L'Authentique - En attribuant le 15 janvier 2015 par conseil des ministres, à l’AAAID (Autorité arabe de l’investissement et du développement agricole), une superficie de 3.200 hectares de terres (certains parlent de 9.200 hectares) situées dans la commune de Dar-El-Barka, le gouvernement mauritanien invoque l’intérêt national et déclare œuvrer également pour le bien-être des populations locales.
Mais ces dernières, fortes de leur prétention sur des terres qui leur appartiendraient selon la législation, mais aussi selon les usages et les coutumes, refusent d’entériner une telle expropriation qu’ils qualifient d’abjure, trouvant qu’elle ne milite nullement en leur faveur.
Certains, aigris par le bradage des terres, telles les concessions convoitées par les Saoudiens, y perçoivent un programme savamment élaboré pour chasser les Noirs de la Vallée du Fleuve Sénégal. « Le 28 mars 2015, quelqu’un du village est venu nous dire qu’il a vu des gens avec des appareils sur nos terres de culture et de pâturage ».
C’est de cette manière peu conventionnelle, selon Cheikh Tahar Amadou Dia, habitant de Bour Gamadji Lerabé, et l’un des délégués des habitants de la commune de Dar-El Barka, que les populations locales ont appris l’attribution de leurs champs par le gouvernement mauritanien à des investisseurs arabes.
Depuis, le bras-de-fer se poursuit entre une administration qui considère que « la terre appartient à l’Etat et qu’il peut en disposer comme il le veut » et des autochtones forts de leur présence physique sur le sol, ainsi que de leurs droits inaliénables, consacrés selon eux, par les textes nationaux et internationaux, mais aussi par la tradition.
« Si l’Etat perd cette bataille-là, il peut dire adieu à l’investissement étranger direct dans le domaine agricole »
Selon les informations recueillies, l’Etat mauritanien et l’AAAID (Autorité arabe de l’investissement et du développement agricole) étaient depuis deux ans en pourparlers pour trouver des terres de culture. Et c’est l’Etat mauritanien qui aurait choisi la cuvette de « Karawlatt-Wouliou NDiaye », située à 135 kilomètres de Rosso, dans la commune de Dar-El-Barka (Brakna) et couvrant une superficie de 3.200 hectares. Dix missions d’évaluation, de contrôle et de prospection se seraient ainsi relayées dans la zone dans cet intervalle de temps.
Les résultats de ces missions auraient mis en exergue le caractère vierge de ces terres. Dénudées et sans aucune trace de cultures, elles n’auraient jamais été exploitées, selon les données physiques avancées par les experts de l’AAAID et de l’Etat mauritanien.
Le 15 janvier 2015, le conseil des ministres procéda ainsi à l’attribution de la cuvette « Karawalat » au fonds arabe pour un bail emphytéotique de 25 ans, moyennant 16 millions de dollars par an, selon certaines sources, 1 milliard de dollars US par an, selon d’autres sources.
Le 9 mars, un avis d’attribution fut affiché à la préfecture de Boghé pour d’éventuelles réclamations. Selon un responsable de la wilaya du Brakna, « des gens sont venus pour faire prévaloir des prétentions de propriété mais ils ne disposaient d’aucun document pour l’attester ». Selon lui, « la trace de présence de culture sur cette cuvette, remonte aux inondations de 2010, sur une superficie insignifiante de moins d’1 are ».
Il considère que les terres en question sont éloignées de 6 kilomètres des berges du Fleuve Sénégal. « Elles sont pratiquement inexploitables par les paysans locaux, faute de moyens de drainage qui sont importants » a-t-il affirmé. En plus, selon ce responsable, les populations autochtones n’ont aucun droit de propriété sur les lieux, en vertu de la Loi 83-027 du 5 juin 1983 portant réorganisation foncière et domaniale qui a mis fin à la propriété traditionnelle.
Le président de l’AAAID, Mohamed Ben Abeid El Mezroui, fera ainsi le déplacement de Nouakchott pour signer le 9 mars 2015 le contrat de bail avec le gouvernement mauritanien. Il s’est engagé, dans les deux ans qui suivront le début du projet, à assurer l’autosuffisance de la Mauritanie dans deux produits, les pommes de terre et les oignons.
Cette décision viendrait à point nommé, selon les autorités, d’autant que le Sénégal a arrêté le 15 février dernier l’importation de ses pommes de terre pour protéger ses agriculteurs. D’autre part, l’AAAID se serait engagé à mettre en valeur les terres adjugées, ce qui selon leurs données, pourrait leur coûter un gros investissement, évalué à 9 Milliards d’ouguiya, si l’on y ajoute l’aménagement des terres cultivables dans les localités avoisinantes au bénéfice des agriculteurs de la commune de Dar-El Barka.
Cette tâche aurait ainsi d’ores et déjà été confiée à un Bureau d’études mauritano-tunisien qui supervise également les opérations actuelles de topographie et de pédologie. Mais, les responsables du fonds arabe craignent que le projet soit compromis par les contestations des populations locales. « Des habitants de Regba sont venus menacer les techniciens et les ont chassés » a soutenu fonctionnaire.
Les autorités seraient intervenues et auraient convoqué les délégués des populations concernées pour les mettre en garde contre toute entrave à l’exécution du projet envisagé.
Dans ce cas de figure, « Il n’appartient pas aux investisseurs de négocier avec les populations, c’est l’affaire de l’Etat ».
Plusieurs réunions, longues et fastidieuses, ont ainsi réuni, le préfet de Dar-El Barka, le préfet de Boghé, celui d’Aleg, mais aussi le Wali du Brakna avec les populations pour leur expliquer le caractère irréversible du projet agricole dans la zone de « Karawlat ». Mais toutes les explications pour faire ressortir les retombées positives du projet sur la vie des populations ne sont pas parvenues à vaincre les résistances.
Les habitants de la commune de Dar-El Barka directement concernés par le litige terrien, notamment ceux de Wul NDiaye, Megvé, Diama, Bour Walo, Diama Rew, Boubou Diané, entre autres, refusent de céder leurs terres de culture et de pâturage. Même l’engagement du fonds arabe à donner la priorité du recrutement aux cadres et à la main d’œuvre ressortissants de la commune de Dar-El-Barka n’a fait plier les populations.
Même l’offre de matériels et l’assistance techniques pour accompagner les paysans locaux, ainsi que la construction d’un centre de santé n’ont apporté plus de fuel dans le moulin des initiateurs du projet. « Certains parmi la population semblent bien avoir appréhendé ce qu’ils pourraient gagner avec le projet, et auraient même accepté le principe, mais il semble que leurs cadres à Nouakchott les manipulent » dira un cadre de l’administration locale sous le couvert de l’anonymat.
Aujourd’hui, la balle est dans le camp de l’Etat mauritanien, les fonds sont disponibles, et il suffit juste de trouver une solution pour assurer le démarrage du projet. Beaucoup trouvent que si « l’Etat mauritanien échoue à faire passer ce projet-là, il lui serait difficile de convaincre à l’avenir d’autres investisseurs ».
En effet, quelques 31.000 hectares ont été attribués au groupe saoudien Errajihi en 2010, une immense possession qui va concerner plus d’une cinquantaine de villages englobant les communes de Dar-El Barka, Dar-El Avia et Ould Birom dans le Brakna. Pour le moment, la résistance des autochtones freine encore le processus d’accaparement. Les populations affichent en effet une certaine volonté pour préserver leurs terres.
Le 27 avril dernier, ils étaient plus d’une dizaine à s’attaquer aux bornes fixés par les topographes et ils en ont arraché 176 » témoigne un topographe du Bureau d’études qui constate que « les techniciens dépêchés sur les lieux depuis plus de deux mois travaillent difficilement, interrompus régulièrement par des meutes de personnes qui les empêchent d’avancer ». Et de conclure « l’Etat mauritanien doit prendre ses responsabilités. Pour le grand bien du pays : trouver une soluion àa situation ou donner aux investisseurs, des terres ailleurs où il n’y a pas de problèmes ».
La bataille pour la terre
Entre Koundi au Nord et Dar-El Barka au Sud, ce sont des dizaines de villages qui se sont ligués pour s’opposer à ce qui est considéré ici, dans la Chemama, comme une volonté sourde de l’Etat mauritanien à brader des terres de culture et de pâturage, qui constituent les seules raisons de vivre de milliers de personnes et d’animaux. De Bour Walo à Wul NDiaye, en passant par Diama Rew, Boubou Diané, les Trois Regbas, Aly Guelel, Teeknguel, Rabia, Fecci, Sinthiane, Zedda, Dar Naïm, Bedre, Libheir, Thielaw, Donaye, Sellouja, et la liste est longue, la mobilisation est totale et sans faille.
« Les populations veulent que l’Etat leur laisse leurs terres ; ce projet, ils n’en ont pas besoin. Si c’est pour nos intérêts, nous n’en voulons pas » a déclaré Cheikh Tahar Amadou Dia, un des porte-parole des populations, appuyé par un autre délégué, Brahim Ould Inalla.
Ces habitants reprochent au gouvernement mauritanien de les avoir méprisés et ignorés tout au long du processus qu’il a engagé avec l’investisseur arabe, car selon eux, il n’a même pas pris la peine de recueillir leur avis.
Ainsi, du 28 mars, jour où les populations apprirent les dessous du marché de rétrocession de leurs terres, par la présence physique des topographes et pédologues du Bureau d’études, jusqu’à la date d’aujourd’hui, plusieurs rencontres, échanges, souvent musclés, ont réuni leurs délégués avec les autorités administratives.
Invariablement, il leur a été dit que « la terre appartient à l’Etat et qu’il peut en disposer comme il veut ».
Mais ils refusent encore farouchement d’entériner le bail emphytéotique accordé par le gouvernement à l’AAAID. Ils se sont installés depuis le 17 avril 2015 sur les terres convoitées, avec femmes, enfants et vieillards, refusant de laisser les techniciens du bureau d’études mauritano-tunisien poursuivre leurs travaux. Un septuagénaire éructe : « Hodo Mine Dieye ! ». Et d’ajouter : « ces terres nous appartiennent et pour elles, nous sommes prêts à mourir ! »
Ils ont initié plusieurs marches et sit-in devant la préfecture de Dar-El-Barka, chef-lieu de commune, pour protester contre ce qu’ils considèrent être un abus de pouvoir. Les populations de Dar-El-Barka, face à l’obstination de l’administration, multiplient les appels en direction de l’opinion publique pour pousser le gouvernement à annuler le contrat de rétrocession des terres qu’il a accordé aux Saoudiens
Le statut des terres en litiges
Selon l’un des cadres de la commune de Dar-El-Barka, notamment l’ancien maire Kane Tijane, un document explicatif et détaillé, signé par les propriétaires, mais aussi par des parlementaires, maires, cadres et autres ressortissants de la commune, a été adressé en août 2010 au Hakem de Boghé et au président du tribunal départemental. Cette note comporte tout l’argumentaire juridique nécessaire pour comprendre le statut juridique réel des terres que l’Etat mauritanien a attribué aux investisseurs arabes.
Ainsi, la décision du gouvernement mauritanien serait caduque aussi bien au regard de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) que de la législation nationale, en l’occurrence l’ordonnance 83-027 du 5 juin 1983 portant réorganisation foncière et domaniale, la loi 2000-44 portant Code pastoral, la loi 97-007 portant Code forestier et la loi 2000-045 portant Code de l’environnement.
Si la DUDH reconnaît en son article 17 que « nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété », le décret 2010-080 du 31 mars 2010 portant application de la loi 83-027 impose à l’Etat de ne concéder des terres communautaires que si sa décision est adaptée, circonstanciée, modulée et négociée avec les communautés intéressées, dans le respect des paramètres humains, économiques, historiques, sociaux, pastoraux et environnementaux. Ce qui n’a pas eu lieu.
Ainsi, la réaction instinctive des populations de Dar-El-Barka face au bail à longue durée de leurs terres au profit d’investisseurs étrangers viendrait de l’écart souvent constaté entre les dispositions légales et règlementaires et leur application sur le terrain, mais surtout, du fait que les intérêts de l’Etat, qui ne devraient pas se confondre avec les intérêts de ceux qui agissent en son nom et ceux des hommes d’affaires d’une part, et les intérêts des populations d’autres part, ne sont pas encore convergents.
Dans leur argumentaire , les cadres invoquent la Constitution qui garantit dans son préambule la propriété, mais aussi la loi foncière qui créée dans chaque Moughataa une Commission locale de prévention et d’arbitrage des conflits fonciers collectifs présidée par le Hakem, qui doit obligatoirement être associée dans tout acte de gestion domaniale en zone rurale, et dans toute attribution d’une concession rurale provisoire, tel que prévu par le décret d’application de la loi domaniale. Pour eux, cette commission n’a pas été associée à la décision de l’Etat qui a amené les autorités administratives de Boghé à entamer la procédure de la concession rurale.
Les cadres se demandent par ailleurs, si le Hakem, comme le lui exige la loi foncière et domaniale, a reçu la demande à l’effet, de la part du gouvernement, conformément à la loi, pour vérifier et s’assurer de la présomption de domanialité, et la compatibilité de la concession demandée aux exigences d’exploitation rationnelle des ressources naturelles, toutes démarches qui lui sont expressément exigées par l’article 63 du décret d’application de la loi foncière.
Parmi les autres entorses à la loi relevées par les cadres contestataires, le lieu de l’affichage publicitaire relatif à l’octroi de la concession rurale qui n’aurait pas respecté les dispositions de la loi. Il a été limité aux locaux de la préfecture de Boghé, alors que le même affichage devait se faire également à la préfecture de Dar-El-Barka, lieu de concentration des populations concernées et être diffusé, comme l’exige la loi, par voie de radiodiffusion dans les langues nationales.
Par ailleurs, la note souligne que la preuve de propriété n’est pas uniquement circonscrite à des documents administratifs, comme veut l’imposer l’autorité administrative, car le décret 2000-080 du 31 mars 2010 portant application de la loi foncière reconnaît deux types de preuve : les preuves administratives (titre foncier, certificat de propriété ou tout autre document) et la preuve que la terre est mise en valeur ou l’a été, les traces évidentes d’une ancienne activité étant suffisantes dans ce dernier cas.
Concernant les preuves administratives, la note a répertorié une dizaine de lois sur le foncier de 1958 à 2010, sans qu’aucun de ces textes n’ait fait l’objet de la moindre diffusion, notamment au sein des populations rurales souvent analphabètes. Ainsi, selon la note, « l’Etat a le pouvoir de concevoir des lois, mais il a également le devoir de les faire connaître » surtout s’il s’agit de textes qui touchent aux quotidiens des populations.
La note reproche ainsi à l’Etat de n’avoir jamais expliqué à ces populations que leurs propriétés séculaires, centenaires et collectives ne le sont plus, que la preuve tangible de leurs propriétés est désormais le titre foncier et non plus la transmission de père en fils et enfin, qu’une terre qui n’est pas mise en valeur, ne leur appartient plus.
La note soutient que si une telle campagne avait été faite, les populations se seraient précipitées pour enregistrer leurs propriétés agricoles. Cette mission, dévolue aux Bureaux des Affaires Foncières (BAF) installés à Rosso, Kaédi et Boghé, n’a jamais été remplie et aucune campagne de sensibilisation sur la réforme agraire n’a été menée, souligne la note.
Ainsi, les seuls documents administratifs dont se prévalent les populations de la Vallée sont des documents coloniaux établis en 1909, en 1912, en 1920 et en 1952 ; des documents qui font, selon elles, autorité de loi opposable à l’Etat mauritanien et qui attestent de leur propriété sur les terres.
Ces attributions, collectives et rarement individuelles, ne se confondaient pas avec la collectivité traditionnelle au sens clanique et tribal, rappellent-elles, ce qui fait que beaucoup de terres de la Vallée appartiennent à la fois à des négro-mauritaniens et à des harratines. D’où lé combat conjoint qui soude actuellement ses deux communauté face au gouvernement.
Autre preuve de propriété dont se prévalent les habitants de la commune de Dar-El-Barka sur leurs terres, « les preuves de mise en valeur » reconnues par l’article 1 du décret d’application de la loi foncière qui stipule : « sont considérées comme faisant partie du domaine des personnes privées et protégées en tant que telles, les terres mises en valeur par ces dernières conformément à l’ordonnance 83-027 du 5 juin 1983 et son décret d’application ».
Expliquant la nature des sols dans la cuvette de « Karawlat », il est souligné que ces terres sont mises en valeur d’une manière rudimentaire, à la main, et ne sont exploitées qu’en période de crue. Ce qui fait qu’au bout de deux ou trois ans sans crue, les terres non cultivées sont envahies par la forêt et la broussaille, soutient-on à Dar-El Barka.
Il s’agit de terres que les ouvrages sur le Fleuve Sénégal sont en train de tuer sciemment. Ils font les frais d’un contrôle étatique qui régule les niveaux de crues et leur survenue. La note de relever que cette politique de maîtrise des eaux du fleuve devait s’accompagner d’un soutien aux paysans, en les dotant de moyens techniques, comme les motopompes et les canalisations, ainsi que le crédit agricole pour leur permettre de drainer les eaux.
Mais soutient-on, si le Sénégal et le Mali ont fourni ces outils à leurs paysans, et si ces deux pays ouvrent régulièrement les vannes du Fleuve pour inonder leurs cuvettes et plaines intérieures afin de permettre à leurs agriculteurs de cultiver, en Mauritanie, les autorités cherchent à créer des terres mortes en fermant les vannes et priver ainsi les cuvettes de toute décrue pendant des années, privant leurs agriculteurs de cultiver afin que la gestion des sols ne soit pas maintenue.
Ainsi, la concession des terres de la Chamama et du Diéri aux investisseurs arabes pourraient avoir des conséquences terribles sur l’ensemble de la région, selon les habitants, qui craignent la disparition de leur mode de vie et d’habitat. Les populations trouvent cependant que les impacts d’un tel projet auraient été mieux cernés si elles avaient été impliquées depuis le début du processus.
Aujourd’hui, les populations de Dar-El Barka réclament que la transaction sur leurs terres se fasse directement entre elles, en tant que propriétaires légitimes, et l’AAAID, pour un contrat gagnant-gagnant. Le rôle de l’Etat dans ce cadre, selon les habitants, doit être circonscrit à celui d’assistant, avec ses techniciens et ses juristes, pour garantir l’intérêt des agriculteurs et éleveurs de la zone.
Il faut dire que les communes sur lesquelles le projet de l’AAAID et celui de Errajihi cherchent à s’installer, Dar-El-Barka, Dar-El Avia et Ould Birame, comptent 47 villages pour une population totale de 29.483 personnes selon le RGPH 2013, soit près de 5.000 ménages, qui exploitent 862 hectares.
Le projet touche directement 22 des 47 villages, soit 13.400 personnes, qui possèdent 8 écoles, 15 puits, 8 mosquées et 14 cimetières. L’avenir de tous ces villages, de tous ces hommes, femmes, enfants et vieillards, se pose, mais aussi celui de leurs infrastructures qu’ils déclarent avoir réalisées avec beaucoup de sacrifices, selon les cadres de la région.
Nombreux sont cependant ceux qui pensent qu’un tel projet, de l’envergue de celui envisagé par l’AAAID, aurait des impacts réels sur les populations riveraines, en termes de niveau de vie, d’amélioration sensible dans les modes de culture et d’élevage, grâce à l’assistance technique, à l’encadrement financier et à l’aménagement des terres.
D’une manière plus extensive, beaucoup croient que l’impact du projet pourrait dépasser le cadre local, et faire de Dar-El Barka, un important pôle de développement agricole, vers lequel convergeront des Mauritaniens de tous les horizons. Ce repeuplement et cette richesse créés pourraient transformer le visage rudimentaire d’un espace jusque-là reclus dans un type d’exploitation, de production et d’urbanisation, jugé archaïque.
Mais certaines appréhensions restent à fleur de peaux. Tel ce ressortissant de Dar-El-Barka qui a requis l’anonymat, et qui est convaincu que « ce qui se joue en réalité dans la zone, ce n’est pas un simple problème d’investissement, mais un programme savamment mis en place depuis Ould Taya, poursuivi par ses successeurs, et qui consiste à chasser progressivement les Noirs de la Vallée ».
Encadré
Forte délégation du gouvernement à Dar-El Barka : A la recherche d’un accord Une forte délégation de l’Etat, comprenant le Secrétaire général du Ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation et son homologue du Ministère du Développement Rural, accompagnés du Wali du Brakna, du préfet central d’Aleg, du préfet de Boghé et celui de Dar-El Barka se sont entretenus samedi 3 mai 2015 avec les populations de Dar-El Barka.
Les représentants de l’Etat ont réitéré le caractère irréversible de la décision prise en conseil des ministres le 15 janvier 2015, relative à l’attribution de leurs zones de culture et de pâturage à l’AAAID. Ils ont expliqué aux populations que la décision est sans appel et qu’ils devront coopérer pour permettre au projet de démarrer pour l’intérêt national et leur intérêt propre.
De leur côté, les populations de Dar-El Barka sont restées inflexibles. Pour eux, seule leur extermination totale permettra à l’Etat mauritanien de prendre possession de leurs terres. Les heures qui vont suivre risquent d’être graves.
Cheikh Aïdara
Source:cridem
Mais ces dernières, fortes de leur prétention sur des terres qui leur appartiendraient selon la législation, mais aussi selon les usages et les coutumes, refusent d’entériner une telle expropriation qu’ils qualifient d’abjure, trouvant qu’elle ne milite nullement en leur faveur.
Certains, aigris par le bradage des terres, telles les concessions convoitées par les Saoudiens, y perçoivent un programme savamment élaboré pour chasser les Noirs de la Vallée du Fleuve Sénégal. « Le 28 mars 2015, quelqu’un du village est venu nous dire qu’il a vu des gens avec des appareils sur nos terres de culture et de pâturage ».
C’est de cette manière peu conventionnelle, selon Cheikh Tahar Amadou Dia, habitant de Bour Gamadji Lerabé, et l’un des délégués des habitants de la commune de Dar-El Barka, que les populations locales ont appris l’attribution de leurs champs par le gouvernement mauritanien à des investisseurs arabes.
Depuis, le bras-de-fer se poursuit entre une administration qui considère que « la terre appartient à l’Etat et qu’il peut en disposer comme il le veut » et des autochtones forts de leur présence physique sur le sol, ainsi que de leurs droits inaliénables, consacrés selon eux, par les textes nationaux et internationaux, mais aussi par la tradition.
« Si l’Etat perd cette bataille-là, il peut dire adieu à l’investissement étranger direct dans le domaine agricole »
Selon les informations recueillies, l’Etat mauritanien et l’AAAID (Autorité arabe de l’investissement et du développement agricole) étaient depuis deux ans en pourparlers pour trouver des terres de culture. Et c’est l’Etat mauritanien qui aurait choisi la cuvette de « Karawlatt-Wouliou NDiaye », située à 135 kilomètres de Rosso, dans la commune de Dar-El-Barka (Brakna) et couvrant une superficie de 3.200 hectares. Dix missions d’évaluation, de contrôle et de prospection se seraient ainsi relayées dans la zone dans cet intervalle de temps.
Les résultats de ces missions auraient mis en exergue le caractère vierge de ces terres. Dénudées et sans aucune trace de cultures, elles n’auraient jamais été exploitées, selon les données physiques avancées par les experts de l’AAAID et de l’Etat mauritanien.
Le 15 janvier 2015, le conseil des ministres procéda ainsi à l’attribution de la cuvette « Karawalat » au fonds arabe pour un bail emphytéotique de 25 ans, moyennant 16 millions de dollars par an, selon certaines sources, 1 milliard de dollars US par an, selon d’autres sources.
Le 9 mars, un avis d’attribution fut affiché à la préfecture de Boghé pour d’éventuelles réclamations. Selon un responsable de la wilaya du Brakna, « des gens sont venus pour faire prévaloir des prétentions de propriété mais ils ne disposaient d’aucun document pour l’attester ». Selon lui, « la trace de présence de culture sur cette cuvette, remonte aux inondations de 2010, sur une superficie insignifiante de moins d’1 are ».
Il considère que les terres en question sont éloignées de 6 kilomètres des berges du Fleuve Sénégal. « Elles sont pratiquement inexploitables par les paysans locaux, faute de moyens de drainage qui sont importants » a-t-il affirmé. En plus, selon ce responsable, les populations autochtones n’ont aucun droit de propriété sur les lieux, en vertu de la Loi 83-027 du 5 juin 1983 portant réorganisation foncière et domaniale qui a mis fin à la propriété traditionnelle.
Le président de l’AAAID, Mohamed Ben Abeid El Mezroui, fera ainsi le déplacement de Nouakchott pour signer le 9 mars 2015 le contrat de bail avec le gouvernement mauritanien. Il s’est engagé, dans les deux ans qui suivront le début du projet, à assurer l’autosuffisance de la Mauritanie dans deux produits, les pommes de terre et les oignons.
Cette décision viendrait à point nommé, selon les autorités, d’autant que le Sénégal a arrêté le 15 février dernier l’importation de ses pommes de terre pour protéger ses agriculteurs. D’autre part, l’AAAID se serait engagé à mettre en valeur les terres adjugées, ce qui selon leurs données, pourrait leur coûter un gros investissement, évalué à 9 Milliards d’ouguiya, si l’on y ajoute l’aménagement des terres cultivables dans les localités avoisinantes au bénéfice des agriculteurs de la commune de Dar-El Barka.
Cette tâche aurait ainsi d’ores et déjà été confiée à un Bureau d’études mauritano-tunisien qui supervise également les opérations actuelles de topographie et de pédologie. Mais, les responsables du fonds arabe craignent que le projet soit compromis par les contestations des populations locales. « Des habitants de Regba sont venus menacer les techniciens et les ont chassés » a soutenu fonctionnaire.
Les autorités seraient intervenues et auraient convoqué les délégués des populations concernées pour les mettre en garde contre toute entrave à l’exécution du projet envisagé.
Dans ce cas de figure, « Il n’appartient pas aux investisseurs de négocier avec les populations, c’est l’affaire de l’Etat ».
Plusieurs réunions, longues et fastidieuses, ont ainsi réuni, le préfet de Dar-El Barka, le préfet de Boghé, celui d’Aleg, mais aussi le Wali du Brakna avec les populations pour leur expliquer le caractère irréversible du projet agricole dans la zone de « Karawlat ». Mais toutes les explications pour faire ressortir les retombées positives du projet sur la vie des populations ne sont pas parvenues à vaincre les résistances.
Les habitants de la commune de Dar-El Barka directement concernés par le litige terrien, notamment ceux de Wul NDiaye, Megvé, Diama, Bour Walo, Diama Rew, Boubou Diané, entre autres, refusent de céder leurs terres de culture et de pâturage. Même l’engagement du fonds arabe à donner la priorité du recrutement aux cadres et à la main d’œuvre ressortissants de la commune de Dar-El-Barka n’a fait plier les populations.
Même l’offre de matériels et l’assistance techniques pour accompagner les paysans locaux, ainsi que la construction d’un centre de santé n’ont apporté plus de fuel dans le moulin des initiateurs du projet. « Certains parmi la population semblent bien avoir appréhendé ce qu’ils pourraient gagner avec le projet, et auraient même accepté le principe, mais il semble que leurs cadres à Nouakchott les manipulent » dira un cadre de l’administration locale sous le couvert de l’anonymat.
Aujourd’hui, la balle est dans le camp de l’Etat mauritanien, les fonds sont disponibles, et il suffit juste de trouver une solution pour assurer le démarrage du projet. Beaucoup trouvent que si « l’Etat mauritanien échoue à faire passer ce projet-là, il lui serait difficile de convaincre à l’avenir d’autres investisseurs ».
En effet, quelques 31.000 hectares ont été attribués au groupe saoudien Errajihi en 2010, une immense possession qui va concerner plus d’une cinquantaine de villages englobant les communes de Dar-El Barka, Dar-El Avia et Ould Birom dans le Brakna. Pour le moment, la résistance des autochtones freine encore le processus d’accaparement. Les populations affichent en effet une certaine volonté pour préserver leurs terres.
Le 27 avril dernier, ils étaient plus d’une dizaine à s’attaquer aux bornes fixés par les topographes et ils en ont arraché 176 » témoigne un topographe du Bureau d’études qui constate que « les techniciens dépêchés sur les lieux depuis plus de deux mois travaillent difficilement, interrompus régulièrement par des meutes de personnes qui les empêchent d’avancer ». Et de conclure « l’Etat mauritanien doit prendre ses responsabilités. Pour le grand bien du pays : trouver une soluion àa situation ou donner aux investisseurs, des terres ailleurs où il n’y a pas de problèmes ».
La bataille pour la terre
Entre Koundi au Nord et Dar-El Barka au Sud, ce sont des dizaines de villages qui se sont ligués pour s’opposer à ce qui est considéré ici, dans la Chemama, comme une volonté sourde de l’Etat mauritanien à brader des terres de culture et de pâturage, qui constituent les seules raisons de vivre de milliers de personnes et d’animaux. De Bour Walo à Wul NDiaye, en passant par Diama Rew, Boubou Diané, les Trois Regbas, Aly Guelel, Teeknguel, Rabia, Fecci, Sinthiane, Zedda, Dar Naïm, Bedre, Libheir, Thielaw, Donaye, Sellouja, et la liste est longue, la mobilisation est totale et sans faille.
« Les populations veulent que l’Etat leur laisse leurs terres ; ce projet, ils n’en ont pas besoin. Si c’est pour nos intérêts, nous n’en voulons pas » a déclaré Cheikh Tahar Amadou Dia, un des porte-parole des populations, appuyé par un autre délégué, Brahim Ould Inalla.
Ces habitants reprochent au gouvernement mauritanien de les avoir méprisés et ignorés tout au long du processus qu’il a engagé avec l’investisseur arabe, car selon eux, il n’a même pas pris la peine de recueillir leur avis.
Ainsi, du 28 mars, jour où les populations apprirent les dessous du marché de rétrocession de leurs terres, par la présence physique des topographes et pédologues du Bureau d’études, jusqu’à la date d’aujourd’hui, plusieurs rencontres, échanges, souvent musclés, ont réuni leurs délégués avec les autorités administratives.
Invariablement, il leur a été dit que « la terre appartient à l’Etat et qu’il peut en disposer comme il veut ».
Mais ils refusent encore farouchement d’entériner le bail emphytéotique accordé par le gouvernement à l’AAAID. Ils se sont installés depuis le 17 avril 2015 sur les terres convoitées, avec femmes, enfants et vieillards, refusant de laisser les techniciens du bureau d’études mauritano-tunisien poursuivre leurs travaux. Un septuagénaire éructe : « Hodo Mine Dieye ! ». Et d’ajouter : « ces terres nous appartiennent et pour elles, nous sommes prêts à mourir ! »
Ils ont initié plusieurs marches et sit-in devant la préfecture de Dar-El-Barka, chef-lieu de commune, pour protester contre ce qu’ils considèrent être un abus de pouvoir. Les populations de Dar-El-Barka, face à l’obstination de l’administration, multiplient les appels en direction de l’opinion publique pour pousser le gouvernement à annuler le contrat de rétrocession des terres qu’il a accordé aux Saoudiens
Le statut des terres en litiges
Selon l’un des cadres de la commune de Dar-El-Barka, notamment l’ancien maire Kane Tijane, un document explicatif et détaillé, signé par les propriétaires, mais aussi par des parlementaires, maires, cadres et autres ressortissants de la commune, a été adressé en août 2010 au Hakem de Boghé et au président du tribunal départemental. Cette note comporte tout l’argumentaire juridique nécessaire pour comprendre le statut juridique réel des terres que l’Etat mauritanien a attribué aux investisseurs arabes.
Ainsi, la décision du gouvernement mauritanien serait caduque aussi bien au regard de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) que de la législation nationale, en l’occurrence l’ordonnance 83-027 du 5 juin 1983 portant réorganisation foncière et domaniale, la loi 2000-44 portant Code pastoral, la loi 97-007 portant Code forestier et la loi 2000-045 portant Code de l’environnement.
Si la DUDH reconnaît en son article 17 que « nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété », le décret 2010-080 du 31 mars 2010 portant application de la loi 83-027 impose à l’Etat de ne concéder des terres communautaires que si sa décision est adaptée, circonstanciée, modulée et négociée avec les communautés intéressées, dans le respect des paramètres humains, économiques, historiques, sociaux, pastoraux et environnementaux. Ce qui n’a pas eu lieu.
Ainsi, la réaction instinctive des populations de Dar-El-Barka face au bail à longue durée de leurs terres au profit d’investisseurs étrangers viendrait de l’écart souvent constaté entre les dispositions légales et règlementaires et leur application sur le terrain, mais surtout, du fait que les intérêts de l’Etat, qui ne devraient pas se confondre avec les intérêts de ceux qui agissent en son nom et ceux des hommes d’affaires d’une part, et les intérêts des populations d’autres part, ne sont pas encore convergents.
Dans leur argumentaire , les cadres invoquent la Constitution qui garantit dans son préambule la propriété, mais aussi la loi foncière qui créée dans chaque Moughataa une Commission locale de prévention et d’arbitrage des conflits fonciers collectifs présidée par le Hakem, qui doit obligatoirement être associée dans tout acte de gestion domaniale en zone rurale, et dans toute attribution d’une concession rurale provisoire, tel que prévu par le décret d’application de la loi domaniale. Pour eux, cette commission n’a pas été associée à la décision de l’Etat qui a amené les autorités administratives de Boghé à entamer la procédure de la concession rurale.
Les cadres se demandent par ailleurs, si le Hakem, comme le lui exige la loi foncière et domaniale, a reçu la demande à l’effet, de la part du gouvernement, conformément à la loi, pour vérifier et s’assurer de la présomption de domanialité, et la compatibilité de la concession demandée aux exigences d’exploitation rationnelle des ressources naturelles, toutes démarches qui lui sont expressément exigées par l’article 63 du décret d’application de la loi foncière.
Parmi les autres entorses à la loi relevées par les cadres contestataires, le lieu de l’affichage publicitaire relatif à l’octroi de la concession rurale qui n’aurait pas respecté les dispositions de la loi. Il a été limité aux locaux de la préfecture de Boghé, alors que le même affichage devait se faire également à la préfecture de Dar-El-Barka, lieu de concentration des populations concernées et être diffusé, comme l’exige la loi, par voie de radiodiffusion dans les langues nationales.
Par ailleurs, la note souligne que la preuve de propriété n’est pas uniquement circonscrite à des documents administratifs, comme veut l’imposer l’autorité administrative, car le décret 2000-080 du 31 mars 2010 portant application de la loi foncière reconnaît deux types de preuve : les preuves administratives (titre foncier, certificat de propriété ou tout autre document) et la preuve que la terre est mise en valeur ou l’a été, les traces évidentes d’une ancienne activité étant suffisantes dans ce dernier cas.
Concernant les preuves administratives, la note a répertorié une dizaine de lois sur le foncier de 1958 à 2010, sans qu’aucun de ces textes n’ait fait l’objet de la moindre diffusion, notamment au sein des populations rurales souvent analphabètes. Ainsi, selon la note, « l’Etat a le pouvoir de concevoir des lois, mais il a également le devoir de les faire connaître » surtout s’il s’agit de textes qui touchent aux quotidiens des populations.
La note reproche ainsi à l’Etat de n’avoir jamais expliqué à ces populations que leurs propriétés séculaires, centenaires et collectives ne le sont plus, que la preuve tangible de leurs propriétés est désormais le titre foncier et non plus la transmission de père en fils et enfin, qu’une terre qui n’est pas mise en valeur, ne leur appartient plus.
La note soutient que si une telle campagne avait été faite, les populations se seraient précipitées pour enregistrer leurs propriétés agricoles. Cette mission, dévolue aux Bureaux des Affaires Foncières (BAF) installés à Rosso, Kaédi et Boghé, n’a jamais été remplie et aucune campagne de sensibilisation sur la réforme agraire n’a été menée, souligne la note.
Ainsi, les seuls documents administratifs dont se prévalent les populations de la Vallée sont des documents coloniaux établis en 1909, en 1912, en 1920 et en 1952 ; des documents qui font, selon elles, autorité de loi opposable à l’Etat mauritanien et qui attestent de leur propriété sur les terres.
Ces attributions, collectives et rarement individuelles, ne se confondaient pas avec la collectivité traditionnelle au sens clanique et tribal, rappellent-elles, ce qui fait que beaucoup de terres de la Vallée appartiennent à la fois à des négro-mauritaniens et à des harratines. D’où lé combat conjoint qui soude actuellement ses deux communauté face au gouvernement.
Autre preuve de propriété dont se prévalent les habitants de la commune de Dar-El-Barka sur leurs terres, « les preuves de mise en valeur » reconnues par l’article 1 du décret d’application de la loi foncière qui stipule : « sont considérées comme faisant partie du domaine des personnes privées et protégées en tant que telles, les terres mises en valeur par ces dernières conformément à l’ordonnance 83-027 du 5 juin 1983 et son décret d’application ».
Expliquant la nature des sols dans la cuvette de « Karawlat », il est souligné que ces terres sont mises en valeur d’une manière rudimentaire, à la main, et ne sont exploitées qu’en période de crue. Ce qui fait qu’au bout de deux ou trois ans sans crue, les terres non cultivées sont envahies par la forêt et la broussaille, soutient-on à Dar-El Barka.
Il s’agit de terres que les ouvrages sur le Fleuve Sénégal sont en train de tuer sciemment. Ils font les frais d’un contrôle étatique qui régule les niveaux de crues et leur survenue. La note de relever que cette politique de maîtrise des eaux du fleuve devait s’accompagner d’un soutien aux paysans, en les dotant de moyens techniques, comme les motopompes et les canalisations, ainsi que le crédit agricole pour leur permettre de drainer les eaux.
Mais soutient-on, si le Sénégal et le Mali ont fourni ces outils à leurs paysans, et si ces deux pays ouvrent régulièrement les vannes du Fleuve pour inonder leurs cuvettes et plaines intérieures afin de permettre à leurs agriculteurs de cultiver, en Mauritanie, les autorités cherchent à créer des terres mortes en fermant les vannes et priver ainsi les cuvettes de toute décrue pendant des années, privant leurs agriculteurs de cultiver afin que la gestion des sols ne soit pas maintenue.
Ainsi, la concession des terres de la Chamama et du Diéri aux investisseurs arabes pourraient avoir des conséquences terribles sur l’ensemble de la région, selon les habitants, qui craignent la disparition de leur mode de vie et d’habitat. Les populations trouvent cependant que les impacts d’un tel projet auraient été mieux cernés si elles avaient été impliquées depuis le début du processus.
Aujourd’hui, les populations de Dar-El Barka réclament que la transaction sur leurs terres se fasse directement entre elles, en tant que propriétaires légitimes, et l’AAAID, pour un contrat gagnant-gagnant. Le rôle de l’Etat dans ce cadre, selon les habitants, doit être circonscrit à celui d’assistant, avec ses techniciens et ses juristes, pour garantir l’intérêt des agriculteurs et éleveurs de la zone.
Il faut dire que les communes sur lesquelles le projet de l’AAAID et celui de Errajihi cherchent à s’installer, Dar-El-Barka, Dar-El Avia et Ould Birame, comptent 47 villages pour une population totale de 29.483 personnes selon le RGPH 2013, soit près de 5.000 ménages, qui exploitent 862 hectares.
Le projet touche directement 22 des 47 villages, soit 13.400 personnes, qui possèdent 8 écoles, 15 puits, 8 mosquées et 14 cimetières. L’avenir de tous ces villages, de tous ces hommes, femmes, enfants et vieillards, se pose, mais aussi celui de leurs infrastructures qu’ils déclarent avoir réalisées avec beaucoup de sacrifices, selon les cadres de la région.
Nombreux sont cependant ceux qui pensent qu’un tel projet, de l’envergue de celui envisagé par l’AAAID, aurait des impacts réels sur les populations riveraines, en termes de niveau de vie, d’amélioration sensible dans les modes de culture et d’élevage, grâce à l’assistance technique, à l’encadrement financier et à l’aménagement des terres.
D’une manière plus extensive, beaucoup croient que l’impact du projet pourrait dépasser le cadre local, et faire de Dar-El Barka, un important pôle de développement agricole, vers lequel convergeront des Mauritaniens de tous les horizons. Ce repeuplement et cette richesse créés pourraient transformer le visage rudimentaire d’un espace jusque-là reclus dans un type d’exploitation, de production et d’urbanisation, jugé archaïque.
Mais certaines appréhensions restent à fleur de peaux. Tel ce ressortissant de Dar-El-Barka qui a requis l’anonymat, et qui est convaincu que « ce qui se joue en réalité dans la zone, ce n’est pas un simple problème d’investissement, mais un programme savamment mis en place depuis Ould Taya, poursuivi par ses successeurs, et qui consiste à chasser progressivement les Noirs de la Vallée ».
Encadré
Forte délégation du gouvernement à Dar-El Barka : A la recherche d’un accord Une forte délégation de l’Etat, comprenant le Secrétaire général du Ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation et son homologue du Ministère du Développement Rural, accompagnés du Wali du Brakna, du préfet central d’Aleg, du préfet de Boghé et celui de Dar-El Barka se sont entretenus samedi 3 mai 2015 avec les populations de Dar-El Barka.
Les représentants de l’Etat ont réitéré le caractère irréversible de la décision prise en conseil des ministres le 15 janvier 2015, relative à l’attribution de leurs zones de culture et de pâturage à l’AAAID. Ils ont expliqué aux populations que la décision est sans appel et qu’ils devront coopérer pour permettre au projet de démarrer pour l’intérêt national et leur intérêt propre.
De leur côté, les populations de Dar-El Barka sont restées inflexibles. Pour eux, seule leur extermination totale permettra à l’Etat mauritanien de prendre possession de leurs terres. Les heures qui vont suivre risquent d’être graves.
Cheikh Aïdara
Source:cridem