Ely Ould MohamedVALL (Président du conseil militaire pour la justice et la démocratie) : Pourquoi l'Etat mauritanien remet en cause les avenants au contrat avec Woodside
Plus de sept mois passés à la tête de l'Etat mauritanien n'ont pas changé l'actuel homme fort de de la République islamique de Mauritanie. Ceux qui ont connu hier le tombeur de Maouiya Ould Sid'Ahmed Taya sont formels. Trouvé vendredi dernier dans un palais présidentiel sobrement meublé, un portable qu'on confondrait aisément à un talkie-walkie (tellement il est énorme) toujours à portée de main, Ely Ould Mohamed Vall ne connaît pas la langue de bois. Ne lui parlez surtout pas de ce contentieux qui oppose l'Etat mauritanien à la société autralienne Woodside à propos de l'exploitation du pétrole non loin de Nouakchott parce qu'il peut en parler longuement, tellement la question le passionne. En fait, l'homme qui a renversé le régime d'Ould Taya, ne peut accepter que son pays ait été 'spolié' à ce point de sommes aussi faramineuses. Et il revient largement, dans l'entretien qu'il nous a accordé, en exclusivité, dans son palais où il nous a reçus à sa table, sur les dessous de cette affaire Woodside et justifie l'attitude de l'Etat mauritanien. Ely Ould Mohamed Vall, évoque, en outre, la période de transition enclenchée en Mauritanie et assure que le calendrier électoral sera strictement respecté, mais aussi et surtout qu'il ne se présentera pas aux élections. Le chef de l'Etat mauritanien parle également, entre autres sujets, de la situation politique dans son pays et avoue que la Mauritanie ne peut pas accepter un parti islamiste, ni le tolérer. Il revient aussi de long en large sur la situation des réfugiés mauritaniens au Sénégal, nous entretient sur son enfance à Louga et ses rapports avec la langue wolof. Entretien.
Wal Fadjri : Où en êtes-vous avec l'affaire Woodside, du nom de la société qui exploite le pétrole mauritanien ?
Ely Ould Mohamed Vall : Nous sommes actuellement dans la phase des discussions, à la recherche d'un règlement à l'amiable. Et les discussions sont en train de se poursuivre. Nous souhaitons en tout cas que cette affaire se règle à l'amiable.
Wal Fadjri : Comment tout cela est arrivé ?
Ely Ould Mohamed Vall : Tout a commencé quand nous avons découvert qu'au-delà du contrat initial qui nous liait à la société Woodside, cette dernière se prévalait de quatre avenants à ce contrat. Et ces avenants dont nous n'avions pas eu connaissance officiellement, modifiaient de façon radicale l'ensemble de la donne du contrat initial aux dépens de l'Etat mauritanien et au profit de la société Woodside. A partir de cet instant, nous avons immédiatement saisi cette société et nous nous sommes posé des questions pour savoir d'où venaient ces avenants. Et quand nous avons procédé à une enquête, nous nous sommes aperçus que ces avenants avaient été pris dans des conditions de totale illégalité et que, par conséquent, ils ne sont pas opposables à l'Etat mauritanien. Nous avons, alors, saisi la société en question et nous lui avons signifié que ces avenants n'étaient pas opposables à la Mauritanie. Dès lors, elle ne saurait ni les accepter ni travailler avec elle sur cette base. Nous lui avons notifié que la Mauritanie ne se référait qu'au contrat initial et qu'il lui appartenait d'en tirer les conséquences.
Wal Fadjri : La faute incombe-t-elle à votre prédécesseur ou à Woodside ? Dans le premier cas de figure, n'y a-t-il pas continuité de l'Etat ?
Ely Ould Mohamed Vall : Mais ne sont opposables à l'Etat que les décisions et mesures prises dans les formes légales. S'agissant de ces quatre avenants, ils ont été pris dans l'illégalité la plus absolue. Et ils n'ont suivi aucune procédure légale en Mauritanie. Ils n'ont pas respecté la loi mauritanienne dont relève ce genre de contrats. Et dans la mesure où ils n'ont pas respecté les procédures de la loi mauritanienne, je dis qu'ils sont illégaux et ne sont pas opposables à la Mauritanie.
Wal Fadjri : Mais vous vous attaquez quand même à très forte partie puisque Woodside est une multinationale...
Ely Ould Mohamed Vall : Je ne sais pas ce à quoi je m'attaque, cela m'importe très peu. Ce que je sais, c'est que nous avons été spoliés sur la base de documents que nous considérons comme illégaux. Dans ces conditions, nous ne saurons ni les accepter et ni travailler avec la société en question sur cette base.
Wal Fadjri : Mais qu'est-ce que perd la Mauritanie dans cette affaire ?
Ely Ould Mohamed Vall : Elle perd beaucoup dans cette affaire. Ces avenants ont modifié substantiellement l'ensemble de la contexture du contrat initial. Et cela aussi bien sur le plan financier, sur le plan des impôts, que de l'environnement... Ce sont des modifications qui touchent à tous les domaines du contrat lui-même. Par conséquent, le préjudice est énorme pour la Mauritanie parce que le manque à gagner est énorme pour le pays.
Wal Fadjri : Ces avenants remettent-ils en cause la quote-part qui revient à la Mauritanie sur l'exploitation du pétrole ?
Ely Ould Mohamed Vall : Tout à fait, ils remettent en cause de façon très substantielle la quote-part de la Mauritanie sur chaque baril de pétrole exploité. Ils remettent aussi en cause les impôts à payer par la société ainsi que beaucoup d'autres choses. En fait, ils touchent de façon très substantielle à ce que la Mauritanie pouvait escompter à partir du contrat initial signé avec Woodside.
Wal Fadjri : Parlons à présent de la gestion du pétrole. L'or noir va, sans doute, bouleverser les habitudes des Mauritaniens. Mais ce pétrole n'ira-t-il pas, comme d'habitude, à une élite au détriment du bas peuple ?
Ely Ould Mohamed Vall : Cela m'étonnerait parce que toutes les dispositions ont été prises afin que l'Etat mauritanien ne devient pas un Etat rentier. Cela veut dire que, premièrement, le pétrole sera géré dans la transparence la plus absolue. Ce qui veut dire que chaque Mauritanien saura chaque dollar qui est rentré dans le pays, saura exactement les montants qui ont été générés par le pétrole. Il saura ceux qui ont été budgétisés et la manière dont ils ont été dépensés et ceux qui ont été mis en réserve pour les générations futures parce qu'une quote-part dévolue à ces générations futures sera prévue dans le cadre de la gestion du pétrole.
Wal Fadjri : N'êtes-vous pas encore sous l'euphorie de la découverte du pétrole ?
Ely Ould Mohamed Vall : Non, ce n'est pas l'euphorie. Nous sommes tout à fait conscients qu'il faut à tout prix éviter que le pétrole ne soit pas un élément de développement. Au contraire, il faut qu'il soit un élément de développement. Cela veut dire que nous devons orienter les ressources en provenance du pétrole vers des secteurs de développement que sont l'agriculture, les infrastructures, l'ensemble des investissements de développement. Elles ne doivent pas être une sorte de rente pour l'Etat avec lesquelles il paye ses fonctionnaires, il paye ses armes, ses chars et se recroqueville sur lui tranquillement. Si l'on veut développer la Mauritanie par le pétrole, il faut envisager les choses dans cette perspective-là et non pas dans une autre. Comme je le dis, il doit être géré dans la transparence. Si nous ne le gérons pas dans la transparence la plus absolue, ça peut être très dangereux. Parce qu'il peut être monopolisé par une minorité d'affairistes, de pouvoiristes et, à partir de ce moment, ça deviendra un véritable malheur pour le pays. Par contre, si on inscrit les choses dans un autre sens, nous pourrons parfaitement en faire un outil utile pour notre pays, un outil de développement beaucoup plus qu'un outil qui peut être monopolisé par des groupes restreints. C'est cela qu'il faut éviter. Et on ne peut l'éviter qu'en prenant un certain nombre de mesures et toutes ces mesures ont été prises.
Wal Fadjri : De quelles mesures s'agit-il ?
Ely Ould Mohamed Vall : La première des mesures est que le pays s'est inscrit à toutes les initiatives internationales de transparence. Ce qui oblige les sociétés à déclarer chaque pétrodollar qui rentre dans le pays. Et l'Etat mauritanien est tout aussi obligé à déclarer tout ce qu'il reçoit comme pétrodollars. La seconde mesure consiste à promulguer une loi qui prévoit la répartition des retombées du pétrole en deux parts. La première part est budgétisée et destinée aux investissements et au budget de l'Etat. Elle devra donc prendre en compte l'ensemble des besoins de l'Etat. La deuxième partie est un fonds qui sera investi à l'extérieur et rémunéré. Il devra, par cette rémunération, créer de la richesse pour le pays. C'est ce qu'on appelle le fonds pour les générations futures. La troisième mesure, c'est la création d'une commission nationale qui sera représentative de l'ensemble de la société mauritanienne. Y seront représentés le gouvernement, le monde des affaires, les partis politiques, la société civile. Cette commission sera consultée obligatoirement sur l'ensemble de la gestion des mines et du pétrole....
Wal Fadjri : A côté de l'affaire Woodside, la démocratie en Mauritanie préoccupe. Tout un échéancier avait été mis en place pour l'organisation d'élections présidentielle, législative, sénatoriale et municipale. Ce calendrier sera-t-il respecté ?
Ely Ould Mohamed Vall : Parfaitement, le calendrier sera strictement respecté. Et l'ensemble des mesures qui sont de nature à concourir à son respect, ont été déjà prises. D'ailleurs, le calendrier lui-même est extrêmement précis parce que pour chaque élection, le jour, la date, le mois et l'année sont connus. En attendant, une Ceni tout à fait indépendante a été créée. Un recensement à vocation électorale placé à la fois sous le contrôle de la Ceni et du ministère de l'Intérieur qui vient pratiquement de se terminer. Il va se prolonger encore pendant une semaine ou deux pour être conforté. L'ensemble des moyens humains et matériels ont été dégagés. Il n'y a absolument pas de raison que cela ne se passe pas exactement comme cela a été arrêté.
Wal Fadjri :Serez-vous candidat à l'élection présidentielle ?
Ely Ould Mohamed Vall : Non certainement pas. Cette affaire a déjà été réglée parce que, dès le premier jour, nous avons dit que nous allions mener une transition de deux ans que nous avons réduite à dix-neuf mois. Et par une loi organique mauritanienne qui a été déjà votée, il a été décidé que le président et les membres du Conseil, le chef du gouvernement et les membres du gouvernement, ne peuvent se présenter à cette élection. Qu'en tout état de cause, ils ne peuvent ni créer un parti, ni en soutenir un. Par conséquent, je pense que c'est une affaire qui est largement derrière nous.
Wal Fadjri : Mais ne seriez-vous pas tenté de modifier cette loi pour vous présenter à l'élection présidentielle à l'image de François Bozizé en République de Centrafrique ?
Ely Ould Mohamed Vall : II est vrai qu'on peut défaire une loi de la manière qu'on l'a faite. Mais ce qui est important, c'est ce que nous avons dit nous-mêmes aux Mauritaniens. Nous leur avons déclaré qu'on ne se portera pas candidat. Au-delà de la loi, il y a notre propre parole qui a, pour nous, autant de valeur qu'une loi. Nous sommes tenus à la fois par une loi et par notre propre engagement devant les Mauritaniens.
Wal Fadjri :C'est pour quand les prochaines élections ?
Ely Ould Mohamed Vall : D'abord, le référendum sur la Constitution est prévu pour le mois de juin. Trois mois après, seront organisées les élections cumulées, municipales et législatives. Trois à quatre mois plus tard auront lieu les sénatoriales. Et dans à peu près douze à treize mois, ce sera la présidentielle prévue en mars 2007 qui clôturera le processus.
Wal Fadjri : C'est surchargé.
Ely Ould Mohamed Vall : Oui, suffisamment.
Wal Fadjri :Selon certains observateurs, vous suivez le plan de votre prédécesseur, en vous montrant insensible aux arguments de ceux qui veulent créer des partis islamistes ainsi exclus du processus démocratique. Pourquoi cette exclusion ?
Ely Ould Mohamed Vall : D'abord, comme je l'ai toujours dit, je n'ai jamais compris ce que ça veut dire être islamiste. Je peux comprendre ce que c'est un musulman, mais un islamiste, je ne peux pas comprendre jusqu'ici. Ce que j'ai toujours dit aux gens, c'est que la Mauritanie est République islamique depuis 1960, le moment de la proclamation de son indépendance. L'Islam est, pour nous, un élément d'unité, d'union, mais non un élément de désunion. Et qui dit parti, dit partisan. Et nous ne voulons pas qu'il y ait des partis ni de partisans en matière d'Islam chez nous. Tous les Mauritaniens sont musulmans et nous ne pouvons pas accepter que quiconque s'y adjuge le monopole de l'Islam. D'ailleurs, à partir du moment où un groupe s'adjuge l'Islam en tant que parti, qu'est-ce qui empêche tous les autres de se constituer en tant que partis. Nous sommes un pays où l'Islam a toujours été vécu d'une certaine manière, où tout le monde accepte que l'autre appartienne à tel ou tel tarikha, tolère l'autre. Et à partir du moment où on accepte que quelqu'un s'adjuge le droit d'avoir un parti islamiste, ça veut dire que chaque tarikha pourra devenir un parti islamiste, mais aussi chaque Madrasa, chaque Cheikh. Cela s'est passé dans certains pays qui se sont retrouvés dans des situations inextricables. Parce que, dans ce genre de situation, les conflits ne se résolvent pas politiquement, par la kalachnikov. Nous n'avons pas envie que notre pays résolve ses problèmes par la kalachnikov. C'est pourquoi nous ne pouvons pas accepter un parti islamiste, ni le tolérer chez nous. Nous sommes tous musulmans, nous appartenons tous à l'islam et au parti de l'Islam dont personne ne peut s'adjuger. Au-delà de cela, la Constitution mauritanienne est très explicite par rapport à cette situation. Elle dit en termes très clairs que personne ne peut s'adjuger le monopole de l'Islam. Par conséquent, si nous respectons la Constitution qui est notre référence, personne ne peut créer ici un parti islamiste. J'ai toujours du mal à comprendre comment, dans un pays comme la Mauritanie, on puisse songer à créer un parti au nom de l'Islam au détriment des autres musulmans. Cela n'a pas de sens.
Wal Fadjri : Parlons maintenant des réfugiés mauritaniens, même si vous refusez qu'on appelle réfugiés ces Mauritaniens qui ont trouvé refuge au Mali est au Sénégal...
Ely Ould Mohamed Vall : Mais je n'ai jamais refusé le terme réfugié. Ce que j'ai dit, est clair et net, il faut éviter de lui donner un autre sens. J'ai fait état de mes convictions personnelles, en déclarant que je ne pouvais pas comprendre qu'un Mauritanien puisse être réfugié au Sénégal ni qu'un Sénégalais puisse être réfugié en Mauritanie.
Wal Fadjri : Mais c'est à la suite d'un différend entre Etats...
Ely Ould Mohamed Vall : Oui, il y a eu un différend entre les Etats, mais ce différend est terminé en 1989. Et depuis 1989, des milliers de Mauritaniens traversent la frontière, de même que des milliers de Sénégalais. Pour moi, le problème n'est même pas là. C'est intellectuellement que j'ai du mal à voir un Mauritanien réfugié au Sénégal et vice-versa.
Wal Fadjri : Ce sont des Mauritaniens qui ont été maltraités chez eux à un moment donné et ont trouvé refuge au Sénégal...
Ely Ould Mohamed Vall : Ce que je dis est très clair. C'est un problème mauritano-mauritanien, quelle que soit sa nature, qu'il ne concerne des milliers personnes, qu'elles aient été spoliées ou pas. Peu m'importe le contenu. Ce qui m'intéresse, c'est que c'est un problème qui est posé comme un problème mauritanien et, à partir de ce moment, je le prends en charge. Mais je n'accepte pas qu'il soit posé en termes ethniques, ni en termes de groupuscules, ni en termes particularistes. Je veux qu'à partir du moment où on dit que c'est un problème mauritanien, tous les Mauritaniens le prennent en charge, que tous se sentent concernés, que tous participent à la recherche de sa solution, quelle que soit la nature des Mauritaniens touchés. C'est ça que je dis et que je répète à tue-tête. Je veux que tous les Mauritaniens le prennent en charge.
Wal Fadjri : Mais, dans ce cas, une commission vérité et réconciliation où vous allez parler de tous les maux de la Mauritanie à l'image de l'Afrique du Sud ne s'impose-t-elle pas ?
Ely Ould Mohamed Vall : Oui parce que je ne veux qu'on occulte aucun problème posé à la Mauritanie. Maintenant, nous sommes dans une transition dans laquelle nous devons mener un processus démocratique d'une ampleur extraordinaire, où nous devons redresser un Etat qui est totalement délabré et détruit. Par conséquent, les deux priorités, c'est de reconstruire cet Etat, de mener ce processus démocratique, de faire prendre conscience aux Mauritaniens de tous les problèmes qui leur sont posés pour leur permettre de les aborder dans un débat tout à fait décomplexé, sans en occulter aucun terme et de les habituer à en discuter et à en envisager des solutions. Et une fois que le processus sera terminé, une fois que la Mauritanie aura son président élu, son parlement et qu'elle sera réinstallée dans la constitutionnalité et dans la légalité la plus absolue, elle pourra envisager, en toute indépendance, un débat dans ce sens. Aujourd'hui, c'est un problème qui a une connotation extérieure aux frontières de la Mauritanie. Et en discuter pendant une période comme celle-là, en dehors d'un débat serein au sein d'un parlement élu démocratiquement, c'est envisager les solutions à ce problème avec une partie des Mauritaniens et ce n'est bon pour ce pays. Il faut que ce problème soit pris en compte par l'ensemble des Mauritaniens dans un débat national devant se dérouler dans l'indépendance la plus totale sans aucune influence extérieure. C'est la meilleure façon de le résoudre définitivement. Toute autre approche pourrait être même très préjudiciable au problème et c'est ce qu'il faut éviter.
Wal Fadjri : Et il faut certainement dédommager les familles qui ont perdu qui leur mari....
Ely Ould Mohamed Vall : Ecoutez, ce qui est sûr, c'est que le moment venu pour que le débat s'instaure sur la question des réfugiés pour que les instruments de la solution de leur problème soient dégagés par les Mauritaniens dans le cadre d'un débat tout à fait légitime, un débat auquel la société mauritanienne sera représentée à travers ses institutions dûment élues ; c'est ça qui est important. Que chacun raconte ce qu'il a envie de raconter, cela n'a plus d'importance pour les Mauritaniens. Ce sont des affaires qui sont derrière eux et aujourd'hui, ils n'ont pas à regarder derrière eux. Ce qu'ils doivent regarder, c'est vers leur présent et leur avenir.
Wal Fadjri : Mais on ne peut pas oublier le sang versé, Monsieur le Président.
Ely Ould Mohamed Vall : Je ne demande à personne d'oublier quoi que ce soit. Mais quelque part, tout le monde est obligé d'oublier parce que le drame à la source de cette affaire, tout le monde l'a vécu. Ne croyez pas que ce soit une seule partie de la Mauritanie qui l'a vécu. Toute la Mauritanie l'a vécu et dans toutes ses composantes, dans toutes ses ethnies, dans toutes ses races. Tout le monde l'a vécu à sa manière, à sa façon. Il faut éviter de croire que c'est un problème particulier à telle ethnie, à telle race. Tous les Mauritaniens l'ont vécu et ça doit être compris. Sinon, on passera à côté de la question.
Wal Fadjri : Quel est l'état des relations de la Mauritanie avec le Sénégal ?
Ely Ould Mohamed Vall : Les relations avec le Sénégal sont parfaitement dans la normalité et dans l'excellence. Entre les peuples mauritanien et sénégalais, la compréhension, les échanges sont au meilleur de leur réalité. S'agissant du gouvernement, c'est aussi le cas. Je pense sincèrement que nous n'avons jamais été à une telle phase de compréhension aussi bien sur le plan politique qu'au niveau des relations entre populations. Aujourd'hui, il y a une grande facilitation des rapports, nous ne pouvions pas espérer mieux que ça
Wal Fadjri : Quelles sont les relations personnelles que vous entretenez avec le Sénégal ?
Ely Ould Mohamed Vall : Mes relations personnelles avec le Sénégal sont de tous ordres. J'ai passé une partie de ma jeunesse au Sénégal et ce n'est un secret pour personne. Je l'ai vécu très jeune, mais ce sont des souvenirs qui sont restés dans ma tête. Je l'ai vécu à une période où les rapports étaient d'une telle simplicité, d'une normalité qu'on ne faisait pas la différence entre les frontières, entre les peuples. Au-delà de cela, ce que j'ai vécu dans mon enfance, a forgé en moi une culture qui est celle que les Sénégalais de Mauritanie ont toujours perpétuée.. C'est cette culture qui montre qu'il y a un rapport très particulier entre le Sénégal et la Mauritanie.
Wal Fadjri : Quels sont les rapports que vous entretenez avec cette langue wolof que vous avez dû pratiquer durant votre enfance à Louga ?
Ely Ould Mohamed Vall : Ce rapport ? Mais vous ne pouvez pas me cacher ce que vous dites en wolof.
Wal Fadjri : Allez-vous penser à la main-d'œuvre sénégalaise pour ce qui est du pétrole ?
Ely Ould Mohamed Vall : Vous savez la main-d'œuvre sénégalaise, j'y ai pensé il y a bien longtemps.
Wal Fadjri : Mais, Monsieur le Président, la Mauritanie est tournée vers l'Uma depuis qu'elle a quitté la Cedeao et est en train de perdre le qualificatif de trait d'union entre le monde arabe et l'Afrique noire.
Ely Ould Mohamed Vall : Oui, nous avons quitté la Cdeao. Mais quand on y regarde de près, on découvre qu'on ne l'a quittée que formellement. La réalité des rapports avec Cedeao est bien restée. Par ailleurs, je ne sais pas pourquoi les gens font une telle fixation sur notre départ de la Cedeao. Ils oublient que la Mauritanie appartient à une multitude d'organisations africaines aussi intégrantes que la Cedeao. L'Omvs est une organisation qui appartient à la Mauritanie, au Sénégal, au Mali et à la Guinée depuis longtemps. Et c'est l'une des organisations les intégrantes, les plus structurantes qui puissent être et les plus intéressantes et rentables qui n'aient jamais existé en Afrique. La Mauritanie appartient au Cilss, à l'Union africaine, à une multitude d'organisations africaines. Mais tout cela, on ne le voit pas. La Mauritanie est aussi signataire d'accords bilatéraux qui la mettent dans des rapports plus poussés avec des pays signataires, particulièrement avec le Sénégal, le Mali et un certain nombre de pays. Alors, je ne vois pas pourquoi on se focalise sur son retrait de la Cedeao pour faire croire que la Mauritanie a tourné le dos à son africanité, à sa continuité africaine. La Mauritanie ne peut pas tourner le dos à l'Afrique et pour des raisons très simples. C'est qu'elle est là géographiquement, humainement et civilisationnellement. Comment voulez-vous qu'elle tourne le dos à l'Afrique. Qu'elle appartienne ou pas à la Cedeao, ça une question d'opportunité. Le jour où les Mauritaniens auront envie d'avoir des rapports avec la Cedeao, ils les auront. Le jour où lls auront envie de discuter de cette question, ils le feront avec la Cedeao. De même, s'ils pensent que leur intérêt est de rester en dehors de la Cedeao, ils adopteront une telle attitude. Quand le Sénégal n'appartient à une organisation africaine, il ne tourne pas le dos à l'Afrique. Et c'est valable pour la Mauritanie. Pour moi, cela ne change rien à la nature de la Mauritanie que de ne pas appartenir à la Cedeao ni à ses relations avec l'Afrique. Parce que la Mauritanie est un pays africain, c'est unn fondateur de l'Oua, un pays implanté géographiquement et civilisationnellement en Afrique et cela ne s'oppose ni à son arabité ni à son africanité. Et il n'est pas normal qu'on continue à vouloir en permanence nous opposer notre non-appartenance à la Cedeao.
Wal Fadjri : N'est-ce pas dû à la cohabitation difficile entre deux communautés ?
Ely Ould Mohamed Vall : Mais quel est le pays au monde qui n'a pas peu ou prou des problèmes de cohabitation entre certaines de ses communautés. Si vous en connaissez, citez m'en un seul. Nous n'avons pas plus de difficultés de cohabitation que les autres. Comme j'ai eu à le dire à Dakar, les rapports entre un Maure et un Peulh ne sont pas plus mauvais que les rapports entre un Peulh et un Diola. Croyez-moi, les rapports d'un casamançais ne sont pas plus meilleurs avec un Wolof ou un autre que les rapports entre un Maure, un Wolof ou un Toucouleur. Je crois qu'on est en permanence en train d'opposer la Mauritanie. On oppose Arabe et Africain, l'Afrique du Nord, l'Afrique saharienne et l'Afrique dans sa globalité. On ne parle de la Mauritanie que par opposition. Je ne comprends pas pourquoi cette logique, cette fatalité dans laquelle on veut inscrire la Mauritanie, qui est loin de ses réalités. Je ne vois pas qui peut donner aujourd'hui une leçon à la Maurianie au point de vue coexistence. Il est vrai que, parfois, nous n'avons pas su gérer politiquement certains comportements, mais cela n'a absolument rien d'extraordinaire. Croyez-moi, si vous vous promenez en Mauritanie, vous verrez que la cohabitation est meilleure ici que partout ailleurs.
Plus de sept mois passés à la tête de l'Etat mauritanien n'ont pas changé l'actuel homme fort de de la République islamique de Mauritanie. Ceux qui ont connu hier le tombeur de Maouiya Ould Sid'Ahmed Taya sont formels. Trouvé vendredi dernier dans un palais présidentiel sobrement meublé, un portable qu'on confondrait aisément à un talkie-walkie (tellement il est énorme) toujours à portée de main, Ely Ould Mohamed Vall ne connaît pas la langue de bois. Ne lui parlez surtout pas de ce contentieux qui oppose l'Etat mauritanien à la société autralienne Woodside à propos de l'exploitation du pétrole non loin de Nouakchott parce qu'il peut en parler longuement, tellement la question le passionne. En fait, l'homme qui a renversé le régime d'Ould Taya, ne peut accepter que son pays ait été 'spolié' à ce point de sommes aussi faramineuses. Et il revient largement, dans l'entretien qu'il nous a accordé, en exclusivité, dans son palais où il nous a reçus à sa table, sur les dessous de cette affaire Woodside et justifie l'attitude de l'Etat mauritanien. Ely Ould Mohamed Vall, évoque, en outre, la période de transition enclenchée en Mauritanie et assure que le calendrier électoral sera strictement respecté, mais aussi et surtout qu'il ne se présentera pas aux élections. Le chef de l'Etat mauritanien parle également, entre autres sujets, de la situation politique dans son pays et avoue que la Mauritanie ne peut pas accepter un parti islamiste, ni le tolérer. Il revient aussi de long en large sur la situation des réfugiés mauritaniens au Sénégal, nous entretient sur son enfance à Louga et ses rapports avec la langue wolof. Entretien.
Wal Fadjri : Où en êtes-vous avec l'affaire Woodside, du nom de la société qui exploite le pétrole mauritanien ?
Ely Ould Mohamed Vall : Nous sommes actuellement dans la phase des discussions, à la recherche d'un règlement à l'amiable. Et les discussions sont en train de se poursuivre. Nous souhaitons en tout cas que cette affaire se règle à l'amiable.
Wal Fadjri : Comment tout cela est arrivé ?
Ely Ould Mohamed Vall : Tout a commencé quand nous avons découvert qu'au-delà du contrat initial qui nous liait à la société Woodside, cette dernière se prévalait de quatre avenants à ce contrat. Et ces avenants dont nous n'avions pas eu connaissance officiellement, modifiaient de façon radicale l'ensemble de la donne du contrat initial aux dépens de l'Etat mauritanien et au profit de la société Woodside. A partir de cet instant, nous avons immédiatement saisi cette société et nous nous sommes posé des questions pour savoir d'où venaient ces avenants. Et quand nous avons procédé à une enquête, nous nous sommes aperçus que ces avenants avaient été pris dans des conditions de totale illégalité et que, par conséquent, ils ne sont pas opposables à l'Etat mauritanien. Nous avons, alors, saisi la société en question et nous lui avons signifié que ces avenants n'étaient pas opposables à la Mauritanie. Dès lors, elle ne saurait ni les accepter ni travailler avec elle sur cette base. Nous lui avons notifié que la Mauritanie ne se référait qu'au contrat initial et qu'il lui appartenait d'en tirer les conséquences.
Wal Fadjri : La faute incombe-t-elle à votre prédécesseur ou à Woodside ? Dans le premier cas de figure, n'y a-t-il pas continuité de l'Etat ?
Ely Ould Mohamed Vall : Mais ne sont opposables à l'Etat que les décisions et mesures prises dans les formes légales. S'agissant de ces quatre avenants, ils ont été pris dans l'illégalité la plus absolue. Et ils n'ont suivi aucune procédure légale en Mauritanie. Ils n'ont pas respecté la loi mauritanienne dont relève ce genre de contrats. Et dans la mesure où ils n'ont pas respecté les procédures de la loi mauritanienne, je dis qu'ils sont illégaux et ne sont pas opposables à la Mauritanie.
Wal Fadjri : Mais vous vous attaquez quand même à très forte partie puisque Woodside est une multinationale...
Ely Ould Mohamed Vall : Je ne sais pas ce à quoi je m'attaque, cela m'importe très peu. Ce que je sais, c'est que nous avons été spoliés sur la base de documents que nous considérons comme illégaux. Dans ces conditions, nous ne saurons ni les accepter et ni travailler avec la société en question sur cette base.
Wal Fadjri : Mais qu'est-ce que perd la Mauritanie dans cette affaire ?
Ely Ould Mohamed Vall : Elle perd beaucoup dans cette affaire. Ces avenants ont modifié substantiellement l'ensemble de la contexture du contrat initial. Et cela aussi bien sur le plan financier, sur le plan des impôts, que de l'environnement... Ce sont des modifications qui touchent à tous les domaines du contrat lui-même. Par conséquent, le préjudice est énorme pour la Mauritanie parce que le manque à gagner est énorme pour le pays.
Wal Fadjri : Ces avenants remettent-ils en cause la quote-part qui revient à la Mauritanie sur l'exploitation du pétrole ?
Ely Ould Mohamed Vall : Tout à fait, ils remettent en cause de façon très substantielle la quote-part de la Mauritanie sur chaque baril de pétrole exploité. Ils remettent aussi en cause les impôts à payer par la société ainsi que beaucoup d'autres choses. En fait, ils touchent de façon très substantielle à ce que la Mauritanie pouvait escompter à partir du contrat initial signé avec Woodside.
Wal Fadjri : Parlons à présent de la gestion du pétrole. L'or noir va, sans doute, bouleverser les habitudes des Mauritaniens. Mais ce pétrole n'ira-t-il pas, comme d'habitude, à une élite au détriment du bas peuple ?
Ely Ould Mohamed Vall : Cela m'étonnerait parce que toutes les dispositions ont été prises afin que l'Etat mauritanien ne devient pas un Etat rentier. Cela veut dire que, premièrement, le pétrole sera géré dans la transparence la plus absolue. Ce qui veut dire que chaque Mauritanien saura chaque dollar qui est rentré dans le pays, saura exactement les montants qui ont été générés par le pétrole. Il saura ceux qui ont été budgétisés et la manière dont ils ont été dépensés et ceux qui ont été mis en réserve pour les générations futures parce qu'une quote-part dévolue à ces générations futures sera prévue dans le cadre de la gestion du pétrole.
Wal Fadjri : N'êtes-vous pas encore sous l'euphorie de la découverte du pétrole ?
Ely Ould Mohamed Vall : Non, ce n'est pas l'euphorie. Nous sommes tout à fait conscients qu'il faut à tout prix éviter que le pétrole ne soit pas un élément de développement. Au contraire, il faut qu'il soit un élément de développement. Cela veut dire que nous devons orienter les ressources en provenance du pétrole vers des secteurs de développement que sont l'agriculture, les infrastructures, l'ensemble des investissements de développement. Elles ne doivent pas être une sorte de rente pour l'Etat avec lesquelles il paye ses fonctionnaires, il paye ses armes, ses chars et se recroqueville sur lui tranquillement. Si l'on veut développer la Mauritanie par le pétrole, il faut envisager les choses dans cette perspective-là et non pas dans une autre. Comme je le dis, il doit être géré dans la transparence. Si nous ne le gérons pas dans la transparence la plus absolue, ça peut être très dangereux. Parce qu'il peut être monopolisé par une minorité d'affairistes, de pouvoiristes et, à partir de ce moment, ça deviendra un véritable malheur pour le pays. Par contre, si on inscrit les choses dans un autre sens, nous pourrons parfaitement en faire un outil utile pour notre pays, un outil de développement beaucoup plus qu'un outil qui peut être monopolisé par des groupes restreints. C'est cela qu'il faut éviter. Et on ne peut l'éviter qu'en prenant un certain nombre de mesures et toutes ces mesures ont été prises.
Wal Fadjri : De quelles mesures s'agit-il ?
Ely Ould Mohamed Vall : La première des mesures est que le pays s'est inscrit à toutes les initiatives internationales de transparence. Ce qui oblige les sociétés à déclarer chaque pétrodollar qui rentre dans le pays. Et l'Etat mauritanien est tout aussi obligé à déclarer tout ce qu'il reçoit comme pétrodollars. La seconde mesure consiste à promulguer une loi qui prévoit la répartition des retombées du pétrole en deux parts. La première part est budgétisée et destinée aux investissements et au budget de l'Etat. Elle devra donc prendre en compte l'ensemble des besoins de l'Etat. La deuxième partie est un fonds qui sera investi à l'extérieur et rémunéré. Il devra, par cette rémunération, créer de la richesse pour le pays. C'est ce qu'on appelle le fonds pour les générations futures. La troisième mesure, c'est la création d'une commission nationale qui sera représentative de l'ensemble de la société mauritanienne. Y seront représentés le gouvernement, le monde des affaires, les partis politiques, la société civile. Cette commission sera consultée obligatoirement sur l'ensemble de la gestion des mines et du pétrole....
Wal Fadjri : A côté de l'affaire Woodside, la démocratie en Mauritanie préoccupe. Tout un échéancier avait été mis en place pour l'organisation d'élections présidentielle, législative, sénatoriale et municipale. Ce calendrier sera-t-il respecté ?
Ely Ould Mohamed Vall : Parfaitement, le calendrier sera strictement respecté. Et l'ensemble des mesures qui sont de nature à concourir à son respect, ont été déjà prises. D'ailleurs, le calendrier lui-même est extrêmement précis parce que pour chaque élection, le jour, la date, le mois et l'année sont connus. En attendant, une Ceni tout à fait indépendante a été créée. Un recensement à vocation électorale placé à la fois sous le contrôle de la Ceni et du ministère de l'Intérieur qui vient pratiquement de se terminer. Il va se prolonger encore pendant une semaine ou deux pour être conforté. L'ensemble des moyens humains et matériels ont été dégagés. Il n'y a absolument pas de raison que cela ne se passe pas exactement comme cela a été arrêté.
Wal Fadjri :Serez-vous candidat à l'élection présidentielle ?
Ely Ould Mohamed Vall : Non certainement pas. Cette affaire a déjà été réglée parce que, dès le premier jour, nous avons dit que nous allions mener une transition de deux ans que nous avons réduite à dix-neuf mois. Et par une loi organique mauritanienne qui a été déjà votée, il a été décidé que le président et les membres du Conseil, le chef du gouvernement et les membres du gouvernement, ne peuvent se présenter à cette élection. Qu'en tout état de cause, ils ne peuvent ni créer un parti, ni en soutenir un. Par conséquent, je pense que c'est une affaire qui est largement derrière nous.
Wal Fadjri : Mais ne seriez-vous pas tenté de modifier cette loi pour vous présenter à l'élection présidentielle à l'image de François Bozizé en République de Centrafrique ?
Ely Ould Mohamed Vall : II est vrai qu'on peut défaire une loi de la manière qu'on l'a faite. Mais ce qui est important, c'est ce que nous avons dit nous-mêmes aux Mauritaniens. Nous leur avons déclaré qu'on ne se portera pas candidat. Au-delà de la loi, il y a notre propre parole qui a, pour nous, autant de valeur qu'une loi. Nous sommes tenus à la fois par une loi et par notre propre engagement devant les Mauritaniens.
Wal Fadjri :C'est pour quand les prochaines élections ?
Ely Ould Mohamed Vall : D'abord, le référendum sur la Constitution est prévu pour le mois de juin. Trois mois après, seront organisées les élections cumulées, municipales et législatives. Trois à quatre mois plus tard auront lieu les sénatoriales. Et dans à peu près douze à treize mois, ce sera la présidentielle prévue en mars 2007 qui clôturera le processus.
Wal Fadjri : C'est surchargé.
Ely Ould Mohamed Vall : Oui, suffisamment.
Wal Fadjri :Selon certains observateurs, vous suivez le plan de votre prédécesseur, en vous montrant insensible aux arguments de ceux qui veulent créer des partis islamistes ainsi exclus du processus démocratique. Pourquoi cette exclusion ?
Ely Ould Mohamed Vall : D'abord, comme je l'ai toujours dit, je n'ai jamais compris ce que ça veut dire être islamiste. Je peux comprendre ce que c'est un musulman, mais un islamiste, je ne peux pas comprendre jusqu'ici. Ce que j'ai toujours dit aux gens, c'est que la Mauritanie est République islamique depuis 1960, le moment de la proclamation de son indépendance. L'Islam est, pour nous, un élément d'unité, d'union, mais non un élément de désunion. Et qui dit parti, dit partisan. Et nous ne voulons pas qu'il y ait des partis ni de partisans en matière d'Islam chez nous. Tous les Mauritaniens sont musulmans et nous ne pouvons pas accepter que quiconque s'y adjuge le monopole de l'Islam. D'ailleurs, à partir du moment où un groupe s'adjuge l'Islam en tant que parti, qu'est-ce qui empêche tous les autres de se constituer en tant que partis. Nous sommes un pays où l'Islam a toujours été vécu d'une certaine manière, où tout le monde accepte que l'autre appartienne à tel ou tel tarikha, tolère l'autre. Et à partir du moment où on accepte que quelqu'un s'adjuge le droit d'avoir un parti islamiste, ça veut dire que chaque tarikha pourra devenir un parti islamiste, mais aussi chaque Madrasa, chaque Cheikh. Cela s'est passé dans certains pays qui se sont retrouvés dans des situations inextricables. Parce que, dans ce genre de situation, les conflits ne se résolvent pas politiquement, par la kalachnikov. Nous n'avons pas envie que notre pays résolve ses problèmes par la kalachnikov. C'est pourquoi nous ne pouvons pas accepter un parti islamiste, ni le tolérer chez nous. Nous sommes tous musulmans, nous appartenons tous à l'islam et au parti de l'Islam dont personne ne peut s'adjuger. Au-delà de cela, la Constitution mauritanienne est très explicite par rapport à cette situation. Elle dit en termes très clairs que personne ne peut s'adjuger le monopole de l'Islam. Par conséquent, si nous respectons la Constitution qui est notre référence, personne ne peut créer ici un parti islamiste. J'ai toujours du mal à comprendre comment, dans un pays comme la Mauritanie, on puisse songer à créer un parti au nom de l'Islam au détriment des autres musulmans. Cela n'a pas de sens.
Wal Fadjri : Parlons maintenant des réfugiés mauritaniens, même si vous refusez qu'on appelle réfugiés ces Mauritaniens qui ont trouvé refuge au Mali est au Sénégal...
Ely Ould Mohamed Vall : Mais je n'ai jamais refusé le terme réfugié. Ce que j'ai dit, est clair et net, il faut éviter de lui donner un autre sens. J'ai fait état de mes convictions personnelles, en déclarant que je ne pouvais pas comprendre qu'un Mauritanien puisse être réfugié au Sénégal ni qu'un Sénégalais puisse être réfugié en Mauritanie.
Wal Fadjri : Mais c'est à la suite d'un différend entre Etats...
Ely Ould Mohamed Vall : Oui, il y a eu un différend entre les Etats, mais ce différend est terminé en 1989. Et depuis 1989, des milliers de Mauritaniens traversent la frontière, de même que des milliers de Sénégalais. Pour moi, le problème n'est même pas là. C'est intellectuellement que j'ai du mal à voir un Mauritanien réfugié au Sénégal et vice-versa.
Wal Fadjri : Ce sont des Mauritaniens qui ont été maltraités chez eux à un moment donné et ont trouvé refuge au Sénégal...
Ely Ould Mohamed Vall : Ce que je dis est très clair. C'est un problème mauritano-mauritanien, quelle que soit sa nature, qu'il ne concerne des milliers personnes, qu'elles aient été spoliées ou pas. Peu m'importe le contenu. Ce qui m'intéresse, c'est que c'est un problème qui est posé comme un problème mauritanien et, à partir de ce moment, je le prends en charge. Mais je n'accepte pas qu'il soit posé en termes ethniques, ni en termes de groupuscules, ni en termes particularistes. Je veux qu'à partir du moment où on dit que c'est un problème mauritanien, tous les Mauritaniens le prennent en charge, que tous se sentent concernés, que tous participent à la recherche de sa solution, quelle que soit la nature des Mauritaniens touchés. C'est ça que je dis et que je répète à tue-tête. Je veux que tous les Mauritaniens le prennent en charge.
Wal Fadjri : Mais, dans ce cas, une commission vérité et réconciliation où vous allez parler de tous les maux de la Mauritanie à l'image de l'Afrique du Sud ne s'impose-t-elle pas ?
Ely Ould Mohamed Vall : Oui parce que je ne veux qu'on occulte aucun problème posé à la Mauritanie. Maintenant, nous sommes dans une transition dans laquelle nous devons mener un processus démocratique d'une ampleur extraordinaire, où nous devons redresser un Etat qui est totalement délabré et détruit. Par conséquent, les deux priorités, c'est de reconstruire cet Etat, de mener ce processus démocratique, de faire prendre conscience aux Mauritaniens de tous les problèmes qui leur sont posés pour leur permettre de les aborder dans un débat tout à fait décomplexé, sans en occulter aucun terme et de les habituer à en discuter et à en envisager des solutions. Et une fois que le processus sera terminé, une fois que la Mauritanie aura son président élu, son parlement et qu'elle sera réinstallée dans la constitutionnalité et dans la légalité la plus absolue, elle pourra envisager, en toute indépendance, un débat dans ce sens. Aujourd'hui, c'est un problème qui a une connotation extérieure aux frontières de la Mauritanie. Et en discuter pendant une période comme celle-là, en dehors d'un débat serein au sein d'un parlement élu démocratiquement, c'est envisager les solutions à ce problème avec une partie des Mauritaniens et ce n'est bon pour ce pays. Il faut que ce problème soit pris en compte par l'ensemble des Mauritaniens dans un débat national devant se dérouler dans l'indépendance la plus totale sans aucune influence extérieure. C'est la meilleure façon de le résoudre définitivement. Toute autre approche pourrait être même très préjudiciable au problème et c'est ce qu'il faut éviter.
Wal Fadjri : Et il faut certainement dédommager les familles qui ont perdu qui leur mari....
Ely Ould Mohamed Vall : Ecoutez, ce qui est sûr, c'est que le moment venu pour que le débat s'instaure sur la question des réfugiés pour que les instruments de la solution de leur problème soient dégagés par les Mauritaniens dans le cadre d'un débat tout à fait légitime, un débat auquel la société mauritanienne sera représentée à travers ses institutions dûment élues ; c'est ça qui est important. Que chacun raconte ce qu'il a envie de raconter, cela n'a plus d'importance pour les Mauritaniens. Ce sont des affaires qui sont derrière eux et aujourd'hui, ils n'ont pas à regarder derrière eux. Ce qu'ils doivent regarder, c'est vers leur présent et leur avenir.
Wal Fadjri : Mais on ne peut pas oublier le sang versé, Monsieur le Président.
Ely Ould Mohamed Vall : Je ne demande à personne d'oublier quoi que ce soit. Mais quelque part, tout le monde est obligé d'oublier parce que le drame à la source de cette affaire, tout le monde l'a vécu. Ne croyez pas que ce soit une seule partie de la Mauritanie qui l'a vécu. Toute la Mauritanie l'a vécu et dans toutes ses composantes, dans toutes ses ethnies, dans toutes ses races. Tout le monde l'a vécu à sa manière, à sa façon. Il faut éviter de croire que c'est un problème particulier à telle ethnie, à telle race. Tous les Mauritaniens l'ont vécu et ça doit être compris. Sinon, on passera à côté de la question.
Wal Fadjri : Quel est l'état des relations de la Mauritanie avec le Sénégal ?
Ely Ould Mohamed Vall : Les relations avec le Sénégal sont parfaitement dans la normalité et dans l'excellence. Entre les peuples mauritanien et sénégalais, la compréhension, les échanges sont au meilleur de leur réalité. S'agissant du gouvernement, c'est aussi le cas. Je pense sincèrement que nous n'avons jamais été à une telle phase de compréhension aussi bien sur le plan politique qu'au niveau des relations entre populations. Aujourd'hui, il y a une grande facilitation des rapports, nous ne pouvions pas espérer mieux que ça
Wal Fadjri : Quelles sont les relations personnelles que vous entretenez avec le Sénégal ?
Ely Ould Mohamed Vall : Mes relations personnelles avec le Sénégal sont de tous ordres. J'ai passé une partie de ma jeunesse au Sénégal et ce n'est un secret pour personne. Je l'ai vécu très jeune, mais ce sont des souvenirs qui sont restés dans ma tête. Je l'ai vécu à une période où les rapports étaient d'une telle simplicité, d'une normalité qu'on ne faisait pas la différence entre les frontières, entre les peuples. Au-delà de cela, ce que j'ai vécu dans mon enfance, a forgé en moi une culture qui est celle que les Sénégalais de Mauritanie ont toujours perpétuée.. C'est cette culture qui montre qu'il y a un rapport très particulier entre le Sénégal et la Mauritanie.
Wal Fadjri : Quels sont les rapports que vous entretenez avec cette langue wolof que vous avez dû pratiquer durant votre enfance à Louga ?
Ely Ould Mohamed Vall : Ce rapport ? Mais vous ne pouvez pas me cacher ce que vous dites en wolof.
Wal Fadjri : Allez-vous penser à la main-d'œuvre sénégalaise pour ce qui est du pétrole ?
Ely Ould Mohamed Vall : Vous savez la main-d'œuvre sénégalaise, j'y ai pensé il y a bien longtemps.
Wal Fadjri : Mais, Monsieur le Président, la Mauritanie est tournée vers l'Uma depuis qu'elle a quitté la Cedeao et est en train de perdre le qualificatif de trait d'union entre le monde arabe et l'Afrique noire.
Ely Ould Mohamed Vall : Oui, nous avons quitté la Cdeao. Mais quand on y regarde de près, on découvre qu'on ne l'a quittée que formellement. La réalité des rapports avec Cedeao est bien restée. Par ailleurs, je ne sais pas pourquoi les gens font une telle fixation sur notre départ de la Cedeao. Ils oublient que la Mauritanie appartient à une multitude d'organisations africaines aussi intégrantes que la Cedeao. L'Omvs est une organisation qui appartient à la Mauritanie, au Sénégal, au Mali et à la Guinée depuis longtemps. Et c'est l'une des organisations les intégrantes, les plus structurantes qui puissent être et les plus intéressantes et rentables qui n'aient jamais existé en Afrique. La Mauritanie appartient au Cilss, à l'Union africaine, à une multitude d'organisations africaines. Mais tout cela, on ne le voit pas. La Mauritanie est aussi signataire d'accords bilatéraux qui la mettent dans des rapports plus poussés avec des pays signataires, particulièrement avec le Sénégal, le Mali et un certain nombre de pays. Alors, je ne vois pas pourquoi on se focalise sur son retrait de la Cedeao pour faire croire que la Mauritanie a tourné le dos à son africanité, à sa continuité africaine. La Mauritanie ne peut pas tourner le dos à l'Afrique et pour des raisons très simples. C'est qu'elle est là géographiquement, humainement et civilisationnellement. Comment voulez-vous qu'elle tourne le dos à l'Afrique. Qu'elle appartienne ou pas à la Cedeao, ça une question d'opportunité. Le jour où les Mauritaniens auront envie d'avoir des rapports avec la Cedeao, ils les auront. Le jour où lls auront envie de discuter de cette question, ils le feront avec la Cedeao. De même, s'ils pensent que leur intérêt est de rester en dehors de la Cedeao, ils adopteront une telle attitude. Quand le Sénégal n'appartient à une organisation africaine, il ne tourne pas le dos à l'Afrique. Et c'est valable pour la Mauritanie. Pour moi, cela ne change rien à la nature de la Mauritanie que de ne pas appartenir à la Cedeao ni à ses relations avec l'Afrique. Parce que la Mauritanie est un pays africain, c'est unn fondateur de l'Oua, un pays implanté géographiquement et civilisationnellement en Afrique et cela ne s'oppose ni à son arabité ni à son africanité. Et il n'est pas normal qu'on continue à vouloir en permanence nous opposer notre non-appartenance à la Cedeao.
Wal Fadjri : N'est-ce pas dû à la cohabitation difficile entre deux communautés ?
Ely Ould Mohamed Vall : Mais quel est le pays au monde qui n'a pas peu ou prou des problèmes de cohabitation entre certaines de ses communautés. Si vous en connaissez, citez m'en un seul. Nous n'avons pas plus de difficultés de cohabitation que les autres. Comme j'ai eu à le dire à Dakar, les rapports entre un Maure et un Peulh ne sont pas plus mauvais que les rapports entre un Peulh et un Diola. Croyez-moi, les rapports d'un casamançais ne sont pas plus meilleurs avec un Wolof ou un autre que les rapports entre un Maure, un Wolof ou un Toucouleur. Je crois qu'on est en permanence en train d'opposer la Mauritanie. On oppose Arabe et Africain, l'Afrique du Nord, l'Afrique saharienne et l'Afrique dans sa globalité. On ne parle de la Mauritanie que par opposition. Je ne comprends pas pourquoi cette logique, cette fatalité dans laquelle on veut inscrire la Mauritanie, qui est loin de ses réalités. Je ne vois pas qui peut donner aujourd'hui une leçon à la Maurianie au point de vue coexistence. Il est vrai que, parfois, nous n'avons pas su gérer politiquement certains comportements, mais cela n'a absolument rien d'extraordinaire. Croyez-moi, si vous vous promenez en Mauritanie, vous verrez que la cohabitation est meilleure ici que partout ailleurs.