Intervention à l'occasion de la journée organisée par le Comité de base BA Abdoul Ghoudouss des FLAM pour l'hommage à nos Martyrs
Par Hamdou Rabby SY- Philosophe
Paris-France
Je remercie le Comité de base BA Abdoul Ghoudouss à Massy de m'avoir invité à une prise de parole à l'occasion de cette journée où il s'agit de rendre un hommage à nos martyrs, à nos combattants de la liberté, morts pour avoir dénoncé le racisme érigé en système dans notre pays depuis plusieurs décennies. Il convient de mesurer l'importance que revêt le souvenir des morts pour une cause juste dans la construction de l'imaginaire politique d'une société d'autant que l'actualité semble suggérer l'oubli de tous ceux dont les noms peuvent rappeler la dramatique et chaotique situation que vit la communauté négro-africaine en Mauritanie.
Parler de nos martyrs, c'est en un sens, refuser de céder à la tentation de la suspension, de l'oubli et de la dénégation de la réalité effective d'une logique d'oppression et d'exclusion qui ne fait que s'approfondir en utilisant des masques et des détours afin d'occulter la cruauté des faits dont l'avoir eu lieu ne peut plus s'effacer. Evoquer nos martyrs, c'est prendre le risque de remettre au goût du jour des blessures, des douleurs et des souffrances dont la persistance relève de deuils impossibles dans la mesure où les morts en plus d'être morts injustement et arbitrairement ne sont pas reconnus officiellement comme tels et demeurent encore sans sépulture. De ce fait, ces morts sont terriblement absents parce que disparus dans ce vaste désert qui a perdu sa vocation d'espace infini pour la méditation et le recueillement et transformé par une décision politique criminelle en cimetière non identifiable. Entre l'émotion et la raison, la révolte et l'engagement, la colère et la sérénité, il n'y a pas de choix à faire, mais de conjonction pour ne pas s'enfermer dans une sorte de relation binaire où l'exclusive est souvent la stratégie de la fuite dans un sens comme dans l'autre.
Partant l'hommage à nos morts s'impose comme une exigence de respect des vies qui, en s'insurgeant contre le racisme d'Etat, se sont sacrifiées pour que la dignité de l'homme noir opprimé soit un jour reconnue dans notre pays.
1- Le contexte : rappel de quelques faits marquants
Des dates et des événements ont marqué l'histoire politique de la Mauritanie qui est dominée par des faits et des gestes d'une construction idéologique et politique qui repose sur une volonté constante de la dénégation de l'autre parce que marqué par une couleur, une langue et une culture qui ne correspondent pas à l'idéal de communauté nationale dessinée par le nationalisme arabe mauritanien. Jusqu'à aujourd'hui, la constance de cette volonté n'a pas entamé les hésitations de certains quant au caractère de ce dessein qui s'est traduit par une configuration sociopolitique raciste qui n'entretient aucun mystère.
Nous avions toujours affirmé et répété que le mérite de Ould Taya est d'avoir clairement exposé sa volonté d'édifier un Etat raciste qui ne s'encombre pas de précautions diplomatiques pour fédérer les élus et les privilégiés du système qu'il a développé dont il n'est pas le seul bâtisseur.
Certes, c'est sous le régime de Ould Taya que les militants des Forces de Libération africaines de Mauritanie furent arrêtés, en septembre 1986, dont certains furent torturés à mort. Cet événement fut le point de départ d'une politique de répression sans précédent dans l'histoire politique de la Mauritanie. Cependant, le passé n'était pas exempt de négationnisme pour ceux qui ont la mémoire des événements de 1966 et des grèves de 1979. La suite de cette politique est connue : exécution des trois officiers négro-africains le 06 décembre 1987 : BA Seydi, Sarr Amadou et Sy Saïdou. Cette fin d'année 1987 et l'année 1988 furent les périodes les plus terribles pour la communauté négro-africaine par la férocité de la répression et la terreur absolue qui régnait dans la vallée.
2- Le règne de la Terreur absolue
C'est la période où les populations de la vallée n'avaient comme mode d'expression que le murmure dans le silence et les pleurs. Il était même devenu périlleux de pleurer les morts parce que l'auteur était l'autorité administrative, militaire ou policière. Le travail de l'armée, de la police et de l'administration se résumait aux activités suivantes : faire la ronde au bord du fleuve, autour des villages pour arrêter, emprisonner, torturer, massacrer et assassiner. La condition humaine du négro-africain était devenue inhumaine, insupportable, insoutenable et invivable au point qu'une vision misérable de soi s'est propagée et s'est traduite par une certaine forme de culpabilité. Dans cette histoire, le drame devint plus insoutenable quand les victimes elles-mêmes dans certains cas se mirent par lâcheté, peur ou opportunisme à être au service de leurs bourreaux. Je ne citerai pas par pudeur les formes d'humiliation que la communauté négro-africaine a vécues comme pour briser toute forme de fierté et d'amour propre.
En effet, une logique de haine justifia ainsi une folie meurtrière avec la mise en place d'une machine de guerre disproportionnée et démesurée quand on sait que les victimes ne sont que des populations qui n'ont comme armes que leur houe ou leur hache pour cultiver leur champ. Non contentes d'humilier, d'agenouiller et de massacrer, les autorités mauritaniennes pour aller jusqu'au bout de leurs fantasmes, provoquèrent des incidents entre le Sénégal et la Mauritanie pour trouver le prétexte d'en finir avec la composante négro-africaine du pays, d'où ce qu'il est convenu d'appeler « les événements de 1989 » qui, en fait, ne concernaient que des citoyens Mauritaniens noirs. Des journées terribles avec des actes atroces de massacres sauvages et barbares avec comme culmination les déportations se déroulèrent avec une sorte d'hystérie collective où l'appartenance à une même nationalité n'avait plus de sens.
Ceux qui doutent encore de l'existence du racisme en Mauritanie qu'ils nous disent en quoi consiste le racisme quand l'extermination des négro-africains du fait de leur couleur et de leur langue et culture ne peut être qualifiée comme raciste ? Ceux qui reprochent aux morts d'avoir dénoncé le système, que reprochent-ils aux innocents tués au bord du fleuve, en voyage, dans leur champ de culture ou simplement surpris dans la nuit chez eux et exécutés dans des bases militaires ? De quoi sommes-nous coupables finalement ? D'avoir compté parmi nous des hommes et des femmes qui ont dit non à l'humiliation, à l'injustice, à l'oppression et au racisme. Pour avoir engagé un front de refus, ceux que nous appelons nos martyrs sont morts à Oualata, à Inal, à Azlat et un peu partout dans la vallée et dans le désert. Tène Youssouf Guèye, Djigo Tapsirou, BA Alassane, Ba Abdoul Ghoudouss, la liste est longue.
3- Le temps de l'exil
D'autres sont morts en exil, dans les camps de fortune au Sénégal et au Mali. D'autres sont encore entre la vie et la mort ; vies suspendues, histoires immobilisées, mémoires figées.Et, d'autres aussi, leur destin a été confisqué et leurs rêves brisés. Au fond, la déportation et l'exil ont mis fin à des carrières radieuses, prometteuses, pour certaines brillantes parce qu'elles avaient commencé avec feu et flamme et pour cette raison interrompues pour ne pas vivre simplement le bonheur d'être chez soi, de vivre avec ses parents, ses frères et s½urs, ses neveux et nièces, ses amis, ses camarades d'enfance, de promotion, les gens de son village, ses compatriotes. Privé de la possibilité de vivre dans son environnement naturel, le négro-africain opprimé, persécuté, nié, méprisé et ahuri a pris le chemin de l'exil intérieur d'abord, ensuite extérieur.
On oublie souvent que l'exil commence toujours par l'intérieur à travers l'épreuve du soupçon et des accusations que les uns portent sur les autres ne se faisant plus confiance, brouillés entre eux-mêmes par l'action néfaste de la terreur et de la répression. Le réflexe de peur aiguisant l'instinct de conservation se mue alors en stratégie de préservation de soi et des siens condamnant au silence et au murmure avec comme conséquence la rupture des liens sociaux et la communication vivante entre proches et voisins. Il en découle un traumatisme qui se manifeste par un brouillage chronique des repères et un dégoût généralisé de ne pas pouvoir se sentir chez soi dans sa maison, son village et son pays. Le négro-africain est ainsi devenu un étranger dans son propre pays, étranger à soi et à ses proches. D'où l'exil extérieur, considéré comme porteur de salut.
En un sens l'exil est salutaire dans la mesure où il éloigne l'opprimé de l'horizon où il était à la merci du bourreau. Il se repose des nuits hantées de cauchemars et des pleurs de ses proches éplorés par la disparition d'un être cher qui embarqué seul pour un voyage sans retour. L'exilé bénéficie au moins de la condition humaine reconnue à tous les humains qui lui est refusée chez lui. Ceux qui étaient censés le protéger incarnent réellement le danger de mort, l'insécurité, le potentiel plus que réel de disparition et d'humiliation.
Mais l'exil, c'est aussi la confrontation permanente avec son passé, un présent de suspension, une existence dans la frénésie de l'ailleurs devenu ici. Pour l'exilé, l'ici natal est devenu l'ailleurs éloigné et qui recule dans le temps parce que la fin tarde à venir. D'où la nostalgie des moments de vraie convivialité et de chaleur familiale qui plonge l'exilé dans une mélancolie innommable.
4- Le 03 août 2005 : un événement obscur ou une transition simulée
Il y a eu l'illusion d'un 03 août plus obscur que clair en ce sens qu'il s'est agi de la prise de pouvoir d'une clique qui a remplacé une autre, toutes deux faisant partie d'une même bande donc, ayant le même engagement, la même profession de foi. Ould Taya et Ely ould Mohamed Vall poursuivent le même combat : instaurer un régime viable pour une composante au détriment de la communauté négro-africaine. Les agissements, les agitations et l'activisme de l'heure ne sont conçus que pour divertir ceux et celles qui aspirent à un changement réel et non illusoire.
Le 03 août 2005, il ne s'est rien passé sinon qu'un puissant Directeur de la Sûreté a pris la place du tyran qu'il a servi avec loyauté durant les années de Terreur absolue. Comment Ely peut-il incarner un projet de transition démocratique, lui, qui a conduit avec cruauté la répression, la torture et les massacres durant le règne sanguinaire de Ould Taya ? La Mauritanie serait-elle ce pays qui, par miracle, des dictateurs peuvent se muer en démocrates comme l'avait dit un jour un de nos officiers illuminé que « tous les militaires sont démocrates » ? Une telle naïveté frise l'irresponsabilité qui explique la facilité avec laquelle on innocente des criminels pour se donner bonne conscience. Les turbulences du comité militaire en place fût-il au service de la justice et de la démocratie ne doivent pas divertir les damnés de la terre qui sont encore promus à la souffrance. Les différentes déclarations de Ely sont sans ambiguïté dans la mesure où il continue à dire que le retour des déportés n'est pas sa priorité, mieux à ne pas les reconnaître. Les négro-africains de Mauritanie comme leurs frères Haratines ont un long chemin à faire pour parvenir à la dignité retrouvée et assumer leur citoyenneté avec plénitude. La Mauritanie de Oul Vall est la même que celle de Taya qui était aussi celle de Vall, d'où la continuité.
Devant la fureur de la répression, de l'exclusion et de la négation, des gestes forts, symboliquement pouvaient annoncer des lendemains qui chantent. Mais au regard de l'entêtement et de la persistance dans la négation des morts et des déportés, il est de notre devoir de continuer à résister, à s'opposer jusqu'au dernier souffle contre l'entreprise de mise à l'écart de la communauté négro-africaine. C'est dans ce sens que l'hommage à nos morts signifie d'abord, ne pas banaliser le sacrifice de leurs vies par la fidélité au combat pour lequel ils sont morts. Une société qui ne respecte pas la mémoire de ses morts ne peut pas incarner le défi de la préservation de son passé et encore moins se projeter dans l'avenir. Ils sont morts pour avoir osé dire non au racisme, à l'exclusion et à l'injustice, les honorer est un devoir par la continuation du combat. En aucun cas, l'actuel chef de l'Etat, ne peut justifier la renonciation aux exigences de revendication de la justice, de l'égalité et de la démocratie. L'heure n'est pas à la diversion, mais à la vigilance et à la mobilisation contre les tentations de la démission et du fatalisme. Rien ne justifie que nous renoncions à notre radicalité de principe tant que la justice et le droit ne constituent pas les fondements du pouvoir en Mauritanie. Tant que notre citoyenneté n'est pas reconnue sur la base d'un Etat de droit, nous nous mobiliserons tous les jours pour combattre et dénoncer la farce que Ely est entrain d'organiser dans les prochains mois.
5- Quel sens faut-il donner au combat de nos martyrs ?
C'est ainsi qu'il faut rendre hommage à nos martyrs et saisir le sens de leur combat. Aux souffrances et aux larmes, nous devons substituer la fidélité et la persévérance dans une tradition de combat et d'opposition. Parce qu'il y a eu des morts, nous ne pouvons, ni ne devons abdiquer. Notre mission est de libérer notre pays de l'obscurantisme et du racisme qui constituent encore les racines du système dont l'héritier aujourd'hui s'appelle Ely ould Mohamed Vall. Notre combat pour la liberté et pour la dignité ne peut se satisfaire des humeurs passagères d'une clique qui a toujours été au pouvoir en étant au service d'une tyrannie raciste et sanguinaire.
Plus que jamais, nous devons nous armer de patience, de lucidité et de raison pour continuer l'exigence de combat afin de parvenir à la victoire de la justice contre l'injustice, de la liberté contre la servitude, de la vérité contre le mensonge, du droit contre l'arbitraire, de la dignité contre l'humiliation, de l'humanité contre l'animalité, du progrès contre l'arriération et enfin de la civilisation contre la barbarie. Car notre pays est depuis toujours sous le règne de la barbarie et du racisme. Il nous faut mériter encore le droit de revendiquer l'héritage qui nous a été légué par nos prédécesseurs qui n'ont pas démérité en sacrifiant leurs vies au profit du droit de tout un ensemble humain nié dans son existence et dans son droit à la vie dans son propre pays.
Je voudrais terminer mon propos en citant cette parole de Nelson Mandela pour en retenir le message d'espoir qui en affleure : « Ce jour était le résultat des incroyables sacrifices de milliers d'hommes et de femmes, de gens dont le courage et les souffrances ne seraient jamais ni comptés ni remboursés. Ce jour-là, comme tant d'autres fois, j'ai ressenti que je n'étais que la somme de tous ces patriotes africains disparus avant moi. Cette longue et noble lignée s'achevait et recommençait avec moi. Je souffrais de ne pouvoir les remercier et de savoir qu'ils ne connaîtraient jamais le fruit de leurs sacrifices. » (Un long chemin vers la liberté, p. 752)
Sy Hamdou
Paris-France
Samedi le 28 octobre 2006
Par Hamdou Rabby SY- Philosophe
Paris-France
Je remercie le Comité de base BA Abdoul Ghoudouss à Massy de m'avoir invité à une prise de parole à l'occasion de cette journée où il s'agit de rendre un hommage à nos martyrs, à nos combattants de la liberté, morts pour avoir dénoncé le racisme érigé en système dans notre pays depuis plusieurs décennies. Il convient de mesurer l'importance que revêt le souvenir des morts pour une cause juste dans la construction de l'imaginaire politique d'une société d'autant que l'actualité semble suggérer l'oubli de tous ceux dont les noms peuvent rappeler la dramatique et chaotique situation que vit la communauté négro-africaine en Mauritanie.
Parler de nos martyrs, c'est en un sens, refuser de céder à la tentation de la suspension, de l'oubli et de la dénégation de la réalité effective d'une logique d'oppression et d'exclusion qui ne fait que s'approfondir en utilisant des masques et des détours afin d'occulter la cruauté des faits dont l'avoir eu lieu ne peut plus s'effacer. Evoquer nos martyrs, c'est prendre le risque de remettre au goût du jour des blessures, des douleurs et des souffrances dont la persistance relève de deuils impossibles dans la mesure où les morts en plus d'être morts injustement et arbitrairement ne sont pas reconnus officiellement comme tels et demeurent encore sans sépulture. De ce fait, ces morts sont terriblement absents parce que disparus dans ce vaste désert qui a perdu sa vocation d'espace infini pour la méditation et le recueillement et transformé par une décision politique criminelle en cimetière non identifiable. Entre l'émotion et la raison, la révolte et l'engagement, la colère et la sérénité, il n'y a pas de choix à faire, mais de conjonction pour ne pas s'enfermer dans une sorte de relation binaire où l'exclusive est souvent la stratégie de la fuite dans un sens comme dans l'autre.
Partant l'hommage à nos morts s'impose comme une exigence de respect des vies qui, en s'insurgeant contre le racisme d'Etat, se sont sacrifiées pour que la dignité de l'homme noir opprimé soit un jour reconnue dans notre pays.
1- Le contexte : rappel de quelques faits marquants
Des dates et des événements ont marqué l'histoire politique de la Mauritanie qui est dominée par des faits et des gestes d'une construction idéologique et politique qui repose sur une volonté constante de la dénégation de l'autre parce que marqué par une couleur, une langue et une culture qui ne correspondent pas à l'idéal de communauté nationale dessinée par le nationalisme arabe mauritanien. Jusqu'à aujourd'hui, la constance de cette volonté n'a pas entamé les hésitations de certains quant au caractère de ce dessein qui s'est traduit par une configuration sociopolitique raciste qui n'entretient aucun mystère.
Nous avions toujours affirmé et répété que le mérite de Ould Taya est d'avoir clairement exposé sa volonté d'édifier un Etat raciste qui ne s'encombre pas de précautions diplomatiques pour fédérer les élus et les privilégiés du système qu'il a développé dont il n'est pas le seul bâtisseur.
Certes, c'est sous le régime de Ould Taya que les militants des Forces de Libération africaines de Mauritanie furent arrêtés, en septembre 1986, dont certains furent torturés à mort. Cet événement fut le point de départ d'une politique de répression sans précédent dans l'histoire politique de la Mauritanie. Cependant, le passé n'était pas exempt de négationnisme pour ceux qui ont la mémoire des événements de 1966 et des grèves de 1979. La suite de cette politique est connue : exécution des trois officiers négro-africains le 06 décembre 1987 : BA Seydi, Sarr Amadou et Sy Saïdou. Cette fin d'année 1987 et l'année 1988 furent les périodes les plus terribles pour la communauté négro-africaine par la férocité de la répression et la terreur absolue qui régnait dans la vallée.
2- Le règne de la Terreur absolue
C'est la période où les populations de la vallée n'avaient comme mode d'expression que le murmure dans le silence et les pleurs. Il était même devenu périlleux de pleurer les morts parce que l'auteur était l'autorité administrative, militaire ou policière. Le travail de l'armée, de la police et de l'administration se résumait aux activités suivantes : faire la ronde au bord du fleuve, autour des villages pour arrêter, emprisonner, torturer, massacrer et assassiner. La condition humaine du négro-africain était devenue inhumaine, insupportable, insoutenable et invivable au point qu'une vision misérable de soi s'est propagée et s'est traduite par une certaine forme de culpabilité. Dans cette histoire, le drame devint plus insoutenable quand les victimes elles-mêmes dans certains cas se mirent par lâcheté, peur ou opportunisme à être au service de leurs bourreaux. Je ne citerai pas par pudeur les formes d'humiliation que la communauté négro-africaine a vécues comme pour briser toute forme de fierté et d'amour propre.
En effet, une logique de haine justifia ainsi une folie meurtrière avec la mise en place d'une machine de guerre disproportionnée et démesurée quand on sait que les victimes ne sont que des populations qui n'ont comme armes que leur houe ou leur hache pour cultiver leur champ. Non contentes d'humilier, d'agenouiller et de massacrer, les autorités mauritaniennes pour aller jusqu'au bout de leurs fantasmes, provoquèrent des incidents entre le Sénégal et la Mauritanie pour trouver le prétexte d'en finir avec la composante négro-africaine du pays, d'où ce qu'il est convenu d'appeler « les événements de 1989 » qui, en fait, ne concernaient que des citoyens Mauritaniens noirs. Des journées terribles avec des actes atroces de massacres sauvages et barbares avec comme culmination les déportations se déroulèrent avec une sorte d'hystérie collective où l'appartenance à une même nationalité n'avait plus de sens.
Ceux qui doutent encore de l'existence du racisme en Mauritanie qu'ils nous disent en quoi consiste le racisme quand l'extermination des négro-africains du fait de leur couleur et de leur langue et culture ne peut être qualifiée comme raciste ? Ceux qui reprochent aux morts d'avoir dénoncé le système, que reprochent-ils aux innocents tués au bord du fleuve, en voyage, dans leur champ de culture ou simplement surpris dans la nuit chez eux et exécutés dans des bases militaires ? De quoi sommes-nous coupables finalement ? D'avoir compté parmi nous des hommes et des femmes qui ont dit non à l'humiliation, à l'injustice, à l'oppression et au racisme. Pour avoir engagé un front de refus, ceux que nous appelons nos martyrs sont morts à Oualata, à Inal, à Azlat et un peu partout dans la vallée et dans le désert. Tène Youssouf Guèye, Djigo Tapsirou, BA Alassane, Ba Abdoul Ghoudouss, la liste est longue.
3- Le temps de l'exil
D'autres sont morts en exil, dans les camps de fortune au Sénégal et au Mali. D'autres sont encore entre la vie et la mort ; vies suspendues, histoires immobilisées, mémoires figées.Et, d'autres aussi, leur destin a été confisqué et leurs rêves brisés. Au fond, la déportation et l'exil ont mis fin à des carrières radieuses, prometteuses, pour certaines brillantes parce qu'elles avaient commencé avec feu et flamme et pour cette raison interrompues pour ne pas vivre simplement le bonheur d'être chez soi, de vivre avec ses parents, ses frères et s½urs, ses neveux et nièces, ses amis, ses camarades d'enfance, de promotion, les gens de son village, ses compatriotes. Privé de la possibilité de vivre dans son environnement naturel, le négro-africain opprimé, persécuté, nié, méprisé et ahuri a pris le chemin de l'exil intérieur d'abord, ensuite extérieur.
On oublie souvent que l'exil commence toujours par l'intérieur à travers l'épreuve du soupçon et des accusations que les uns portent sur les autres ne se faisant plus confiance, brouillés entre eux-mêmes par l'action néfaste de la terreur et de la répression. Le réflexe de peur aiguisant l'instinct de conservation se mue alors en stratégie de préservation de soi et des siens condamnant au silence et au murmure avec comme conséquence la rupture des liens sociaux et la communication vivante entre proches et voisins. Il en découle un traumatisme qui se manifeste par un brouillage chronique des repères et un dégoût généralisé de ne pas pouvoir se sentir chez soi dans sa maison, son village et son pays. Le négro-africain est ainsi devenu un étranger dans son propre pays, étranger à soi et à ses proches. D'où l'exil extérieur, considéré comme porteur de salut.
En un sens l'exil est salutaire dans la mesure où il éloigne l'opprimé de l'horizon où il était à la merci du bourreau. Il se repose des nuits hantées de cauchemars et des pleurs de ses proches éplorés par la disparition d'un être cher qui embarqué seul pour un voyage sans retour. L'exilé bénéficie au moins de la condition humaine reconnue à tous les humains qui lui est refusée chez lui. Ceux qui étaient censés le protéger incarnent réellement le danger de mort, l'insécurité, le potentiel plus que réel de disparition et d'humiliation.
Mais l'exil, c'est aussi la confrontation permanente avec son passé, un présent de suspension, une existence dans la frénésie de l'ailleurs devenu ici. Pour l'exilé, l'ici natal est devenu l'ailleurs éloigné et qui recule dans le temps parce que la fin tarde à venir. D'où la nostalgie des moments de vraie convivialité et de chaleur familiale qui plonge l'exilé dans une mélancolie innommable.
4- Le 03 août 2005 : un événement obscur ou une transition simulée
Il y a eu l'illusion d'un 03 août plus obscur que clair en ce sens qu'il s'est agi de la prise de pouvoir d'une clique qui a remplacé une autre, toutes deux faisant partie d'une même bande donc, ayant le même engagement, la même profession de foi. Ould Taya et Ely ould Mohamed Vall poursuivent le même combat : instaurer un régime viable pour une composante au détriment de la communauté négro-africaine. Les agissements, les agitations et l'activisme de l'heure ne sont conçus que pour divertir ceux et celles qui aspirent à un changement réel et non illusoire.
Le 03 août 2005, il ne s'est rien passé sinon qu'un puissant Directeur de la Sûreté a pris la place du tyran qu'il a servi avec loyauté durant les années de Terreur absolue. Comment Ely peut-il incarner un projet de transition démocratique, lui, qui a conduit avec cruauté la répression, la torture et les massacres durant le règne sanguinaire de Ould Taya ? La Mauritanie serait-elle ce pays qui, par miracle, des dictateurs peuvent se muer en démocrates comme l'avait dit un jour un de nos officiers illuminé que « tous les militaires sont démocrates » ? Une telle naïveté frise l'irresponsabilité qui explique la facilité avec laquelle on innocente des criminels pour se donner bonne conscience. Les turbulences du comité militaire en place fût-il au service de la justice et de la démocratie ne doivent pas divertir les damnés de la terre qui sont encore promus à la souffrance. Les différentes déclarations de Ely sont sans ambiguïté dans la mesure où il continue à dire que le retour des déportés n'est pas sa priorité, mieux à ne pas les reconnaître. Les négro-africains de Mauritanie comme leurs frères Haratines ont un long chemin à faire pour parvenir à la dignité retrouvée et assumer leur citoyenneté avec plénitude. La Mauritanie de Oul Vall est la même que celle de Taya qui était aussi celle de Vall, d'où la continuité.
Devant la fureur de la répression, de l'exclusion et de la négation, des gestes forts, symboliquement pouvaient annoncer des lendemains qui chantent. Mais au regard de l'entêtement et de la persistance dans la négation des morts et des déportés, il est de notre devoir de continuer à résister, à s'opposer jusqu'au dernier souffle contre l'entreprise de mise à l'écart de la communauté négro-africaine. C'est dans ce sens que l'hommage à nos morts signifie d'abord, ne pas banaliser le sacrifice de leurs vies par la fidélité au combat pour lequel ils sont morts. Une société qui ne respecte pas la mémoire de ses morts ne peut pas incarner le défi de la préservation de son passé et encore moins se projeter dans l'avenir. Ils sont morts pour avoir osé dire non au racisme, à l'exclusion et à l'injustice, les honorer est un devoir par la continuation du combat. En aucun cas, l'actuel chef de l'Etat, ne peut justifier la renonciation aux exigences de revendication de la justice, de l'égalité et de la démocratie. L'heure n'est pas à la diversion, mais à la vigilance et à la mobilisation contre les tentations de la démission et du fatalisme. Rien ne justifie que nous renoncions à notre radicalité de principe tant que la justice et le droit ne constituent pas les fondements du pouvoir en Mauritanie. Tant que notre citoyenneté n'est pas reconnue sur la base d'un Etat de droit, nous nous mobiliserons tous les jours pour combattre et dénoncer la farce que Ely est entrain d'organiser dans les prochains mois.
5- Quel sens faut-il donner au combat de nos martyrs ?
C'est ainsi qu'il faut rendre hommage à nos martyrs et saisir le sens de leur combat. Aux souffrances et aux larmes, nous devons substituer la fidélité et la persévérance dans une tradition de combat et d'opposition. Parce qu'il y a eu des morts, nous ne pouvons, ni ne devons abdiquer. Notre mission est de libérer notre pays de l'obscurantisme et du racisme qui constituent encore les racines du système dont l'héritier aujourd'hui s'appelle Ely ould Mohamed Vall. Notre combat pour la liberté et pour la dignité ne peut se satisfaire des humeurs passagères d'une clique qui a toujours été au pouvoir en étant au service d'une tyrannie raciste et sanguinaire.
Plus que jamais, nous devons nous armer de patience, de lucidité et de raison pour continuer l'exigence de combat afin de parvenir à la victoire de la justice contre l'injustice, de la liberté contre la servitude, de la vérité contre le mensonge, du droit contre l'arbitraire, de la dignité contre l'humiliation, de l'humanité contre l'animalité, du progrès contre l'arriération et enfin de la civilisation contre la barbarie. Car notre pays est depuis toujours sous le règne de la barbarie et du racisme. Il nous faut mériter encore le droit de revendiquer l'héritage qui nous a été légué par nos prédécesseurs qui n'ont pas démérité en sacrifiant leurs vies au profit du droit de tout un ensemble humain nié dans son existence et dans son droit à la vie dans son propre pays.
Je voudrais terminer mon propos en citant cette parole de Nelson Mandela pour en retenir le message d'espoir qui en affleure : « Ce jour était le résultat des incroyables sacrifices de milliers d'hommes et de femmes, de gens dont le courage et les souffrances ne seraient jamais ni comptés ni remboursés. Ce jour-là, comme tant d'autres fois, j'ai ressenti que je n'étais que la somme de tous ces patriotes africains disparus avant moi. Cette longue et noble lignée s'achevait et recommençait avec moi. Je souffrais de ne pouvoir les remercier et de savoir qu'ils ne connaîtraient jamais le fruit de leurs sacrifices. » (Un long chemin vers la liberté, p. 752)
Sy Hamdou
Paris-France
Samedi le 28 octobre 2006