“Vous n’allez pas laisser mourir comme un chien l’un des hommes de culture de ce pays... ”
Par Boye Alassane Harouna- Écrivain et rescapé de Oualata -
"La tête qui ne se retourne pas vers les horizons effacés ne contient ni pensée ni amour."Victor Hugo
Quand le lieutenant Oumar prit la gestion du fort de Oualata, le mal était déjà fait. Il y avait déjà un mort. Et plusieurs détenus étaient gravement malades, tandis que les autres étaient squelettiques, affamés. Ten Youssouf Guéye, notre doyen, qui souffrait depuis plusieurs jours déjà, voyait son état de santé s’empirer sérieusement.
Ten Youssouf Gueye était si souffrant que Bâ Mamadou Sidi s’était entièrement disponibilisé pour être à son chevet et lui fournir les maigres soins dont il disposait. Nous avions obtenu qu’il soit mis dans un local libre, accolé à notre salle côté nord-est. Là, il pouvait trouver plus d’aération et de tranquillité. Il avait beaucoup maigri en peu de jours. Son visage était devenu hâve. Sa voix, forte et claire s’était presque éteinte. Il parlait avec beaucoup de peine et ses propos étaient entrecoupés par la douleur. Il était dans cet état quand le lieutenant Oumar ould Boubacar arriva au fort vers le 31 août 1988.
Bâ Mamadou Sidi avait installé Ten Youssouf Gueye dans la cour du fort près de la porte d’entrée de notre salle. Il était près de 18 heures. Le lieutenant Oumar vint vers Ten Youssouf Gueye couché sur sa couverture. Il lui prit affectueusement la tête entre ses mains, et comme pour être certain d’être bien entendu par lui, se pencha sur son visage, le questionna sur sa santé. Image saisissante, émouvante, inoubliable : Ten Youssouf Gueye rassembla tout ce qu’il lui restait d’énergie, essaya de redonner à sa voix habituellement forte et claire, présentement tremblante, tout son tonus, malgré la douleur qui se lisait sur son visage, et comme s’il avait conscience d’émettre sa dernière volonté, il voulut s’assurer que tous ses propos fussent entendus, articula aussi fort que le permettait son état, à l’intention du lieutenant Oumar toujours penché au-dessus de lui :
- Lieutenant Oumar, vous n’allez pas laisser mourir comme un chien l’un des hommes de culture de ce pays ?
Toujours penché au dessus de lui, d’une voix émue, le lieutenant Oumar lui répondit :
- Non, tranquillisez-vous, tout sera fait pour que vous soyez évacué rapidement afin de bénéficier de soins appropriés.
Dans la même nuit, le lieutenant Oumar regagna Nema. Le lendemain 1er septembre, Ten Youssouf Gueye fut évacué à bord d’une land Rover de la garde. Malheureusement, quand il y arriva, le lieutenant Oumar était en mission d’inspection dans la région de Nema. Le Wali était, lui aussi, absent de Nema. Par rapport au cas du détenu Ten Youssouf Gueye, il y avait une sorte de vacance de pouvoir. Ces deux autorités semblaient être les seules habilitées à décider de l’hospitalisation de Ten Youssouf Gueye. Puisque tous les autres responsables (préfet, gouverneur adjoint), refusèrent de prendre la responsabilité de son hospitalisation. Conséquence tragique d’une telle vacance de pouvoir et du refus des responsables administratifs sur place d’engager leur responsabilité : Ten Youssouf Gueye agonisant, évacué d’un fort-mouroir pour être hospitalisé, se retrouva, malgré son état, dans la prison des détenus de droit commun de Nema. C’est dans cette prison qu’il expira dans la nuit de 2 septembre 1988. Sans sépulture, il serait enterré dans une tombe anonyme dans un cimetière de Nema. Telle fut la fin de l’un des plus prestigieux écrivains[2] et homme de culture de la Mauritanie. .
Lire la suite du témoignage aux liens de Flamnet :
http://members.lycos.co.uk/flamnet/boyealasan_tenkaedi.html
Par Boye Alassane Harouna- Écrivain et rescapé de Oualata -
"La tête qui ne se retourne pas vers les horizons effacés ne contient ni pensée ni amour."Victor Hugo
Quand le lieutenant Oumar prit la gestion du fort de Oualata, le mal était déjà fait. Il y avait déjà un mort. Et plusieurs détenus étaient gravement malades, tandis que les autres étaient squelettiques, affamés. Ten Youssouf Guéye, notre doyen, qui souffrait depuis plusieurs jours déjà, voyait son état de santé s’empirer sérieusement.
Ten Youssouf Gueye était si souffrant que Bâ Mamadou Sidi s’était entièrement disponibilisé pour être à son chevet et lui fournir les maigres soins dont il disposait. Nous avions obtenu qu’il soit mis dans un local libre, accolé à notre salle côté nord-est. Là, il pouvait trouver plus d’aération et de tranquillité. Il avait beaucoup maigri en peu de jours. Son visage était devenu hâve. Sa voix, forte et claire s’était presque éteinte. Il parlait avec beaucoup de peine et ses propos étaient entrecoupés par la douleur. Il était dans cet état quand le lieutenant Oumar ould Boubacar arriva au fort vers le 31 août 1988.
Bâ Mamadou Sidi avait installé Ten Youssouf Gueye dans la cour du fort près de la porte d’entrée de notre salle. Il était près de 18 heures. Le lieutenant Oumar vint vers Ten Youssouf Gueye couché sur sa couverture. Il lui prit affectueusement la tête entre ses mains, et comme pour être certain d’être bien entendu par lui, se pencha sur son visage, le questionna sur sa santé. Image saisissante, émouvante, inoubliable : Ten Youssouf Gueye rassembla tout ce qu’il lui restait d’énergie, essaya de redonner à sa voix habituellement forte et claire, présentement tremblante, tout son tonus, malgré la douleur qui se lisait sur son visage, et comme s’il avait conscience d’émettre sa dernière volonté, il voulut s’assurer que tous ses propos fussent entendus, articula aussi fort que le permettait son état, à l’intention du lieutenant Oumar toujours penché au-dessus de lui :
- Lieutenant Oumar, vous n’allez pas laisser mourir comme un chien l’un des hommes de culture de ce pays ?
Toujours penché au dessus de lui, d’une voix émue, le lieutenant Oumar lui répondit :
- Non, tranquillisez-vous, tout sera fait pour que vous soyez évacué rapidement afin de bénéficier de soins appropriés.
Dans la même nuit, le lieutenant Oumar regagna Nema. Le lendemain 1er septembre, Ten Youssouf Gueye fut évacué à bord d’une land Rover de la garde. Malheureusement, quand il y arriva, le lieutenant Oumar était en mission d’inspection dans la région de Nema. Le Wali était, lui aussi, absent de Nema. Par rapport au cas du détenu Ten Youssouf Gueye, il y avait une sorte de vacance de pouvoir. Ces deux autorités semblaient être les seules habilitées à décider de l’hospitalisation de Ten Youssouf Gueye. Puisque tous les autres responsables (préfet, gouverneur adjoint), refusèrent de prendre la responsabilité de son hospitalisation. Conséquence tragique d’une telle vacance de pouvoir et du refus des responsables administratifs sur place d’engager leur responsabilité : Ten Youssouf Gueye agonisant, évacué d’un fort-mouroir pour être hospitalisé, se retrouva, malgré son état, dans la prison des détenus de droit commun de Nema. C’est dans cette prison qu’il expira dans la nuit de 2 septembre 1988. Sans sépulture, il serait enterré dans une tombe anonyme dans un cimetière de Nema. Telle fut la fin de l’un des plus prestigieux écrivains[2] et homme de culture de la Mauritanie. .
Lire la suite du témoignage aux liens de Flamnet :
http://members.lycos.co.uk/flamnet/boyealasan_tenkaedi.html