J’ai lu les mémoires de Ould Daddah - " La Mauritanie contre vents et marrées" .
Je voudrais partager avec vous,chers lecteurs ,son temoignage sur juste un aspect de ces mémoires touchant la question culturelle . Mon intention est de montrer combien cette question fut récurrente et chargée . Combien également les gouvernements arabo-berbères louvoyérent , à chaque fois qu’elle se posât avec accuité, voire avec passion le plus souvent, trainant les pieds de report en report , pour qu’enfin on l’enterra , pour de bon .
J’aimerais aussi montrer comment par glissement, volontairement choisi , on est passé de la dimension politique –Question nationale à la dimension culturelle –question de langues-, pour ne retenir , en définitive, que cette dernière ; et cela même présentement chez la plupart de nos leaders politiques arabo-berbères !
A ceux qui s’obstinent à penser que le problème nègre a été ou demeure juste un problème culturel , les faits retracés par Ould Daddah les controdisent formellement en soutenant le contraire à travers les confessions qu’il nous fait , ici même dans ces pages .
Cette question est d’essence politique , fondamentalement .
Dans ce témoignage que je rapporte ici , le plus fidélement autant que possible , je ne manque pas, de temps à autre , de faire ici et là, mes propres commentaires , à certains propos . Vous saurez faire la différence .
Ecoutons plutôt Mokhtar Ould Daddah .
Le Congrès d’Aleg 1959 , Congrès – départ de la dérive , et à partir duquel Ould Daddah remonte .
" Pendant ce Congrès un débat houleux , voire passionné s’était engagé sur la Question nationale . Le groupe Négro- Africain proposait la solution fédéraliste , à défaut exigeait des garanties constitutionnelles; le Groupe recommandait en outre l’adhésion de la Mauritanie à la Fédération du Mali , position sur laquelle ils étaient même soutenus par le groupe des maure de l’Est .
La Question n’ayant pas trouvé de solution fut donc suspendue , en raison de son acccuité pour être confiée , au groupe parlementaire , au sortir du Congrès.
Il était question , nous confie Daddah qui rapporte les choses , de procéder à une révision constitutionnelle qui serait favorable à la minorité ( entendez Négro-Africains ) suite à leurs inquiétudes exprimées à propos de l’évolution du pays.
"Les Noirs disaient , nous rapporte Daddah , que si la régle démocratique selon laquelle la majorité numérique impose sa loi à la minorité était appliquée telle quelle chez -nous , la majorité maure pourrait dans certains domaines importants , imposer des mesures qui léseraient la minorité. Pour prémunir cette dernière contre de telles éventualités, des garde-fous , des garanties devaient être prévues dans la constitution" .
Il ajoute plus loin , que puisque " le Président de la République serait toujours maure , théoriquement , il fallait instituer une vice -présidence dont le titulaire serait issu de la vallée ".
Il fallait donc réviser la constitution dans le sens d’un exécutif bi-céphale.
Le groupe parlementaire se mit donc au travail , et après d’âpres discussions , se mit d’accord , pour l’essentiel , sur la proposition. Il fallait passer à exécution .
Mais Ould Daddah , en fait secrétement hostile à l’idée , saborda la proposition le 8 Mai 1959, pour la raison qu’il révéle ici lui même :" les rivalités entre les candidats potentiels à la vice-Présidence empêchaient tout accord sur une personnalité acceptable par tous les représentants de la Vallée ", disait-il .
Puisqu’il y’avait rivalité entre différents postulants , il fallait enterrer l’idée , soutient apparemment Daddah . Raison fallacieuse , s’il en fut , qui cachait mal un cynisme et une hypocrisie manifeste, en vérité ! car Daddah ignorait délibéremment les recommandations des Négro-Africains et les principes arrêtés par le groupe parlementaire , stipulant « que le candidat Négro-Africain issu de la Vallée devrait être élu , au même titre que le Président de la République , pour bénéficier d’une plus grande légitimité ».
Pourquoi exigea –t-il un consensus autour d’un candidat pour ressortissants de la vallée qui n’avait pas de raison d’être, logiquement parlant, alors que ce critére n’avait pas été retenu par le groupe parlementaire chargé de la question ?
Pourquoi n’avoir pas imaginé plutôt, organiser des primaires entre les candidats, ou simplement les laisser compétir , et que le meilleur gagne ?
Non ! la vraie réponse est qu’en fait Ould Daddah ne souhaitait pas résoudre ce problème , et cette apparente dissension au sein des Nègres fut un prétexte , une aubaine ...pour enterrer l’idée .
Ould Daddah évacua donc ainsi la Question , de maniére cavaliére.
Cette question politique , comme on le verra , allait toutefois ressurgir de manière récurrente , mais déviée… ou rebaptisée “ question culturelle “ , à travers l’Arabisation .
Alors que la Communauté de la vallée du fleuve n’avait pas fini de s’inquiéter sur son avenir , le second Congrès de 1961 - congrès de l’unité- adopta le principe de l’officialisation de la langue Arabe , attisant le feu comme par provocation . Ce qui naturellement accrut l’inquiétude nègre, et suscita une atmosphére encore plus tendue .
Ould Daddah le confirme en page 294 , décrivant l‘atmosphére du Congrès : " d’un côté , les maures dans leur écrasante majorité voulant l’officialisation et l’application immmédiate de cette mesure . Quant aux noirs de la vallée , ils ne voulaient pas l’entendre évoquer ".
Ce fut là le point de départ de l’appelation "probléme culturel" occultant la dimension politique fondamentale initiale .
Manière subtile de faire oublier aux Négro-Africains, (par diversion ?) la dimension politique de la problématique négre ? Sans nul doute !
Cette question , à son tour , - officialisation de la langue Arabe - fut différée au cours des assises , comme du reste celle de la suppression de la chefferie traditionnelle , pour avoir suscité de vives controverses , une tension élevée , par l’ambiance surchauffée pendant les assises du Congrès .
Les seuls points de “convergence" au cours de ce Congrès furent : l’admission du principe de « prédominance du Parti sur l’Etat », l’adoption du régime présidentiel_ c’est à dire la suppression du Régime parlementaire_ ( début de la dérive autocratique) , et la révision des accords avec la France .
Le Bureau Politique National (BPN) élu fut chargé , au sortir du Congrès , de trouver des solutions à la question culturelle , laissée en suspens , pour l’horizon du Congrès 1962 .
Ainsi le BPN , à son tour, mit en place une commission chargée d’étudier les question qui s’étaient posées au Congrès . Cette commission était composée de Youssouf Koita, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, Dr Racine Toure , Mohamed Ould Cheikh.
Pas de solution pendant toute l’année 1962 où la question des garanties constitutionnelles fut resoulevée de nouveau, simultanément à l’officialisation de la langue Arabe.
Le BPN -nous relate Ould Daddah- y consacra , aprés le retour des travaux de la commission , plusieurs réunions dont la plus longue dura une semaine du 27 juill au 2 Août 1962). Les discussions achoppérent , toutes ".
Nouvelle commission mise sur pied-encore- en juillet 1962, chargée de “la mise en forme des garanties constitutionneles accordées à chaque Ethnie ( notez la filouterie …comme si l’inquiétude, ou le besoin de garantie existait de part et d’autre !) , de l’officialisation de la langue arabe, l’institutionalisati on d’une vice Présidence de la république dont le titulaire n’appartiendrait pas à la même Ethnie que le chef de l’Etat, mais serait élu dans les mêmes conditions que lui ; l’identification de critéres légaux pour l’équité au recrutement aux fonctions publiques , l’Organisme paritaire veillant au respect des garanties “ , fin de citation .Tel fut l’exposé de motifs du travail confié à la commission .
On croirait entendre les FLAM !
Les quatre membres précédents de la commission antérieure sont renforcés par Dah Ould Sidi Heiba , Kane Tidjane , Kane Elimane , Mohamed Mamoune , pour constituer une nouvelle commission.
Celle-ci à son tour crée une Sous-commmission technique ; laquelle sous commission technique adopte les propositions suivantes : Rejet du bilinguisme Arabe peu viable par manque de cadres , rejet de l‘unilinguisme français ,vu les différences sociales et politiques et la mutilation culturelle qu’il entraine , formation de maîtres bilingues , perspective d’une réforme du Secondaire .
Notez encore la filouterie , par cette maniére de louvoyer !
Ces propositions sont soumises au BPN pour adoption ; mais discussions, longues , âpres et passions exacerbées empêchent tout accord . Nouveau report...encore.
La question ( en suspens ) est reportée donc , pour le Congrès de 1963 . Aucune solution, à la fin des travaux de celui-ci ; elle alors reconfiée au BPN ( nouveau ) qui charge sa commmission d’orientation de la tâche .
Octobre 1965 ... le problème refait surface mais de maniére plus aigue; L´assemblée nationale désormais inféodée à Ould Daddah vote une loi en 1965 réorganisant L´Enseignement secondaire , entendez rendant obligatoire l ´Enseignement de l´Arabe à partir de la 6éme , à côté du Français . La suite vous la connaissez ;… Manifeste des 19 , émeutes à Kaëdi , Boghé . Discours musclé et plein de menace de Ould Daddah face à l’agitation Négro-africaine ; discours Daddah dirigé contre les 31 cadres Noirs soutenant la gréve scolaire de 1966, et les 19 signataires du Manifeste.
Désapprobation à ce discours côté Négre , et en réaction … démission du Président de l’assemblée nationale ( Mamoudou Samboly Ba ) et des membres Noirs du Gouvernement. Daddah refusera ces démissions sur le coup, par stratégie , mais sanctionnera de maniére humiliante plus tard Mamoudou Samboly, et Elimane Kane .
Sanction, à pas de course , des 19 cadres signataires du Manifeste qui soutenaient l’action des Eléves Noirs .
Il faut dire que Ould Daddah tenta d’abord de faire prendre la mesure de sanction contre les 19 par le BPN ; « ce fut un échec , du fait d’un profond désaccord tranché entre la tendance maure et Négro- africaine, nettement divisée sur la question en deux blocs , à l’exception de un ou deux maures qui soutenaient le clan négre_ » c’est toujours Ould Daddah qui parle .
Ayant échoué au niveau de cette plus haute instance , Ould Daddah fait prendre la mesure en Conseil de Ministres, plus inféodé .
Le Pays est en pleine crise . La tension ne baisse pas .
Nouvelle Commission nationale en juin 1966, choisie par le BPN, au sortir du Congrès d’Aioun , dont l’objectif était ,disait- on “de maximiser tous les aspects de relation entre les deux communautés nationales, en faisant le point de la situation et en dégageant les perspectives d’avenir “, de réaliser en même temps “un bilinguisme plaçant l’Arabe au même pied que le Français .” sous le couvert de la “repersonnalisation dépouillée de tout chauvinisme et de toute xénophobie “. Fin de citation.
Nouvelle sous-commission (encore !) chargée de traduire ces idées en terme de réforme.
Seck Mame N´diack, Mohameden Ould Babbah, Baro Ali, Mohamed El Moctar O/ Bah , Ahmed Ben Amar , Baro Abdoulaye , Abdellahi O/ Maouloud O/ Daddah , en seront les membres designés.
Remise des travaux trois mois plus tard au BPN ; désaccord ?, insatisfaction ? Daddah n’en dit rien dans son livre. En tout état de cause rebelotte ; le BPN décide d’en reconfier l’étude approfondie à une sous-commission technique…encore une autre !
Babacar Fall, Mohameden O/ Babbah, Elimane Kane , Ba Alassane , Mohamed El Moctar O/ Bah, Sidi Mohamed O/ Deyine, Abdoulaye Baro, Salem Fall , Ely O/ Alaf, en seront les membres . Cette sous-commission fait les recommandations suivantes :
Accent mis « sur la recherche de l’efficacité et de la justice , repersonnalisation dépouillée de tout chauvinisme , renforcement et consolidation de l’unité nationale , ne pas couper l’enfant de son milieu ». Sur la base de ces recommandations , nait la réforme de 1968 instituant la 1ére année du primaire entiérement arabisée, puis celle de 1973 , où les 2 éres années seront entiérement arabisées ; pour le cours élémentaire et cours moyen, l’horaire sera moitieé Arabe , moitié- Français .
Cette réforme consacra , en 1978 , l’échec le plus massif des écoliers Négro-africains.
Entre temps Ould Daddah est balayé par la premiére junte militaire .
Vous aurez compris que si cette question culturelle n’a cessé de rebondir , sans trouver de solution c’est bien parceque Ould Daddah n’y tenait pas , en réalité . Son projet de reéquilibrage ethnique au sein de l’Administration – les maures étaient lésés par le fait colonial- la repersonnalisation de l’homme mauritanien , entendez maure-arabe , lui tenait trop à coeur .
Ce fut pourquoi également , je me permets ici une digression , il jugea et sanctionna différemment les personnalités qui, disait -il, avaient été impliquées dans les émeutes de 1966 . Ainsi, faisant semblant d’être à égale distance de ces leaders en cause, que sont Mohamed Ould Mohamed Salah (appelé ministre des Maures par la vox populis ) et Mohamed Ould Cheikh ( appelé ministre des Noirs) tous deux têtes de pont de son régime ,Ould Daddah opta , en fait , pour un parti pris manifeste en faveur…de la réaction.
Mohamed Ould Cheikh qu’il dépeignait comme généreux et progressiste fut sacrifié au profit de Mohamed Ould Mohamed Salah qu’il dépeignait comme traditionnaliste et conservateur . Il limogea tous les partisans de Mohamed Ould Che ikh , tel Yahya Ould Menkhouss et Bamba Ould Yazid , sans toucher à ceux de Mohamed Ould Mohamed Salah…Qu’il réhabilitera du reste plus tard au congrés d’Aioun…
Des hommes justes , progressistes et généreux – dépeints par lui- même comme tels-furent limogés parcequ’ils avaient eu le courage de leurs idées face au problème nègre, et pensé comme le groupe nègre dans la gestion de cette question politico-culturelle , Ould Daddah choisit donc de liquider le clan progressiste au profit du clan réactionnaire et raciste … le tout sous le couvert de l’équité …quelle filouterie !
Je me suis permis cette digression pour mieux vous éclairer sur le penchant et les motivations sécrétes du marabout, lecteur ,… mais revenons à nos moutons .
De 1958 à 1978 , cette question culturelle sera donc balottée de commissions en sous-commissions ; Daddah avait lu Clémenceau.
Elle continuera de l’être de 1978 à 2000 .
Sous la pression sociale des Négro-Africains , le systéme à filiére ( Arabe /Francais ) est institué sous Ould Haidalla . Léger changement , légére concession .
Mais là également , au fil des années et des manigances de maitres d’Ecole partisans d’une Mauritanie Arabe, la filiére française se retrécira comme une peau de chagrin dans les Ecoles du Sud, que l’on arabisera un peu plus , chaque année après l’autre , en dépit de la liberté de choix proclamé .
Ould Taya , le plus grand despote de tous les temps arrive entre-temps , radicalise l’Enseignement de l’Arabe ; 90% des Ecoles mauritaniennes sont arabisées , les 10% restant ont toutes les peines du monde à dispenser les quelques cours de Français encore existant , de 1984 à 1999.
Au bout de son oeuvre , l’impasse et un gâchis énorme pour des générations d’écoliers sacrifiés .
Suite à ce constat d’échec Ould Taya entreprend une nouvelle réforme …celle de 2000, sous prétexte ‘’ d’unifier le système’’; Il fera supprimer l’Institut des langues, qui pourtant réussissait,…on ne supprime pas quelque chose qui reussit à moins de....… .
Mais , comme toujours l´idéologie de la Mauritanie Arabe- permanent soubassement des politiques racistes - prend le pas sur la raison ; L’unification se fait à nouveau au détriment des Ecoliers Négro- Africains .
En effet, dans cette nouvelle réforme l’Enseignement des matiéres définies comme « matiéres culturelles » comme la philosophie , la langue , l’histoire , la géographie , l’instruction civique , la morale et la religion , sera dispensé en Arabe. Les 2 premiéres années du primaire _ comme ce fut pour la réforme de 1978 _ sont entiérement arabisées . Les Ecoliers engagés dans cette réforme sont aujourd’hui ,en 6 éme année , leur niveau plus bas que jamais . Encore des sacrifiés de la vie …des sacrifés à vie !
Il ressort de ce témoignage , pour conclure , que manifestement Ould Daddah lui-même reconnaissait l’existence du problème nègre –comme problème politique qui se posait en termes de garanties constitutionnelles , voir de partage du pouvoir. Ce fut progressivement que l’aspect culturel prit le pas sur l’aspect politique , comme certaines forces l’avaient conçu , pour conduire à l’appelation « probléme culturel ». Ce glissement ne se fit par hasard . Il et ne fut ni gratuit ni innocent , nous l’avons dit !
A entendre encore aujourd’hui beaucoup de leaders politiques , comme Mohamed Ould Maouloud de l’UFP (cfrt récente déclaration )… comme Conscience et Résistance qui ne retient de notre problématique que l’aspect culturel et humanitaire (déportés,)… comme Ould Daddah Junior dont le mutisme de carpe sur ces questions est encore plus révélateur, nous sommes frappés par la continuité de pensée !
Cette dimension politique que nos leaders politiques s’évertuent à nier ou à gommer , Ould Daddah lui même , à travers ses Mémoires , la reconnaît pourtant . Seul CHBIH Ould Cheikh Malainine osa, par honnêteté, faire entendre une voix discordante. La fuite en avant n’a jamais réglé les problèmes … Elle contribue plutôt à toujours les aggraver , en les faisant durer.
Depuis 1958 il en fut ainsi ; même idéologie de domination , même négation de l’autre personnalité de la Mauritanie , même obstination absurde à vouloir assimiler les Négro- Africains …mais également , même résistance timide, timorée et velléitaire du Négro- mauritanien . Hélas !
Sommes-nous suffisamment indignés par notre Condition dans ce pays ?
A chacun d’en faire l’examen de conscience.
La lutte continue !
BARA BA
Dakar- Sénégal