Un activiste proche de l’ex chef de l’Etat et un imam ayant accusé le premier ministre de complaisance envers l’homosexualité lors d’une conférence à Dakar avec Jean-Luc Mélenchon ont été arrêtés.
Ce sont les premiers détenus d’opinion depuis l’accession au pouvoir du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye et de son premier ministre Ousmane Sonko. Bah Diakhaté, activiste proche de l’ex-chef de l’Etat Macky Sall, et l’imam Cheikh Tidiane Ndao ont été arrêtés respectivement les lundi 20 et mardi 21 mai, à la suite d’une autosaisine du procureur de la République, par la Division des investigations criminelles (DIC) pour « diffusion de fausse nouvelle » et « offense à la personne qui exerce tout ou partie des prérogatives du président de la République », selon l’un de leurs avocats, Me Amadou Sall.
Les propos incriminés peuvent surprendre au regard des positions défendues par Ousmane Sonko. Dans des vidéos et messages audios diffusés en ligne, l’activiste et le religieux ont dénoncé la supposée complaisance du premier ministre vis-à-vis de l’homosexualité, après que le sujet a été abordé lors d’une conférence jeudi 16 mai à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar avec Jean-Luc Mélenchon, le fondateur du parti La France insoumise. Déféré devant le tribunal de Dakar mercredi, Bah Diakhaté n’a finalement pas été entendu par le procureur. Il devrait l’être jeudi après une nouvelle nuit en garde à vue.
Devant les étudiants venus assister à son échange avec l’opposant français, M. Sonko – qui s’exprimait en tant que chef de file des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), sa formation politique – avait déclaré que les sociétés en Afrique et au Sénégal avaient toujours vécu avec l’homosexualité, sans qu’il y ait de persécutions. Si le fait « n’est pas accepté, il est toléré », avait-il dit, avant d’ajouter que le sujet risquait d’être le « casus belli » des relations entre l’Occident et des pays comme le sien. Jean-Luc Mélenchon avait répondu que la « liberté d’amour devait être ouverte à tous ceux qui veulent en bénéficier. »
« Importation occidentale »
Au Sénégal, l’homosexualité est jugée comme un « acte contre nature avec un individu de son sexe », pénalisé d’un à cinq ans d’emprisonnement. La polémique qui a suivi la conférence du 16 mai s’est cependant principalement limitée aux cercles religieux. « Nous dénonçons le fait qu’Ousmane Sonko ait convié Jean-Luc Mélenchon et que l’université ait servi de tribune pour l’apologie de l’homosexualité », commente Mame Makhtar Guèye, vice-président de l’organisation islamique Jamra, tout en regrettant les propos « extrêmement virulents » de Bah Diakhaté et de Cheikh Tidiane Ndao.
Ce fervent soutien d’Ousmane Sonko n’a pourtant pas manqué de fustiger le premier ministre lors d’une conférence de presse organisée suite à la controverse. Il a rappelé l’engagement de M. Sonko en décembre 2022 à criminaliser l’homosexualité s’il arrivait au pouvoir. « Si vous ne respectez pas vos promesses, nous allons vous combattre comme nous l’avons toujours fait », a menacé M. Guèye avant d’annoncer une tournée pour alerter les confréries religieuses toujours influentes au Sénégal.
Dénoncée par ses détracteurs comme une « importation occidentale », la question de l’homosexualité suscite régulièrement des violences ou des discriminations. En octobre dernier, le corps d’un homme, soupçonné d’être homosexuel, a ainsi été exhumé et brûlé à Kaolack.
« Pas prêts à dépénaliser l’homosexualité »
Le pouvoir sénégalais s’est invariablement montré hostile à une dépénalisation. En 2015, Macky Sall recevant Barack Obama à Dakar avait affirmé que « Le Sénégal est un pays tolérant qui ne fait pas de discrimination en termes de traitement sur les droits (…). Mais on n’est pas prêts à dépénaliser l’homosexualité. C’est l’option du Sénégal pour le moment. Cela ne veut pas dire que nous sommes homophobes. Mais il faut que la société absorbe, prenne le temps de traiter ces questions sans qu’il y ait pression. »
Ces dernières années, des dizaines d’organisations religieuses réunies au sein du collectif « Ànd Sàmm Jikko yi » (« Ensemble pour la défense des valeurs » en wolof) ont tenté de mobiliser dans la rue et à l’Assemblée pour obtenir un durcissement de la législation.
En décembre 2023, à leur initiative, un groupe de onze parlementaires avait déposé une proposition de loi visant à punir jusqu’à dix ans de prison les individus reconnus coupables de « lesbianisme, homosexualité, bisexualité, transsexualité, intersexualité, zoophilie, nécrophilie et autres pratiques assimilées ». Parmi les députés figurait Moustapha Guirassy, actuel ministre de l’éducation nationale. Le texte avait été jugé « irrecevable » par le Bureau de l’Assemblée nationale au motif que la loi existante était suffisamment sévère.
Soupçon de spéculation foncière
Bah Diakhaté, qui anime la page Baatu Degg (« La voix de la vérité », en wolof) sur Facebook a été appréhendé à la suite de propos tenus dans deux vidéos. Dans la première datée de 2022 et réapparue ces jours-ci, il accuse Bassirou Diomaye Faye alors inspecteur des impôts, d’avoir vendu un terrain à Cheikh Diba devenu depuis son ministre des finances. Ces déclarations jettent un soupçon de spéculation foncière sur un parti qui a fait de la probité des dirigeants un argument de mobilisation. Dans un direct publié le 16 mai, l’activiste a ensuite accusé Ousmane Sonko de faire la promotion de l’homosexualité en invitant Jean-Luc Mélenchon, défenseur des droits LGBT. Devant les enquêteurs, il a assumé ses propos et affirmé détenir des preuves de l’ensemble de ses allégations.
« C’est un passage en force pour arrêter un activiste car les accusations ne tiennent pas : l’offense au premier ministre n’existe pas dans la loi sénégalaise », s’indigne l’avocat Amadou Sall, pour qui ces deux interpellations « donnent l’impression du début d’une longue série d’arrestations. »
Dans un communiqué, Amnesty International Sénégal estime que « les autorités doivent s’efforcer d’éviter les arrestations et les emprisonnements systématiques à l’encontre de toute personne qui aura commis un délit de cette nature », tout en concédant que « les propos tenus par M. Bah Diakhaté puissent être considérés comme graves et diffamatoires ». Selon l’organisation de défense des droits humains, ces délits doivent s’en tenir à des poursuites civiles et au paiement de dommages et intérêts, « le cas échéant ».
« Les emprisonner pour des insultes est un retour en arrière »
Une position que partage Alioune Tine, défenseur des droits humains qui servit d’intermédiaire entre l’ex-président Macky Sall et Ousmane Sonko, alors opposant en détention et empêché de se présenter à l’élection présidentielle du 24 mars. « Nous demandons la libération de Bah Diakhaté et de Cheikh Tidiane Ndao. Les emprisonner pour des insultes est un retour en arrière », dit-il, tout en rappelant que Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko dénonçaient les mêmes restrictions avant d’être aux affaires. « Chaque camp a ses insulteurs et ils doivent se mettre d’accord pour rejeter ces acteurs qui tiennent un discours de haine pour exister. Il faut abandonner cette pratique toxique pour la démocratie », recommande Alioune Tine.
Théa Ollivier (Dakar, correspondance) et Coumba Kane
Source : Le Monde - (Le 22 mai 2024)
Ce sont les premiers détenus d’opinion depuis l’accession au pouvoir du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye et de son premier ministre Ousmane Sonko. Bah Diakhaté, activiste proche de l’ex-chef de l’Etat Macky Sall, et l’imam Cheikh Tidiane Ndao ont été arrêtés respectivement les lundi 20 et mardi 21 mai, à la suite d’une autosaisine du procureur de la République, par la Division des investigations criminelles (DIC) pour « diffusion de fausse nouvelle » et « offense à la personne qui exerce tout ou partie des prérogatives du président de la République », selon l’un de leurs avocats, Me Amadou Sall.
Les propos incriminés peuvent surprendre au regard des positions défendues par Ousmane Sonko. Dans des vidéos et messages audios diffusés en ligne, l’activiste et le religieux ont dénoncé la supposée complaisance du premier ministre vis-à-vis de l’homosexualité, après que le sujet a été abordé lors d’une conférence jeudi 16 mai à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar avec Jean-Luc Mélenchon, le fondateur du parti La France insoumise. Déféré devant le tribunal de Dakar mercredi, Bah Diakhaté n’a finalement pas été entendu par le procureur. Il devrait l’être jeudi après une nouvelle nuit en garde à vue.
Devant les étudiants venus assister à son échange avec l’opposant français, M. Sonko – qui s’exprimait en tant que chef de file des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), sa formation politique – avait déclaré que les sociétés en Afrique et au Sénégal avaient toujours vécu avec l’homosexualité, sans qu’il y ait de persécutions. Si le fait « n’est pas accepté, il est toléré », avait-il dit, avant d’ajouter que le sujet risquait d’être le « casus belli » des relations entre l’Occident et des pays comme le sien. Jean-Luc Mélenchon avait répondu que la « liberté d’amour devait être ouverte à tous ceux qui veulent en bénéficier. »
« Importation occidentale »
Au Sénégal, l’homosexualité est jugée comme un « acte contre nature avec un individu de son sexe », pénalisé d’un à cinq ans d’emprisonnement. La polémique qui a suivi la conférence du 16 mai s’est cependant principalement limitée aux cercles religieux. « Nous dénonçons le fait qu’Ousmane Sonko ait convié Jean-Luc Mélenchon et que l’université ait servi de tribune pour l’apologie de l’homosexualité », commente Mame Makhtar Guèye, vice-président de l’organisation islamique Jamra, tout en regrettant les propos « extrêmement virulents » de Bah Diakhaté et de Cheikh Tidiane Ndao.
Ce fervent soutien d’Ousmane Sonko n’a pourtant pas manqué de fustiger le premier ministre lors d’une conférence de presse organisée suite à la controverse. Il a rappelé l’engagement de M. Sonko en décembre 2022 à criminaliser l’homosexualité s’il arrivait au pouvoir. « Si vous ne respectez pas vos promesses, nous allons vous combattre comme nous l’avons toujours fait », a menacé M. Guèye avant d’annoncer une tournée pour alerter les confréries religieuses toujours influentes au Sénégal.
Dénoncée par ses détracteurs comme une « importation occidentale », la question de l’homosexualité suscite régulièrement des violences ou des discriminations. En octobre dernier, le corps d’un homme, soupçonné d’être homosexuel, a ainsi été exhumé et brûlé à Kaolack.
« Pas prêts à dépénaliser l’homosexualité »
Le pouvoir sénégalais s’est invariablement montré hostile à une dépénalisation. En 2015, Macky Sall recevant Barack Obama à Dakar avait affirmé que « Le Sénégal est un pays tolérant qui ne fait pas de discrimination en termes de traitement sur les droits (…). Mais on n’est pas prêts à dépénaliser l’homosexualité. C’est l’option du Sénégal pour le moment. Cela ne veut pas dire que nous sommes homophobes. Mais il faut que la société absorbe, prenne le temps de traiter ces questions sans qu’il y ait pression. »
Ces dernières années, des dizaines d’organisations religieuses réunies au sein du collectif « Ànd Sàmm Jikko yi » (« Ensemble pour la défense des valeurs » en wolof) ont tenté de mobiliser dans la rue et à l’Assemblée pour obtenir un durcissement de la législation.
En décembre 2023, à leur initiative, un groupe de onze parlementaires avait déposé une proposition de loi visant à punir jusqu’à dix ans de prison les individus reconnus coupables de « lesbianisme, homosexualité, bisexualité, transsexualité, intersexualité, zoophilie, nécrophilie et autres pratiques assimilées ». Parmi les députés figurait Moustapha Guirassy, actuel ministre de l’éducation nationale. Le texte avait été jugé « irrecevable » par le Bureau de l’Assemblée nationale au motif que la loi existante était suffisamment sévère.
Soupçon de spéculation foncière
Bah Diakhaté, qui anime la page Baatu Degg (« La voix de la vérité », en wolof) sur Facebook a été appréhendé à la suite de propos tenus dans deux vidéos. Dans la première datée de 2022 et réapparue ces jours-ci, il accuse Bassirou Diomaye Faye alors inspecteur des impôts, d’avoir vendu un terrain à Cheikh Diba devenu depuis son ministre des finances. Ces déclarations jettent un soupçon de spéculation foncière sur un parti qui a fait de la probité des dirigeants un argument de mobilisation. Dans un direct publié le 16 mai, l’activiste a ensuite accusé Ousmane Sonko de faire la promotion de l’homosexualité en invitant Jean-Luc Mélenchon, défenseur des droits LGBT. Devant les enquêteurs, il a assumé ses propos et affirmé détenir des preuves de l’ensemble de ses allégations.
« C’est un passage en force pour arrêter un activiste car les accusations ne tiennent pas : l’offense au premier ministre n’existe pas dans la loi sénégalaise », s’indigne l’avocat Amadou Sall, pour qui ces deux interpellations « donnent l’impression du début d’une longue série d’arrestations. »
Dans un communiqué, Amnesty International Sénégal estime que « les autorités doivent s’efforcer d’éviter les arrestations et les emprisonnements systématiques à l’encontre de toute personne qui aura commis un délit de cette nature », tout en concédant que « les propos tenus par M. Bah Diakhaté puissent être considérés comme graves et diffamatoires ». Selon l’organisation de défense des droits humains, ces délits doivent s’en tenir à des poursuites civiles et au paiement de dommages et intérêts, « le cas échéant ».
« Les emprisonner pour des insultes est un retour en arrière »
Une position que partage Alioune Tine, défenseur des droits humains qui servit d’intermédiaire entre l’ex-président Macky Sall et Ousmane Sonko, alors opposant en détention et empêché de se présenter à l’élection présidentielle du 24 mars. « Nous demandons la libération de Bah Diakhaté et de Cheikh Tidiane Ndao. Les emprisonner pour des insultes est un retour en arrière », dit-il, tout en rappelant que Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko dénonçaient les mêmes restrictions avant d’être aux affaires. « Chaque camp a ses insulteurs et ils doivent se mettre d’accord pour rejeter ces acteurs qui tiennent un discours de haine pour exister. Il faut abandonner cette pratique toxique pour la démocratie », recommande Alioune Tine.
Théa Ollivier (Dakar, correspondance) et Coumba Kane
Source : Le Monde - (Le 22 mai 2024)