ATTENTES - Situation des négro-africains : Les mots pour les maux

LE QUOTIDIEN
Envoyé spécial à Nouakchott - Les Négro-africains qui souffrent toujours de la ségrégation raciale espèrent que cette élection présidentielle sera la fin de plusieurs années de souffrance. Ils rêvent à haute voix l’avènement d’un noir à la tête de ce pays.

C’est à quelques mètres du Commissariat central du 5 ème arrondissement balayé par un vent chaud et sec du désert. Aux alentours, des ânes, attachés sur les pneus des charrettes, broutent tranquillement la paille déposée à même le sol. A Sebkha et El Mina, la pauvreté, la frustration et le sentiment du mépris s’y sont donnés rendez-vous. Avec ses bâtiments austères, ses sentiers non lotissés et sans canalisation, cette bourgade, où s’entassent les négro-africains, présente une figure de quartier oublié et des laissés pour compte. Pourtant, avec sa population galopante, elle attise les convoitises des différents présidentiables mauritaniens. Et dans ce coin où les différentes populations baragouinent le Pular et le Soninké, on prie pour que cette élection consacre enfin la chute de certaines valeurs comme la ségrégation raciale. Farmata Sall moulée dans son Meulfa rose, rêve à haute voix devant les portes du centre de vote l’école 14 : «Nous espérons que élection va mener la Mauritanie sur le chemin de la démocratie.» Et surtout : «De la tolérance ethnique et raciale entre les différentes couches de notre population. Ce qui constitue en fait une richesse énorme», dissèque-t-elle. Fatou a déjà ses pieds dans ce monde de tolérance. En s’affichant avec sa couverture blanche (son mari est arabe), elle incite ses 3,1 millions de compatriotes à envelopper ses aspirations. «Pour moi, il ne peut y avoir de personnes supérieures ou inférieures. Je crois que cette élection sera un tournant pour le changement de nos comportements et mentalités», espère-t-elle.

Dans ce pays où la majorité arabe roule sur une opulence ostentatoire, le vote ethnique risque davantage d’aimanter une frange de la population et de rendre plus profonde la cassure déjà existante entre les différentes couches du tissu social. «Je suis noir et je vote Ibrahima Sarr. C’est clair, aucun Arabe ne va voter pour lui. Pourquoi bon Dieu devrai-je voter pour ces gens-là. Il faut vraiment être un hypocrite pour le faire», tranche Bocar Traoré. La réalité quotidienne à laquelle sont confrontés les Négro-africains les conforte dans leur position de laissés pour compte. Sans assainissements, sans eaux, une distribution d’électricité très faible, le constat est suffisant pour crier à la discrimination. «Nous sommes délaissés par les autorités qui ne se préoccupent que de Tevragh Zeina alors que nous sommes plus de 300 000 habitants à Sebkha et El Mina. Nous allons voter pour l’homme qui vit avec nous et qui partage nos souffrances avec nous. J’aurais tellement aimé que nous soyons unis, sans penser au vote ethnique», se désole Bourdy Sy, en instance de voter au bureau 5 de l’école 4. Le rêve est toujours permis. Si ce n’est quand même trop exigé à cette présidentielle de phagocyter certaines idées ancrées dans le subconscient de certains de ses compatriotes.

Dans ce pays où la cohabitation ethnique heurtée est une réalité, les habitants de Sebkha braillent à haute voix leurs vœux de voir un Négro-africain prendre possession le Palais ocre. Pourquoi pas au nom de la légalité des citoyens devant la loi. «Tout ce qu’on souhaite, c’est l’arrivée d’un Noir à la tête du pays. Nous avons toujours eu des présidents arabes, nous en voulons un qui est de notre communauté», lance Bocar Traoré. Pour l’atteinte de ce rêve presque fou, Ibrahima Sarr, un candidat indépendant, figure de proue de la lutte pour la reconnaissance des minorités, s’avance avec beaucoup de confiance dans les quartiers de Sebkha et de d’El Mina. «Ibrahima Sarr s’est toujours battu pour que les Négro-africains soient vraiment respectés et que leurs droits soient davantage pris en compte. A part le vote ethnique, je ne crois pas qu’il puisse bénéficier d’autres suffrages. C’est malheureux pour un pays de voir les gens raisonner ainsi, mais c’est la vérité», regrette Abdallah El Kertoumi, un arabe bon teint. Moustapha Ould Zéghouan (un arabe) du bureau de vote du centre de la Formation pour la promotion féminine conclut : «Ibrahima Sarr serait un bon président si les gens ne pensent pas à la couleur de sa peau. Il a toujours montré son amour et attachement à la Mauritanie. Pour moi, il n’y a pas de Noirs et d’Arabes. Les négro-africains méritent d’obtenir un Premier ministre ou un Président. Mais, ce ne sera pas maintenant. Il faut toujours prier.» Dieu entendra l’appel des faibles !


Bocar SAKHO