Le hasard aura voulu que les FLAM connaissent leur plus profonde crise quelques mois après la chute de Ould Taya comme si le départ du dictateur enlevait au mouvement une partie de son essence. Une séparation est toujours difficile et suscite des réactions et des déchirements regrettables. Mais au delà de l’émotion et des prises de position parfois disproportionnées que suscite l’évènement, il est légitime de s’interroger sur le bien-fondé des arguments avancés ça et là.
La ligne de fracture se situe autour de deux questions principales :
-Le changement intervenu en Mauritanie le 3 août 2005 est-il à ce point significatif pour infléchir la stratégie du Mouvement ?
-Quelle que soit la réponse à la première question, existe-t-il des raisons politiques objectives qui justifient que le combat se poursuive de l’extérieur ?
Au vu du communiqué sanctionnant le congrès de Cincinnati, la ligne condui te par le président du Mouvement semble avoir réussi à faire admettre que non seulement le pays poursuit son chemin dans les conditions d’avant le 3 août 2005 mais qu’il était impossible dans l’état actuel des choses, d’aller livrer le combat sur le terrain. On peut légitimement se demander si le mouvement n’a pas été obnubilé par le désir d’obtenir la satisfaction de ses desiderata ici et maintenant. En effet, soutenir que la situation politique n’a pas connu d’évolution majeure en Mauritanie c’est au mieux faire preuve d’un très mauvais sens de discernement. Mais ce ne semble pas être le seul paradoxe à relever dans les orientations de ce mouvement.
Stratégie discutable pour une cause défendable
En occultant les débats de fond sur un certain nombre de questions, les positions convenues et faussement consensuelles n’ont à l’évidence pas rendu service au mouvement. La conséquence majeure en est qu’après s’être plaint de censure ou de black-out de la part des médias, le mouvement n’a pas su saisir les occasions offertes par les sorties de certains de ses dirigeants pour communiquer sur le projet qu’il nourrit pour la Mauritanie. Aussi essentielles qu’elles puissent paraître, les questions du retour organisé des déportés, du passif humanitaire ou de la cohabitation ne peuvent résumer à elles seules le programme d’un Mouvement politique qui se veut d’envergure nationale. Ces questions qui sont d’ailleurs le plus souvent les axes prioritaires d’une organisation de défense des droits de l’Homme sont prises en charge sans complexe par des organisations oeuvrant sur le territoire national. Elles ne sont ni l’apanage, ni la chasse gardée d’un mouvement quelconque ou même de la communauté négro-africaine qui n’a pas l’exclusivité de la légitimité de la lutte pour la justice. Il s’agit d’un combat universel investi par de nombreux militants au delà des considérations partisanes.
A la faveur de la nouvelle lueur inspirée par la chute de la dictature, le combat pour la justice ne doit être celui d’un groupe contre les autres mais bien celui de tous, conformément à la sagesse que nous inspire Rabindranath Tagore : « La liberté actuelle est liberté sur l'océan. Pour que nous avancions, il nous est nécessaire d'être confinés sur le navire.» C’est d’ailleurs pour cette raison que la radicalisation du mouvement tranche nettement avec le climat consensuel qui s’est fait sur le terrain autour de ces questions. La tâche n’en est que plus ardue pour les Flams qui devront se définir un espace sur l’échiquier politique. Dans l’hypothèse –à ce jour improbable- d’un retour au pays, elles auront à se positionner entre l’AJD, le PLEJ et dans une certaine mesure l’APP et le RFD qui reprennent à quelques variances près d’ordre hiérarchique, les mêmes priorités.
Le mouvement aurait gagné à aller battre le pavé en Mauritanie pour imposer sa présence à ceux qui, selon lui, veulent occulter des questions sur lesquelles elle ne veut transiger. Mobiliser les militants à sa disposition pour manifester régulièrement dans les rues de la capitale et des villages reculés de la Mauritanie quand l’occasion se présentera finira certainement par avoir plus d’impact qu’une attitude qui s’apparente au mieux à une bouderie. Les islamistes et les épouses des cavaliers du changement l’ont fait quand les temps étaient moins cléments. Que Cissé Mody Daya de l’AJD, Mouhamed Ould Maouloud, Bah Mamadou Alassane et Messaoud ould Boulkheir entre autres aient réussi à discuter du passif humanitaire sous les ors de la république, au cœur du palais présidentiel et avec le premier des mauritaniens est une avancée en soi et une bataille de gagnée. Il y a nécessairement quelques risques inhérents à cette stratégie mais Tagore nous apprend qu’ « Il en est des conseils comme des médicaments ; les plus amers sont les meilleurs » et rien n’invite à penser que les Flams voudraient vaincre sans périls.
Ce décalage par rapport aux réalités du terrain se révèle également au travers de certaines résolutions du dernier congrès. En s’arc-boutant sur ses certitudes le mouvement se montre incapable de s’adapter à la nouvelle donne en Mauritanie et répond mal aux interrogations multiples quant à son projet. On peine à comprendre par exemple ce que le mouvement traduit par l’autonomie du sud, pierre angulaire de ses revendications politiques s’il en est. Interrogé sur le sujet, le président évoquait dans les colonnes d’un journal mauritanien la gestion des terroirs. Or cet aspect de la gestion participative ou du développement local est le quotidien de nombre de pays de la sous-région dont le notre depuis quelques années déjà. Elle correspond à une plus grande responsabilisation des populations villageoises, impliquées aux différents niveaux de conception, de mise en œuvre et de suivi-évaluation d’actions qu’elles auront elles mêmes identifiées en fonction de leurs besoins. Le concept n’est certes pas appliqué dans sa pleine mesure et il reste encore un travail de fond assez considérable à faire pour convertir les mentalités, mais il fait partie des réalités.
En matière de gestion des affaires publiques plus qu’ailleurs, l’émotion ne doit guider l’action. Les enjeux y sont énormes et ne sauraient souffrir d’un défaut de lucidité ou de discernement. Le CMJD a incontestablement péché par excès de prudence en ne mettant pas à l’ordre du jour la question du passif humanitaire. Des décisions importantes ont été prises qui n’ont pas plus de légitimité et de caractère urgent que celle sous-tendant l’apuration du passif humanitaire. En ayant voulu rester consensuel et en ménageant les susceptibilités supposées ou réelles de certains lobbies le CMJD manque d’audace et montre les limites de sa volonté de reconstruire la Mauritanie sur un socle sûr. Or, un consensus, même au nom de l’unité nationale et de la paix des cœurs, ne peut se faire au détriment de la justice. La réconciliation nationale ne peut se faire sur les terres stériles du déni. Et ce sont déni et insulte insupportables que de prétendre qu’il n’y a pas de réfugiés Mauritaniens au Sénégal et au Mali.
Et même s’ils ont fait plus qu’on ne pouvait attendre d’eux, les militaires ont, à n’en point douter, manqué une occasion de donner des gages de leur sincérité et de leur détermination à combattre l’injustice comme ils s’y étaient engagés. Cet engagement ne doit privilégier certaines questions au détriment des autres. Il est toujours temps de réparer l’impair et de compléter l’ouvrage. De ce point de vue les Flam ont raison d’élever la voix pour protester contre le statu quo ante. A ce qu’il semble d’ailleurs, les rénovateurs reprennent les mêmes protestations. Mais cette revendication, ce combat, ce refus légitime et justifié de l’oubli peuvent se mener sur le terrain avec plus de chance de succès à condition de rester vigilant. Naturellement, l’impératif du retour peut ne pas s’appliquer aux déportés, même s’il vivent dans des conditions insupportables depuis 17 printemps au Sénégal et au Mali.
Compte tenu des conditions de leur départ il est indispensable d’organiser leur retour dans la dignité et de préparer leur réinsertion. Les organisations peuvent se charger de s’impliquer sur le terrain afin de relayer leurs revendications. Cela demandera une très forte mobilisation s’affranchissant des limites communautaires au nom de ce destin que nous partageons. Nous le devons à ceux de nos compatriotes victimes de ce mal dont notre pays doit se remettre sans délai. Là dessus, le cardinal de Retz nous aura prévenu, « il n’y a point de petits pas dans les grandes affaires » Sauf à chercher ailleurs les raisons d’un tel entêtement.
Et si les motivations étaient plus triviales ?
Les Flams ont longtemps surfé sur la vague de l’émotion et de la douleur ô combien légitimes pour faire monter les enchères. D’un point de vue stratégique l’on peut se demander comment elles réussiront ce qu’elles n’ont pu au plus fort de la tempête, quand l’essentiel des forces étaient encore aux frontières et non à des milliers de kilomètres et que les plaies encore fraîches attisaient les velléités guerrières des victimes. Parallèlement, on se souviendra que quelques mois après l’échec de leur première tentative de coup d’état les cavaliers du changement avaient envoyé quelques uns de leurs éléments sous la conduite de leur charismatique leader combattre le régime déchu. Jemil Ould Mansour, après s’être exilé en Europe avait décidé de rentrer au pays. Le changement du 3 août 2005 l’a surpris en clandestinité sur le territoire national, traqué qu’il était par la meute haineuse et déterminée de l’ancien régime –celle-là même qui fit subir les pires sévices aux Flam et aux negromauritaniens. Pourquoi après 23 ans d’exil les Flam estiment toujours qu’il est urgent d’attendre? Peuvent-elles dès lors revendiquer la même légitimité que ceux qui au péril de leur vie ont essayé de renverser un pouvoir qu’ils estimaient illégitime ? Si les cavaliers n’y sont parvenus dans l’immédiat et directement, leur rôle dans l’affaiblissement du pouvoir est indéniable. Plus qu’un combat d’ambition, c’était un combat de rédemption.
La politique est un art qui s’accommode difficilement des improvisations. Elle impose que l’on se fixe des objectifs précis, ensuite on évalue et on évolue. Que risquent les Flam à aller faire valoir en Mauritanie des revendications portées par d’autres formations ? Ce qui fait la croisade, plus que la conquête de Jérusalem, c’est de ceindre l’épée. L’on est en droit de se demander ce que font concrètement les Flam, "en attendant", pour influer sur des évènements dont le cours ne semble pas les satisfaire tout comme l’on s’interroge sur l’efficacité d’une stratégie adoptée invariablement depuis une vingtaine d’années, quelles que soient les circonstances. Pour autant, on a tendance à penser comme voltaire que « le temps qui seul fait la réputation des hommes rend à la fin leurs défauts respectables. » On peut même leur trouver quelque sympathie sans partager leurs vues. La constance force le respect. Hélas parfois aussi, la persistance dans l’égarement, avec les résultats qu’on connaît. Le Secrétaire Général (suspendu depuis) du mouvement s’est rendu en Mauritanie après le congrès de Cincinnati sans être inquiété le moins du monde et il aurait pu faire à ses camarades un compte-rendu sans complaisance de l’atmosphère politique qui prévaut dans le pays. Mais les voix dissonantes se répriment et s’évanouissent, ne laissant que des perdants. Et en dépit des prétentions affichées, notre philosophe avait tellement raison d’écrire que « quiconque fait une grande perte a de grands regrets ; s’il les étouffe c’est qu’il porte la vanité jusque dans les bras de la mort » Cette scission est une perte pour le mouvement à tous égards.
Les manifestations devant le Trocadéro ou à Cincinnati n’auront que des incidences limitées sur le cours des évènements. Tout comme les déclarations enflammés sur le Net et sur les ondes de radios compatissantes. Nous devons nous battre pour ne pas lâcher la bride à nos irrépressibles pulsions et privilégier le face-à-face avec notre être que Novalis décrit comme un « moment fécond de la jouissance proprement-dite, de l’auto conception intérieure » (Les disciples à Saïs)
Ce que risque le mouvement en rentrant en Mauritanie ce serait de se retrouver dépourvu des moyens de sa politique. En politique, des intérêts convergents font des alliés de circonstance et les rapports de force aident à fixer les orientations. Quand bien même il serait la plus importante force dans la vallée (encore faut-il se compter pour pouvoir le revendiquer légitimement) il lui faudra structurer ses militants en allant les rencontrer partout où ils se trouvent ; ce qui suppose la mise en œuvre d’importants moyens financiers qu’il n’a pas nécessairement. La chute de Taya a surpris le mouvement qui, en vingt ans d’exil n’a pas préparé idéalement les conditions de son retour. Il eut fallu pour cela qu’il aie une implantation réelle conforme aux prétentions de représentativité régulièrement avancées. Dans cette situation incertaine, la posture la plus confortable était de s’abstenir d’aller courir le risque de se faire ridiculiser. Téméraires mais pas suicidaires, les flam s’y sont confortablement installées.
DIAGANA Abdoulaye
France
"article paru dans le calame" . source : forum flamnet
La ligne de fracture se situe autour de deux questions principales :
-Le changement intervenu en Mauritanie le 3 août 2005 est-il à ce point significatif pour infléchir la stratégie du Mouvement ?
-Quelle que soit la réponse à la première question, existe-t-il des raisons politiques objectives qui justifient que le combat se poursuive de l’extérieur ?
Au vu du communiqué sanctionnant le congrès de Cincinnati, la ligne condui te par le président du Mouvement semble avoir réussi à faire admettre que non seulement le pays poursuit son chemin dans les conditions d’avant le 3 août 2005 mais qu’il était impossible dans l’état actuel des choses, d’aller livrer le combat sur le terrain. On peut légitimement se demander si le mouvement n’a pas été obnubilé par le désir d’obtenir la satisfaction de ses desiderata ici et maintenant. En effet, soutenir que la situation politique n’a pas connu d’évolution majeure en Mauritanie c’est au mieux faire preuve d’un très mauvais sens de discernement. Mais ce ne semble pas être le seul paradoxe à relever dans les orientations de ce mouvement.
Stratégie discutable pour une cause défendable
En occultant les débats de fond sur un certain nombre de questions, les positions convenues et faussement consensuelles n’ont à l’évidence pas rendu service au mouvement. La conséquence majeure en est qu’après s’être plaint de censure ou de black-out de la part des médias, le mouvement n’a pas su saisir les occasions offertes par les sorties de certains de ses dirigeants pour communiquer sur le projet qu’il nourrit pour la Mauritanie. Aussi essentielles qu’elles puissent paraître, les questions du retour organisé des déportés, du passif humanitaire ou de la cohabitation ne peuvent résumer à elles seules le programme d’un Mouvement politique qui se veut d’envergure nationale. Ces questions qui sont d’ailleurs le plus souvent les axes prioritaires d’une organisation de défense des droits de l’Homme sont prises en charge sans complexe par des organisations oeuvrant sur le territoire national. Elles ne sont ni l’apanage, ni la chasse gardée d’un mouvement quelconque ou même de la communauté négro-africaine qui n’a pas l’exclusivité de la légitimité de la lutte pour la justice. Il s’agit d’un combat universel investi par de nombreux militants au delà des considérations partisanes.
A la faveur de la nouvelle lueur inspirée par la chute de la dictature, le combat pour la justice ne doit être celui d’un groupe contre les autres mais bien celui de tous, conformément à la sagesse que nous inspire Rabindranath Tagore : « La liberté actuelle est liberté sur l'océan. Pour que nous avancions, il nous est nécessaire d'être confinés sur le navire.» C’est d’ailleurs pour cette raison que la radicalisation du mouvement tranche nettement avec le climat consensuel qui s’est fait sur le terrain autour de ces questions. La tâche n’en est que plus ardue pour les Flams qui devront se définir un espace sur l’échiquier politique. Dans l’hypothèse –à ce jour improbable- d’un retour au pays, elles auront à se positionner entre l’AJD, le PLEJ et dans une certaine mesure l’APP et le RFD qui reprennent à quelques variances près d’ordre hiérarchique, les mêmes priorités.
Le mouvement aurait gagné à aller battre le pavé en Mauritanie pour imposer sa présence à ceux qui, selon lui, veulent occulter des questions sur lesquelles elle ne veut transiger. Mobiliser les militants à sa disposition pour manifester régulièrement dans les rues de la capitale et des villages reculés de la Mauritanie quand l’occasion se présentera finira certainement par avoir plus d’impact qu’une attitude qui s’apparente au mieux à une bouderie. Les islamistes et les épouses des cavaliers du changement l’ont fait quand les temps étaient moins cléments. Que Cissé Mody Daya de l’AJD, Mouhamed Ould Maouloud, Bah Mamadou Alassane et Messaoud ould Boulkheir entre autres aient réussi à discuter du passif humanitaire sous les ors de la république, au cœur du palais présidentiel et avec le premier des mauritaniens est une avancée en soi et une bataille de gagnée. Il y a nécessairement quelques risques inhérents à cette stratégie mais Tagore nous apprend qu’ « Il en est des conseils comme des médicaments ; les plus amers sont les meilleurs » et rien n’invite à penser que les Flams voudraient vaincre sans périls.
Ce décalage par rapport aux réalités du terrain se révèle également au travers de certaines résolutions du dernier congrès. En s’arc-boutant sur ses certitudes le mouvement se montre incapable de s’adapter à la nouvelle donne en Mauritanie et répond mal aux interrogations multiples quant à son projet. On peine à comprendre par exemple ce que le mouvement traduit par l’autonomie du sud, pierre angulaire de ses revendications politiques s’il en est. Interrogé sur le sujet, le président évoquait dans les colonnes d’un journal mauritanien la gestion des terroirs. Or cet aspect de la gestion participative ou du développement local est le quotidien de nombre de pays de la sous-région dont le notre depuis quelques années déjà. Elle correspond à une plus grande responsabilisation des populations villageoises, impliquées aux différents niveaux de conception, de mise en œuvre et de suivi-évaluation d’actions qu’elles auront elles mêmes identifiées en fonction de leurs besoins. Le concept n’est certes pas appliqué dans sa pleine mesure et il reste encore un travail de fond assez considérable à faire pour convertir les mentalités, mais il fait partie des réalités.
En matière de gestion des affaires publiques plus qu’ailleurs, l’émotion ne doit guider l’action. Les enjeux y sont énormes et ne sauraient souffrir d’un défaut de lucidité ou de discernement. Le CMJD a incontestablement péché par excès de prudence en ne mettant pas à l’ordre du jour la question du passif humanitaire. Des décisions importantes ont été prises qui n’ont pas plus de légitimité et de caractère urgent que celle sous-tendant l’apuration du passif humanitaire. En ayant voulu rester consensuel et en ménageant les susceptibilités supposées ou réelles de certains lobbies le CMJD manque d’audace et montre les limites de sa volonté de reconstruire la Mauritanie sur un socle sûr. Or, un consensus, même au nom de l’unité nationale et de la paix des cœurs, ne peut se faire au détriment de la justice. La réconciliation nationale ne peut se faire sur les terres stériles du déni. Et ce sont déni et insulte insupportables que de prétendre qu’il n’y a pas de réfugiés Mauritaniens au Sénégal et au Mali.
Et même s’ils ont fait plus qu’on ne pouvait attendre d’eux, les militaires ont, à n’en point douter, manqué une occasion de donner des gages de leur sincérité et de leur détermination à combattre l’injustice comme ils s’y étaient engagés. Cet engagement ne doit privilégier certaines questions au détriment des autres. Il est toujours temps de réparer l’impair et de compléter l’ouvrage. De ce point de vue les Flam ont raison d’élever la voix pour protester contre le statu quo ante. A ce qu’il semble d’ailleurs, les rénovateurs reprennent les mêmes protestations. Mais cette revendication, ce combat, ce refus légitime et justifié de l’oubli peuvent se mener sur le terrain avec plus de chance de succès à condition de rester vigilant. Naturellement, l’impératif du retour peut ne pas s’appliquer aux déportés, même s’il vivent dans des conditions insupportables depuis 17 printemps au Sénégal et au Mali.
Compte tenu des conditions de leur départ il est indispensable d’organiser leur retour dans la dignité et de préparer leur réinsertion. Les organisations peuvent se charger de s’impliquer sur le terrain afin de relayer leurs revendications. Cela demandera une très forte mobilisation s’affranchissant des limites communautaires au nom de ce destin que nous partageons. Nous le devons à ceux de nos compatriotes victimes de ce mal dont notre pays doit se remettre sans délai. Là dessus, le cardinal de Retz nous aura prévenu, « il n’y a point de petits pas dans les grandes affaires » Sauf à chercher ailleurs les raisons d’un tel entêtement.
Et si les motivations étaient plus triviales ?
Les Flams ont longtemps surfé sur la vague de l’émotion et de la douleur ô combien légitimes pour faire monter les enchères. D’un point de vue stratégique l’on peut se demander comment elles réussiront ce qu’elles n’ont pu au plus fort de la tempête, quand l’essentiel des forces étaient encore aux frontières et non à des milliers de kilomètres et que les plaies encore fraîches attisaient les velléités guerrières des victimes. Parallèlement, on se souviendra que quelques mois après l’échec de leur première tentative de coup d’état les cavaliers du changement avaient envoyé quelques uns de leurs éléments sous la conduite de leur charismatique leader combattre le régime déchu. Jemil Ould Mansour, après s’être exilé en Europe avait décidé de rentrer au pays. Le changement du 3 août 2005 l’a surpris en clandestinité sur le territoire national, traqué qu’il était par la meute haineuse et déterminée de l’ancien régime –celle-là même qui fit subir les pires sévices aux Flam et aux negromauritaniens. Pourquoi après 23 ans d’exil les Flam estiment toujours qu’il est urgent d’attendre? Peuvent-elles dès lors revendiquer la même légitimité que ceux qui au péril de leur vie ont essayé de renverser un pouvoir qu’ils estimaient illégitime ? Si les cavaliers n’y sont parvenus dans l’immédiat et directement, leur rôle dans l’affaiblissement du pouvoir est indéniable. Plus qu’un combat d’ambition, c’était un combat de rédemption.
La politique est un art qui s’accommode difficilement des improvisations. Elle impose que l’on se fixe des objectifs précis, ensuite on évalue et on évolue. Que risquent les Flam à aller faire valoir en Mauritanie des revendications portées par d’autres formations ? Ce qui fait la croisade, plus que la conquête de Jérusalem, c’est de ceindre l’épée. L’on est en droit de se demander ce que font concrètement les Flam, "en attendant", pour influer sur des évènements dont le cours ne semble pas les satisfaire tout comme l’on s’interroge sur l’efficacité d’une stratégie adoptée invariablement depuis une vingtaine d’années, quelles que soient les circonstances. Pour autant, on a tendance à penser comme voltaire que « le temps qui seul fait la réputation des hommes rend à la fin leurs défauts respectables. » On peut même leur trouver quelque sympathie sans partager leurs vues. La constance force le respect. Hélas parfois aussi, la persistance dans l’égarement, avec les résultats qu’on connaît. Le Secrétaire Général (suspendu depuis) du mouvement s’est rendu en Mauritanie après le congrès de Cincinnati sans être inquiété le moins du monde et il aurait pu faire à ses camarades un compte-rendu sans complaisance de l’atmosphère politique qui prévaut dans le pays. Mais les voix dissonantes se répriment et s’évanouissent, ne laissant que des perdants. Et en dépit des prétentions affichées, notre philosophe avait tellement raison d’écrire que « quiconque fait une grande perte a de grands regrets ; s’il les étouffe c’est qu’il porte la vanité jusque dans les bras de la mort » Cette scission est une perte pour le mouvement à tous égards.
Les manifestations devant le Trocadéro ou à Cincinnati n’auront que des incidences limitées sur le cours des évènements. Tout comme les déclarations enflammés sur le Net et sur les ondes de radios compatissantes. Nous devons nous battre pour ne pas lâcher la bride à nos irrépressibles pulsions et privilégier le face-à-face avec notre être que Novalis décrit comme un « moment fécond de la jouissance proprement-dite, de l’auto conception intérieure » (Les disciples à Saïs)
Ce que risque le mouvement en rentrant en Mauritanie ce serait de se retrouver dépourvu des moyens de sa politique. En politique, des intérêts convergents font des alliés de circonstance et les rapports de force aident à fixer les orientations. Quand bien même il serait la plus importante force dans la vallée (encore faut-il se compter pour pouvoir le revendiquer légitimement) il lui faudra structurer ses militants en allant les rencontrer partout où ils se trouvent ; ce qui suppose la mise en œuvre d’importants moyens financiers qu’il n’a pas nécessairement. La chute de Taya a surpris le mouvement qui, en vingt ans d’exil n’a pas préparé idéalement les conditions de son retour. Il eut fallu pour cela qu’il aie une implantation réelle conforme aux prétentions de représentativité régulièrement avancées. Dans cette situation incertaine, la posture la plus confortable était de s’abstenir d’aller courir le risque de se faire ridiculiser. Téméraires mais pas suicidaires, les flam s’y sont confortablement installées.
DIAGANA Abdoulaye
France
"article paru dans le calame" . source : forum flamnet