Anis Hanna, prêtre franco-irakien, a fui Qaraqosh avec sa famille. Il décrit la situation depuis Erbil.
Anis Hanna est un prêtre dominicain franco-irakien. Il partage son année entre Lyon et Qaraqosh, ville chrétienne d’Irak, où sa famille entière vit et où il officie. Le 6 août dernier, après avoir fêté la transfiguration, le père Hanna a un pressentiment : il faut partir. Ses parents, ses frères, sa sœur, leurs enfants quittent leur maison. Le lendemain, l’Etat islamique avait occupé toute la ville. Contacté par Libération, il témoigne depuis Ankawa, dans la banlieue d’Erbil, la capitale du Kurdistan irakien.
«Nous y réfléchissions depuis quelques jours, ma mère s’y opposait, trop attachée à notre maison et aux souvenirs. Ce matin-là, nous avons pris trois voitures, avec à peine de quoi nous vêtir et nous nourrir durant le trajet. Mes parents, Sara et Dominique, mon frère Adib, son épouse, ma sœur Angela et leurs huit enfants. Nous pensions sincèrement pouvoir revenir chez nous dès le week-end. Sur la route vers Erbil, nous avons eu trois checkpoint contrôlés par les peshmergas, les militaires kurdes. Très vite, j’ai aperçu des milliers et des milliers de voitures venant d’Irak. Il a fallu être patients, sous une chaleur de plomb. On compte seulement 65 km entre Qaraqosh et Erbil; nous avons mis plus de douze heures pour y parvenir. A Erbil, nous avons pu louer une maison, très chère. D’autres, arrivés plus tard ou dans la précipitation, vivent sous des tentes, dans des conditions très difficiles. J’ai vu des familles entières arriver en glissant sur le ventre, dans des chemins terreux. Ils avaient réussi à passer la frontière par la rivière Zab.
«Le lendemain matin, j’ai reçu un appel pour m’informer que la ville était prise par l’Etat islamique. Certains amis sont restés à Qaraqosh, cela me fait pleurer d’en parler. Ils n’ont plus rien, ils ne savent plus quelle heure il est. Ils doivent faire une demande de forfait à Bagdad pour téléphoner. Souvent ils restent par optimisme idéaliste, ou parce qu’ils sont avec des personnes malades ou grabataires. Ma mère ne s’en remet pas, elle ne s’en remettra pas. Le silence inhabituel de mon père l’inquiète d’autant plus. Mon frère et moi, nous en voulons à Nouri Al-Maliki (l'ancien Premier ministre sur le départ) d’avoir laissé le pays s’effondrer lentement. Il a donné tout le territoire aux mains des jihadistes. Les villes tombent une à une, personne n’a d’arme pour se défendre.
«J’attends énormément des Etats-Unis, mais aussi de l’Europe. Les combattants kurdes ne sont pas à la hauteur face à l’Etat islamique, il faut multiplier les actions et détruire cet Etat de la mort. La visite de Laurent Fabius nous a un peu rassurés mais ce n’est pas suffisant, il ne faut pas attendre. Nous, les chrétiens, on a la chance d’avoir le Kurdistan qui nous offre l’asile, proche de Qaraqosh. Mais les yézidis, les juifs, les musulmans opposés à l’Etat islamique, tous les autres, ils sont traités de la même façon. Des femmes sunnites sont soumises à l’excision à Mossoul. De 16 à 46 ans, elles sont la propriété des jihadistes. C’est insoutenable.
«Côté politique, depuis 2003, rien ne s’est vraiment amélioré pour le pays. Les persécutions sur les minorités, ce n’est pas nouveau en Irak. Près d’un tiers des chrétiens irakiens ont fui depuis la chute de Saddam Hussein. Pour ma part, je regrette l’époque où il était au pouvoir. Il nous faisait honte, mais au moins il était seul. C’est simple: avant, on avait un dictateur, maintenant, on en a des milliers qui nous réduisent à l’esclavagisme. On avait l’unité du pays, la sécurité, le respect du travail et de l’autre. Les Etats-Unis n’ont rien apporté au Moyen-Orient. Là où ils passent, ils laissent d’énormes problèmes. C’est dramatique.»
Romane FRACHON
Source: libératon
Anis Hanna est un prêtre dominicain franco-irakien. Il partage son année entre Lyon et Qaraqosh, ville chrétienne d’Irak, où sa famille entière vit et où il officie. Le 6 août dernier, après avoir fêté la transfiguration, le père Hanna a un pressentiment : il faut partir. Ses parents, ses frères, sa sœur, leurs enfants quittent leur maison. Le lendemain, l’Etat islamique avait occupé toute la ville. Contacté par Libération, il témoigne depuis Ankawa, dans la banlieue d’Erbil, la capitale du Kurdistan irakien.
«Nous y réfléchissions depuis quelques jours, ma mère s’y opposait, trop attachée à notre maison et aux souvenirs. Ce matin-là, nous avons pris trois voitures, avec à peine de quoi nous vêtir et nous nourrir durant le trajet. Mes parents, Sara et Dominique, mon frère Adib, son épouse, ma sœur Angela et leurs huit enfants. Nous pensions sincèrement pouvoir revenir chez nous dès le week-end. Sur la route vers Erbil, nous avons eu trois checkpoint contrôlés par les peshmergas, les militaires kurdes. Très vite, j’ai aperçu des milliers et des milliers de voitures venant d’Irak. Il a fallu être patients, sous une chaleur de plomb. On compte seulement 65 km entre Qaraqosh et Erbil; nous avons mis plus de douze heures pour y parvenir. A Erbil, nous avons pu louer une maison, très chère. D’autres, arrivés plus tard ou dans la précipitation, vivent sous des tentes, dans des conditions très difficiles. J’ai vu des familles entières arriver en glissant sur le ventre, dans des chemins terreux. Ils avaient réussi à passer la frontière par la rivière Zab.
«Le lendemain matin, j’ai reçu un appel pour m’informer que la ville était prise par l’Etat islamique. Certains amis sont restés à Qaraqosh, cela me fait pleurer d’en parler. Ils n’ont plus rien, ils ne savent plus quelle heure il est. Ils doivent faire une demande de forfait à Bagdad pour téléphoner. Souvent ils restent par optimisme idéaliste, ou parce qu’ils sont avec des personnes malades ou grabataires. Ma mère ne s’en remet pas, elle ne s’en remettra pas. Le silence inhabituel de mon père l’inquiète d’autant plus. Mon frère et moi, nous en voulons à Nouri Al-Maliki (l'ancien Premier ministre sur le départ) d’avoir laissé le pays s’effondrer lentement. Il a donné tout le territoire aux mains des jihadistes. Les villes tombent une à une, personne n’a d’arme pour se défendre.
«J’attends énormément des Etats-Unis, mais aussi de l’Europe. Les combattants kurdes ne sont pas à la hauteur face à l’Etat islamique, il faut multiplier les actions et détruire cet Etat de la mort. La visite de Laurent Fabius nous a un peu rassurés mais ce n’est pas suffisant, il ne faut pas attendre. Nous, les chrétiens, on a la chance d’avoir le Kurdistan qui nous offre l’asile, proche de Qaraqosh. Mais les yézidis, les juifs, les musulmans opposés à l’Etat islamique, tous les autres, ils sont traités de la même façon. Des femmes sunnites sont soumises à l’excision à Mossoul. De 16 à 46 ans, elles sont la propriété des jihadistes. C’est insoutenable.
«Côté politique, depuis 2003, rien ne s’est vraiment amélioré pour le pays. Les persécutions sur les minorités, ce n’est pas nouveau en Irak. Près d’un tiers des chrétiens irakiens ont fui depuis la chute de Saddam Hussein. Pour ma part, je regrette l’époque où il était au pouvoir. Il nous faisait honte, mais au moins il était seul. C’est simple: avant, on avait un dictateur, maintenant, on en a des milliers qui nous réduisent à l’esclavagisme. On avait l’unité du pays, la sécurité, le respect du travail et de l’autre. Les Etats-Unis n’ont rien apporté au Moyen-Orient. Là où ils passent, ils laissent d’énormes problèmes. C’est dramatique.»
Romane FRACHON
Source: libératon