A l'occasion du 27ème anniversaire de la mort en détention de nos à martyrs à Oualata, flam-mauritanie.org reçoit Idrissa BA dit Pathé, membre et cofondateur des Forces de libération africaines de Mauritanie (FLAM). Aujourd’hui exilé aux USA, Idrissa BA a activement participé à l’édition du «Manifeste du Négro mauritanien opprimé. De la guerre civile à la lutte de libération nationale» publié par les Flam en avril 1986.
Un document dans lequel les auteurs dénonçaient la politique de la discrimination raciale et culturelle (notamment par l’arabisation à outrance), la politique d'exclusion ethnique dont la Communauté noire mauritanienne fait l'objet depuis l'indépendance de la Mauritanie en 1960.
Arrêté en septembre 1986, dans le cadre de la campagne de répression et d’élimination physique de la classe politique noire mauritanienne, suite à la publication du manifeste, Idrissa BA fut incarcéré à la prison civile de Nouakchott avant d’être déporté à la prison mouroir de Oualata (comme tous ses camarades civils et militaires). A Oualata, il assista impuissant à la mort de Alassane Oumar BA, le 26 août 1988, de Ten Youssouf GUEYE, le 2 septembre 1988 (à Néma où il a été évacué dans un état comateux), de Abdoul Khoudouss BA, le 13 septembre 1988, et de Tafsirou DJIGO, le 28 septembre 1988.
Libéré le 13 décembre 1989, Idrissa BA prend le chemin de l’exil pour rejoindre ses frères de combats et sa famille toute entière déportée à Njumm au Sénégal en 1989.
Flam-mauritanie.org : Idrissa BA, voulez-vous vous présenter à nos lecteurs qui ne vous connaîtraient pas et, en quelques mots, pouvez-vous nous retracer votre parcours au sein des Flam?
Idrissa BA : Je suis originaire de Helbok dans le département de Bababé. Je suis autodidacte et j’ai fait des études coraniques. J’ai d’abord travaillé comme manœuvre aux Eaux et forêts et j’ai été ensuite embauché au Centre national des études et recherches vétérinaires (CNERV) à Nouakchott, comme aide laborantin.
Je fus membre du bureau syndical de l’élevage et des industries animales dans l’Union des travailleurs mauritaniens (UTM). Je fus également membre fondateur du MPAM créé le 21 octobre 1979 qui s’appelait à ses débuts «groupe de l’hôpital» à cause du lieu de son siège.
Les FLAM furent créées le 13 mars 1983 par la fusion de 4 mouvements politiques qui avaient le même idéal, la construction d’une Mauritanie multiculturelle débarrassée du racisme et de l’esclavage : l’Organisation pour la défense des intérêts des négros-africains de Mauritanie (ODINAM), le Mouvement des élèves et étudiants noirs (MEEN), l’Union démocratique mauritanienne (UDM) et le Mouvement populaire des africains de Mauritanie (MPAM).
Mais, il faut dire que cette idée de regroupement prit naissance à la suite du congrès de l’UTM tenu à Nouakchott, le 21 octobre 1981. Lors de ce congrès, la composante noire s’était sentie marginalisée et a compris qu’il fallait fédérer les forces pour lutter efficacement.
C’était les prémisses de la création des FLAM. Les premières réunions de contact entre les quatre (4) organisations eurent lieu à partir de février 1982. Elles finiront par aboutir en mars 1983.
Les FLAM sont nées de cette fusion le 13 mars 1983.
Dès sa création, je fus membre du comité des sages composé de 10 personnes. J’ai ensuite rejoint le Conseil national créé au premier congrès des FLAM tenu en exil en décembre 1991 (3e congrès ordinaire).
En avril 1986, les FLAM rédigèrent «Le Manifeste du Négro mauritanien opprimé. De la guerre civile à la lutte de libération nationale» », pouvez-vous nous parler des circonstances dans lesquelles ce document fut édité et distribué ?
Le manifeste fut écrit pendant une période très calme du mouvement alors que la situation des Noirs se dégradait de plus en plus. Il y avait nécessité de créer un électrochoc pour faire bouger les lignes.
Le manifeste rédigé en français et en arabe en nombre égal (35 ramettes de papier chacun) fut distribué à partir de juin 1986 à une très large échelle. Une commission avait été mise en place pour gérer la distribution du manifeste. Outre les chefs d’état étrangers présents à la conférence du Mouvement des pays non-alignés à Harare (Zimbabwe), il fut également distribué à l’intérieur du pays par voie postale et en mains propres. Tous les membres du gouvernement, tous les membres du CMSN, les gouverneurs de région, les autorités religieuses dont l’imam Bouddah O/ Bousseiri, vingt (20) personnalités arabo-berbères, dont le docteur Louleïd O/ Waddad (directeur de cabinet de Maouya à l’époque), Ahmed O/ Ahmed Salah (ancien ministre), Sileymane O/ Cheikh Sidia (ancien ministre), Hamdi O/ Mouknas (ancien ministre), Bamba O/ Yezid (ancien ministre), Memet O/ Ahmed (qui nous a confirmé en 1987 à la prison civile de Nouakchott avoir reçu et lu le manifeste), les hommes d’affaires O/ Mogueya, O/ Noueiguett, Abdallah O/ Abdallah, Moulaye O/ Abbas furent tous destinataires d’exemplaires en arabe et en français envoyés par voie postale.Vingt (20) personnalités politiques et religieuses et des notabilités dans la composante négro-africaine reçurent des copies, certains remis en mains propres.
Le manifeste était, dans l’esprit de ses promoteurs, une contribution à l’unité nationale. Il faisait une radioscopie de la situation des Noirs dans ce pays dont ils étaient les natifs et invitait à un sursaut national. Il exhortait le pouvoir à initier un dialogue entre les composantes du pays pour sauver le bateau Mauritanie qui allait à la dérive.
Le pouvoir mauritanien, au lieu de saisir cette occasion pour ouvrir un dialogue dans le but de trouver une solution à la cohabitation qui continuait à se détériorer, a préféré mettre en place un autre scénario : celui de falsifier le véritable manifeste pour justifier la répression qui s’en est suivie de 1986 à 1991 avec les tortures, les déportations, les exécutions civiles et militaires.
Mais ce qui est surtout étonnant, c’est comment ce pouvoir a pu faire accepter ce faux manifeste, qui appelait à la haine, à la destruction des Maures et à l’instauration d’un pouvoir purement noir en Mauritanie alors que le véritable manifeste avait été largement diffusé aux personnalités qui comptaient dans le pays. Ces derniers se sont tus et ont laissé Maouiya mettre en place cette vaste opération de répression et de liquidation sur la base d’un document falsifié alors qu’ils avaient reçu et lu l’original.
Comme la plupart de vos camarades, vous fûtes arrêté en septembre 1986 suite à la publication du manifeste, pouvez-vous nous décrire vos conditions de détention et les traitements que vous avez subis à l’école de police de Nouakchott notamment?
J’étais seul à la maison. Dès l’annonce des arrestations qui ont débuté le 4 septembre 1986, je suis entré en clandestinité. Des policiers sont venus chez moi et ils ont mis toutes mes affaires dans la rue. Ma nièce, âgée de 15 ans et qui était seule à la maison, est allée chercher des collègues de travail qui ont récupéré mes affaires pour les mettre en lieux sûrs dans le magasin du CNERV. Elle fut arrêtée ainsi que mes collègues Adama Hanne, chauffeur, Aliou Diop chef du personnel, Al Housseyni Dem aide laborantin, responsable du magasin d’approvisionnement. Ce dernier fut atrocement torturé. Il mourut d’ailleurs, quelques mois après, des suites de ces tortures. Suite à ces arrestations qui étaient en réalité des prises d’otage, je me présentais le 6 septembre au commissariat central de Nouakchott. Les personnes arrêtées furent libérés le lendemain.
Le Commissaire Salek, le préfet Sidina O/ Dah me récupérèrent dans une R16 (célèbres voitures de police qui quadrillaient la ville), me menottèrent et m’amenèrent vers ce qu’on appelait à l’époque le camp Mendes et ensuite à l’école de police. Pendant tout le trajet ils m’agonirent d’insultes: «vous n’avez rien fait pour l’Etat mauritanien, alors que celui-ci a tout fait pour vous,…». Je fus accueilli par O/ Deddahi, directeur de la sécurité d’Etat. Il me demanda où se trouvait la machine à écrire qui avait servi à taper le manifeste et où j’avais imprimé le document. Sous mes dénégations, ils me transportèrent la nuit du 6 au 7 septembre à la plage où, sous les tortures, j’avouais avoir imprimé le document sur mon lieu de travail, au CNERV, nuitamment.
A l’école de police, il y a eu des humiliations ; on était parqué dans des cellules remplies d’eau puisqu’il pleuvait, et on nous empêchait de dormir ; les insultes pleuvaient sur nos têtes. Je pense être le seul à avoir subi des tortures physiques. J’ai même subi le «jaguar» à l’école de police car les policiers voulaient coûte que coûte connaître les conditions dans lesquelles le document avait été tiré et où étaient les stencils qui avaient servi pour le tirage.
Les policiers ont fait une grande pression sur moi pour impliquer feu Ba Mbaré (ancien président du Sénat) également arrêté et que je ne connaissais pas du tout à l’époque. Nous étions tous au secret et ne pouvions communiquer entre nous. Nous ne nous sommes tous vus qu’au moment de signer les procès-verbaux d’audition.
J’ai été obligé de signer un procès-verbal écrit en français que les policiers ont refusé de traduire en arabe, puisque je ne lisais pas le français. D’ailleurs, au procès, mon avocat a contesté, sur ma demande, les allégations contenues dans ce document qui n’avait aucune valeur.
Après la prison civile de Nouakchott, ce fut la déportation à Oualata. Certains de vos camarades ont apporté de précieux témoignages sur vos conditions de détentions et les drames que vous avez connus là-bas, pouvez-vous nous décrire ce que fut pour vous l'enfer de Oualata ?
De l’Ecole de police, nous avons été transférés à la prison civile de Nouakchott, après une nuit (celle du 12 au 13 septembre) passée à la prison du Ksar appelée Beïla. Incarcérés à la prison civile de Nouakchott, nous avons été privés de matelas (envoyés pourtant par nos familles). Les autorités pénitentiaires nous ont obligés à dormir sur le sol nu de nos cellules sans couverture pendant 8 jours.
Notre séjour à la prison a duré jusqu’à la nuit du 13 décembre 1987, date de notre transfert à Oualata. Durant cette période, nos repas étaient pris en charge par nos familles, mais ceux-ci nous parvenaient dans un état peu ragoutant du fait de la fouille qu’ils subissaient de la part de nos geôliers. Les familles, malgré leurs difficultés, nous pourvoyaient en sucre, en thé, en produits d’hygiène (savon, pâte dentifrice…), en café et en cigarettes (pour les fumeurs). Je me souviens des cartouches de cigarettes de Ten apportées par son épouse Néné qu’on lui distribuait au compte goutte (cigarette par cigarette d’abord, et ensuite paquet par paquet).
Après l’arrêt prononcé par la cour d’appel, le gouverneur du district de Nouakchott de l’époque le colonel Ahmed Mahmoud O/ Deh durcit les conditions de détention. Nous recevions nos repas le lendemain, pas de vêtement de rechange, interdiction de prendre des douches, sevrage des fumeurs, plus rien ne nous venait des familles etc. Les conditions étaient tellement dures que nous avons écrit une lettre au chef de l’Etat pour protester contre cette situation.
Ensuite ce fut le transfert à Oualata. Nous avons été enchaînés les uns aux autres en file pour nous faire monter dans les camions chargés de nous y transporter. Nous avons fait une escale à J’reida pour récupérer d’autres détenus civils, dont mon cousin Ba Alassane Amadou, contrôleur du trésor et les détenus militaires. Je n’en connaissais que trois (3), les gendarmes Papa Gueye et Ba Alassane Oumar et le capitaine Kébé Abdoulaye Hachem. Dans le camion, nous étions en compagnie de prisonniers de droit commun récupérés à Nouakchott et Aleg, mais ces derniers n’étaient pas menottés comme nous. Sur le trajet, nous n’avons été ravitaillés qu’entre Aïoun et Néma et vers Timbédra par un morceau de pain et une boite de sardine.
Nous sommes arrivés à Oualata la nuit. Le lendemain on nous a distribué à chacun une couverture qui était notre seul bien avec les habits que nous portions. Tout ce qui nous était envoyé par nos familles était détourné par les gardes. L’épouse de Djigo Tafsirou, Marième Bah est venue jusqu‘à Oualata. Tout ce qu’elle avait amené pour son époux a été volé par nos geôliers.
A Oualata, nous étions en isolement sauf quand on nous a mis aux travaux forcés. Nous étions enchaînés 2 à 2 pour faire ces travaux, nous étions enchaînés 2 à 2 pour faire toutes nos actions ensembles, jusqu’aux toilettes.
Quelques-uns d’entre nous, pour soulager leurs chevilles qui saignaient, ont cassé leurs chaînes. La découverte de ce fait fut durement châtiée dans la nuit du 22 avril 1988. Vingt-deux (22) détenus subirent les plus atroces tortures de 21h jusqu’au lendemain à 14h.
Une chambre d’isolement fut ensuite ouverte pour punir ceux qu’ils appelaient les récalcitrants. Le temps s’est écoulé entrecoupé d’humiliations, de tortures, de malnutrition et de travaux forcés.
Notre premier mort, Bâ Alassane Oumar, le 26 août 1988 fut un choc, bien qu’on voyait qu’il déclinait de jours en jours. Il fut suivi de Ten Youssouf Gueye, le 2 septembre 1988. Ten mourut à Néma, mais il n’y avait aucun doute pour nous qu’il ne reviendrait pas. Il a été transporté par nos camarades dans la voiture qui le transférait à Néma. Bâ Mamadou Sidi qui faisait partie de ces derniers est revenu dans notre cellule en disant qu’il avait constaté qu’il avait le corps «froid». Son transfert, s’il avait pour but de le sauver, devait le conduire directement à l’hôpital et non dans une cellule de prison à Néma, où il mourut seul.
Le lieutenant Oumar O/ Boubakar arrivé à la prison de Oualata, après le décès de Bâ Alassane Oumar a relativement amélioré nos conditions de détention. Il a ouvert quelques fenêtres (toutes les fenêtres étaient condamnées), il a enlevé les fers aux pieds à certains, pas en une seule fois, mais les uns après les autres sur plusieurs jours. Chaque jour, il enlevait les chaînes à un détenu (on avait remarqué toujours après une conversation avec le commissaire Ly). Il n’a plus rationné l’eau à boire. Il a fait préparer 3 repas améliorés puisque nous étions nourris au riz blanc sans sel, sans condiments. Pour illustrer ce fait, le 27 août, il nous a fait servir un repas à base de macaroni. Ce repas fut le dernier de Ten qui ne s’en releva pas. Il nous dit par la suite que le docteur lui avait interdit les pâtes.
Mais le lieutenant Oumar O/ Boubakar était dans son rôle de tortionnaire : il alternait le chaud et le froid.
Comment comprendre autrement qu’Oumar O/ Boubakar étant le plus gradé et le responsable du camp n’ait jamais rappelé à l’ordre ses subordonnés, ni recadré ses derniers quand ils pratiquaient sur les détenus (seulement politiques) les humiliations les plus abjectes et les tortures les plus atroces.
Il faut savoir qu’Oumar ne restait jamais plus de 2 jours dans le camp. Il s’absentait régulièrement pendant des périodes de quelques jours (2, 5 jours, 1 semaine), pour permettre à ses subordonnés de se livrer à leurs jeux favoris sur nous. Il ne pouvait pas manquer de remarquer l’état dans lequel nous étions, quand il revenait dans le camp après ces absences calculées.
Il s’est passé un événement qui illustre le comportement de cet individu qu’on prétend humaniste : un garde haratine répondant au nom de Cheikh qui a refusé, un jour, de torturer l’adjudant Diop Abdoulaye qui avait été surpris en train de ramasser un grain de sel, fut arrêté et menotté en présence de tous les prisonniers et gardes, sur ordre du lieutenant Oumar Ould Boubacar. On le fit quitté immédiatement le camp.
Au moment du transfert à Aouïn dirigé par Oumar Ould Boubakar, treize (13) détenus dont DIACKO Abdoulkerim, Ibrahima Khassum BA, SY Hamady Racine, Ibrahima Abou SALL, Ousmane Abdoul SARR, Samba THIAM, Amadou Sadio SOW, Moussa Mamadou BA, Al Hadji DIA et moi-même avions encore des chaînes aux pieds. Et la plupart était dans une situation lamentable. Quelques jours encore de plus à Oualata, pourtant sous le commandement de Oumar O/ Boubakar, on aurait compté plus de 4 morts. Il ne faut pas oublier que Djigo Tafsirou et Bâ Abdoul Ghoudouss sont morts alors qu’il dirigeait la prison de Oualata.
Nous n’avons dû notre salut qu’à la mobilisation internationale suite à la campagne d’information intense qui a suivi la mort de nos camarades. Leur mort a sauvé la vie aux autres.
Ne dit-on pas qu’un homme qui se noie, s’agrippe à un sabre qu’on lui tend pour sauver sa vie, même si ce sabre doit lui ôter la vie après (proverbe pular).
Nous commémorons cette année le 27eme anniversaire de la mort en détention à Oualata, de Alassane oumar BA, de Ten Youssouf GUEYE, de Abdoul Khoudouss BA et de Tafsirou DJIGO, quels souvenirs gardez-vous de ces camarades disparus?
Je garde plusieurs souvenirs de chacun d’eux.
Le 26 septembre, Tafsirou Djigo, qui était très affaibli, eut un petit mieux. A ceux qui étaient autour de lui, il tint ce discours: «nous ne mourrons pas tous à Oualata, les survivants de ces horreurs devront continuer le combat, la Mauritanie est notre pays, n’oubliez jamais que vous êtes mauritaniens, vous êtes musulmans, futanke et FLAM ». Il le répéta 3 fois. Après ce discours, il ne parla plus, il était dans un état comateux. Oumar O/ Boubakar ne vint jamais le voir pendant cette période d’agonie jusqu’à sa mort.
Mon souvenir de Ba Abdoul Khoudous était sa dignité. Il partageait la cellule de Ly Moussa, du commissaire Ly Mamadou et du capitaine Diop Djibril qui ont été démenottés très tôt alors que lui a gardé ses fers aux pieds jusqu’à sa mort. Les gardes ravitaillaient de temps en temps ses compagnons de cellule avec les victuailles envoyées par nos familles et qu’ils confisquaient. Il n’a jamais voulu partager avec eux ce qu’il considérait comme du vol. C’est par lui qu’on a appris d’ailleurs le voyage de l’épouse de Tafsirou jusqu’à Oualata.
Ten Youssouf Gueye était d’un optimisme naïf. Un homme très agréable, un homme de culture. Il n’aimait pas qu’on lui dise qu’il avait maigri, qu’il vieillissait. Quand on lui disait ces mots, il s’énervait et répondait « ne me met pas le moral au talon ». Un souvenir que je garde de lui c’est son échange avec le sergent Amadou Sadio Sow, qui, une des rares fois où l’on nous servit un repas amélioré, l’a interpellé en ces termes «Ten, aujourd’hui notre riz est viandé »; Il a éclaté de rire en lui disant «que Dieu me sorte de cette prison pour écrire un livre dans lequel j’utiliserais ce beau français que tu viens d’inventer»
Votre dernier mot
Je suis extrêmement choqué par les images publiées ces derniers jours montrant Oumar O/ Boubakar posant fièrement devant les tombes de nos martyrs de Oualata. Alors qu’il agonisait, Djigo Tafsirou n’eut jamais droit à une visite du lieutenant Oumar, responsable du camp. Ce dernier ne jeta jamais un coup d’œil sur lui pendant cette période, jusqu’à son décès.
Bâ Abdoul Ghoudous est mort les fers aux pieds. Le 11 septembre, Oumar O/ Boubakar est parti à Néma alors que BÂ Abdoul Ghoudouss agonisait. A notre demande de lui enlever les fers qu’il avait aux pieds, les gardes nous rétorquaient qu’Oumar n’avait pas donné les instructions pour le faire. Après sa mort, avant de l’enterrer, Oumar Gueye utilisa des pierres pour casser le cadenas des fers car il était hors de question de l’enterrer avec ces derniers.
Comment cet homme peut aujourd’hui se permettre d’aller se recueillir sur les tombes de nos martyrs.
J’exhorte les militants à retourner aux fondamentaux. La Mauritanie ne pourra se développer harmonieusement que si tous ses fils : Arabo-berbères, Bambaras, Halpulaars, Haratines, Soninko, Wolofs, main dans la main, luttent ensemble pour éradiquer ces fléaux qui gangrènent notre pays : le racisme et l’esclavage.
Si l’Afrique du Sud a pu se débarrasser de l’apartheid, c’est parce qu’il y a eu une conjonction d’efforts entre les Blancs et les Noirs de ce pays.
Je vous remercie de m’avoir permis de m’exprimer.
Interview enregistré en pulaar et traduit par la rédaction de flam-mauritanie.org le 3 octobre 2015.
Source: FLAM-Maurigtanie VIA Cridem
Un document dans lequel les auteurs dénonçaient la politique de la discrimination raciale et culturelle (notamment par l’arabisation à outrance), la politique d'exclusion ethnique dont la Communauté noire mauritanienne fait l'objet depuis l'indépendance de la Mauritanie en 1960.
Arrêté en septembre 1986, dans le cadre de la campagne de répression et d’élimination physique de la classe politique noire mauritanienne, suite à la publication du manifeste, Idrissa BA fut incarcéré à la prison civile de Nouakchott avant d’être déporté à la prison mouroir de Oualata (comme tous ses camarades civils et militaires). A Oualata, il assista impuissant à la mort de Alassane Oumar BA, le 26 août 1988, de Ten Youssouf GUEYE, le 2 septembre 1988 (à Néma où il a été évacué dans un état comateux), de Abdoul Khoudouss BA, le 13 septembre 1988, et de Tafsirou DJIGO, le 28 septembre 1988.
Libéré le 13 décembre 1989, Idrissa BA prend le chemin de l’exil pour rejoindre ses frères de combats et sa famille toute entière déportée à Njumm au Sénégal en 1989.
Flam-mauritanie.org : Idrissa BA, voulez-vous vous présenter à nos lecteurs qui ne vous connaîtraient pas et, en quelques mots, pouvez-vous nous retracer votre parcours au sein des Flam?
Idrissa BA : Je suis originaire de Helbok dans le département de Bababé. Je suis autodidacte et j’ai fait des études coraniques. J’ai d’abord travaillé comme manœuvre aux Eaux et forêts et j’ai été ensuite embauché au Centre national des études et recherches vétérinaires (CNERV) à Nouakchott, comme aide laborantin.
Je fus membre du bureau syndical de l’élevage et des industries animales dans l’Union des travailleurs mauritaniens (UTM). Je fus également membre fondateur du MPAM créé le 21 octobre 1979 qui s’appelait à ses débuts «groupe de l’hôpital» à cause du lieu de son siège.
Les FLAM furent créées le 13 mars 1983 par la fusion de 4 mouvements politiques qui avaient le même idéal, la construction d’une Mauritanie multiculturelle débarrassée du racisme et de l’esclavage : l’Organisation pour la défense des intérêts des négros-africains de Mauritanie (ODINAM), le Mouvement des élèves et étudiants noirs (MEEN), l’Union démocratique mauritanienne (UDM) et le Mouvement populaire des africains de Mauritanie (MPAM).
Mais, il faut dire que cette idée de regroupement prit naissance à la suite du congrès de l’UTM tenu à Nouakchott, le 21 octobre 1981. Lors de ce congrès, la composante noire s’était sentie marginalisée et a compris qu’il fallait fédérer les forces pour lutter efficacement.
C’était les prémisses de la création des FLAM. Les premières réunions de contact entre les quatre (4) organisations eurent lieu à partir de février 1982. Elles finiront par aboutir en mars 1983.
Les FLAM sont nées de cette fusion le 13 mars 1983.
Dès sa création, je fus membre du comité des sages composé de 10 personnes. J’ai ensuite rejoint le Conseil national créé au premier congrès des FLAM tenu en exil en décembre 1991 (3e congrès ordinaire).
En avril 1986, les FLAM rédigèrent «Le Manifeste du Négro mauritanien opprimé. De la guerre civile à la lutte de libération nationale» », pouvez-vous nous parler des circonstances dans lesquelles ce document fut édité et distribué ?
Le manifeste fut écrit pendant une période très calme du mouvement alors que la situation des Noirs se dégradait de plus en plus. Il y avait nécessité de créer un électrochoc pour faire bouger les lignes.
Le manifeste rédigé en français et en arabe en nombre égal (35 ramettes de papier chacun) fut distribué à partir de juin 1986 à une très large échelle. Une commission avait été mise en place pour gérer la distribution du manifeste. Outre les chefs d’état étrangers présents à la conférence du Mouvement des pays non-alignés à Harare (Zimbabwe), il fut également distribué à l’intérieur du pays par voie postale et en mains propres. Tous les membres du gouvernement, tous les membres du CMSN, les gouverneurs de région, les autorités religieuses dont l’imam Bouddah O/ Bousseiri, vingt (20) personnalités arabo-berbères, dont le docteur Louleïd O/ Waddad (directeur de cabinet de Maouya à l’époque), Ahmed O/ Ahmed Salah (ancien ministre), Sileymane O/ Cheikh Sidia (ancien ministre), Hamdi O/ Mouknas (ancien ministre), Bamba O/ Yezid (ancien ministre), Memet O/ Ahmed (qui nous a confirmé en 1987 à la prison civile de Nouakchott avoir reçu et lu le manifeste), les hommes d’affaires O/ Mogueya, O/ Noueiguett, Abdallah O/ Abdallah, Moulaye O/ Abbas furent tous destinataires d’exemplaires en arabe et en français envoyés par voie postale.Vingt (20) personnalités politiques et religieuses et des notabilités dans la composante négro-africaine reçurent des copies, certains remis en mains propres.
Le manifeste était, dans l’esprit de ses promoteurs, une contribution à l’unité nationale. Il faisait une radioscopie de la situation des Noirs dans ce pays dont ils étaient les natifs et invitait à un sursaut national. Il exhortait le pouvoir à initier un dialogue entre les composantes du pays pour sauver le bateau Mauritanie qui allait à la dérive.
Le pouvoir mauritanien, au lieu de saisir cette occasion pour ouvrir un dialogue dans le but de trouver une solution à la cohabitation qui continuait à se détériorer, a préféré mettre en place un autre scénario : celui de falsifier le véritable manifeste pour justifier la répression qui s’en est suivie de 1986 à 1991 avec les tortures, les déportations, les exécutions civiles et militaires.
Mais ce qui est surtout étonnant, c’est comment ce pouvoir a pu faire accepter ce faux manifeste, qui appelait à la haine, à la destruction des Maures et à l’instauration d’un pouvoir purement noir en Mauritanie alors que le véritable manifeste avait été largement diffusé aux personnalités qui comptaient dans le pays. Ces derniers se sont tus et ont laissé Maouiya mettre en place cette vaste opération de répression et de liquidation sur la base d’un document falsifié alors qu’ils avaient reçu et lu l’original.
Comme la plupart de vos camarades, vous fûtes arrêté en septembre 1986 suite à la publication du manifeste, pouvez-vous nous décrire vos conditions de détention et les traitements que vous avez subis à l’école de police de Nouakchott notamment?
J’étais seul à la maison. Dès l’annonce des arrestations qui ont débuté le 4 septembre 1986, je suis entré en clandestinité. Des policiers sont venus chez moi et ils ont mis toutes mes affaires dans la rue. Ma nièce, âgée de 15 ans et qui était seule à la maison, est allée chercher des collègues de travail qui ont récupéré mes affaires pour les mettre en lieux sûrs dans le magasin du CNERV. Elle fut arrêtée ainsi que mes collègues Adama Hanne, chauffeur, Aliou Diop chef du personnel, Al Housseyni Dem aide laborantin, responsable du magasin d’approvisionnement. Ce dernier fut atrocement torturé. Il mourut d’ailleurs, quelques mois après, des suites de ces tortures. Suite à ces arrestations qui étaient en réalité des prises d’otage, je me présentais le 6 septembre au commissariat central de Nouakchott. Les personnes arrêtées furent libérés le lendemain.
Le Commissaire Salek, le préfet Sidina O/ Dah me récupérèrent dans une R16 (célèbres voitures de police qui quadrillaient la ville), me menottèrent et m’amenèrent vers ce qu’on appelait à l’époque le camp Mendes et ensuite à l’école de police. Pendant tout le trajet ils m’agonirent d’insultes: «vous n’avez rien fait pour l’Etat mauritanien, alors que celui-ci a tout fait pour vous,…». Je fus accueilli par O/ Deddahi, directeur de la sécurité d’Etat. Il me demanda où se trouvait la machine à écrire qui avait servi à taper le manifeste et où j’avais imprimé le document. Sous mes dénégations, ils me transportèrent la nuit du 6 au 7 septembre à la plage où, sous les tortures, j’avouais avoir imprimé le document sur mon lieu de travail, au CNERV, nuitamment.
A l’école de police, il y a eu des humiliations ; on était parqué dans des cellules remplies d’eau puisqu’il pleuvait, et on nous empêchait de dormir ; les insultes pleuvaient sur nos têtes. Je pense être le seul à avoir subi des tortures physiques. J’ai même subi le «jaguar» à l’école de police car les policiers voulaient coûte que coûte connaître les conditions dans lesquelles le document avait été tiré et où étaient les stencils qui avaient servi pour le tirage.
Les policiers ont fait une grande pression sur moi pour impliquer feu Ba Mbaré (ancien président du Sénat) également arrêté et que je ne connaissais pas du tout à l’époque. Nous étions tous au secret et ne pouvions communiquer entre nous. Nous ne nous sommes tous vus qu’au moment de signer les procès-verbaux d’audition.
J’ai été obligé de signer un procès-verbal écrit en français que les policiers ont refusé de traduire en arabe, puisque je ne lisais pas le français. D’ailleurs, au procès, mon avocat a contesté, sur ma demande, les allégations contenues dans ce document qui n’avait aucune valeur.
Après la prison civile de Nouakchott, ce fut la déportation à Oualata. Certains de vos camarades ont apporté de précieux témoignages sur vos conditions de détentions et les drames que vous avez connus là-bas, pouvez-vous nous décrire ce que fut pour vous l'enfer de Oualata ?
De l’Ecole de police, nous avons été transférés à la prison civile de Nouakchott, après une nuit (celle du 12 au 13 septembre) passée à la prison du Ksar appelée Beïla. Incarcérés à la prison civile de Nouakchott, nous avons été privés de matelas (envoyés pourtant par nos familles). Les autorités pénitentiaires nous ont obligés à dormir sur le sol nu de nos cellules sans couverture pendant 8 jours.
Notre séjour à la prison a duré jusqu’à la nuit du 13 décembre 1987, date de notre transfert à Oualata. Durant cette période, nos repas étaient pris en charge par nos familles, mais ceux-ci nous parvenaient dans un état peu ragoutant du fait de la fouille qu’ils subissaient de la part de nos geôliers. Les familles, malgré leurs difficultés, nous pourvoyaient en sucre, en thé, en produits d’hygiène (savon, pâte dentifrice…), en café et en cigarettes (pour les fumeurs). Je me souviens des cartouches de cigarettes de Ten apportées par son épouse Néné qu’on lui distribuait au compte goutte (cigarette par cigarette d’abord, et ensuite paquet par paquet).
Après l’arrêt prononcé par la cour d’appel, le gouverneur du district de Nouakchott de l’époque le colonel Ahmed Mahmoud O/ Deh durcit les conditions de détention. Nous recevions nos repas le lendemain, pas de vêtement de rechange, interdiction de prendre des douches, sevrage des fumeurs, plus rien ne nous venait des familles etc. Les conditions étaient tellement dures que nous avons écrit une lettre au chef de l’Etat pour protester contre cette situation.
Ensuite ce fut le transfert à Oualata. Nous avons été enchaînés les uns aux autres en file pour nous faire monter dans les camions chargés de nous y transporter. Nous avons fait une escale à J’reida pour récupérer d’autres détenus civils, dont mon cousin Ba Alassane Amadou, contrôleur du trésor et les détenus militaires. Je n’en connaissais que trois (3), les gendarmes Papa Gueye et Ba Alassane Oumar et le capitaine Kébé Abdoulaye Hachem. Dans le camion, nous étions en compagnie de prisonniers de droit commun récupérés à Nouakchott et Aleg, mais ces derniers n’étaient pas menottés comme nous. Sur le trajet, nous n’avons été ravitaillés qu’entre Aïoun et Néma et vers Timbédra par un morceau de pain et une boite de sardine.
Nous sommes arrivés à Oualata la nuit. Le lendemain on nous a distribué à chacun une couverture qui était notre seul bien avec les habits que nous portions. Tout ce qui nous était envoyé par nos familles était détourné par les gardes. L’épouse de Djigo Tafsirou, Marième Bah est venue jusqu‘à Oualata. Tout ce qu’elle avait amené pour son époux a été volé par nos geôliers.
A Oualata, nous étions en isolement sauf quand on nous a mis aux travaux forcés. Nous étions enchaînés 2 à 2 pour faire ces travaux, nous étions enchaînés 2 à 2 pour faire toutes nos actions ensembles, jusqu’aux toilettes.
Quelques-uns d’entre nous, pour soulager leurs chevilles qui saignaient, ont cassé leurs chaînes. La découverte de ce fait fut durement châtiée dans la nuit du 22 avril 1988. Vingt-deux (22) détenus subirent les plus atroces tortures de 21h jusqu’au lendemain à 14h.
Une chambre d’isolement fut ensuite ouverte pour punir ceux qu’ils appelaient les récalcitrants. Le temps s’est écoulé entrecoupé d’humiliations, de tortures, de malnutrition et de travaux forcés.
Notre premier mort, Bâ Alassane Oumar, le 26 août 1988 fut un choc, bien qu’on voyait qu’il déclinait de jours en jours. Il fut suivi de Ten Youssouf Gueye, le 2 septembre 1988. Ten mourut à Néma, mais il n’y avait aucun doute pour nous qu’il ne reviendrait pas. Il a été transporté par nos camarades dans la voiture qui le transférait à Néma. Bâ Mamadou Sidi qui faisait partie de ces derniers est revenu dans notre cellule en disant qu’il avait constaté qu’il avait le corps «froid». Son transfert, s’il avait pour but de le sauver, devait le conduire directement à l’hôpital et non dans une cellule de prison à Néma, où il mourut seul.
Le lieutenant Oumar O/ Boubakar arrivé à la prison de Oualata, après le décès de Bâ Alassane Oumar a relativement amélioré nos conditions de détention. Il a ouvert quelques fenêtres (toutes les fenêtres étaient condamnées), il a enlevé les fers aux pieds à certains, pas en une seule fois, mais les uns après les autres sur plusieurs jours. Chaque jour, il enlevait les chaînes à un détenu (on avait remarqué toujours après une conversation avec le commissaire Ly). Il n’a plus rationné l’eau à boire. Il a fait préparer 3 repas améliorés puisque nous étions nourris au riz blanc sans sel, sans condiments. Pour illustrer ce fait, le 27 août, il nous a fait servir un repas à base de macaroni. Ce repas fut le dernier de Ten qui ne s’en releva pas. Il nous dit par la suite que le docteur lui avait interdit les pâtes.
Mais le lieutenant Oumar O/ Boubakar était dans son rôle de tortionnaire : il alternait le chaud et le froid.
Comment comprendre autrement qu’Oumar O/ Boubakar étant le plus gradé et le responsable du camp n’ait jamais rappelé à l’ordre ses subordonnés, ni recadré ses derniers quand ils pratiquaient sur les détenus (seulement politiques) les humiliations les plus abjectes et les tortures les plus atroces.
Il faut savoir qu’Oumar ne restait jamais plus de 2 jours dans le camp. Il s’absentait régulièrement pendant des périodes de quelques jours (2, 5 jours, 1 semaine), pour permettre à ses subordonnés de se livrer à leurs jeux favoris sur nous. Il ne pouvait pas manquer de remarquer l’état dans lequel nous étions, quand il revenait dans le camp après ces absences calculées.
Il s’est passé un événement qui illustre le comportement de cet individu qu’on prétend humaniste : un garde haratine répondant au nom de Cheikh qui a refusé, un jour, de torturer l’adjudant Diop Abdoulaye qui avait été surpris en train de ramasser un grain de sel, fut arrêté et menotté en présence de tous les prisonniers et gardes, sur ordre du lieutenant Oumar Ould Boubacar. On le fit quitté immédiatement le camp.
Au moment du transfert à Aouïn dirigé par Oumar Ould Boubakar, treize (13) détenus dont DIACKO Abdoulkerim, Ibrahima Khassum BA, SY Hamady Racine, Ibrahima Abou SALL, Ousmane Abdoul SARR, Samba THIAM, Amadou Sadio SOW, Moussa Mamadou BA, Al Hadji DIA et moi-même avions encore des chaînes aux pieds. Et la plupart était dans une situation lamentable. Quelques jours encore de plus à Oualata, pourtant sous le commandement de Oumar O/ Boubakar, on aurait compté plus de 4 morts. Il ne faut pas oublier que Djigo Tafsirou et Bâ Abdoul Ghoudouss sont morts alors qu’il dirigeait la prison de Oualata.
Nous n’avons dû notre salut qu’à la mobilisation internationale suite à la campagne d’information intense qui a suivi la mort de nos camarades. Leur mort a sauvé la vie aux autres.
Ne dit-on pas qu’un homme qui se noie, s’agrippe à un sabre qu’on lui tend pour sauver sa vie, même si ce sabre doit lui ôter la vie après (proverbe pular).
Nous commémorons cette année le 27eme anniversaire de la mort en détention à Oualata, de Alassane oumar BA, de Ten Youssouf GUEYE, de Abdoul Khoudouss BA et de Tafsirou DJIGO, quels souvenirs gardez-vous de ces camarades disparus?
Je garde plusieurs souvenirs de chacun d’eux.
Le 26 septembre, Tafsirou Djigo, qui était très affaibli, eut un petit mieux. A ceux qui étaient autour de lui, il tint ce discours: «nous ne mourrons pas tous à Oualata, les survivants de ces horreurs devront continuer le combat, la Mauritanie est notre pays, n’oubliez jamais que vous êtes mauritaniens, vous êtes musulmans, futanke et FLAM ». Il le répéta 3 fois. Après ce discours, il ne parla plus, il était dans un état comateux. Oumar O/ Boubakar ne vint jamais le voir pendant cette période d’agonie jusqu’à sa mort.
Mon souvenir de Ba Abdoul Khoudous était sa dignité. Il partageait la cellule de Ly Moussa, du commissaire Ly Mamadou et du capitaine Diop Djibril qui ont été démenottés très tôt alors que lui a gardé ses fers aux pieds jusqu’à sa mort. Les gardes ravitaillaient de temps en temps ses compagnons de cellule avec les victuailles envoyées par nos familles et qu’ils confisquaient. Il n’a jamais voulu partager avec eux ce qu’il considérait comme du vol. C’est par lui qu’on a appris d’ailleurs le voyage de l’épouse de Tafsirou jusqu’à Oualata.
Ten Youssouf Gueye était d’un optimisme naïf. Un homme très agréable, un homme de culture. Il n’aimait pas qu’on lui dise qu’il avait maigri, qu’il vieillissait. Quand on lui disait ces mots, il s’énervait et répondait « ne me met pas le moral au talon ». Un souvenir que je garde de lui c’est son échange avec le sergent Amadou Sadio Sow, qui, une des rares fois où l’on nous servit un repas amélioré, l’a interpellé en ces termes «Ten, aujourd’hui notre riz est viandé »; Il a éclaté de rire en lui disant «que Dieu me sorte de cette prison pour écrire un livre dans lequel j’utiliserais ce beau français que tu viens d’inventer»
Votre dernier mot
Je suis extrêmement choqué par les images publiées ces derniers jours montrant Oumar O/ Boubakar posant fièrement devant les tombes de nos martyrs de Oualata. Alors qu’il agonisait, Djigo Tafsirou n’eut jamais droit à une visite du lieutenant Oumar, responsable du camp. Ce dernier ne jeta jamais un coup d’œil sur lui pendant cette période, jusqu’à son décès.
Bâ Abdoul Ghoudous est mort les fers aux pieds. Le 11 septembre, Oumar O/ Boubakar est parti à Néma alors que BÂ Abdoul Ghoudouss agonisait. A notre demande de lui enlever les fers qu’il avait aux pieds, les gardes nous rétorquaient qu’Oumar n’avait pas donné les instructions pour le faire. Après sa mort, avant de l’enterrer, Oumar Gueye utilisa des pierres pour casser le cadenas des fers car il était hors de question de l’enterrer avec ces derniers.
Comment cet homme peut aujourd’hui se permettre d’aller se recueillir sur les tombes de nos martyrs.
J’exhorte les militants à retourner aux fondamentaux. La Mauritanie ne pourra se développer harmonieusement que si tous ses fils : Arabo-berbères, Bambaras, Halpulaars, Haratines, Soninko, Wolofs, main dans la main, luttent ensemble pour éradiquer ces fléaux qui gangrènent notre pays : le racisme et l’esclavage.
Si l’Afrique du Sud a pu se débarrasser de l’apartheid, c’est parce qu’il y a eu une conjonction d’efforts entre les Blancs et les Noirs de ce pays.
Je vous remercie de m’avoir permis de m’exprimer.
Interview enregistré en pulaar et traduit par la rédaction de flam-mauritanie.org le 3 octobre 2015.
Source: FLAM-Maurigtanie VIA Cridem