Paris, dont la candidature pour les Jeux olympiques 2024 sera soumise la semaine prochaine au vote des conseils d’arrondissement après l’accord d’Anne Hidalgo lundi 23 mars, pourrait avoir une rivale de plus. Nairobi, capitale du Kenya, veut aussi ses Jeux olympiques. Et à la même date.
Evans Kidero, gouverneur de cette mégalopole de 3 millions d’habitants, a jusqu’au 15 septembre pour déposer officiellement sa candidature. « Aujourd’hui, je dirais qu’il y a 60 % de chances pour que nous nous présentions », confie-t-il au Monde. «70 % !», renchérit un autre membre de l’administration.
Après les échecs du Cap en 2004 et du Caire en 2008, Nairobi sera-t-elle la première ville africaine à organiser les Jeux olympiques? Evans Kidero énumère les mérites de la Green City in the Sun (la cité verte sous le soleil) : « Le Kenya est le pays de l’athlétisme, puisque nos coureurs triomphent partout dans le monde ! Nairobi est au cœur de l’Afrique, c’est un hub, on y accède facilement de partout. Enfin, il y a un véritable amour du sport ici. On aura donc une vraie ferveur populaire. »
Un marathon
Cela fait déjà trois ans que Nairobi réfléchit à cette candidature. En 2012, l’ancien premier ministre Raila Odinga déclarait, depuis la Londres olympique, que la capitale kényane serait candidate pour 2024. Nairobi, effervescente mais instable, s’est donc élancé tôt dans ce qui ressemble à un marathon. « Nous avons neuf années pour nous préparer », rassure Christopher Khaemba, adjoint au gouverneur en charge de l’éducation et de la jeunesse. « Notre référence, c’est l’Afrique du Sud et la Coupe du Monde de 2010, indique t-il. Le développement y a été spectaculaire. »
Sûre de son potentiel, la Team Nairobi rejette d’un revers de main les différentes inquiétudes des spécialistes. La sécurité, après l’attaque du centre commercial Westgate par les chababs somaliens en 2013 qui a fait 68 morts et plus de 200 blessés ? « La ville la plus dangereuse d’Afrique, c’est Johannesburg ! », soutient Christopher Khaemba. La pollution ? «L’air est très frais et très pur», assure le gouverneur, à l’opposé de tous les rapports sur la question. Et le financement ? Là, l’équipe botte en touche. « Non, le budget n’a pas encore été chiffré… », élude Evans Kidero.
Le gouverneur mise sur une croissance forte et durable de l’économie, prévue de 6 % en 2015 et espérée à deux chiffres l’année suivante. Les gisements de pétrole, découverts dans le bassin du sud Lokichar, permettraient aussi au pays de devenir exportateur d’or noir dès 2016.
Un ballon dans le pays
Tous ces arguments commencent à faire mouche. En octobre, la Team Nairobi a arraché l’organisation des Championnats du monde d’athlétisme jeunesse de 2017. « Cela va permettre la transformation des infrastructures de la ville, des transports, de l’hôtellerie et de la sécurité. C’est une confirmation de notre capacité à organiser d’autres événements », s’enthousiasme Christopher Khaemba.
Mais Nairobi n’est pas seule en piste. Rome s’est déjà lancé, Boston tâte le terrain. Quant à Berlin et Hambourg, elles se chamaillent pour représenter l’Allemagne. En Afrique, Casablanca réfléchit toujours en tentant de digérer l’annulation de la dernière Coupe d’Afrique des nations (CAN) par le Maroc. Durban, en Afrique du Sud, attendrait le top départ du président.
Le Kenya n’a jamais accueilli d’événement sportif majeur sur son sol puisque la CAN n’a jamais envoyé un ballon rebondir sur les pelouses du pays. Les Championnats du monde de cross-country ont bien eu lieu ici en 2007, mais c’était à Mombasa, sur la côte, et non à Nairobi. La capitale n’a eu droit qu’aux Championnats d’Afrique d’athlétisme en 2010. Comme un lot de consolation pour le pays du fond et du demi-fond.
« Rien pour les paralympiques »
« Les Jeux olympiques à Nairobi ? Pas même dans 30 ans ! », affirme Chris Mbaisi, journaliste sportif au quotidien The Star et spécialiste de l’athlétisme. De passage à Paris, il rejette cette candidature africaine « absolument pas réaliste », faite par des gens « qui ne savent pas de quoi ils parlent, qui ne mesurent absolument pas la magnitude d’une candidature. »
« Ils pensent que JO = athlétisme, ajoute le journaliste en levant les yeux au ciel. Mais les Jeux, ça va bien au-delà. Nous n’avons rien pour le canoë, la voile, le judo, le tennis, l’escrime… » Les infrastructures sportives de Nairobi commencent également à dater. Au nord-est, le vaste centre sportif Moi International – qui abrite le stade Kasarini (60 000 places), un gymnase et une piscine de dimension olympique – date des années 1980, tout comme le stade national de Nyayo, une arène de 30 000 sièges. Le Nairobi City Stadium, proche du centre-ville, est encore plus ancien… « Il faudrait tout construire : les équipements, le village olympique, les hôtels et même les routes pour accéder aux stades car elles sont en très mauvais état ! Et je ne parle même pas du paralympique : là, il n’y a rien du tout… »
Le Kenya dispose malgré tout d’un relais de poids au Comité international olympique (CIO). Reconverti dans la diplomatie du sport, Paul Tergat, double médaillé d’argent aux Jeux d’Atlanta (1996) et Sydney (2000) et ancien recordman du monde du marathon, est depuis septembre 2013 membre influent du Comité.
« Des candidatures propres »
En 2014, le CIO a dévoilé 40 propositions, composant l’agenda olympique 2020. « Il veut des candidatures plus modestes et pérennes », souligne Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS et spécialiste de la diplomatie du sport. Finis les 50 milliards de dollars des JO de Sotchi ou les 42 milliards de Pékin. Pour un pays moins armé financièrement comme le Kenya, c’est peut-être une chance, mais il y a une condition sine qua non : « Il faut des candidatures propres, sans corruption. » Au Kenya, 145e pays le plus corrompu selon Transparency International, le défi semble encore plus insurmontable que le manque d’infrastructures ou la menace des chababs somaliens.
« Il n’y a aucune chance pour que, dans la situation actuelle, des Jeux olympiques puissent être organisés proprement au Kenya. Absolument aucune, zéro, impossible », regrette John Githongo, lanceur d’alerte et célèbre activiste anti-corruption kényan. Nairobi ira-t-elle au bout ? « Je pense honnêtement que personne n’envisage sérieusement de déposer le dossier. Toutes ces déclarations sont à des fins politiques », confie un proche du milieu sportif national. Histoire de ressouder les Kényans derrière leurs dirigeants dans un pays où, malgré une croissance économique soutenue, près de la moitié de la population continue à vivre sous le seuil de pauvreté.
Par Bruno Meyerfeld
Source: Le Monde
Evans Kidero, gouverneur de cette mégalopole de 3 millions d’habitants, a jusqu’au 15 septembre pour déposer officiellement sa candidature. « Aujourd’hui, je dirais qu’il y a 60 % de chances pour que nous nous présentions », confie-t-il au Monde. «70 % !», renchérit un autre membre de l’administration.
Après les échecs du Cap en 2004 et du Caire en 2008, Nairobi sera-t-elle la première ville africaine à organiser les Jeux olympiques? Evans Kidero énumère les mérites de la Green City in the Sun (la cité verte sous le soleil) : « Le Kenya est le pays de l’athlétisme, puisque nos coureurs triomphent partout dans le monde ! Nairobi est au cœur de l’Afrique, c’est un hub, on y accède facilement de partout. Enfin, il y a un véritable amour du sport ici. On aura donc une vraie ferveur populaire. »
Un marathon
Cela fait déjà trois ans que Nairobi réfléchit à cette candidature. En 2012, l’ancien premier ministre Raila Odinga déclarait, depuis la Londres olympique, que la capitale kényane serait candidate pour 2024. Nairobi, effervescente mais instable, s’est donc élancé tôt dans ce qui ressemble à un marathon. « Nous avons neuf années pour nous préparer », rassure Christopher Khaemba, adjoint au gouverneur en charge de l’éducation et de la jeunesse. « Notre référence, c’est l’Afrique du Sud et la Coupe du Monde de 2010, indique t-il. Le développement y a été spectaculaire. »
Sûre de son potentiel, la Team Nairobi rejette d’un revers de main les différentes inquiétudes des spécialistes. La sécurité, après l’attaque du centre commercial Westgate par les chababs somaliens en 2013 qui a fait 68 morts et plus de 200 blessés ? « La ville la plus dangereuse d’Afrique, c’est Johannesburg ! », soutient Christopher Khaemba. La pollution ? «L’air est très frais et très pur», assure le gouverneur, à l’opposé de tous les rapports sur la question. Et le financement ? Là, l’équipe botte en touche. « Non, le budget n’a pas encore été chiffré… », élude Evans Kidero.
Le gouverneur mise sur une croissance forte et durable de l’économie, prévue de 6 % en 2015 et espérée à deux chiffres l’année suivante. Les gisements de pétrole, découverts dans le bassin du sud Lokichar, permettraient aussi au pays de devenir exportateur d’or noir dès 2016.
Un ballon dans le pays
Tous ces arguments commencent à faire mouche. En octobre, la Team Nairobi a arraché l’organisation des Championnats du monde d’athlétisme jeunesse de 2017. « Cela va permettre la transformation des infrastructures de la ville, des transports, de l’hôtellerie et de la sécurité. C’est une confirmation de notre capacité à organiser d’autres événements », s’enthousiasme Christopher Khaemba.
Mais Nairobi n’est pas seule en piste. Rome s’est déjà lancé, Boston tâte le terrain. Quant à Berlin et Hambourg, elles se chamaillent pour représenter l’Allemagne. En Afrique, Casablanca réfléchit toujours en tentant de digérer l’annulation de la dernière Coupe d’Afrique des nations (CAN) par le Maroc. Durban, en Afrique du Sud, attendrait le top départ du président.
Le Kenya n’a jamais accueilli d’événement sportif majeur sur son sol puisque la CAN n’a jamais envoyé un ballon rebondir sur les pelouses du pays. Les Championnats du monde de cross-country ont bien eu lieu ici en 2007, mais c’était à Mombasa, sur la côte, et non à Nairobi. La capitale n’a eu droit qu’aux Championnats d’Afrique d’athlétisme en 2010. Comme un lot de consolation pour le pays du fond et du demi-fond.
« Rien pour les paralympiques »
« Les Jeux olympiques à Nairobi ? Pas même dans 30 ans ! », affirme Chris Mbaisi, journaliste sportif au quotidien The Star et spécialiste de l’athlétisme. De passage à Paris, il rejette cette candidature africaine « absolument pas réaliste », faite par des gens « qui ne savent pas de quoi ils parlent, qui ne mesurent absolument pas la magnitude d’une candidature. »
« Ils pensent que JO = athlétisme, ajoute le journaliste en levant les yeux au ciel. Mais les Jeux, ça va bien au-delà. Nous n’avons rien pour le canoë, la voile, le judo, le tennis, l’escrime… » Les infrastructures sportives de Nairobi commencent également à dater. Au nord-est, le vaste centre sportif Moi International – qui abrite le stade Kasarini (60 000 places), un gymnase et une piscine de dimension olympique – date des années 1980, tout comme le stade national de Nyayo, une arène de 30 000 sièges. Le Nairobi City Stadium, proche du centre-ville, est encore plus ancien… « Il faudrait tout construire : les équipements, le village olympique, les hôtels et même les routes pour accéder aux stades car elles sont en très mauvais état ! Et je ne parle même pas du paralympique : là, il n’y a rien du tout… »
Le Kenya dispose malgré tout d’un relais de poids au Comité international olympique (CIO). Reconverti dans la diplomatie du sport, Paul Tergat, double médaillé d’argent aux Jeux d’Atlanta (1996) et Sydney (2000) et ancien recordman du monde du marathon, est depuis septembre 2013 membre influent du Comité.
« Des candidatures propres »
En 2014, le CIO a dévoilé 40 propositions, composant l’agenda olympique 2020. « Il veut des candidatures plus modestes et pérennes », souligne Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS et spécialiste de la diplomatie du sport. Finis les 50 milliards de dollars des JO de Sotchi ou les 42 milliards de Pékin. Pour un pays moins armé financièrement comme le Kenya, c’est peut-être une chance, mais il y a une condition sine qua non : « Il faut des candidatures propres, sans corruption. » Au Kenya, 145e pays le plus corrompu selon Transparency International, le défi semble encore plus insurmontable que le manque d’infrastructures ou la menace des chababs somaliens.
« Il n’y a aucune chance pour que, dans la situation actuelle, des Jeux olympiques puissent être organisés proprement au Kenya. Absolument aucune, zéro, impossible », regrette John Githongo, lanceur d’alerte et célèbre activiste anti-corruption kényan. Nairobi ira-t-elle au bout ? « Je pense honnêtement que personne n’envisage sérieusement de déposer le dossier. Toutes ces déclarations sont à des fins politiques », confie un proche du milieu sportif national. Histoire de ressouder les Kényans derrière leurs dirigeants dans un pays où, malgré une croissance économique soutenue, près de la moitié de la population continue à vivre sous le seuil de pauvreté.
Par Bruno Meyerfeld
Source: Le Monde