Dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990, les Mauritaniens se préparent à fêter le trentième anniversaire de leur indépendance nationale. Au cours de la même nuit, à Inal, au Nord du pays, 28 militaires négro-africains sont pendus, froidement passés à la corde par leurs frères d’armes.
28 novembre 2006, dans la matinée, la Mauritanie officielle, au palais présidentiel, sur fond de fanfare, célèbre l’indépendance nationale.
Au même moment, au siège du Forum des Organisations nationales de Défense des Droits de l’Homme (FONADH), les larmes des veuves et des enfants des pendus d’Inal et de toutes les victimes du passif humanitaire des années Ould Taya inondent la célèbre salle des droits de l’homme.
"Thiam Amadou Mamadou, matricule13 137. Arrêté le 21 novembre 1990, tué le 27 novembre 1990. Père de trois enfants. Lo Alassane Mika, pendu à Nouadhibou le 24 novembre 1990. Deuxième classe Vieux Diallo, mort à Jreida. Niokane Harouna, tué à Azlat… ".
Sur les murs de la salle des droits de l’Homme du FONADH, ces inscriptions sont toutes accompagnées de visages de jeunes soldats.
Sarr Amadou, président du FONADH déclare, dans une atmosphère lourde d’émotion " Tout le pays célèbre à cette heure ci le 28 novembre. Nous nous pleurons nos morts, de jeunes militaires assassinés. Avant le pardon, il faut le jugement des coupables, il faut qu’on sache ce qui s’est passé. Au nom de la réconciliation nationale, nous refusons la culture de l’oubli."
Après le Président du FONADH, Maimouna Alpha SY, secrétaire générale du collectif des veuves, a lu une déclaration titrée " 16 ans déjà " qu’elles ont cosignée avec le comité de solidarité avec les victimes des violations des droits de l’Homme en Mauritanie (CSVVDHM). Dans la déclaration, il est écrit " Il y a 16 ans, le peuple mauritanien découvrait, horrifié, la plus barbare tuerie de plusieurs dizaines parmi ses enfants les plus valeureux. Vingt et huit, en une commémoration macabre de la fête nationale."
Depuis 16 ans, poursuit la déclaration " des bébés devenus adolescents, des enfants devenus adultes, cherchent une tombe sur laquelle épancher leur douleur et dire leurs prières. Ils ne demandent que vérité, justice réparation et réconciliation. "
Actualité oblige, le collectif des veuves et le CSVVDHM " saluent la grâce présidentielle en faveur de certains détenus " tout en " insistant auprès des responsables de l’Etat pour que l’ère de l’impunité soit à jamais révolue dans cette République Islamique et pour que soit remise en honneur nos magnifiques traditions de vérité, justice, réparation et réconciliation "
Et pour finir, les veuves proclament " Nous poursuivront inlassablement notre juste combat. " " Adjudant Chef Djigo Abdoulaye, Première classe Samba Baba N’diaye, Première classe N’diaye Samba, Sergent, M’bodj Abdel Kader, Sergent Lam Toro Camara, première classe N’gaidé Moussa… " La liste des 28 officiers, sous officiers et soldats pendus dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990 à Inal, sortie de la voix étranglée de Maimouna Alpha Sy semblait interminable.
Des témoignages qui se sont succédés après, sont sorties les pires horreurs. Cissé Amadou Cheikhou, président de l’AJD " J’ai été arrêté le 20 décembre 1990 et libéré le 15 avril 1991. J’ai passé trois mois à la gendarmerie à Nouakchott dans des conditions inhumaines. J’ai été ensuite transféré à Jreida. Au vu des maltraitances infligées aux militaires qui y étaient détenus, j’ai compris que ce que j’avais vécu à la gendarmerie n’était pas le sommet de l’horreur."
Ramata Sow " j’ai été arrêtée vers Aleg. J’ai subi des tortures. Des mégots de cigarettes ont été écrasés sur mon corps alors que j’étais en état de grossesse. C’est sur intervention du Dr Dia que j’ai été libérée. J’ai ensuite subi une opération à Mantes- la- jolie en France et je porte une broche sur la hanche."
Me Fatimata M’Baye, présidente de l’association mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH) " J’ai été arrêtée le 5 décembre 1990 à Nouakchott. J’étais avocate stagiaire. J’ai été conduite au BII .Certains soldats qui y étaient disaient " voila une belle et jeune femme. Quand on aura fini avec toi " Heureusement, ils n’ont pu assouvir leurs sombres intentions. Je suis restée au BII jusqu’à minuit. J’y ai trouvé des gens que je connaissais dont Cissé Amadou Cheikhou et un certain Ba. On m’a ensuite ramené chez moi avec interdiction de sortir pendant deux semaines. C’est au cours de cette résidence surveillée que mon patron de stage a contacté le Colonel Cheikh Ould Boide. Ce dernier à saisi Ne Ould Abdel Malick pour que je sois conduite au tribunal ou libérée faute de charge. "
Justice, réparation et réconciliation
Le président de SOS Esclave, Boubacar Ould Messaoud, après avoir constaté que " le dossier du passif humanitaire n’a pas avancé " a invité les défenseurs des droits de l’Homme à aller au-delà des commémorations du 28 novembre. "
Aminetou Mint El Mokhtar, Présidente de l’Association Mauritanienne des femmes chefs de famille (AMFCF) a fait observer à la salle une minute de silence à la mémoire des victimes et a noté que " le départ de Ould Taya est un grand pas vers le rétablissement de la vérité."
Kadiata Malick Diallo de l’UFP a demandé aux veuves et à ceux qui les assistent de faire l’économie des larmes qui sont un signe de faiblesse. " Il faut contenir sa douleur et en faire une force pour combattre " selon elle. Elle a affirmé ne peut être de l’avis de ceux qui pensent que le dossier du passif humanitaire n’a pas avancé car " de plus en plus de mauritaniens en font un problème national." Elle a demandé à tous ceux qui luttent pour la résolution de ce problème " de s’adresser aux nouvelles autorités élues démocratiquement. "
La prise en charge du règlement de la question du passif humanitaire par les partis politiques qui présideront aux destinées de la Mauritanie après la transition, Abdoulaye Wane, président du collectif des enfants des victimes civils et militaires, n’y croit pas beaucoup. Il leur impute d’ailleurs la responsabilité de l’absence de solution au cours de la transition, faute de pression suffisante sur le Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD).
Plus grave, Abdoulaye Wane a déclaré que certains partis politiques ont dit à son collectif que " le CMJD avait raison et qu’il fallait attendre." Il a ajouté " Ces partis politiques pourraient nous dire, une fois la transition terminée : le CMJD a réglé les problèmes de justice, c’est fini. " Abdoulaye wane a dit ne pas comprendre l’attitude des partis politiques qui battent le pavé pour les Palestiniens ou les Libanais et font profil bas au sujet des violations des droits de l’Homme commises par des mauritaniens contre des mauritaniens.
Sara, membre d’une ONG de défense des droits de l’Homme a dit avoir hébergé certains négro africains en 1990 à Zoueirat. Elle a ajouté avoir revu certains d’entre eux et d’autres, non. Maalouma Mint Bilal de l’APP en appelé à l’union de toutes les femmes victimes ou défenseurs des victimes des violations des droits humains.
Diabira Maroufa, président du GERDESS a souligné que la question du passif humanitaire ne peut trouver de solution en dehors du dialogue et de la réconciliation. Le GERDESS selon lui, a fait le constat que Ould Taya n’a jamais relevé de ses fonctions ou sanctionné les présumés coupables d’atrocité. Pour trouver une solution, il a noté que son organisation se réfère au cas du Mali où après que Moussa Traoré ait fait tirer sur la foule, il a été établi l’échelle de responsabilité suivante :
Le Président de la République, le Ministre de la Défense et le Chef d’Etat Major. Me Maroufa a noté que Ould Taya était son propre ministre de la défense et que le Chef d’Etat major de l’époque n’est plus. Pour la réconciliation, il a plaidé pour qu’il soit posé des actes faisant sentir à chaque victime la solidarité de tous les mauritaniens et le jugement de Ould Taya.
Les veuves ont enfin remercié le CSVVDHM et sa présidente Lala Aicha SY et Aminetou Mint El Mokhtar de l’AMFCF.
Khalilou Diagana
[khalioubi@yahoo.fr]mail: khalioubi@yahoo.fr
source : Nouakchott Info
28 novembre 2006, dans la matinée, la Mauritanie officielle, au palais présidentiel, sur fond de fanfare, célèbre l’indépendance nationale.
Au même moment, au siège du Forum des Organisations nationales de Défense des Droits de l’Homme (FONADH), les larmes des veuves et des enfants des pendus d’Inal et de toutes les victimes du passif humanitaire des années Ould Taya inondent la célèbre salle des droits de l’homme.
"Thiam Amadou Mamadou, matricule13 137. Arrêté le 21 novembre 1990, tué le 27 novembre 1990. Père de trois enfants. Lo Alassane Mika, pendu à Nouadhibou le 24 novembre 1990. Deuxième classe Vieux Diallo, mort à Jreida. Niokane Harouna, tué à Azlat… ".
Sur les murs de la salle des droits de l’Homme du FONADH, ces inscriptions sont toutes accompagnées de visages de jeunes soldats.
Sarr Amadou, président du FONADH déclare, dans une atmosphère lourde d’émotion " Tout le pays célèbre à cette heure ci le 28 novembre. Nous nous pleurons nos morts, de jeunes militaires assassinés. Avant le pardon, il faut le jugement des coupables, il faut qu’on sache ce qui s’est passé. Au nom de la réconciliation nationale, nous refusons la culture de l’oubli."
Après le Président du FONADH, Maimouna Alpha SY, secrétaire générale du collectif des veuves, a lu une déclaration titrée " 16 ans déjà " qu’elles ont cosignée avec le comité de solidarité avec les victimes des violations des droits de l’Homme en Mauritanie (CSVVDHM). Dans la déclaration, il est écrit " Il y a 16 ans, le peuple mauritanien découvrait, horrifié, la plus barbare tuerie de plusieurs dizaines parmi ses enfants les plus valeureux. Vingt et huit, en une commémoration macabre de la fête nationale."
Depuis 16 ans, poursuit la déclaration " des bébés devenus adolescents, des enfants devenus adultes, cherchent une tombe sur laquelle épancher leur douleur et dire leurs prières. Ils ne demandent que vérité, justice réparation et réconciliation. "
Actualité oblige, le collectif des veuves et le CSVVDHM " saluent la grâce présidentielle en faveur de certains détenus " tout en " insistant auprès des responsables de l’Etat pour que l’ère de l’impunité soit à jamais révolue dans cette République Islamique et pour que soit remise en honneur nos magnifiques traditions de vérité, justice, réparation et réconciliation "
Et pour finir, les veuves proclament " Nous poursuivront inlassablement notre juste combat. " " Adjudant Chef Djigo Abdoulaye, Première classe Samba Baba N’diaye, Première classe N’diaye Samba, Sergent, M’bodj Abdel Kader, Sergent Lam Toro Camara, première classe N’gaidé Moussa… " La liste des 28 officiers, sous officiers et soldats pendus dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990 à Inal, sortie de la voix étranglée de Maimouna Alpha Sy semblait interminable.
Des témoignages qui se sont succédés après, sont sorties les pires horreurs. Cissé Amadou Cheikhou, président de l’AJD " J’ai été arrêté le 20 décembre 1990 et libéré le 15 avril 1991. J’ai passé trois mois à la gendarmerie à Nouakchott dans des conditions inhumaines. J’ai été ensuite transféré à Jreida. Au vu des maltraitances infligées aux militaires qui y étaient détenus, j’ai compris que ce que j’avais vécu à la gendarmerie n’était pas le sommet de l’horreur."
Ramata Sow " j’ai été arrêtée vers Aleg. J’ai subi des tortures. Des mégots de cigarettes ont été écrasés sur mon corps alors que j’étais en état de grossesse. C’est sur intervention du Dr Dia que j’ai été libérée. J’ai ensuite subi une opération à Mantes- la- jolie en France et je porte une broche sur la hanche."
Me Fatimata M’Baye, présidente de l’association mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH) " J’ai été arrêtée le 5 décembre 1990 à Nouakchott. J’étais avocate stagiaire. J’ai été conduite au BII .Certains soldats qui y étaient disaient " voila une belle et jeune femme. Quand on aura fini avec toi " Heureusement, ils n’ont pu assouvir leurs sombres intentions. Je suis restée au BII jusqu’à minuit. J’y ai trouvé des gens que je connaissais dont Cissé Amadou Cheikhou et un certain Ba. On m’a ensuite ramené chez moi avec interdiction de sortir pendant deux semaines. C’est au cours de cette résidence surveillée que mon patron de stage a contacté le Colonel Cheikh Ould Boide. Ce dernier à saisi Ne Ould Abdel Malick pour que je sois conduite au tribunal ou libérée faute de charge. "
Justice, réparation et réconciliation
Le président de SOS Esclave, Boubacar Ould Messaoud, après avoir constaté que " le dossier du passif humanitaire n’a pas avancé " a invité les défenseurs des droits de l’Homme à aller au-delà des commémorations du 28 novembre. "
Aminetou Mint El Mokhtar, Présidente de l’Association Mauritanienne des femmes chefs de famille (AMFCF) a fait observer à la salle une minute de silence à la mémoire des victimes et a noté que " le départ de Ould Taya est un grand pas vers le rétablissement de la vérité."
Kadiata Malick Diallo de l’UFP a demandé aux veuves et à ceux qui les assistent de faire l’économie des larmes qui sont un signe de faiblesse. " Il faut contenir sa douleur et en faire une force pour combattre " selon elle. Elle a affirmé ne peut être de l’avis de ceux qui pensent que le dossier du passif humanitaire n’a pas avancé car " de plus en plus de mauritaniens en font un problème national." Elle a demandé à tous ceux qui luttent pour la résolution de ce problème " de s’adresser aux nouvelles autorités élues démocratiquement. "
La prise en charge du règlement de la question du passif humanitaire par les partis politiques qui présideront aux destinées de la Mauritanie après la transition, Abdoulaye Wane, président du collectif des enfants des victimes civils et militaires, n’y croit pas beaucoup. Il leur impute d’ailleurs la responsabilité de l’absence de solution au cours de la transition, faute de pression suffisante sur le Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD).
Plus grave, Abdoulaye Wane a déclaré que certains partis politiques ont dit à son collectif que " le CMJD avait raison et qu’il fallait attendre." Il a ajouté " Ces partis politiques pourraient nous dire, une fois la transition terminée : le CMJD a réglé les problèmes de justice, c’est fini. " Abdoulaye wane a dit ne pas comprendre l’attitude des partis politiques qui battent le pavé pour les Palestiniens ou les Libanais et font profil bas au sujet des violations des droits de l’Homme commises par des mauritaniens contre des mauritaniens.
Sara, membre d’une ONG de défense des droits de l’Homme a dit avoir hébergé certains négro africains en 1990 à Zoueirat. Elle a ajouté avoir revu certains d’entre eux et d’autres, non. Maalouma Mint Bilal de l’APP en appelé à l’union de toutes les femmes victimes ou défenseurs des victimes des violations des droits humains.
Diabira Maroufa, président du GERDESS a souligné que la question du passif humanitaire ne peut trouver de solution en dehors du dialogue et de la réconciliation. Le GERDESS selon lui, a fait le constat que Ould Taya n’a jamais relevé de ses fonctions ou sanctionné les présumés coupables d’atrocité. Pour trouver une solution, il a noté que son organisation se réfère au cas du Mali où après que Moussa Traoré ait fait tirer sur la foule, il a été établi l’échelle de responsabilité suivante :
Le Président de la République, le Ministre de la Défense et le Chef d’Etat Major. Me Maroufa a noté que Ould Taya était son propre ministre de la défense et que le Chef d’Etat major de l’époque n’est plus. Pour la réconciliation, il a plaidé pour qu’il soit posé des actes faisant sentir à chaque victime la solidarité de tous les mauritaniens et le jugement de Ould Taya.
Les veuves ont enfin remercié le CSVVDHM et sa présidente Lala Aicha SY et Aminetou Mint El Mokhtar de l’AMFCF.
Khalilou Diagana
[khalioubi@yahoo.fr]mail: khalioubi@yahoo.fr
source : Nouakchott Info