Son roman avait marqué la rentrée littéraire avec de jeunes personnages de banlieue face à l’injustice policière et à la colère. Cette écrivaine française de 33 ans nous répond sur l’embrasement de ces derniers jours.
Le premier roman de Diaty Diallo, Deux secondes d’air qui brûle, avait créé l’événement lors de la rentrée littéraire de l’automne dernier. Par son style innovant mais aussi par son sujet, un point de vue serré et psychologique sur la montée d’une révolte face à des violences policières, illustrée dans ce cas par le décès d’un adolescent lors d’une course poursuite. Le parallèle avec les événements de Nanterre cette semaine et les violences urbaines dans
le reste de la France est frappant.
Ce récit était particulièrement réussi par ce qu’il montrait de l’intimité de jeunes personnages face à l’injustice et la colère. Nous avons donc demandé à cette écrivaine engagée de 33 ans comment elle voit l’embrasement de ces derniers jours, elle qui a grandi en banlieue parisienne.
Portrait: Diaty Diallo, la révolte souterraine qui marque la rentrée littéraire
Le Temps : Dans votre roman, vous décriviez un feu qui couve et qui explose, est-ce que vous avez l’impression d’observer aujourd’hui quelque chose que vous aviez vu venir?
Diaty Diallo: Ce n’est pas la révélation de quelque chose que j’aurais vu venir, c’est ce que j’observe depuis que je suis née. On est dans la continuité de plus de quarante ans de violences policières dans les quartiers. Et avant cela, c’était dans les colonies. C’est toute une histoire. Des jeunes tués par la police, il y en a chaque année même si cela ne donne pas toujours suite à des débordements, ce qui peut dépendre du contexte ou de la médiatisation de l’affaire. Je ne pense donc pas avoir écrit un roman prophétique.
Mais on peut dire qu’on ne parlait plus tellement de cette colère dans les médias dernièrement?
Je ne sais pas si on n’en parlait pas dans les médias mais, en tout cas, d’un point de vue littéraire, ce sont des récits qui selon moi, existaient trop peu. J’ai trouvé important de faire exister le sujet à cet endroit-là, ne pas le laisser qu’aux médias qui le traitent mal en criminalisant les victimes et en ensauvageant les jeunes.
A l’origine de votre réflexion, il y avait la recherche du déclic qui fait naître la révolte. Vous avez l’impression d’assister à ça aujourd’hui?
Il ne faut pas trop tenter des analyses à chaud, on ne sait pas ce que tout cela va donner. On voit juste qu’une grande partie de la population se sent touchée, les jeunes en particulier. Ils sont touchés dans leur chair, ils ont peur pour eux et pour leurs proches. Ils ont la rage.
Vous étiez à la marche blanche jeudi, avez-vous l’impression qu’un mouvement politique, avec pour conséquence de vrais changements, peut sortir de cette colère?
Je ne suis pas politicienne, je suis juste une humaine qui a écrit un livre car il y avait des choses qui la touchaient. Il faut laisser les choses se faire, les vivre, se tenir proche pour en tirer des conclusions plus tard. Et puis, il y a une famille et une communauté qui sont touchées, leur deuil est impossible avec tous ces commentaires. En discutant avec des collègues artistes, nous nous sommes demandé comment, en tant qu’artistes et en tant qu’artistes racisés en particulier, nous pouvions nous positionner. On le découvrira avec le temps. On peut créer des œuvres, on peut se tenir aux côtés de luttes. Mais aujourd’hui, il faut que nous nous demandions à quoi nos mots servent. Visiblement pas à ce que ces violences policières cessent.
Dans votre roman justement, vous avez décrit l’intimité de personnages chez qui la colère monte. Est-ce qu’aujourd’hui cette colère se limite aux violences policières et au racisme? Ou est-elle plus large?
Je ne suis pas sociologue mais tout ça est lié, c’est sûr. Il faut voir les choses dans la continuité. Le fait est que des quartiers concentrent un nombre énorme de personnes précaires qui, comme par hasard, sont souvent issues de l’immigration et que c’est là que les violences policières ont particulièrement lieu. Ce sont des angles d’un même problème qui part d’une division sociale, spatiale et politique de la société. Les dominants font tout pour conserver la société ainsi afin que leurs privilèges ne soient pas atteints. Tout cela fait partie d’un tout beaucoup plus énorme. La situation est intenable: ce n’est pas une société enviable pour demain. Et les jeunes le comprennent très tôt. Ils comprennent qu’ils ne sont pas désirés. Quelle vision de l’avenir peut-on se construire dans ce contexte? Evidemment que c’est un tout. Par contre aujourd’hui, il y a bien un déclencheur particulier qui est le fait que des policiers exécutent à bout portant des personnes qui sont encore des enfants.
Paul Ackermann
Source : Le Temps (Suisse) - Le 30 juin 2023
Le premier roman de Diaty Diallo, Deux secondes d’air qui brûle, avait créé l’événement lors de la rentrée littéraire de l’automne dernier. Par son style innovant mais aussi par son sujet, un point de vue serré et psychologique sur la montée d’une révolte face à des violences policières, illustrée dans ce cas par le décès d’un adolescent lors d’une course poursuite. Le parallèle avec les événements de Nanterre cette semaine et les violences urbaines dans
le reste de la France est frappant.
Ce récit était particulièrement réussi par ce qu’il montrait de l’intimité de jeunes personnages face à l’injustice et la colère. Nous avons donc demandé à cette écrivaine engagée de 33 ans comment elle voit l’embrasement de ces derniers jours, elle qui a grandi en banlieue parisienne.
Portrait: Diaty Diallo, la révolte souterraine qui marque la rentrée littéraire
Le Temps : Dans votre roman, vous décriviez un feu qui couve et qui explose, est-ce que vous avez l’impression d’observer aujourd’hui quelque chose que vous aviez vu venir?
Diaty Diallo: Ce n’est pas la révélation de quelque chose que j’aurais vu venir, c’est ce que j’observe depuis que je suis née. On est dans la continuité de plus de quarante ans de violences policières dans les quartiers. Et avant cela, c’était dans les colonies. C’est toute une histoire. Des jeunes tués par la police, il y en a chaque année même si cela ne donne pas toujours suite à des débordements, ce qui peut dépendre du contexte ou de la médiatisation de l’affaire. Je ne pense donc pas avoir écrit un roman prophétique.
Mais on peut dire qu’on ne parlait plus tellement de cette colère dans les médias dernièrement?
Je ne sais pas si on n’en parlait pas dans les médias mais, en tout cas, d’un point de vue littéraire, ce sont des récits qui selon moi, existaient trop peu. J’ai trouvé important de faire exister le sujet à cet endroit-là, ne pas le laisser qu’aux médias qui le traitent mal en criminalisant les victimes et en ensauvageant les jeunes.
A l’origine de votre réflexion, il y avait la recherche du déclic qui fait naître la révolte. Vous avez l’impression d’assister à ça aujourd’hui?
Il ne faut pas trop tenter des analyses à chaud, on ne sait pas ce que tout cela va donner. On voit juste qu’une grande partie de la population se sent touchée, les jeunes en particulier. Ils sont touchés dans leur chair, ils ont peur pour eux et pour leurs proches. Ils ont la rage.
Vous étiez à la marche blanche jeudi, avez-vous l’impression qu’un mouvement politique, avec pour conséquence de vrais changements, peut sortir de cette colère?
Je ne suis pas politicienne, je suis juste une humaine qui a écrit un livre car il y avait des choses qui la touchaient. Il faut laisser les choses se faire, les vivre, se tenir proche pour en tirer des conclusions plus tard. Et puis, il y a une famille et une communauté qui sont touchées, leur deuil est impossible avec tous ces commentaires. En discutant avec des collègues artistes, nous nous sommes demandé comment, en tant qu’artistes et en tant qu’artistes racisés en particulier, nous pouvions nous positionner. On le découvrira avec le temps. On peut créer des œuvres, on peut se tenir aux côtés de luttes. Mais aujourd’hui, il faut que nous nous demandions à quoi nos mots servent. Visiblement pas à ce que ces violences policières cessent.
Dans votre roman justement, vous avez décrit l’intimité de personnages chez qui la colère monte. Est-ce qu’aujourd’hui cette colère se limite aux violences policières et au racisme? Ou est-elle plus large?
Je ne suis pas sociologue mais tout ça est lié, c’est sûr. Il faut voir les choses dans la continuité. Le fait est que des quartiers concentrent un nombre énorme de personnes précaires qui, comme par hasard, sont souvent issues de l’immigration et que c’est là que les violences policières ont particulièrement lieu. Ce sont des angles d’un même problème qui part d’une division sociale, spatiale et politique de la société. Les dominants font tout pour conserver la société ainsi afin que leurs privilèges ne soient pas atteints. Tout cela fait partie d’un tout beaucoup plus énorme. La situation est intenable: ce n’est pas une société enviable pour demain. Et les jeunes le comprennent très tôt. Ils comprennent qu’ils ne sont pas désirés. Quelle vision de l’avenir peut-on se construire dans ce contexte? Evidemment que c’est un tout. Par contre aujourd’hui, il y a bien un déclencheur particulier qui est le fait que des policiers exécutent à bout portant des personnes qui sont encore des enfants.
Paul Ackermann
Source : Le Temps (Suisse) - Le 30 juin 2023