depuis le 3 août, aux commandes d’un pays dont les fondements existentiels ont été sapés.
Lignes rouges
Autre sujet abordé par le président du CMJD, celui des campagnes et de leurs contenus. Parlant de ‘constantes’, le colonel Ould Mohamed Val a fait allusion à certains thèmes de campagne dont les relations avec Israël que certains ont promu de rompre. Très emporté visiblement, le président du CMJD a dit qu’il n’est pas question de revenir sur certains choix diplomatiques de la Mauritanie. Toutes les relations avec notre environnement immédiat. Allusion au retour à la CEDEAO ? Au retrait de l’UMA ? De l’OMVS ? On ne saura pas. Pour le président il s’agit là d’une volonté de séduire ‘un électorat de ghetto’ qui ne saurait être tolérée. Deuxième sujet impossible à laisser passer : le destin qui sera réservé au CMJD et l’implication de l’Armée dans le jeu politique. Allusion à ceux qui ont promis de erconstruire l’Armée sur de nouvelles bases.
Une incursion mal venue selon les observateurs. Le président ne devant pas se prononcer sur le contenu des campagnes dont le contrôle revient à la HAPA et aux institutions spécialisées. Le président aurait dû parler ici des lignes rouges concernant l’unité nationale par exemple. Sans passion. Ce fut le contraire. Avec grande passion, il parlera de choix faits par des candidats qui ne sont pas les siens et qui sont en principe libres de faire les propositions les plus saugrenues et les moins défendables au peuple mauritanien. Il les a accusés de ‘se fourvoyer dans des dédales dont ils feraient bien de ne pas y aller’.
Avant de finir, le président a quand même insisté sur l’engagement du respect par les Forces Armées de la volonté du peuple. ‘Elles feront respecter ce choix’. ‘Il faut laisser les Mauritaniens choisir librement. Seuls eux peuvent déterminer l’avenir du pays’. Avant de clore le débat, le président a dit que c’est par ces idées qu’il voulait contribuer au débat actuel. Lequel ? Dans la réalité, nous assistons à une superposition de monologues. Ce qui donne l’impression de rupture de dialogue. Et de la concertation.
Le secrétariat du conseil avait enregistré 21 dossiers de candidature.
Pendant ce temps, le Mithaq s’est empressé de confirmer son soutien à Ould Cheikh Abdallahi au lendemain de l’appel du président à voter blanc. Reprenant le raisonnement qu’on dit ‘présidentiel’ et qui consiste à faire le constat suivant : les candidats sont tous dangereux pour le pays sauf un, Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Est-ce une manière de rappeler au colonel Ould Mohamed Val ses mots ? Ou une autre de dire que rien n’a changé ? Nombreux sont ceux qui voient dans la position du Mithaq, la volonté de ses principaux animateurs de maintenir une cohésion qui n’a pas sa raison.
La Tribune N°334 du 30/01/07 via cridem
Atmosphères
Le colonel Ould Mohamed Val est-il candidat ? Est-il intéressé par une rallonge de la transition ? Soutient-il un candidat particulier ? Autant de questions qui rongent les esprits des Mauritaniens et qui empoisonnent l’espace public. Les rumeurs les plus folles se sont emparées du pays tout entier. Le silence des autorités, l’absence totale de communication, l’incapacité de l’entourage à tenir sa langue… tout a contribué à exacerber la rumeur.
Quand on arrive vers 10 heures 30 au Palais, la majorité des Maires est déjà sur place. Des jeunes pour la plupart. Il faut dire que c’est la première fois qu’une telle assemblée peut s’enorgueillir d’être ‘bien élue’. Les 216 maires devant participer au congrès ont été choisis, pour la plupart du moins, à l’issue d’un processus sain. C'est-à-dire loin des malversations électorales qui ont caractérisé jusque-là les élections en Mauritanie.
Une opération saluée par tous et dont les résultats furent acceptées par tous. Même si l’épisode de Nouadhibou est venu montrer combien certains pans des microcosmes affairistes étaient déterminés à confisquer la volonté populaire. Mais dans l’ensemble, les Mauritaniens n’ont pas à se plaindre. Au contraire !
Dans l’assemblée des maires pas de femme. Les trois maires femmes – toutes négro-africaines – ne sont pas là. Et elles ne font pas d’ailleurs les 20% tans espérés. D’ailleurs, quand la salle sera pleine, on ne comptera pas une dizaine de femmes dans les premières loges – les tribunes du bas.
Dans le premier compartiment sont installés les membres du conseil militaire, ceux du gouvernement, les conseillers du président et du Premier ministre, le corps diplomatique et les partis politiques qui devaient occuper toute une rangée. RDU, PRDR, Alternative, UDP pour commencer par ceux du Mithaq, avec bien sûr les petits partis satellites, du côté de la Coalition, seul Ahmed Ould Daddah du RFD fera le déplacement. Mohamed Ould Maouloud de l’UFP, Messaoud Ould Boulkheir de l’APP, Saleh Ould Hanenna ne feront pas partie des présents.
Les deux premiers avaient mal perçu la manière utilisée pour les inviter. C’est un fonctionnaire quelconque du ministère de l’intérieur, qui les a appelés la veille, en pleine nuit, pour les prier de passer au ministère récupérer les badges s’ils avaient ‘l’intention d’y aller’. Pour de grands partis qui ont leurs adresses, leurs sièges, leurs représentants à l’Assemblée future, la démarche est pour le moins cavalière. Suffisant pour amener les concernés à ne pas se rendre sur les lieux, considérant qu’ils n’ont pas été invités n’ayant pas reçu leurs badges.
Une présence qui surprend, c’est celle de Lemrabott Sidi Mahmoud Ould Cheikh Ahmed, coordinateur du rassemblement national des indépendants, une sorte de conglomérat qui ne fait pas encore un parti et qui n’est plus une association. A quel titre est-il là ? Pas de réponse. Il prend cependant le siège de l’AJD – alliance pour la justice et la démocratie -, au moins deux lettres sur les quatre du sigle du CMJD.
A ses côtés vient s’asseoir Ahmed Ould Daddah. Les journalistes affluent de ce côté, guettant ici un mot, là un geste entre les deux hommes. Mais Ould Daddah se plonge dans le téléphone. Et il faudra du temps pour échanger quelques mots. Quelques photos sont prises, des caméras s’approchent. C’est peut-être l’événement du jour.
Dans le compartiment des maires, le directeur adjoint des collectivités locales indique aux élus la manière avec laquelle il faut mettre l’écharpe : ‘de la droite vers la gauche’. Avant de s’embourber dans une discussion avec l’un d’eux sur la décentralisation.
'Monsieur le maire, il faut changer la mentalité pour aboutir à la décentralisation. Il faut donner le temps au temps’. Quels liens entre la mentalité et la décentralisation ? de qui faut-il changer la mentalité ? Le fonctionnaire se perd en conjectures. Non loin de lui, un flic de la DST qui se fait passer tantôt pour un journaliste, tantôt pour un animateur d’ONG. Même s’il est connu par tous, il ne peut s’empêcher de provoquer du désordre.
‘Nous, les journalistes nous sommes mal lotis’. Une énième manière d’humilier la presse en l’assimilant au système sécuritaire et policier du pays. Il fait assez de bruits pour attirer les agents du protocole. Toujours les mêmes que du temps de Ould Taya. Moins de courtoisie cependant. Surtout chez les policiers nouvellement promus au titre d’agents du protocole. Mais malgré tout, l’atmosphère reste agréable. On se détend en attendant.
Le temps des mots
13 heures déjà. La salle s’agite. Les derniers membres du CMJD font leur entrée. Deux places restent vides à côté des chefs d’Etat Major de l’Armée, colonel Abderrahmane Ould Boubacar, et de la Gendarmerie, colonel Ahmed Ould Bicrine. Le colonel Mohamed Ould Abdel Aziz fait son entrée, il va saluer ses amis du CMJD avant de prendre place à côté de Ould Boubacar. Le colonel Mohamed Ould Ghazwani viendra en retard occuper la seconde place. On surveille les faits et gestes des uns et des autres.
Une présence qui intrigue, celle du commandant de la 7ème Région militaire, le colonel Mohamed Ould Abdi, membre du CMJD. En général seuls sont présents les membres du CMJD travaillant à Nouakchott. Alors pourquoi la présence de l’ancien aide de camp de Ould Taya ? Pas de réponse. Seuls en civil le permanent du CMJD, colonel Alioune Ould Mohamed et son adjoint colonel Tourad Ould Boibacar.
L’animateur de la salle, Mohamed Lemine Ould Biye, un traducteur hors paire, annonce le programme. D’abord une lecture de versets de Coran. Par un nommé Joum’a Ould Amar. Un haratine qui choisit des versets appelant à l’unité, à la tolérance et à l’égalité. Le domaine religieux n’est plus l’apanage des seuls marabouts. Signe de la libéralisation des fonctions sociales vite assimilé à une évolution des mentalités. On donne la parole au président. Silence total.
Il commence. Sur un ton hésitant. En arabe classique. Puis en hassaniya. Puis en français. Trois moments du discours. Le premier concerne l’occasion, l’ouverture du Congrès des Maires.
L'expérience communale mauritanienne a connu, au cours des dernières échéances et pour la première fois dans son histoire, l'élection de conseils municipaux que tous ont qualifié de transparente et d'honnête, contrairement aux pratiques du passé qui étaient marquées par l'intervention des autorités de tutelle. ‘Les maires étaient nommés comme les fonctionnaires’. Il a appelé les maires à exercer leurs missions, en toute liberté et responsabilité, conformément aux intérêts des citoyens qui les ont élus, se déclarant fier de présider ce congrès, en cette importante étape de la démocratie mauritanienne.
Promesse de réforme de l'Administration qui s'est répercutée positivement sur les maires à travers la décentralisation. Décentralisation qui donnera aux maires des compétences de plus en plus importantes, affirmant qu'aucun effort ne sera ménagé, à quelque niveau que ce soit, pour la réussite des maires dans leurs missions, dans l'intérêt des populations et pour l'amélioration des conditions de leur vie et que l'Etat est au service de cette orientation.
Campagne contre les rumeurs
Deuxième moment, réponse aux rumeurs qui ont abouti à une mise en alerte sans précédent. Le Chef de l'Etat s'est interrogé sur les causes de cet état et sur les fins qui sont visées à travers cela, indiquant que l'accent a été mis sur un seul point comme s'il était le plus important dans le pays du point de vue économique, social et politique à savoir: la neutralité du Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie.
"Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet, certains ont cru que les affaires du pays doivent s'arrêter jusqu'à ce que la question soit tranchée, d'autres ont parlé de la question des compétences du Chef de l'Etat, des décisions qu'il prend, des nominations qu’il fait." La neutralité ne veut nullement dire le laisser-aller ou l'empêchement de la mission du CMJD et du gouvernement de transition et qu'il n'y a personne qui puisse dicter ses conditions, s'agissant de la gestion des affaires du pays.
La scène politique, dans ce contexte précis "a connu plusieurs approches dont certaines ont brandi la menace de ne pas accepter ce qui est de nature à arrêter le processus démocratique de transition, s'adressant dans ce sens à l'autorité et se basant sur des rumeurs sans fondements. D'autres ont, par contre, et sans preuve aussi, avancé l'idée d'arrêter la période de transition, car s'acheminant vers ce qui ne leur plaît pas".
Le Colonel Ely Ould Mohamed Vall devait dire que ce qui se pose aujourd’hui, au peuple mauritanien, c'est de choisir un Président de la République et préciser à cet effet, que certains croient que cela doit se passer sur la base du calendrier définitif et des candidatures présentes, tandis que d'autres, se prononcent contre ce calendrier et les candidatures actuelles. La solution à cette question ne peut pas être envisagée à travers des ententes illicites avec les parties prenantes et/ou des décisions arbitraires, mais plutôt, en revenant à la Constitution.
Qu'est ce qu'on peut déduire de la constitution et des lois organiques pour répondre aux questions qui se posent aux mauritaniens? Ce que je viens de vous dire, a indiqué le président du CMJD, est tout simplement la possibilité pour chacun de vous d'exprimer toute son opinion à travers une élection nationale. Cela veut dire -précisera-t-il- que la constitution de la République Islamique de Mauritanie adoptée avec un taux de participation 76% et avec 96% de Oui et les lois organiques complétant, reprennent les mêmes dispositions et disent que pour être élu, un président doit avoir au moins, la majorité absolue des voix exprimées et que les voix exprimées sont celles obtenues par tous les candidats ainsi que les votes blancs.
Osez choisir et voter !
On peut en déduire que chacun d'entre vous, chaque mauritanien, chaque parti, chaque initiative, chaque groupe peut imposer sa solution à travers la constitution et les lois a expliqué le chef de l'Etat. Il n'est nullement besoin que l'on prenne des dispositions illégales, ni des dispositions par des négociations parallèles par rapport à nos lois soulignera-t-il. Et de poursuivre: "cela veut dire tout simplement que demain vont se présenter à vous, une vingtaine de candidats. Ce sont des mauritaniens qui briguent vos suffrages, qui briguent la charge suprême de l'Etat. Avec la constitution que nous avons, nous avons toutes les solutions pourvu qu'elles s'inscrivent dans la constitution. Et la solution c'est quoi? C'est comme je vous ai dit donner une majorité absolue des suffrages exprimées au premier tour".
Cela veut dire pour lui, que si par le jeu du vote blanc, vous ne désirez aucune de ces candidatures, ni au premier, ni au deuxième tour, vous pouvez les refuser par votre vote blanc. Et qu'est ce que cela impliquera-t-il? s'est demandé le président du CMJD. Pour être élu, a-t-il dit, le conseil constitutionnel doit constater que le président a eu la majorité absolue des votes exprimés ou qu'aucun des candidats n'a obtenu une majorité absolue. Dans ce cas, cela veut dire que c'est un vote de rejet. Et en ce moment là, a précisé le chef de l'Etat, le conseil constitutionnel ne peut constater l'élection d'un président.
Quelle est la conséquence? Si aucune majorité ne s'est dégagée, dira le président, en faveur d'un candidat, la conséquence est que le vote est validé, que le calendrier est respecté, que la constitution est respectée, que toutes les lois organiques de la République sont respectées et que le peuple mauritanien n'est pas intéressé par ceux qui se sont présentés devant lui, et demande à ce que d'autres choix se représentent, plus tard devant lui.
En pratique, ajoute le chef de l'Etat, c'est tout simplement qu'aucun candidat n'a obtenu la majorité absolue et que personne ne peut être déclarée président de la République et qu'une nouvelle date pour une élection présidentielle devra être déterminée par le gouvernement. Et en ce moment là, a-t-il poursuivi, il se créera une situation juridique nouvelle par rapport à la première. Et les choix seront ouverts pour les mauritaniens qui auront à choisir plus tard de nouveau.
Votez blanc !
Les premiers surpris sont naturellement les hommes politiques. De Ould Daddah à Ould Sidi Baba, en passant par Ould Cheikh Ahmed, Ould Mokhtar Hacen, Ould Baba, Ould Mohamed Val, la question est la même : ‘haadah chinhu ?’ ça c’est quoi ? On n’attendra pas la fin du discours pour poser la question.
Visiblement mal préparée, l’idée est la conséquence d’une position assez inconfortable dans laquelle se trouve le président du CMJD. Seul à profiter réellement de la bonne conclusion du processus, le colonel Ould Mohamed Val qui a tout fait pour convaincre ces derniers mois, se trouve encore une fois dans la position de celui qui ne peut s’empêcher d’interférer. Pourquoi ? Ses proches parlent de pressions exercées sur lui pas d’autres membres du CMJD. Ceux-là voudraient bien voir le Conseil contrôler l’issue du scrutin futur. Ce sont eux qui développent la nuance entre neutralité et indifférence. D’autres parlent du mauvais génie de certains de ses conseillers, véritables apprentis-sorciers, qui n’ont d’autres soucis que celui de perpétrer leurs privilèges. Quelques-uns enfin soutiennent qu’il est le seul maître à bord et qu’il essaye des manœuvres pour rester au pouvoir.
Dans un cas comme dans l’autre, le colonel Ould Mohamed Val doit comprendre qu’il n’a pas la marge de manœuvre qu’il pense visiblement pouvoir s’accorder. Pays fragilisé par tant d’années d’exercice autoritaire du pouvoir, la Mauritanie a subitement découvert le goût de la liberté. Liberté de parole (malgré les relents des responsables de TVM), liberté d’action et surtout liberté de choix. Cette douce révolution, a produit un effet inestimé par nos gouvernants mais aussi par notre classe politique. L’invention de formes politiques nouvelles induisant l’émancipation de l’individu, l’offre de neutralité faite par les autorités sont autant d’éléments moteurs d’une conscience novatrice libérée des pesanteurs liées au diktat de l’autorité.
Le colonel Ould Mohamed Val est le premier à savoir que c’est ici que se trouve le fondement idéologique des prétentions individuelles et communes à faire valoir ses désirs et ses choix. N’est-ce pas lui qui invitait le peuple mauritanien ‘à rêver debout’ lors de ses meetings de campagne pour la Constitution. C’est probablement volontairement qu’il a semé le germe de toutes les révoltes et du refus de l’ordre ancien. Devant l’incapacité pour lui de faire directement la révolution/rupture.
Le colonel Ould Mohamed Val avait-il un autre choix ? Rien n’est moins sûr. En plus des divergences de vue certaines au sein de l’équipe qu’il dirige, il faut compter aussi avec la faiblesse du débat politique qui n’arrive pas à s’instaurer. Ainsi qu’avec l’éclatement de la société avec 20 candidats et plus de 35 partis, des centaines d’ONG et de journaux... Assez pour inquiéter celui qui s’est trouvé, depuis le 3 août, aux commandes d’un pays dont les fondements existentiels ont été sapés.
Lignes rouges
Autre sujet abordé par le président du CMJD, celui des campagnes et de leurs contenus. Parlant de ‘constantes’, le colonel Ould Mohamed Val a fait allusion à certains thèmes de campagne dont les relations avec Israël que certains ont promu de rompre. Très emporté visiblement, le président du CMJD a dit qu’il n’est pas question de revenir sur certains choix diplomatiques de la Mauritanie. Toutes les relations avec notre environnement immédiat. Allusion au retour à la CEDEAO ? Au retrait de l’UMA ? De l’OMVS ? On ne saura pas. Pour le président il s’agit là d’une volonté de séduire ‘un électorat de ghetto’ qui ne saurait être tolérée. Deuxième sujet impossible à laisser passer : le destin qui sera réservé au CMJD et l’implication de l’Armée dans le jeu politique. Allusion à ceux qui ont promis de erconstruire l’Armée sur de nouvelles bases.
Une incursion mal venue selon les observateurs. Le président ne devant pas se prononcer sur le contenu des campagnes dont le contrôle revient à la HAPA et aux institutions spécialisées. Le président aurait dû parler ici des lignes rouges concernant l’unité nationale par exemple. Sans passion. Ce fut le contraire. Avec grande passion, il parlera de choix faits par des candidats qui ne sont pas les siens et qui sont en principe libres de faire les propositions les plus saugrenues et les moins défendables au peuple mauritanien. Il les a accusés de ‘se fourvoyer dans des dédales dont ils feraient bien de ne pas y aller’.
Avant de finir, le président a quand même insisté sur l’engagement du respect par les Forces Armées de la volonté du peuple. ‘Elles feront respecter ce choix’. ‘Il faut laisser les Mauritaniens choisir librement. Seuls eux peuvent déterminer l’avenir du pays’. Avant de clore le débat, le président a dit que c’est par ces idées qu’il voulait contribuer au débat actuel. Lequel ? Dans la réalité, nous assistons à une superposition de monologues. Ce qui donne l’impression de rupture de dialogue. Et de la concertation.
Le secrétariat du conseil avait enregistré 21 dossiers de candidature.
Pendant ce temps, le Mithaq s’est empressé de confirmer son soutien à Ould Cheikh Abdallahi au lendemain de l’appel du président à voter blanc. Reprenant le raisonnement qu’on dit ‘présidentiel’ et qui consiste à faire le constat suivant : les candidats sont tous dangereux pour le pays sauf un, Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Est-ce une manière de rappeler au colonel Ould Mohamed Val ses mots ? Ou une autre de dire que rien n’a changé ? Nombreux sont ceux qui voient dans la position du Mithaq, la volonté de ses principaux animateurs de maintenir une cohésion qui n’a pas sa raison.
La Tribune N°334 du 30/01/07 via cridem