En présence d'une pluie de stars, le coup d'envoi de la vingt et unième édition des Journées Cinématographiques de Carthage (J.C.C.) a été donné samedi dernier à la salle " Le Colisée ", sise au cœur de la capitale Tunis. Cette manifestation cinématographique qui se poursuit au 18 novembre prochain met en compétition de nombreux longs et courts métrages des cinéastes arabes et africains pour le sacre final, à savoir le Tanit d'or. Parmi les films en compétition, on trouve " Bamako " de notre compatriote Abderrahmane Sissako, qui a déjà fait bonne impression.
"Parce que je suis cinéaste, je dois faire un film qui soit la voix de millions de gens : donner la parole à ceux qui ont besoin de crier une forme d'injustice" Abderrahmane Sissako Très différent de ses films précédents, Bamako, projeté dimanche dernier au " Colisée " et qui poursuit sa tournée dans les différentes salles de Tunis, nous étonne et nous secoue. L'originalité du film tient à son sujet : un tribunal qui siège dans la cour ouverte d'un quartier populaire de Bamako, pour juger les grandes instances internationales : FMI, Banque mondiale et compagnie.
Tour à tour, les témoins représentant la population fustigent l'ordre économique imposé par l'Occident, sous les questions des avocats des deux parties (Maître Rapport, pour l'Occident, et Maître Bourdon, pour la défense de l'Afrique, jouent leur propre rôle). Mais Cissako tire son originalité dans sa façon de filmer.
En effet, sa caméra est descriptive, contemplative et parfois même subversive. Elle nous renvoie à l'images du Mali, de la Mauritanie et de tout le continent africain qui, en aucun moment, ne disparaît dans ce dernier film, mais s'additionne à un discours fortement présent. Bamako est le plaidoyer pour une Afrique meurtrie, croulant sous les dettes, prise en otage par un système économique mondial et privée de ses richesses.
Un discours alter mondialiste clair et net comme s'il rattrapait le temps perdu alors qu'on croyait que l'image cinématographique pouvait mobiliser les gens et produire un discours en faveur des petites gens. Apparemment, la déception est encore plus grande et Bamako en donne une preuve descriptive : une prise de parole, et un coup de gueule contre ceux qui s'obstinent à détourner le regard des réalités crues, cruelles.
Des images minimalistes et condensées
Bien que la parole et le discours soient un pilier essentiel pour ce film, la mise en scène de Sissako contribue fortement à la mise en évidence de son propos. Il nous installe dans un espace clos, un tribunal devant lequel des témoins viennent exposer leur misère personnelle et une situation économique précaire générale, pour tout le continent. Cet espace " gardé " n'est pas en totale rupture avec le monde extérieur : il communique avec la population à travers un mégaphone.
Ce tribunal est donc un espace de discours autour des maux de l'Afrique: la dette, le chômage, l'analphabétisme, l'immigration clandestine, la défaillance du système de santé et de l'éducation… Il est installé, par les soins du cinéaste, dans un lieu de vie quotidienne. Entre les témoins, les avocats de la défense et de la partie civile, les magistrats, la vie continue. Une activité presque normale et ordinaire tourne autour. Les femmes qui tendent le linge, teignent les tissus, soignent leurs malades, élèvent des enfants, font la queue pour l'eau en écoutant ceux qui les défendent ou les accablent. Minimaliste et condensée, l'image de Sissako est proche du cinéma-vérité, sa caméra cherche dans les visages des acteurs un discours qui va de pair et peut-être aussi un contre-discours pour appuyer ces dires. La fin est d'une intensité et d'une grande émotion. Sissako choisit d'en faire trois, comme si une seule fin n'est pas possible pour concentrer son discours. La fille qui déambule durant tout le film à travers les bancs des témoins et des accusés, chanteuse dans un cabaret, interprète, le visage décomposé, une chanson ludique pour les soûlards. La petite fille qui s'endort sous un ventilateur qui lui chasse les mouches du visage, et un chien errant qui renifle un malade de la malaria, mort sur le bord de la route.
Bamako de Sissako est, certes, un film direct qui dit crûment les choses, mais au-delà du discours, la poésie est aussi présente. Par ce que Sissako est aussi un des héritiers du pays des millions des poètes. Une poésie macabre où le sens du détail et de l'intime est ressenti. Un discours renforcé par l'expressivité d'une image sincère qui résonne aussi fort que les mots. Sissako nous bouleverse tant par la parole que par l'image. Un cinéma sans concession est hélas! Là pour raconter les situations extrêmes. Finalement, Sissako aurait pu tourner Bamako, dans n'importe quelle capitale d'Afrique. A Nouakchott, Dakar, Conakry, ou Rabat, peu importe le lieu du tournage. Car il s'agit d' " Un monde privé de sens " dont parlait Zakie Laidi mais qui, par " La force des choses transforme, dans le désordre, son ordre propre lui et fait face à une domination injustifiée qui reconnaît ses propres limites. " comme l'a fait constater le sociologue Georges Balandier.
Ousmane WAGUE,
Correspondant de Nouakchott Info à Tunis
"Parce que je suis cinéaste, je dois faire un film qui soit la voix de millions de gens : donner la parole à ceux qui ont besoin de crier une forme d'injustice" Abderrahmane Sissako Très différent de ses films précédents, Bamako, projeté dimanche dernier au " Colisée " et qui poursuit sa tournée dans les différentes salles de Tunis, nous étonne et nous secoue. L'originalité du film tient à son sujet : un tribunal qui siège dans la cour ouverte d'un quartier populaire de Bamako, pour juger les grandes instances internationales : FMI, Banque mondiale et compagnie.
Tour à tour, les témoins représentant la population fustigent l'ordre économique imposé par l'Occident, sous les questions des avocats des deux parties (Maître Rapport, pour l'Occident, et Maître Bourdon, pour la défense de l'Afrique, jouent leur propre rôle). Mais Cissako tire son originalité dans sa façon de filmer.
En effet, sa caméra est descriptive, contemplative et parfois même subversive. Elle nous renvoie à l'images du Mali, de la Mauritanie et de tout le continent africain qui, en aucun moment, ne disparaît dans ce dernier film, mais s'additionne à un discours fortement présent. Bamako est le plaidoyer pour une Afrique meurtrie, croulant sous les dettes, prise en otage par un système économique mondial et privée de ses richesses.
Un discours alter mondialiste clair et net comme s'il rattrapait le temps perdu alors qu'on croyait que l'image cinématographique pouvait mobiliser les gens et produire un discours en faveur des petites gens. Apparemment, la déception est encore plus grande et Bamako en donne une preuve descriptive : une prise de parole, et un coup de gueule contre ceux qui s'obstinent à détourner le regard des réalités crues, cruelles.
Des images minimalistes et condensées
Bien que la parole et le discours soient un pilier essentiel pour ce film, la mise en scène de Sissako contribue fortement à la mise en évidence de son propos. Il nous installe dans un espace clos, un tribunal devant lequel des témoins viennent exposer leur misère personnelle et une situation économique précaire générale, pour tout le continent. Cet espace " gardé " n'est pas en totale rupture avec le monde extérieur : il communique avec la population à travers un mégaphone.
Ce tribunal est donc un espace de discours autour des maux de l'Afrique: la dette, le chômage, l'analphabétisme, l'immigration clandestine, la défaillance du système de santé et de l'éducation… Il est installé, par les soins du cinéaste, dans un lieu de vie quotidienne. Entre les témoins, les avocats de la défense et de la partie civile, les magistrats, la vie continue. Une activité presque normale et ordinaire tourne autour. Les femmes qui tendent le linge, teignent les tissus, soignent leurs malades, élèvent des enfants, font la queue pour l'eau en écoutant ceux qui les défendent ou les accablent. Minimaliste et condensée, l'image de Sissako est proche du cinéma-vérité, sa caméra cherche dans les visages des acteurs un discours qui va de pair et peut-être aussi un contre-discours pour appuyer ces dires. La fin est d'une intensité et d'une grande émotion. Sissako choisit d'en faire trois, comme si une seule fin n'est pas possible pour concentrer son discours. La fille qui déambule durant tout le film à travers les bancs des témoins et des accusés, chanteuse dans un cabaret, interprète, le visage décomposé, une chanson ludique pour les soûlards. La petite fille qui s'endort sous un ventilateur qui lui chasse les mouches du visage, et un chien errant qui renifle un malade de la malaria, mort sur le bord de la route.
Bamako de Sissako est, certes, un film direct qui dit crûment les choses, mais au-delà du discours, la poésie est aussi présente. Par ce que Sissako est aussi un des héritiers du pays des millions des poètes. Une poésie macabre où le sens du détail et de l'intime est ressenti. Un discours renforcé par l'expressivité d'une image sincère qui résonne aussi fort que les mots. Sissako nous bouleverse tant par la parole que par l'image. Un cinéma sans concession est hélas! Là pour raconter les situations extrêmes. Finalement, Sissako aurait pu tourner Bamako, dans n'importe quelle capitale d'Afrique. A Nouakchott, Dakar, Conakry, ou Rabat, peu importe le lieu du tournage. Car il s'agit d' " Un monde privé de sens " dont parlait Zakie Laidi mais qui, par " La force des choses transforme, dans le désordre, son ordre propre lui et fait face à une domination injustifiée qui reconnaît ses propres limites. " comme l'a fait constater le sociologue Georges Balandier.
Ousmane WAGUE,
Correspondant de Nouakchott Info à Tunis