Quand revoiray-je, hélas, de mon petit village Fumer la cheminée, et en quelle saison revoyrai-je le clos de ma pauvre maison ?
Plus me plaist le séjour qu’on basty mes yeux Que de palais romains le front audacieux…
Plus mon loyre gaulois que le Tybre latin, plus mon petit Lyré que le mont palatin plus que le marbre dur me plaist l’ardoise fine, et plus que l’air romain, la douceur angévine Joachim du Bellay, cité par Norbert Elias, La société de cour, Paris, Flammarion, 2002, p. 257.
Je n’ai jamais lu une lettre aussi pathétique. Chacun d’entre-nous peut l’interpréter comme bon lui semble.
Elle est là comme une empreinte indélébile. Les mots sont sortis du fond du cœur d’un homme qui servit une nation avant de connaître le réclusion, le bannissement et l’exil. La mère patrie ne reconnaît pas ses fils, elle les scie en deux et jette aux chiens leur cervelle et la meilleure partie de celle-ci.
Moustapha a parlé à avec force, dans un texte jalonné d’anecdotes révélatrices de la profondeur de son être et des relations lointaines qui le lient à celui qui a, aujourd’hui, en charge les destinées de la Mauritanie. Au-delà des relations d’amitié et de proximité, nous apprenons des choses, nous acteurs passifs ou actifs de l’histoire politique mauritanienne.
Nous avons besoin de ce type de témoignage, tellement ils peuvent nous révéler la nature des hommes : leurs forces et leurs faiblesses combinées. Moustapha fut à l’heure de sa gloire un responsable, un acteur (actif) d’une partie de notre histoire. Son témoignage a valeur de symbole.
Ils doivent nous parler car nous avons besoin de leur parole. Nous avons besoin qu’ils nous disent ce qu’ils n’ont jamais cessé de se dire, quand jeunes ils ont eu la lourde, dangereuse, exaltante et grave charge de décider de notre avenir. Ils doivent nous dire les bruits sourds des couloirs du pouvoir, eux qui étaient au fait de l’information. Lui gérait le ministère de la parole, eh bien il parle toujours et c’est tant mieux pour nous et pour lui. Nous n’avions que nos oreilles et n’entendions que ce qu’ils nous disaient tout haut, mais leurs échanges dans l’intimité de leur bureau nous échappaient.
C’est le témoignage d’un compagnonnage, long compagnonnage parsemé de « chaudes empoignades ».
C’est une langue, je crois sincère. En élaguant le texte de ses anecdotes – mais sans elles, le texte allait rester fade - on découvre un homme qui a mûri, mais aussi un homme gagné par le sentiment que beaucoup d’entre-nous ressentent : l’amertume de ne point pouvoir rentrer définitivement afin d’user de nos droits de citoyens sur notre terre patrie, le poids in-exaltant des années d’exil, la déchirure interne, l’écartèlement, la recherche permanente de
soi, la crise qui affecte tout apatride.
Beaucoup d’entre-nous et les plus rieurs d’entre-nous penseront certainement que l’histoire a rattrapé Moustapha ; car il fut. Mais que non, il faut bien avoir été pour tirer des leçons pour l’avenir, pour dire, pour témoigner avec un ton empreint de sincérité. Il n’a plus rien à perdre diront les autres. C’est trop tard. Pourquoi il ne l’avait pas dit auparavant. Il cherche quelque chose après avoir « vainement » demander de l’aide pour se recycler en agriculteur. Toutes ces différentes supputations qui tendent à ternir l’image d’un homme.
Toutes ces questions qui nous poussent à ne jamais reconnaître la valeur des hommes : le retour sur soi, la critique de soi, l’introspection. Seuls les imbéciles ne changent pas. Mais la Mauritanie reconnaît rarement la valeur de ses fils. Je ne vois rien de honteux dans cette lettre dont le ton pathétique peut rendre inaudible le fond revendicatif qui tisse corps du texte.
Cette lettre est une protestation, je crois. C’est un cri. Une blessure profonde. Une meurtrissure, un gémissement. Je pense que c’est le cœur pincé, en rage que Moustapha s’est livré en écrivant à « Cher Ely ».
Il a écrit cette lettre avec son « cœur » et ses « tripes ». Les mots sont ensanglantés, mouillés de larmes chaudes. Le devoir s’est mêlé aux souvenirs et à la nostalgie. C’est pourquoi la lettre de Moustapha prend un ton pathétique. Mais ce ton ne lui ôte point sa valeur combative.
« L’initiative t’appartient à toi et à toi seul ; elle est sans partage. C’est toi qui est venu mettre un terme au règne de Ould Taya… ». Je suis en parfait accord avec cette assertion ; tellement il me semble que l’actuel homme fort a une véritable poigne. Il connaît tellement les rouages de l’Etat et de ses démembrements qu’il est le seul qui doit prendre l’initiative audacieuse de nous mettre en confiance et de nous redonner l’espoir. Nous ne voulons pas être les orphelins de la transition. Non nous ne souhaitons pas qu’elle se fasse sans nous, sans ces milliers
d’individus qui croupissent dans les camps, de ces milliers de mauritaniens qui continuent de marcher sur les trottoirs de l’exil.
Je suis encore d’accord quand Moustapha sur un ton d’assurance dit ceci : « Ton pouvoir insurrectionnel est la plus belle des forteresses pour entamer les solutions aux graves problèmes de notre pays.
Peut-être que la transition ne suffira certainement pas à cela mais c’est durant celle-ci que tu as la légitimité d’ouvrir les chantiers pour que tout pouvoir futur en hérite en l’assume aussi. La légitimité n’est pas, comme tu sembles le répéter, à un pouvoir issu d’élections démocratiques, aussi transparentes soient-elles. La volonté de restaurer la justice confère une légitimité absolue au tenant du pouvoir du moment ».
Combien ceci est vrai ! J’ai l’habitude de soutenir que la transition doit être considérée comme une conférence nationale informelle durant laquelle tous les problèmes du pays doivent être débattus et des chantiers ouverts partout afin que la libération de la parole apporte sa part de thérapie, afin que de la « décentralisation » de la parole sorte des initiatives pour diagnostiquer le mal que nous avons vécu, que nous vivons et avec lequel nous souhaitons rompre à jamais. Mais quand je vois cette phobie de vouloir toujours ramener à demain ce que nous pouvons faire aujourd’hui, je me pose des questions existentielles auxquelles je ne trouve pas de solution.
C’est pourquoi souvent je me dis que ces types de témoignages nous permettent de mesurer les volontés et surtout l’audace de nos hommes. Mais le pouvoir corrompt dit-on. Il est corrosif. C’est un poids. Sinon comment croire que Abdoulaye Wade pense éliminer le second tour de l’élection présidentielle au Sénégal ? Sinon comment Khaddafi invité d’honneur de la fête du 4 avril ose-t-il devant les parlementaires sénégalais et le peuple sénégalais demander le vote d’une loi décrétant Abdoulaye Wade président à vie ?
Regarder la télévision sénégalaise et une sueur froide vous tiendra en haleine, ces derniers jours, tellement elle ressemble à une télévision d’une république devenue bananière.
C’est pourquoi « cher Ely » n’est pas à l’abri de la tentation de tomber sous le charme corrupteur du pouvoir malgré les conseils pathétiques d’un ami d’arme. Mais qui sait. Peut-être se rendra-t-il compte qu’il n’est pas l’égal de Dieu, mais un simple mortel comme Mandela Desmond Tutu, Frederick De Klerk et Mohamed VI. Ce sont là d’excellents exemples de courage, d’audace et de persévérance.
En tout cas le CMJD et « cher Ely » ont de la lourde charge d’ouvrir nos dossiers avant le passage du témoin, sinon la transition se révélera d’une utilité douteuse.
Abderrahmane N’GAIDE (Bassel)
Dakar, le 5 avril 2006
Plus me plaist le séjour qu’on basty mes yeux Que de palais romains le front audacieux…
Plus mon loyre gaulois que le Tybre latin, plus mon petit Lyré que le mont palatin plus que le marbre dur me plaist l’ardoise fine, et plus que l’air romain, la douceur angévine Joachim du Bellay, cité par Norbert Elias, La société de cour, Paris, Flammarion, 2002, p. 257.
Je n’ai jamais lu une lettre aussi pathétique. Chacun d’entre-nous peut l’interpréter comme bon lui semble.
Elle est là comme une empreinte indélébile. Les mots sont sortis du fond du cœur d’un homme qui servit une nation avant de connaître le réclusion, le bannissement et l’exil. La mère patrie ne reconnaît pas ses fils, elle les scie en deux et jette aux chiens leur cervelle et la meilleure partie de celle-ci.
Moustapha a parlé à avec force, dans un texte jalonné d’anecdotes révélatrices de la profondeur de son être et des relations lointaines qui le lient à celui qui a, aujourd’hui, en charge les destinées de la Mauritanie. Au-delà des relations d’amitié et de proximité, nous apprenons des choses, nous acteurs passifs ou actifs de l’histoire politique mauritanienne.
Nous avons besoin de ce type de témoignage, tellement ils peuvent nous révéler la nature des hommes : leurs forces et leurs faiblesses combinées. Moustapha fut à l’heure de sa gloire un responsable, un acteur (actif) d’une partie de notre histoire. Son témoignage a valeur de symbole.
Ils doivent nous parler car nous avons besoin de leur parole. Nous avons besoin qu’ils nous disent ce qu’ils n’ont jamais cessé de se dire, quand jeunes ils ont eu la lourde, dangereuse, exaltante et grave charge de décider de notre avenir. Ils doivent nous dire les bruits sourds des couloirs du pouvoir, eux qui étaient au fait de l’information. Lui gérait le ministère de la parole, eh bien il parle toujours et c’est tant mieux pour nous et pour lui. Nous n’avions que nos oreilles et n’entendions que ce qu’ils nous disaient tout haut, mais leurs échanges dans l’intimité de leur bureau nous échappaient.
C’est le témoignage d’un compagnonnage, long compagnonnage parsemé de « chaudes empoignades ».
C’est une langue, je crois sincère. En élaguant le texte de ses anecdotes – mais sans elles, le texte allait rester fade - on découvre un homme qui a mûri, mais aussi un homme gagné par le sentiment que beaucoup d’entre-nous ressentent : l’amertume de ne point pouvoir rentrer définitivement afin d’user de nos droits de citoyens sur notre terre patrie, le poids in-exaltant des années d’exil, la déchirure interne, l’écartèlement, la recherche permanente de
soi, la crise qui affecte tout apatride.
Beaucoup d’entre-nous et les plus rieurs d’entre-nous penseront certainement que l’histoire a rattrapé Moustapha ; car il fut. Mais que non, il faut bien avoir été pour tirer des leçons pour l’avenir, pour dire, pour témoigner avec un ton empreint de sincérité. Il n’a plus rien à perdre diront les autres. C’est trop tard. Pourquoi il ne l’avait pas dit auparavant. Il cherche quelque chose après avoir « vainement » demander de l’aide pour se recycler en agriculteur. Toutes ces différentes supputations qui tendent à ternir l’image d’un homme.
Toutes ces questions qui nous poussent à ne jamais reconnaître la valeur des hommes : le retour sur soi, la critique de soi, l’introspection. Seuls les imbéciles ne changent pas. Mais la Mauritanie reconnaît rarement la valeur de ses fils. Je ne vois rien de honteux dans cette lettre dont le ton pathétique peut rendre inaudible le fond revendicatif qui tisse corps du texte.
Cette lettre est une protestation, je crois. C’est un cri. Une blessure profonde. Une meurtrissure, un gémissement. Je pense que c’est le cœur pincé, en rage que Moustapha s’est livré en écrivant à « Cher Ely ».
Il a écrit cette lettre avec son « cœur » et ses « tripes ». Les mots sont ensanglantés, mouillés de larmes chaudes. Le devoir s’est mêlé aux souvenirs et à la nostalgie. C’est pourquoi la lettre de Moustapha prend un ton pathétique. Mais ce ton ne lui ôte point sa valeur combative.
« L’initiative t’appartient à toi et à toi seul ; elle est sans partage. C’est toi qui est venu mettre un terme au règne de Ould Taya… ». Je suis en parfait accord avec cette assertion ; tellement il me semble que l’actuel homme fort a une véritable poigne. Il connaît tellement les rouages de l’Etat et de ses démembrements qu’il est le seul qui doit prendre l’initiative audacieuse de nous mettre en confiance et de nous redonner l’espoir. Nous ne voulons pas être les orphelins de la transition. Non nous ne souhaitons pas qu’elle se fasse sans nous, sans ces milliers
d’individus qui croupissent dans les camps, de ces milliers de mauritaniens qui continuent de marcher sur les trottoirs de l’exil.
Je suis encore d’accord quand Moustapha sur un ton d’assurance dit ceci : « Ton pouvoir insurrectionnel est la plus belle des forteresses pour entamer les solutions aux graves problèmes de notre pays.
Peut-être que la transition ne suffira certainement pas à cela mais c’est durant celle-ci que tu as la légitimité d’ouvrir les chantiers pour que tout pouvoir futur en hérite en l’assume aussi. La légitimité n’est pas, comme tu sembles le répéter, à un pouvoir issu d’élections démocratiques, aussi transparentes soient-elles. La volonté de restaurer la justice confère une légitimité absolue au tenant du pouvoir du moment ».
Combien ceci est vrai ! J’ai l’habitude de soutenir que la transition doit être considérée comme une conférence nationale informelle durant laquelle tous les problèmes du pays doivent être débattus et des chantiers ouverts partout afin que la libération de la parole apporte sa part de thérapie, afin que de la « décentralisation » de la parole sorte des initiatives pour diagnostiquer le mal que nous avons vécu, que nous vivons et avec lequel nous souhaitons rompre à jamais. Mais quand je vois cette phobie de vouloir toujours ramener à demain ce que nous pouvons faire aujourd’hui, je me pose des questions existentielles auxquelles je ne trouve pas de solution.
C’est pourquoi souvent je me dis que ces types de témoignages nous permettent de mesurer les volontés et surtout l’audace de nos hommes. Mais le pouvoir corrompt dit-on. Il est corrosif. C’est un poids. Sinon comment croire que Abdoulaye Wade pense éliminer le second tour de l’élection présidentielle au Sénégal ? Sinon comment Khaddafi invité d’honneur de la fête du 4 avril ose-t-il devant les parlementaires sénégalais et le peuple sénégalais demander le vote d’une loi décrétant Abdoulaye Wade président à vie ?
Regarder la télévision sénégalaise et une sueur froide vous tiendra en haleine, ces derniers jours, tellement elle ressemble à une télévision d’une république devenue bananière.
C’est pourquoi « cher Ely » n’est pas à l’abri de la tentation de tomber sous le charme corrupteur du pouvoir malgré les conseils pathétiques d’un ami d’arme. Mais qui sait. Peut-être se rendra-t-il compte qu’il n’est pas l’égal de Dieu, mais un simple mortel comme Mandela Desmond Tutu, Frederick De Klerk et Mohamed VI. Ce sont là d’excellents exemples de courage, d’audace et de persévérance.
En tout cas le CMJD et « cher Ely » ont de la lourde charge d’ouvrir nos dossiers avant le passage du témoin, sinon la transition se révélera d’une utilité douteuse.
Abderrahmane N’GAIDE (Bassel)
Dakar, le 5 avril 2006