Ce 28 novembre, comme depuis 22 ans, des Mauritaniens regarderont encore dans des directions opposées. Tandis que les uns célèbreront l'anniversaire de l'accession du pays à l'indépendance, d'autres porteront le deuil des militaires noirs pendus par leurs frères d'armes le 27 novembre 1990. Le douloureux souvenir de ce calvaire a été relaté par le menu dans l'enfer d'Inal, Mauritanie l'horreur des camps* dont l'auteur, Sy Mahamadou est un véritable miraculé. Dans quel cerveau a donc bien pu germer une idée pareille ?
Sélectionner par tirage au sort 28 noirs Mauritaniens pour célébrer la fête de l'indépendance ? 28 ! Un pour chaque jour de ce mois de novembre jusqu'à la proclamation de l'indépendance ! J'imagine la scène. Des officiers chauvins se réunissant et rivalisant d?imagination sur la meilleure façon de rendre hommage à la Nation. Dans l?exaltation générale quelqu'un soumettant l'idée lumineuse.
Quelqu'un d'autre dans le groupe a-t-il pensé à rappeler que ceux dont le sort venait d'être scellé à leur insu étaient des soldats ayant fait le serment de défendre la patrie au prix de leurs vies ? Qu'il s?agissait de Mauritaniens, musulmans, innocents ? Que l'acte qui allait leur ôter la vie relevait de l'arbitraire aucune condamnation n'ayant été prononcée contre eux ? C'eut été trop beau pour le genre humain. Hélas ! La parole fut laissée cette nuit-là à la bêtise et à l'ignominie. Pas âme qui vive pour s'y opposer. L'un après l'autre, les 28 ont été pendus. D'autres furent tués la même nuit, pour compléter la liste et assouvir l'instinct animal qui sommeille en chacun de nous. Mais à la différence des 28, on ne sait pas à la gloire de quel événement les derniers furent sauvagement assassinés. Toujours est-il qu'en s'engageant dans l'armée mauritanienne, ils avaient sans doute imaginé toutes sortes de scenarii de leur propre mort mais jamais, même dans leurs pires cauchemars, ils n'ont imaginé celui-là : être pendus par leurs frères d'armes. C'est que la formule frère d'armes avait un sens dans l'armée. Chaque soldat apprend à faire confiance à l'autre, à mettre en partie sa vie entre ses mains. Ils apprennent chacun à avancer vers l'ennemi en déjouant ses plans. Ils se préoccupent des balles qui peuvent leur venir de l'avant. Dans le dos, en principe, il n'y a rien à craindre. Sauf quand la bête immonde est assoiffé de sang fraternel. Ce fut dans une caserne de l'armée nationale. Ceux qui ont été pendus ont été sélectionnés par d'autres soldats Mauritaniens.
Or non seulement il n'y a à ce jour pas eu de sanction, mais une loi d'amnistie est venue absoudre les auteurs de ces crimes abjects. Certains parmi ceux sur qui pèsent les plus graves accusations sont encore aux affaires au sein de notre armée. Comment parler d'Unité nationale dans ces conditions ? La fête d'indépendance qui voyait des Mauritaniens s'emplir les yeux de larmes de soulagement et de joie devra désormais en compter d'autres : ceux-là auront les yeux embués de larmes de douleurs en souvenir des leurs lâchement assassinés. D'autres enfin, pleureront d'un ?il les êtres perdus et de l'autre l?indépendance, symbole du départ du colonisateur.
Au-delà de la barrière raciale, de nombreuses voix se sont élevées contre cette barbarie. Il y eut celle de l'imam Bouddah Ould Bouceiry. D'autres ont prononcé des sermons pour interdire le recel de biens spoliés. Il y en a certainement beaucoup d'autres frères Justes parmi les Justes, injustement restés anonymes. Leur exemple doit être porté à la connaissance de l'opinion pour que seuls les coupables paient et que des innocents ne pâtissent pas des crimes commis par une poignée d'illuminés. Il faut éviter que ceux-ci continuent de prendre en otage la Nation. Il ne faut pas leur permettre de jouir d'une solidarité mécanique en surfant sur la vague de la menace contre l'ensemble au nom duquel -mais, précision importante, sans son avis- ils ont commis l'innommable. Il faut que les voix de la révolte au sein de l'ensemble de la population mauritanienne s'expriment avec suffisamment de forces pour déchirer ce voile de la honte qui couvre un crime aussi abominable. Il faut que l'indignation se fasse plus forte pour exiger que la lumière soit faite sur la chaine des responsabilités ; afin qu'on sache qui a ordonné ? Qui a planifié ? Qui a exécuté ? Il faut que cesse cette conspiration du silence qui tend à faire croire qu'avec le temps les plaies guériront d'elles-mêmes et que les douleurs s'estomperont. Aucune paix durable ne peut prospérer sur les terres stériles du déni. On a beau retarder l'échéance, mais au bout du compte on se retrouvera avec un champ de cailloux. Et l'obligation quand même de dire le droit et la vérité.
Abdoulaye DIAGANA
* SY Mahamadou, L'enfer d'Inal, Mauritanie, l'horreur des camps, l'Harmattan, septembre 2000, 186 pages
Source: Kassataya
Sélectionner par tirage au sort 28 noirs Mauritaniens pour célébrer la fête de l'indépendance ? 28 ! Un pour chaque jour de ce mois de novembre jusqu'à la proclamation de l'indépendance ! J'imagine la scène. Des officiers chauvins se réunissant et rivalisant d?imagination sur la meilleure façon de rendre hommage à la Nation. Dans l?exaltation générale quelqu'un soumettant l'idée lumineuse.
Quelqu'un d'autre dans le groupe a-t-il pensé à rappeler que ceux dont le sort venait d'être scellé à leur insu étaient des soldats ayant fait le serment de défendre la patrie au prix de leurs vies ? Qu'il s?agissait de Mauritaniens, musulmans, innocents ? Que l'acte qui allait leur ôter la vie relevait de l'arbitraire aucune condamnation n'ayant été prononcée contre eux ? C'eut été trop beau pour le genre humain. Hélas ! La parole fut laissée cette nuit-là à la bêtise et à l'ignominie. Pas âme qui vive pour s'y opposer. L'un après l'autre, les 28 ont été pendus. D'autres furent tués la même nuit, pour compléter la liste et assouvir l'instinct animal qui sommeille en chacun de nous. Mais à la différence des 28, on ne sait pas à la gloire de quel événement les derniers furent sauvagement assassinés. Toujours est-il qu'en s'engageant dans l'armée mauritanienne, ils avaient sans doute imaginé toutes sortes de scenarii de leur propre mort mais jamais, même dans leurs pires cauchemars, ils n'ont imaginé celui-là : être pendus par leurs frères d'armes. C'est que la formule frère d'armes avait un sens dans l'armée. Chaque soldat apprend à faire confiance à l'autre, à mettre en partie sa vie entre ses mains. Ils apprennent chacun à avancer vers l'ennemi en déjouant ses plans. Ils se préoccupent des balles qui peuvent leur venir de l'avant. Dans le dos, en principe, il n'y a rien à craindre. Sauf quand la bête immonde est assoiffé de sang fraternel. Ce fut dans une caserne de l'armée nationale. Ceux qui ont été pendus ont été sélectionnés par d'autres soldats Mauritaniens.
Or non seulement il n'y a à ce jour pas eu de sanction, mais une loi d'amnistie est venue absoudre les auteurs de ces crimes abjects. Certains parmi ceux sur qui pèsent les plus graves accusations sont encore aux affaires au sein de notre armée. Comment parler d'Unité nationale dans ces conditions ? La fête d'indépendance qui voyait des Mauritaniens s'emplir les yeux de larmes de soulagement et de joie devra désormais en compter d'autres : ceux-là auront les yeux embués de larmes de douleurs en souvenir des leurs lâchement assassinés. D'autres enfin, pleureront d'un ?il les êtres perdus et de l'autre l?indépendance, symbole du départ du colonisateur.
Au-delà de la barrière raciale, de nombreuses voix se sont élevées contre cette barbarie. Il y eut celle de l'imam Bouddah Ould Bouceiry. D'autres ont prononcé des sermons pour interdire le recel de biens spoliés. Il y en a certainement beaucoup d'autres frères Justes parmi les Justes, injustement restés anonymes. Leur exemple doit être porté à la connaissance de l'opinion pour que seuls les coupables paient et que des innocents ne pâtissent pas des crimes commis par une poignée d'illuminés. Il faut éviter que ceux-ci continuent de prendre en otage la Nation. Il ne faut pas leur permettre de jouir d'une solidarité mécanique en surfant sur la vague de la menace contre l'ensemble au nom duquel -mais, précision importante, sans son avis- ils ont commis l'innommable. Il faut que les voix de la révolte au sein de l'ensemble de la population mauritanienne s'expriment avec suffisamment de forces pour déchirer ce voile de la honte qui couvre un crime aussi abominable. Il faut que l'indignation se fasse plus forte pour exiger que la lumière soit faite sur la chaine des responsabilités ; afin qu'on sache qui a ordonné ? Qui a planifié ? Qui a exécuté ? Il faut que cesse cette conspiration du silence qui tend à faire croire qu'avec le temps les plaies guériront d'elles-mêmes et que les douleurs s'estomperont. Aucune paix durable ne peut prospérer sur les terres stériles du déni. On a beau retarder l'échéance, mais au bout du compte on se retrouvera avec un champ de cailloux. Et l'obligation quand même de dire le droit et la vérité.
Abdoulaye DIAGANA
* SY Mahamadou, L'enfer d'Inal, Mauritanie, l'horreur des camps, l'Harmattan, septembre 2000, 186 pages
Source: Kassataya