Il vit en France depuis vingt ans, a un travail, paie ses impôts régulièrement, même la redevance télé. Il est père de trois petites filles, nées à Paris ; l'aînée, Fatoumata, se tortille toute gênée quand on lui demande son prénom. Elle va à l'école, à la maternelle de la rue Marx-Dormoy, dans le 18e arrondissement, et ne se doutait de rien. La foudre est tombée, vendredi 3 novembre, sur la famille. Touré Tuncam a été interpellé lors d'un contrôle d'identité et placé au centre de rétention de Vincennes. Il a 46 ans, est originaire de Guinée-Bissau, où il n'a plus ni famille ni attaches, et a craint le pire.
Jeudi 9 novembre, Fatoumata, sa mère et les deux petites sont venues au tribunal administratif qui devait examiner le recours du papa. Touré était assis dans le hall, près des policiers, derrière un mince cordon de sécurité. Il souriait de toutes ses dents à la petite qui lui envoyait des bisous, les policiers l'ont laissé l'embrasser rapidement. L'école était là aussi. La directrice avait décidé, par solidarité, de fermer la maternelle pour la matinée et les institutrices, accompagnées d'une trentaine de parents d'élèves et une poignée d'enfants, sont venus à l'audience.
Le juge, agacé par tout ce monde, a fait sortir les enfants et rejeté le recours contre l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Touré Tuncam a été renvoyé à Vincennes, puis sans explications, lâché vendredi dans la nature. Il est venu chercher sa fillette, ravie, à l'école, mais rien n'est réglé : il peut être à nouveau interpellé d'un jour à l'autre. Tout comme sa femme, qui n'a pas plus de papiers que lui, et risque, elle, d'être renvoyée à Bamako, parce qu'elle est malienne.
Avec ses trois enfants. Fatoumata et ses deux soeurs ne pourront en effet obtenir la nationalité française qu'à l'âge de 13 ans, si leurs parents en font la demande, sinon à 18 ans, pourvu qu'elles n'aient pas, entre-temps, quitté la France. "Quand je vois les progrès que Fatoumata a faits en deux mois, s'alarme son institutrice, ce serait désastreux qu'elle vive dans une famille déstructurée ou qu'elle quitte la France."
La famille Tuncam fait partie de ces nombreuses familles qui ont, en juin, nourri l'immense espoir d'être régularisées. En vain. 33 538 demandes ont été déposées dans le cadre de la circulaire Sarkozy du 13 juin, ouvrant droit à des régularisations exceptionnelles, mais seuls 6 624 parents ont obtenu un titre de séjour.
Tous les autres vivent aujourd'hui dans l'angoisse d'un contrôle. Payent la cantine des petits quatre fois le prix, parce que, pour payer en fonction de ses revenus, il faut donner son adresse à la mairie, et donc au ministère de l'intérieur.
Il ne se passe pas une semaine sans qu'ici ou là un père, une mère, voire une famille entière, ne soient placés en rétention. Pourtant la mobilisation des enseignants et des parents d'élèves, plus discrète qu'avant l'été, reste forte. Parmi les familles déboutées, a priori une seule, ukrainienne, a été expulsée le 13 août. "Il y a de multiples tentatives d'expulsion, mais dès qu'une mobilisation se produit, les autorités marquent le pas, assure Richard Moyon, porte-parole du Réseau éducation sans frontières (RESF). Mais les préfectures ne reculent devant rien. Elles ont parfois réussi à expulser l'un des parents et pas l'autre."
La "parenthèse" de la régularisation est refermée pour le ministre de l'intérieur, mais l'arbitraire est à peu près total. Témoin le 7e étage du foyer Sonacotra à Beauvais, dans l'Oise, où vivent six familles étrangères. En juin, elles étaient toutes en situation irrégulière. Trois ont décroché un titre de séjour. Les trois autres, non. Toutes, pourtant, remplissaient les critères de la circulaire. La solidarité demeure. Et c'est toujours la même joyeuse bande d'enfants - ils sont une vingtaine - qui se retrouvent le soir après l'école dans le couloir, et transforment l'étage en une joyeuse volière : ça court, ça crie, ça rit, ça pleure. Mais il y a ceux qui, comme Nesrine ou Tania, portent toujours en eux une "angoisse", une "honte". Et ceux qui, comme Gaël, Benonga ou Lola, se sentent "libérés".
Lola Garcia, 16 ans, peut désormais pleinement goûter au bonheur d'"être comme les autres". Ses parents ont fui l'Angola en 2002 et ont été régularisés cet été. Même son frère aîné, qui a aujourd'hui 18 ans, a obtenu un titre de séjour. " Aujourd'hui, je vis ! rit Lola. Je ne suis plus en danger, je vais à l'école tranquille. Et désormais je vais pouvoir sortir un peu." Depuis que ses parents ont des papiers, l'avenir s'entrouvre. Elle est en deuxième année de BEP de vente, où elle dit "assurer à mort", et envisage l'année prochaine un contrat d'apprentissage et, pourquoi pas, de changer de filière. Elle rêve d'un métier dans le social.
Benonga, 11 ans, n'est pas moins heureux de sa nouvelle vie. Comme tous les petits garçons, il est tout fier d'avoir un "papa qui travaille". Enfin régularisé, son père, mécanicien, a en effet décroché un contrat dans une entreprise de découpe de marbre. Et comme tous les papas, il part le matin et rentre le soir. Benonga ne passe plus des heures devant la télévision à regarder les informations, il va désormais jouer avec les autres. Ça se voit à l'école. "L'an dernier, j'avais 5 sur 10 de moyenne, cette année, j'ai souvent des 10 sur 10", dit-il tout fier. Il ne lui manque plus qu'un vélo et une vraie chambre "dans une maison calme, à nous".
Déménager, c'est aussi ce dont rêve Gaël depuis qu'il sait que sa mère, Thérèze N'Zumbi, angolaise, arrivée en France en 2001 avec ses deux fils, s'est vu promettre des papiers. "Ça y est ! On a des papiers, on est français, on va trouver une grande maison !", a braillé le garçon de 5 ans, quand sa mère lui a appris la bonne nouvelle. Déménager, partir s'installer dans "une vraie maison où il ait une grande chambre pour faire ses devoirs tout seul", Gaël n'attend que ça. Reste encore à vif dans sa mémoire le jour où il est rentré en larmes de l'école. "Les copains se sont moqués de moi parce que j'habitais dans un foyer, dit le petit garçon. Je leur ai dit que je n'avais pas de papiers. Alors ils ont arrêté."
Laetitia Van Eeckhout
LE MONDE
Jeudi 9 novembre, Fatoumata, sa mère et les deux petites sont venues au tribunal administratif qui devait examiner le recours du papa. Touré était assis dans le hall, près des policiers, derrière un mince cordon de sécurité. Il souriait de toutes ses dents à la petite qui lui envoyait des bisous, les policiers l'ont laissé l'embrasser rapidement. L'école était là aussi. La directrice avait décidé, par solidarité, de fermer la maternelle pour la matinée et les institutrices, accompagnées d'une trentaine de parents d'élèves et une poignée d'enfants, sont venus à l'audience.
Le juge, agacé par tout ce monde, a fait sortir les enfants et rejeté le recours contre l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Touré Tuncam a été renvoyé à Vincennes, puis sans explications, lâché vendredi dans la nature. Il est venu chercher sa fillette, ravie, à l'école, mais rien n'est réglé : il peut être à nouveau interpellé d'un jour à l'autre. Tout comme sa femme, qui n'a pas plus de papiers que lui, et risque, elle, d'être renvoyée à Bamako, parce qu'elle est malienne.
Avec ses trois enfants. Fatoumata et ses deux soeurs ne pourront en effet obtenir la nationalité française qu'à l'âge de 13 ans, si leurs parents en font la demande, sinon à 18 ans, pourvu qu'elles n'aient pas, entre-temps, quitté la France. "Quand je vois les progrès que Fatoumata a faits en deux mois, s'alarme son institutrice, ce serait désastreux qu'elle vive dans une famille déstructurée ou qu'elle quitte la France."
La famille Tuncam fait partie de ces nombreuses familles qui ont, en juin, nourri l'immense espoir d'être régularisées. En vain. 33 538 demandes ont été déposées dans le cadre de la circulaire Sarkozy du 13 juin, ouvrant droit à des régularisations exceptionnelles, mais seuls 6 624 parents ont obtenu un titre de séjour.
Tous les autres vivent aujourd'hui dans l'angoisse d'un contrôle. Payent la cantine des petits quatre fois le prix, parce que, pour payer en fonction de ses revenus, il faut donner son adresse à la mairie, et donc au ministère de l'intérieur.
Il ne se passe pas une semaine sans qu'ici ou là un père, une mère, voire une famille entière, ne soient placés en rétention. Pourtant la mobilisation des enseignants et des parents d'élèves, plus discrète qu'avant l'été, reste forte. Parmi les familles déboutées, a priori une seule, ukrainienne, a été expulsée le 13 août. "Il y a de multiples tentatives d'expulsion, mais dès qu'une mobilisation se produit, les autorités marquent le pas, assure Richard Moyon, porte-parole du Réseau éducation sans frontières (RESF). Mais les préfectures ne reculent devant rien. Elles ont parfois réussi à expulser l'un des parents et pas l'autre."
La "parenthèse" de la régularisation est refermée pour le ministre de l'intérieur, mais l'arbitraire est à peu près total. Témoin le 7e étage du foyer Sonacotra à Beauvais, dans l'Oise, où vivent six familles étrangères. En juin, elles étaient toutes en situation irrégulière. Trois ont décroché un titre de séjour. Les trois autres, non. Toutes, pourtant, remplissaient les critères de la circulaire. La solidarité demeure. Et c'est toujours la même joyeuse bande d'enfants - ils sont une vingtaine - qui se retrouvent le soir après l'école dans le couloir, et transforment l'étage en une joyeuse volière : ça court, ça crie, ça rit, ça pleure. Mais il y a ceux qui, comme Nesrine ou Tania, portent toujours en eux une "angoisse", une "honte". Et ceux qui, comme Gaël, Benonga ou Lola, se sentent "libérés".
Lola Garcia, 16 ans, peut désormais pleinement goûter au bonheur d'"être comme les autres". Ses parents ont fui l'Angola en 2002 et ont été régularisés cet été. Même son frère aîné, qui a aujourd'hui 18 ans, a obtenu un titre de séjour. " Aujourd'hui, je vis ! rit Lola. Je ne suis plus en danger, je vais à l'école tranquille. Et désormais je vais pouvoir sortir un peu." Depuis que ses parents ont des papiers, l'avenir s'entrouvre. Elle est en deuxième année de BEP de vente, où elle dit "assurer à mort", et envisage l'année prochaine un contrat d'apprentissage et, pourquoi pas, de changer de filière. Elle rêve d'un métier dans le social.
Benonga, 11 ans, n'est pas moins heureux de sa nouvelle vie. Comme tous les petits garçons, il est tout fier d'avoir un "papa qui travaille". Enfin régularisé, son père, mécanicien, a en effet décroché un contrat dans une entreprise de découpe de marbre. Et comme tous les papas, il part le matin et rentre le soir. Benonga ne passe plus des heures devant la télévision à regarder les informations, il va désormais jouer avec les autres. Ça se voit à l'école. "L'an dernier, j'avais 5 sur 10 de moyenne, cette année, j'ai souvent des 10 sur 10", dit-il tout fier. Il ne lui manque plus qu'un vélo et une vraie chambre "dans une maison calme, à nous".
Déménager, c'est aussi ce dont rêve Gaël depuis qu'il sait que sa mère, Thérèze N'Zumbi, angolaise, arrivée en France en 2001 avec ses deux fils, s'est vu promettre des papiers. "Ça y est ! On a des papiers, on est français, on va trouver une grande maison !", a braillé le garçon de 5 ans, quand sa mère lui a appris la bonne nouvelle. Déménager, partir s'installer dans "une vraie maison où il ait une grande chambre pour faire ses devoirs tout seul", Gaël n'attend que ça. Reste encore à vif dans sa mémoire le jour où il est rentré en larmes de l'école. "Les copains se sont moqués de moi parce que j'habitais dans un foyer, dit le petit garçon. Je leur ai dit que je n'avais pas de papiers. Alors ils ont arrêté."
Laetitia Van Eeckhout
LE MONDE