Cheikh Anta Diop
On commémore les 20 ans de la disparition du Pr Cheikh Anta Diop. Qu’est-ce que cela représente pour le Sénégal et l’Afrique.
Pour le Sénégal et pour l’Afrique, c’est un douloureux souvenir. Cheikh Anta Diop n’était pas n’importe qui. C’est celui qui a réconcilié l’Afrique avec l’histoire. C’est celui qui s’est battu, toute sa vie durant, pour rendre sa digniité à l’Afrique. C’est celui qui a lancé des idées extrêmement fécondes pour faire l’unité africaine et sauver l’Afrique de la balkanisation.
Vingt ans après sa mort, on se rend compte que c’est une perte énorme et pour le Sénégal et pour l’Afrique.
Cheikh Anta Diop avait rêvé et théorisé l’unité africaine. Le thème semble toujours d’actualité...
Absolument. Il parlait des fondements culturels et économiques d’un Etat fédéral d’Afrique noire. En 1960, juste au moment où la plupart des Etats d’Afrique allaient à l’indépendance, il était partisan de la réalisation immédiate de l’Etat fédéral. Il disait que si on attendait, l’ossification des structures risquait d’avoir lieu. Et malheureusement, les faits lui ont donné raison. Je dis malheureusement, parce que l’on se rend compte que, malgré tous les blocages et difficultés, l’Afrique est en train de s’acheminer vers la réalisation de cette idée. On est passé de l’Oua à l’Union africaine, et aujourd’hui, il est grandement question d’avoir des ministères fédéraux et, peut-être même, une présidence unique qui est l’idée lancée par le président Abdoulaye Wade.
Mais, ce qui est sûr, c’est que ça va être très difficile. Vous voyez que la pensée de Cheikh Anta Diop est d’actualité : réunir, rassembler toutes les énergies. Cheikh disait que l’Afrique n’est pas pauvre, je vous renvoie à son livre sur les fondements économiques de l’Afrique. Pas plus tard qu’avant-hier, je suivais une émission de stratégie politique qui disait que la plupart des réserves des métaux précieux se trouvent en Afrique. C’est une idée très actuelle. Est-ce que nos dirigeants auront suffisamment de lucidité, de courage, pour aller dans ce sens ? C’est ça la grande question.
Les Etats semblent toujours accrochés à leurs frontières coloniales qui sont pourtant si poreuses...
Ce sont des créations purement artificielles. Je prends pour exemple la frontière entre le Sénégal et la Gambie ou le Sénégal et la Mauritanie. Vous savez que cette dernière frontière partage en deux le Fouta, qui était une entité politique depuis les Satigui et, avant même eux, les Diaogo, les Mana, les Lam Taga, les Lam Termess, les Almamy... C’est la colonisation qui a séparé cette entité. C’est une création très artificielle et l’on s’en est rendu compte avec le conflit sénégalo-mauritanien. Ce sont les mêmes populations de part et d’autre. C’est pareil avec la Gambie et le Mali. Ce sont des créations qu’on aurait dû faire disparaître très facilement avec la volonté politique. Mais, malheureusement, le pouvoir est grisant. La plupart de nos chefs d’Etat, ce n’est pas leur jeter la pierre mais c’est un constat, préfèrent être le chef d’un tout-petit troupeau que de se dissoudre dans un grand troupeau qui aurait pu faire peur au lion. Avec un petit troupeau, on est toujours vaincu. Aujourd’hui, dans la bataille pour le développement, la bataille à mort entre les grandes nations en matière de commerce et d’industrie, l’Afrique n’a aucune chance de triompher, si elle continue d’avoir ces Etats lilluptiens.
Cheikh Anta prônait le fédéralisme. Ne peut-on pas dire que son seul tort c’est d’avoir eu raison très tôt ?
C’est vrai, mais l’intellectuel est toujours en avance sur son temps. Mais, je ne dirai pas qu’il a eu raison très tôt. C’était très clair au niveau de l’intelligentsia africaine en Europe, les étudiants en Europe à l’époque ont organisé deux grandes manifestations à Paris et à Rome pour réfléchir sur l’avenir de l’Afrique. Les gens étaient conscients qu’il fallait aller à l’indépendance groupé. Des gens comme Senghor voulaient qu’on y aille dans l’unité. C’est pourquoi ils ont créé la fédération du Mali mais, malheureusement, les vieux démons sont vite revenus. Nos maîtres, qui n’avaient pas intérêt à avoir en face d’eux des entités homogènes et suffisamment puissantes, ont vite fait de semer la graine de la zizanie entre nous.
Pensez-vous que l’Afrique soit suffisamment outillée pour aller vers cette unité prônée par Cheikh Anta Diop ?
L’Afrique est outillée, il y a, à la base, ce que Cheikh Anta appelle l’unité culturelle, n’en déplaise à ceux qui disent qu’il n’y a pas d’unité culturelle en Afrique, que l’Afrique est morcellée en ethnies, en sous-groupes... Mais, quand vous analysez un peu les civilisations négro-africaines, vous verrez que toutes les valeurs fondamentales sont les mêmes, d’un bout à l’autre du continent. Prenez l’Europe, elle n’est pas plus unie que l’Afrique. Toutes les calamités de ce monde sont venues d’Europe : les guerres médiévales, les grandes croisades, la guerre de cent ans, les guerres mondiales... L’Europe a eu de nombreuses déchirures, malgré tout, personne n’a douté que les Européens constituent une grande civilisation. En Afrique, c’est pareil, les Européens ne sont pas plus unis que nous sur le plan culturel. C’est une question de volonté politique. Prenez nos religions traditionnelles, c’est la même chose chez les Sérères, les Dogons, les Baoulés... Ce sont les mêmes valeurs. Les grandes valeurs caractéristiques des civilisations négro-africaines, on les retrouve partout. Donc on peut bâtir l’unité africaine sur ça. Mais, le problème est que c’est la volonté politique qui manque. Les gens préfèrent être chef quelque part, plutôt que de se dissoudre dans un grand ensemble qui a plus de chance de survie. Ils préfèrent voir leurs intérêts immédiats que ceux de l’Afrique dans le futur.
Donc ils ont peur de leur histoire... Ils ont peur de leur histoire (rires)
Au moment où on parle de l’Union africaine avec toutes les difficultés rencontrées dans sa réalisation, a-t-on tenu compte des préalables, posés par Cheikh Anta Diop dans ses écrits, pour aller vers l’unité ?
Cheikh Anta disait qu’il vaut mieux faire l’unité immédiatement. A l’époque, les gens n’étaient pas habitués au pouvoir, on venait tous de rompre nos chaînes. Donc, on pouvait accepter un ensemble plus vaste. Aujourd’hui, c’est plus difficile. Quand on a l’habitude d’avoir ses avantages, il vous sera très difficile de renoncer au pouvoir pour sauver l’Afrique.
Cheikh Anta a insisté aussi sur la nécessité de développer les langues nationales. Ce qui semble être négligé dans les schémas de développement du continent...
C’est vrai, vous prêchez à quelqu’un qui est convaincu. Voyez ce livre que j’ai écrit et qui s’intitule « Palel Njumri » (texte renvoyant à l’origine de l’histoire des populations). J’ai essayé d’y vulgariser en Pulaar les thèses de Cheikh Anta. La deuxième partie porte sur l’après-barrage, donc la problématique du développement, et la dernière sur l’actualité du Sénégal avec des textes sur la Sonatel, à l’époque où l’on parlait de sa privatisation. Au niveau des langues nationales, il y a beaucoup de choses à faire pour éveiller les consciences. J’ai écrit un autre livre en Pulaar, « Sawru ganndal » (aux éditions Papyrus). Je suis convaincu que si on veut développer nos populations, c’est à travers les langues nationales qu’il faut le faire. Nous avons traduit en wolof, pulaar et anglais le livre « L’Antiquité africaine par l’image » de Cheikh Anta Diop. Tout ça, c’est pour montrer qu’il faut que nos populations puissent accéder au savoir dans leurs langues. Avant, j’écrivais dans « Sofaa » qui était un journal bilingue. Malheureusement, aujourd’hui, les gens parlent des langues nationales, mais on ne fait rien de concret pour elles. Et pourtant, rien n’empêche le gouvernement de prendre un certain nombre d’exemplaires de livres en langues nationales pour ses bibliothèques, comme cela se fait en Tunisie. Il faut subventionner l’édition en langue nationale, acheter les ouvrages pour qu’ils arrivent auprès des gens qui en ont besoin, des ruraux qui n’ont pas d’argent. Je regrette, mais rien n’est fait.
Finalement, ceux qui disent que nos langues ne sont pas porteuses de connaissances et qu’il est difficile de conceptualiser avec, ont-ils raison ?
J’ai écrit un livre en Pulaar, et toutes les pensées développées par Cheikh Anta Diop sont expliquées dans cette langue. Maintenant, il faut que les gens maîtrisent leurs langues. C’est une tare de nos intellectuels de ne pas maîtriser leurs langues. Ce que j’écris dans ma langue peut être traduit dans toutes les autres langues africaines.
Que pensez-vous de l’initiative du chef de l’Etat de faire de cette commémoration de la mort du savant un événement à la fois national et international ?
Ce n’est que justice. Sur la base des écrits de Cheikh Anta Diop, les Américains ont un projet de réécriture de l’histoire de l’humanité. Ils ont sorti un premier volume qui s’appelle « The preliminary challenge ». Mais les Africains auraient dû le faire. Malheureusement, ce sont les Américains qui sont plus convaincus par ses idées. Même s’il est vrai que c’est notre diaspora, il ne faut pas que les Noirs américains soient devant nous dans la reconnaissance ou l’exploitation des idées de Cheikh Anta, un homme de dimension internationale, qui dépasse et le Sénégal et l’Afrique. Si on lui rend hommage à l’échelle du continent, ce n’est que justice.
Que pensez-vous des gens qui disent qu’il faut aller au-delà de Cheikh anta Diop ? Est-ce possible d’aller au-delà de l’homme ?
Il est toujours possible d’aller au-delà de quelqu’un, mais il faut faire aussi attention. Il y a des gens qui disent qu’il faut aller au-delà de Cheikh Anta, alors qu’ils ne savent pas ce qu’il a dit. Il y a des gens qui le critiquent sans avoir lu, de manière attentive, ce qu’il a écrit. Il y en a à qui Cheikh Anta crée des problèmes. D’autres disent qu’on ne le critique pas. Mais on critique quelqu’un, s’il est critiquable. Cheikh Anta ne craint pas la critique. Quand il a écrit « Nations nègres et cultures » en 1954, la plupart de ses grandes idées étaient déjà dans ce livre. En 1981, il a écrit un livre qui s’appelle « Civilisation ou barbarie » où il reprend tous les grands thèmes qu’il a développés. Il se demande si la science lui a donné raison ou tort. Quand il a fait ça, sur pratiquemment 100 % des thèmes, les faits lui avaient donné raison. C’est vrai qu’il y a des choses qu’il n’a fait qu’ébaucher et qu’il s’est trompé sur des détails parce qu’on ne peut pas tout connaître. Mais, dans les grandes lignes, sa pensée est d’une rare pertinence. C’est une pensée qui est toujours très actuelle, elle n’est pas encore dépassée.
Propos recueillis par MALICK CISS et DAOUDA MANE-le soleil du 07-02-2006
Pour le Sénégal et pour l’Afrique, c’est un douloureux souvenir. Cheikh Anta Diop n’était pas n’importe qui. C’est celui qui a réconcilié l’Afrique avec l’histoire. C’est celui qui s’est battu, toute sa vie durant, pour rendre sa digniité à l’Afrique. C’est celui qui a lancé des idées extrêmement fécondes pour faire l’unité africaine et sauver l’Afrique de la balkanisation.
Vingt ans après sa mort, on se rend compte que c’est une perte énorme et pour le Sénégal et pour l’Afrique.
Cheikh Anta Diop avait rêvé et théorisé l’unité africaine. Le thème semble toujours d’actualité...
Absolument. Il parlait des fondements culturels et économiques d’un Etat fédéral d’Afrique noire. En 1960, juste au moment où la plupart des Etats d’Afrique allaient à l’indépendance, il était partisan de la réalisation immédiate de l’Etat fédéral. Il disait que si on attendait, l’ossification des structures risquait d’avoir lieu. Et malheureusement, les faits lui ont donné raison. Je dis malheureusement, parce que l’on se rend compte que, malgré tous les blocages et difficultés, l’Afrique est en train de s’acheminer vers la réalisation de cette idée. On est passé de l’Oua à l’Union africaine, et aujourd’hui, il est grandement question d’avoir des ministères fédéraux et, peut-être même, une présidence unique qui est l’idée lancée par le président Abdoulaye Wade.
Mais, ce qui est sûr, c’est que ça va être très difficile. Vous voyez que la pensée de Cheikh Anta Diop est d’actualité : réunir, rassembler toutes les énergies. Cheikh disait que l’Afrique n’est pas pauvre, je vous renvoie à son livre sur les fondements économiques de l’Afrique. Pas plus tard qu’avant-hier, je suivais une émission de stratégie politique qui disait que la plupart des réserves des métaux précieux se trouvent en Afrique. C’est une idée très actuelle. Est-ce que nos dirigeants auront suffisamment de lucidité, de courage, pour aller dans ce sens ? C’est ça la grande question.
Les Etats semblent toujours accrochés à leurs frontières coloniales qui sont pourtant si poreuses...
Ce sont des créations purement artificielles. Je prends pour exemple la frontière entre le Sénégal et la Gambie ou le Sénégal et la Mauritanie. Vous savez que cette dernière frontière partage en deux le Fouta, qui était une entité politique depuis les Satigui et, avant même eux, les Diaogo, les Mana, les Lam Taga, les Lam Termess, les Almamy... C’est la colonisation qui a séparé cette entité. C’est une création très artificielle et l’on s’en est rendu compte avec le conflit sénégalo-mauritanien. Ce sont les mêmes populations de part et d’autre. C’est pareil avec la Gambie et le Mali. Ce sont des créations qu’on aurait dû faire disparaître très facilement avec la volonté politique. Mais, malheureusement, le pouvoir est grisant. La plupart de nos chefs d’Etat, ce n’est pas leur jeter la pierre mais c’est un constat, préfèrent être le chef d’un tout-petit troupeau que de se dissoudre dans un grand troupeau qui aurait pu faire peur au lion. Avec un petit troupeau, on est toujours vaincu. Aujourd’hui, dans la bataille pour le développement, la bataille à mort entre les grandes nations en matière de commerce et d’industrie, l’Afrique n’a aucune chance de triompher, si elle continue d’avoir ces Etats lilluptiens.
Cheikh Anta prônait le fédéralisme. Ne peut-on pas dire que son seul tort c’est d’avoir eu raison très tôt ?
C’est vrai, mais l’intellectuel est toujours en avance sur son temps. Mais, je ne dirai pas qu’il a eu raison très tôt. C’était très clair au niveau de l’intelligentsia africaine en Europe, les étudiants en Europe à l’époque ont organisé deux grandes manifestations à Paris et à Rome pour réfléchir sur l’avenir de l’Afrique. Les gens étaient conscients qu’il fallait aller à l’indépendance groupé. Des gens comme Senghor voulaient qu’on y aille dans l’unité. C’est pourquoi ils ont créé la fédération du Mali mais, malheureusement, les vieux démons sont vite revenus. Nos maîtres, qui n’avaient pas intérêt à avoir en face d’eux des entités homogènes et suffisamment puissantes, ont vite fait de semer la graine de la zizanie entre nous.
Pensez-vous que l’Afrique soit suffisamment outillée pour aller vers cette unité prônée par Cheikh Anta Diop ?
L’Afrique est outillée, il y a, à la base, ce que Cheikh Anta appelle l’unité culturelle, n’en déplaise à ceux qui disent qu’il n’y a pas d’unité culturelle en Afrique, que l’Afrique est morcellée en ethnies, en sous-groupes... Mais, quand vous analysez un peu les civilisations négro-africaines, vous verrez que toutes les valeurs fondamentales sont les mêmes, d’un bout à l’autre du continent. Prenez l’Europe, elle n’est pas plus unie que l’Afrique. Toutes les calamités de ce monde sont venues d’Europe : les guerres médiévales, les grandes croisades, la guerre de cent ans, les guerres mondiales... L’Europe a eu de nombreuses déchirures, malgré tout, personne n’a douté que les Européens constituent une grande civilisation. En Afrique, c’est pareil, les Européens ne sont pas plus unis que nous sur le plan culturel. C’est une question de volonté politique. Prenez nos religions traditionnelles, c’est la même chose chez les Sérères, les Dogons, les Baoulés... Ce sont les mêmes valeurs. Les grandes valeurs caractéristiques des civilisations négro-africaines, on les retrouve partout. Donc on peut bâtir l’unité africaine sur ça. Mais, le problème est que c’est la volonté politique qui manque. Les gens préfèrent être chef quelque part, plutôt que de se dissoudre dans un grand ensemble qui a plus de chance de survie. Ils préfèrent voir leurs intérêts immédiats que ceux de l’Afrique dans le futur.
Donc ils ont peur de leur histoire... Ils ont peur de leur histoire (rires)
Au moment où on parle de l’Union africaine avec toutes les difficultés rencontrées dans sa réalisation, a-t-on tenu compte des préalables, posés par Cheikh Anta Diop dans ses écrits, pour aller vers l’unité ?
Cheikh Anta disait qu’il vaut mieux faire l’unité immédiatement. A l’époque, les gens n’étaient pas habitués au pouvoir, on venait tous de rompre nos chaînes. Donc, on pouvait accepter un ensemble plus vaste. Aujourd’hui, c’est plus difficile. Quand on a l’habitude d’avoir ses avantages, il vous sera très difficile de renoncer au pouvoir pour sauver l’Afrique.
Cheikh Anta a insisté aussi sur la nécessité de développer les langues nationales. Ce qui semble être négligé dans les schémas de développement du continent...
C’est vrai, vous prêchez à quelqu’un qui est convaincu. Voyez ce livre que j’ai écrit et qui s’intitule « Palel Njumri » (texte renvoyant à l’origine de l’histoire des populations). J’ai essayé d’y vulgariser en Pulaar les thèses de Cheikh Anta. La deuxième partie porte sur l’après-barrage, donc la problématique du développement, et la dernière sur l’actualité du Sénégal avec des textes sur la Sonatel, à l’époque où l’on parlait de sa privatisation. Au niveau des langues nationales, il y a beaucoup de choses à faire pour éveiller les consciences. J’ai écrit un autre livre en Pulaar, « Sawru ganndal » (aux éditions Papyrus). Je suis convaincu que si on veut développer nos populations, c’est à travers les langues nationales qu’il faut le faire. Nous avons traduit en wolof, pulaar et anglais le livre « L’Antiquité africaine par l’image » de Cheikh Anta Diop. Tout ça, c’est pour montrer qu’il faut que nos populations puissent accéder au savoir dans leurs langues. Avant, j’écrivais dans « Sofaa » qui était un journal bilingue. Malheureusement, aujourd’hui, les gens parlent des langues nationales, mais on ne fait rien de concret pour elles. Et pourtant, rien n’empêche le gouvernement de prendre un certain nombre d’exemplaires de livres en langues nationales pour ses bibliothèques, comme cela se fait en Tunisie. Il faut subventionner l’édition en langue nationale, acheter les ouvrages pour qu’ils arrivent auprès des gens qui en ont besoin, des ruraux qui n’ont pas d’argent. Je regrette, mais rien n’est fait.
Finalement, ceux qui disent que nos langues ne sont pas porteuses de connaissances et qu’il est difficile de conceptualiser avec, ont-ils raison ?
J’ai écrit un livre en Pulaar, et toutes les pensées développées par Cheikh Anta Diop sont expliquées dans cette langue. Maintenant, il faut que les gens maîtrisent leurs langues. C’est une tare de nos intellectuels de ne pas maîtriser leurs langues. Ce que j’écris dans ma langue peut être traduit dans toutes les autres langues africaines.
Que pensez-vous de l’initiative du chef de l’Etat de faire de cette commémoration de la mort du savant un événement à la fois national et international ?
Ce n’est que justice. Sur la base des écrits de Cheikh Anta Diop, les Américains ont un projet de réécriture de l’histoire de l’humanité. Ils ont sorti un premier volume qui s’appelle « The preliminary challenge ». Mais les Africains auraient dû le faire. Malheureusement, ce sont les Américains qui sont plus convaincus par ses idées. Même s’il est vrai que c’est notre diaspora, il ne faut pas que les Noirs américains soient devant nous dans la reconnaissance ou l’exploitation des idées de Cheikh Anta, un homme de dimension internationale, qui dépasse et le Sénégal et l’Afrique. Si on lui rend hommage à l’échelle du continent, ce n’est que justice.
Que pensez-vous des gens qui disent qu’il faut aller au-delà de Cheikh anta Diop ? Est-ce possible d’aller au-delà de l’homme ?
Il est toujours possible d’aller au-delà de quelqu’un, mais il faut faire aussi attention. Il y a des gens qui disent qu’il faut aller au-delà de Cheikh Anta, alors qu’ils ne savent pas ce qu’il a dit. Il y a des gens qui le critiquent sans avoir lu, de manière attentive, ce qu’il a écrit. Il y en a à qui Cheikh Anta crée des problèmes. D’autres disent qu’on ne le critique pas. Mais on critique quelqu’un, s’il est critiquable. Cheikh Anta ne craint pas la critique. Quand il a écrit « Nations nègres et cultures » en 1954, la plupart de ses grandes idées étaient déjà dans ce livre. En 1981, il a écrit un livre qui s’appelle « Civilisation ou barbarie » où il reprend tous les grands thèmes qu’il a développés. Il se demande si la science lui a donné raison ou tort. Quand il a fait ça, sur pratiquemment 100 % des thèmes, les faits lui avaient donné raison. C’est vrai qu’il y a des choses qu’il n’a fait qu’ébaucher et qu’il s’est trompé sur des détails parce qu’on ne peut pas tout connaître. Mais, dans les grandes lignes, sa pensée est d’une rare pertinence. C’est une pensée qui est toujours très actuelle, elle n’est pas encore dépassée.
Propos recueillis par MALICK CISS et DAOUDA MANE-le soleil du 07-02-2006