L´APPEL DU MANIFESTE DU NÉGRO-MAURITANIEN OPPRIMÉ
A l'issue de cette longue mais nécessaire analyse de la situation actuelle des Noirs en Mauritanie, quelles remarques pouvons-nous faire par rapport à celle de 1966, date à laquelle le document d'introduction a été écrit : Quatre essentiellement :
- le caractère très actuel du "manifeste des 19", malgré les vingt (20) années passées.
- la dangereuse et inquiétante dégradation de la situation des Négro-mauritaniens dans tous les domaines de la vie politique, économique, culturelle et sociale ;
- les craintes formulées dans le "Manifeste" n'ont jamais été prises en considération par les régimes beydanes qui, au contraire, se sont évertués à satisfaire les revendications culturelles et économiques respectivement des intellectuels et de la bourgeoisie- compradore arabo-berbères ;
- cette absence d'équilibre nous conduit à la conclusion catégorique que la classe politique qui a dirigé la Mauritanie depuis 1957 n'a jamais cru réellement à l'Unité Nationale.
A la lumière de ce qui a été analysé, on se demande comment on peut donc parler d'Unité Nationale en Mauritanie, alors que les principes directeurs de l'Etat Unitaire sont bafoués par un Système qui s'est toujours préoccupé de défendre les intérêts d'une nationalité racio-culturelle (arabo-berbère) au détriment des autres (sooninke, haratine, bambara, haal-pulaar et wolof). Le refus de résoudre correctement les problèmes de la coexistence politique et économique des deux communautés raciales, sous le prétexte de préserver une "Mauritanie Unitaire" engendre petit à petit dans la conscience des Négro-mauritaniens un doute sur le principe même de l'Etat Unitaire.
Les Négro-mauritaniens, et particulièrement leurs "dirigeants" ( politiciens, bourgeois-comprador es, intellectuels, cadres administratifs, etc) sont historiquement responsables de leur situation de dominés. Face à une oppression qui se développe et se généralise, ils ont souvent choisi le refuge dans les solutions de facilité à la lutte, avec la formule : " j'en suis conscient, mais je n'y peux rien".
Alors on se réfugie dans :
- les confréries religieuses et le wird
- l'apolitisme,
- le carriérisme, et de plus en plus, l'exil dans les organismes internationaux (ce qui est à la mode),
- l'alcool, la drogue, les jeux du hasard et la luxure,
- les théories idéalistes et délirantes du M"N"D (Mouvement "National" Démocratique) qui prétendent que la Question Nationale est une question très secondaire par rapport à la lutte générale que mène le "peuple" mauritanien contre l'impérialisme français en particulier. Ce mouvement estime que le problème des Noirs en Mauritanie se réglera de lui-même après la libération de ce pays du joug de la "coalition impérialo-féodale" , et qu'il est inutile d'insister sur la spécificité de l'oppression négro-mauritanienne. Ces thèses nous rappellent étrangement celles du Parti Socialiste Révolutionnaire Juif (le Bund), des Trotski, Boukhanine et autres sur la Question Juive en Russie. Mais la tradition antisémite violente et séculaire des Russes a eu raison de ces thèses marxistes-léninistes .
Chacun essaie donc de se créer un univers de refuge (religion, carrière, idéalisme politique, etc) où il peut oublier de temps en temps sa ration quotidienne d'exactions du seul fait de sa race (noire) et de sa non appartenance à la culture arabe !!!
L'avenir de la Communauté Noire en Mauritanie dépendra de la solution qu'elle donnera elle-même à cette situation. Elle ne devra compter que sur se propre volonté de mettre fin à l'oppression du Système beydane. Nous pensons que la clef du problème pour les Noirs et pour l'avenir de la Mauritanie toute entière réside fondamentalement dans la destruction du Système beydane et de l'instauration d'un système politique juste, égalitaire auquel s'identifieront toutes les composantes actuelles du pays.
Pour cela, il faudrait que tous les véritables nationalistes mauritaniens (Noirs et Arabo-berbères) , épris de paix, de justice et soucieux de voir instaurer une Unité Nationale véritable, acceptent de s'unir afin que tous ensembles combattent pour la suppression de ce système raciste, chauvin, aussi pernicieux que l'Apartheid.
Car cela est possible. Il faudrait que le Négro-mauritanien comprenne qu'il ne doit pas s'insurger contre le Beydane en soi, mais contre l'appareil d'Etat arabo-berbère raciste et oppresseur, afin que Blancs et Noirs puissent enfin dialoguer à égalité, se battre ensemble pour des lendemains plus certains.
Que le chauvinisme et l'hégémonie du monde arabe ne viennent pas aggraver nos contradictions, en épaulant une communauté raciale, la leur, contre une autre (les Noirs). Si tous les Mauritaniens sont musulmans, ils ne sont pas tous arabes, autant que les Kabyles, les Perses, les Turcs ou les Kurdes.
Les problèmes mauritaniens doivent être posés par des Mauritaniens, discutés entre Mauritaniens et solutionnés par les Mauritaniens eux-mêmes. Notre amour pour ce pays nous commande à inviter toutes nos nationalités à un dialogue des races et des cultures, dans lequel nous nous dirons la Vérité pour guérir nos maux.
Il faut que nous traduisons dans la réalité nos appels au Salut National et au Redressement de notre pays, au lieu de dépenser toutes nos ressources et toutes nos potentialités humaines dans des querelles raciales et culturelles dont les principaux bénéficiaires ne seraient certainement pas les Mauritaniens.
LES FLAM- AVRIL 1986