Flamnet reçoit comme invité, un haut responsable des Forces de libération africaines de Mauritanie (FLAM), l´actuel numéro 2 du mouvement et responsable des structures de base et de l´orientation politique des FLAM, le camarade Sow Ibrahima, Ibra Mifo pour les intimes.
Membre-fondateur du Mouvement des Élèves et Étudiants Noirs (MEEN), des FLAM et de l´UNESM, militant très actif de l´organisation, arrêté et condamné en 1986 après la publication du Manifeste du Négro-mauritanien Opprimé, banni et radié de la fonction publique pour "activités subversives", après sa liberation de prison, il est forcé à l´exil.
Il atterit d’abord au pays du vieux Houphouet Boigny où il crée et anime, avec des camarades miraculés du bagne de Walata, une Section des FLAM. Puis, juste avant le déclenchement de la guerre civile en Côte d’Ivoire, il s’envole pour les USA où il poursuit son long exil au service de son Organisation.
Ancien président de l´Association Culturelle et Sportive de la jeunesse de Djeol, ancien responsable du mouvement Jaalo-waali, une fédération d’une dizaine d´associations culturelles des riverains de la vallée du fleuve, ancien Secrétaire à l´organisation de la section des FLAM- Amérique du Nord, l’ex professeur de français au lycée de Sélibaby, de Kaëdi et de Dimbokro (Côte d´ivoire) revient, pour nous, de long en large sur l´actualité politique mauritanienne, sur l´état de son organisation, les FLAM, sur le retour des Déportés, sur les problèmes de la cohabitation et du passif humanitaire, et aussi sur la création de l´AJD/MR.
Entretien à coeur ouvert avec l´enfant de Bilbassi.
Bonne lecture, la lutte continue!
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
FLAMNET: En tant que premier responsable des structures de base des FLAM, peut-on vous demander le bilan de santé de notre organisation, sa vie actuelle? Comment se portent les FLAM ?
IBRA MIFO SOW : Les Flam portent gaillardement leur quart de siècle de lutte , de résistance et de fidélité à un idéal de vie en commun normalisé. Eu égards à toutes les épreuves – et quelles épreuves!- qui ont jalonné ses 25 années de constance, le fait que notre Organisation ait pu relever le simple défi de la présence représente en soi une prouesse politique inédite sur le plan national. Et c’est peu dire que d’affirmer que les FLAM continuent de susciter aujourd’hui encore autant, voire davantage, de passions qu’au lendemain de la publication du "Manifeste".
Notre Mouvement vit et fonctionne en mettant en oeuvre son programme politique et ses activités militantes qui concourent à la réalisation de ses trois missions principales, qui sont: construire une organisation politique solide, mobiliser l’opinion publique autour des grands problèmes nationaux, et contribuer à l’édification d’un véritable Etat de droit dans notre pays. Un rapport exhaustif sur l’état de notre Organisation a été récemment dressé par notre Bureau Exécutif National à l’intention de toutes nos structures. Il est inutile et inapproprié de revenir ici sur les détails de ce document. Ce qu’il importe de retenir c’est que la consolidation organisationnelle demeure un défi permanent, surtout dans notre cas, quand on sait qu’on doit faire fonctionner des structures aussi dispersées que nous le sommes sur 3 continents. En dépit de l’usure du temps, des affres de l’exil et des contraintes de la distance, l’ardeur militante des flamistes est restée aussi vivante que leur foi commune dans la justesse de notre combat.
A l’heure actuelle, nos militants, tout comme nos responsables nationaux, sont occupés à finaliser les réformes structurelles ainsi que les réorientations politiques qui maintiennent actuels et adaptés notre dynamisme et nos stratégies par rapport aux donnes nationales et internationales.
Quant au chantier de la sensibilisation et de l’information, il est sans nul doute celui qui nous a valu d’être aujourd’hui l’organisation politique la plus connue de la Mauritanie. Un important travail continue de se faire en faveur de la prise de conscience de l’acuité des principaux contentieux nationaux. Sans verser dans une auto-célébration insouciante, nous pouvons à juste titre réclamer notre part de mérite dans l’évolution politique et sociale frémissante dans notre pays. Il reste encore du chemin à faire pour arriver à l’essentiel, c’est-à-dire, la traduction dans les faits des intentions de consolidation de l’unité nationale qui, en aucune façon, ne pourra se réaliser sur le lit des discriminations raciales et sociales dont fait l’objet l’immense majorité de nos populations. C’est pourquoi, les FLAM se posent-elles désormais comme un mouvement porteur de projet de société fédérateur qui place la justice sociale, l’égalité entre nos races et nos communautés et le développement économique et social harmonieux de notre pays au centre de leur action politique.
Flamnet : Depuis le discours du président de la république sur les Déportés, on assiste en Mauritanie à une campagne violente et haineuse contre les FLAM dans une certaine presse et auprès de certains cercles politiques. Comment expliquez-vous cet acharnement contre les FLAM?
IBRA MIFO SOW : Les FLAM n’agitent que ceux dont la normalisation de la vie politique et sociale de notre pays déjoue les sombres desseins exclusivistes, eux et leurs bras séculiers, une horde de génocidaires en cabale, mais aussi ceux à qui la diabolisation de notre Mouvement assurait un plan de carrière prospérant sur une lâcheté tranquillement assumée. On se serait amusé de cette fébrilité si on n’était pas suffisamment édifié sur leurs capacités de nuisance, si on ignorait tout le mal qu’ils ont causé à l’unité nationale.
Le discours du Président de la République et la confirmation qui en a été faite par le Premier Ministre dans sa Déclaration de Politique Générale font justice à la Plate-forme dite de “Discussion pour une Mauritanie reconciliée” que nous avions soumise au candidat Sidi et plus tard au Chef de l’Etat qu’il est devenu. On ne peut que se féliciter du fait que le schéma de sortie de crise que nous avions dessiné soit suivi par les plus hautes autorités de l’Etat. Globalement on réclamait que le Président de la République reconnaisse et assume, au nom de l’Etat, les graves violations des droits humains commises à l’encontre d’une partie de nos populations, que les Déportés soient ramenés dans la dignité et rétablis dans tous leurs droits, que des mesures courageuses de réhabilitation des anciens esclaves soient prises, et en fin que le problème du passif humanitaire reçoive un traitement juste et équitable. On reste tout à fait évidemment serein sur les difficultés à vaincre avant de parvenir à la mise en oeuvre de ces bonnes intentions, et en particulier celles sur le dossier du passif humanitaire. Nous ne partageons pas les propositions qui voudraient solder ces crimes à bon compte par le biais de quelques compensations pécuniaires de condescendance distribuées aux ayants-droit. C’est à la fois simpliste et dangereux en ce qu’il constituerait un précédent préjudiciable à l’instauration d’un Etat de droit que nous appelons de tous nos voeux. Pour nous, il faut concilier le refus de l’impunité, les exigences de la vérité, le droit à la réparation avec la nécessité du pardon.
Pour important qu’il soi, le réglement de ces dossiers humanitaires, qui sont, on ne le répétera jamais assez, les conséquences logiques d’une politique aveuglément particulariste, ne constitue qu’un préalabre apaisant à l’ouverture d’un débat de fond sur la cohabitation, contradiction principale qu’on n’arrive pas à dépasser faute d’avoir eu jusqu’à présent le courage d’y faire face avec lucidité. C’est ce à quoi appelait le Manifeste de 1986 qui invitait “ toutes nos nationalités à un dialogue de races et de cultures dans lequel nous nous dirons la vérité pour guérir nos maux”. C’est ce même souci de rencontre et de reconnaissance mutuelle de nos diversités entre elles qui continue de motiver l’engagement et la détermination des FLAM. Aussi longtemps qu’elle continuera à rassembler sur le même territoire les communautés qui la composent actuellement, la Mauritanie sera condamnée à assumer son destin biracial et sa diversité culturelle. Et nous pensons que la meilleure façon de péréniser cette coexistence, c’est de fixer les régles de son fonctionnement par des lois constitutionnelles qui reconnaissent et sécurisent chacune de nos identités.
Flamnet : Certaines mauvaises langues pensent qu´après le retour des Déportés et le réglement du passif humanitaire, qu´ils considérent comme votre "fond de commerce", les FLAM n´auront plus leur raison d´être, que répondriez-vous à ces allégations ?
IBRA MIFO SOW : Les FLAM n’ont pas le destin lié avec les douloureux dossiers humanitaires de notre pays. Nous avons estimé que c’étaient des causes justes qui méritaient l’engagement et la mobilisation de tous ceux que la justice et la paix préoccupaient dans notre pays. Peut-être avons-nous été les plus déterminés, les plus actifs sur le terrain, mais nous n’étions certainement pas les seuls à nous en soucier. En tout cas, je l’espère, pour la Mauritanie. C’est pourquoi, nous, au niveau des FLAM, nous ne sommes même pas surpris par l’engouement actuel, presque général, autour de ces problèmes. On est même satisfait de la profusion d’organisations qui se sont subitement créées et qui sont dédiées à la bonne cause, devenue miraculeusement priorité nationale. Et toutes ces propositions généreuses et inspirées, tous ces grands discours patriotiques, tous ces appels pathétiques, toute cette mauvaise conscience qui s’en veut, tous ces nouveaux ralliés rivalisant d’ardeur et de zèle, tous ces enquêteurs-compulateurs, experts avisés de la gestion des préjudices, toutes ces bousculades audacieuses, je veux dire, tout ce don de soi bruyant ne peut tout de même pas être que factice. Nous, nous voulons croire qu’il y avait bien une prédisposition qui n’attendait qu’un prétexte, par exemple la volonté du prince, pour s’exprimer au grand jour. Si, aujourd’hui, tout le monde est unanime à reconnaître qu’un grand mal a été fait et qu’il mérite d’être réparé, on ne peut donc pas reprocher aux FLAM de s’en être occupées.
Sur le cas particulier de ces dossiers conflictuels et sur celui plus général de la cohabitation, notre seul tort est d’avoir eu raison avant tout le monde. C’est parce que nous sommes conscients des menaces sérieuses que constituaient à terme ces problèmes contre la paix et la stabilité aussi bien de notre pays que de la sous-région, que nous nous sommes opposés à leur occultation.
Pour les Déportés, nous avons refusé la solution de l’incognito que les racoleurs du régime défunt voulaient imposer dans les camps en les vidant rien que pour sauvegarder l’image de marque de O/ Taya dont ils étaient devenus des alliés objectifs contre les FLAM et la justice. Tout comme nous nous opposons à l’absolution pure et simple des bourreaux que le système a utilisés pour la basse besogne de la purification éthnique. Cette attitude d’intransigeance n’est dictée que par notre amour pour notre pays. Malheureusement, on ne peut pas en dire de même de nos autorités nationales et de la classe politique traditionnelle bien accommodante qui s’étaient toujours illlustrées dans une indifférence suicidaire face aux barricades et aux tranchées qui assiègaient la République.
Nous n’avons rien à nous reprocher, rien, ni d’avoir porté à nu les plans de dénégrification ourdis par le système, ni d’avoir résisté activement sur le champs de bataille pour notre survie, ni encore moins d’avoir refusé notre soutien inconditionnel à une transition qui a excellé dans l’exercice du dilatoire face aux problèmes essentiels de notre unité nationale.
Ceux qui prédisent ou souhaitent la disparition des FLAM méconnaissent la portée de notre combat, l’impact incommensurable de notre influence morale, politique et philosophique sur l’immense partie de nos populations.Tous ceux qui luttent pour la sauvegarde de nos identités, pour le respect des droits nationaux et qui refusent le régne de l’arbitraire et de l’exclusion sont des flamistes qui s’ignorent. Le flamisme est une attitude, un état d’esprit, une fidélité à un idéal de justice, c’est la défense de la diversité, c’est l’appel à la complémentarité. C’est pourquoi, Les FLAM constituent une nécessité pour la Mauritanie. Notre lutte continuera donc en se raffermissant, en mobilisant davantage et surtout en s’inscrivant plus résolument dans la dynamique de la proposition et de la rencontre. Rien ne nous divertira de cet engagement. Nous laissons par conséquent le terrain de l’anathème et de l’invective à ceux auxquels il ne reste plus que la gestion de la vacuité et du spécieux.
Flamnet : Envisagez-vous un retour ou un redeploiement de votre organisation à l'interieur compte-tenu de l'évolution de la situation? Que diriez-vous à ceux qui se demandent si l'exil a encore un sens ou pourquoi les FLAM sont toujours en exil?
IBRA MIFO SOW : Il y a eu à un moment donné dans l’histoire politique de notre pays des conditions objectives qui ont contraint notre Organisation à l’exil. Ce n’était ni une solution de facilité, ni une option irréversible. Il n’a jamais été dit, nulle part dans nos textes, que les FLAM doivent demeurer indéfiniment en exil. On peut même dire que cela a été un accident de parcours. Mais nous avons pu positiver cet accident, en nous saisissant de cette opportunité ni voulue, ni même prévue, il faut le reconnaître, pour en faire un outil redoutable au service de notre résistance et de la lutte contre les injustices auxquelles peu de gens osaient s’opposer de l’intérieur. Ce combat-là n’a pas été vain.
Si les conditions qui nous ont poussés, puis maintenus pendant si longtemps hors de chez nous disparaissent, il n’y aura aucune raison pour que nous ne rentrions pas. J’espère même que cela se fera le plus tôt possible. Mais, c’est nous qui devons évaluer la réalité de l’évolution de ces conditions et en particulier de celles liées à la sécurité. Car, il ne faut pas oublier que ce sont nos militants et nos sympathisants qui ont été les principales victimes de la terreur qui prévalait dans notre pays. Nous avons subi la fureur du système dans nos libertés, dans notre chair, dans nos vies de famille, nous et tous ceux qui sont susceptibles de sympathie pour notre combat afin que soit étouffée à jamais toute velléité de remise en cause du cours hégémonique de la beydanisation de la vie politique et socio-économique de la Mauritanie.
Il y a, actuellement, au sein de toutes nos structures, un débat ouvert sur l’appréciation de la nouvelle donne nationale et sur l’impulsion à donner à notre lutte. Il permettra à nos militants de faire des propositions motivées sur les objectifs et les stratégies à assigner à notre Mouvement. A l’issue de leurs réflexions, nous convoquerons l’une de nos instances de délibération, le congrès ou le conseil national, pour statuer. Il n’ y aura donc ni précipitation, ni improvisation. Une chose est cependant sure, comme ne cesse de le rappeler notre Président, les FLAM ne se déroberont pas devant leur devoir. Le terrain national, nous le connaissons bien et nous avons des atouts solides à y faire prévaloir.
Flamnet : Que pensez-vous de la naissance de l'AJD/MR? Les FLAM ont-elles été consultées pour la création de ce rassemblement ? Quelles seront les relations entre les FLAM et ce parti dans la perspective d'un redeploiement?
IBRA MIFO SOW : Je voudrais d’abord rendre hommage à la constance de l’AJD qui a ainsi aujourd’hui pu servir de socle à un plus grand rassemblement, et puis, saluer l’humilité et la générosité de ses dirigeants. Nous connaissons la valeur de ces hommes et de ces femmes qui ont été, pour la plupart, des camarades de combat et avec lesquels les ponts n’ont jamais été coupés. Les FLAM et l’AJD ont su maintenir entre elles des rapports utiles et respectueux de la souveraineté de chacune de nos Organisations. Nous ne doutons pas non plus des qualités du Président Sarr. Je crois qu’il n’a jamais perdu de vue le caractère prioritaire de la résolution de la question nationale. Nous nous félicitons de l’unanimité qui l’a porté à la tête de son nouveau parti. De façon générale, nous considérons que cette organisation a en son sein beaucoup d’hommes et de femmes de convictions qui prennent parfaitement au sérieux la mission qu’ils se sont assignée.
Est-ce que les FLAM ont été contactées? Je réponds que non. Du moins, pas dans les régles de l’art. Il est vrai, il y a eu, in extremis, quelques initiatives individuelles, relevant plutôt de l’ordre de la confidence, comme par acquis de conscience. Or, il en faut beaucoup plus pour engager les FLAM. A notre connaissance, il y avait bien une commission de contacts qui a eu, sans doute, des alliances plus stratégiques à négocier. Nous ne reprochons rien à personne. Chacun a ses priorités. L’essentiel actuellement sera de garder solides les passerelles qui existent et qui nous permettront à un moment donné d’envisager l’avenir ensemble. A condition évidemment que l’excès de “réalisme” ne prenne pas en ôtage la substance de la cause que nous avons en partage. Dans tous les cas, les défis à relever sont si immenses que nous ne serons jamais de trop à plusieurs pour y faire face.
Flamnet : Votre dernier mot à nos militants et aux mauritaniens d´une manière générale ...
IBRA MIFO SOW : Nos militants sont actuellement entrain de finir la réflexion sur des sujets d’importance capitale pour notre combat pour la Mauritanie. Il s’agit entre autres d’une proposition de Projet de Société et d’une Charte sur la Cohabitation pour que la Mauritanie régle ses contentieux nationaux et se prépare à un développement harmonieux. C’est un nouveau cap pour notre Organisation et je sais que nos militants sont prêts et parés à l’aborder avec disponibilité et discipline. C’est parce qu’ils sont restés mobilisés et déterminés que des pans entiers d’injustices commencent à tomber.
Les FLAM n’ont aucun autre dessein que celui de contribuer, ensemble avec toutes les forces progressistes de notre pays, à l’édification d’un véritable Etat de droit. Notre combat acharné contre les injustices et en faveur de l’égalité de nos races et de nos cultures le prouve éloquemment. La normalisation de la cohabitation entre nos communautés est possible. C’est ensemble qu’on le fera en nous enrichissant de nos différences et en assumant le droit de chacune de nos identités à la reconnaissance pleine et entière.
Je remercie Flamnet et ses animateurs pour le travail de promotion de la liberté et de la justice qu’ils font en faveur de la Mauritanie. Je vous encourage à continuer le travail d’informations et d’explications que vous menez pour mieux faire comprendre le sens de notre combat. Nos concitoyens ont besoin de mieux nous connaître, eux qui sont restés si longemps abusés par une presse aux ordres d’une dictature qui a bati sa longévité sur le mensonge et la falsification. La Lutte continue.
FLAMNET : Merci camarade et nous disons encore avec vous : La lutte continue de plus belle !
Propos recueillis par Kaaw Touré et Abdoulaye Thiongane
le 14 septembre 2007
http://flamnet.fr.fm/
source : Flamnet
Membre-fondateur du Mouvement des Élèves et Étudiants Noirs (MEEN), des FLAM et de l´UNESM, militant très actif de l´organisation, arrêté et condamné en 1986 après la publication du Manifeste du Négro-mauritanien Opprimé, banni et radié de la fonction publique pour "activités subversives", après sa liberation de prison, il est forcé à l´exil.
Il atterit d’abord au pays du vieux Houphouet Boigny où il crée et anime, avec des camarades miraculés du bagne de Walata, une Section des FLAM. Puis, juste avant le déclenchement de la guerre civile en Côte d’Ivoire, il s’envole pour les USA où il poursuit son long exil au service de son Organisation.
Ancien président de l´Association Culturelle et Sportive de la jeunesse de Djeol, ancien responsable du mouvement Jaalo-waali, une fédération d’une dizaine d´associations culturelles des riverains de la vallée du fleuve, ancien Secrétaire à l´organisation de la section des FLAM- Amérique du Nord, l’ex professeur de français au lycée de Sélibaby, de Kaëdi et de Dimbokro (Côte d´ivoire) revient, pour nous, de long en large sur l´actualité politique mauritanienne, sur l´état de son organisation, les FLAM, sur le retour des Déportés, sur les problèmes de la cohabitation et du passif humanitaire, et aussi sur la création de l´AJD/MR.
Entretien à coeur ouvert avec l´enfant de Bilbassi.
Bonne lecture, la lutte continue!
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
FLAMNET: En tant que premier responsable des structures de base des FLAM, peut-on vous demander le bilan de santé de notre organisation, sa vie actuelle? Comment se portent les FLAM ?
IBRA MIFO SOW : Les Flam portent gaillardement leur quart de siècle de lutte , de résistance et de fidélité à un idéal de vie en commun normalisé. Eu égards à toutes les épreuves – et quelles épreuves!- qui ont jalonné ses 25 années de constance, le fait que notre Organisation ait pu relever le simple défi de la présence représente en soi une prouesse politique inédite sur le plan national. Et c’est peu dire que d’affirmer que les FLAM continuent de susciter aujourd’hui encore autant, voire davantage, de passions qu’au lendemain de la publication du "Manifeste".
Notre Mouvement vit et fonctionne en mettant en oeuvre son programme politique et ses activités militantes qui concourent à la réalisation de ses trois missions principales, qui sont: construire une organisation politique solide, mobiliser l’opinion publique autour des grands problèmes nationaux, et contribuer à l’édification d’un véritable Etat de droit dans notre pays. Un rapport exhaustif sur l’état de notre Organisation a été récemment dressé par notre Bureau Exécutif National à l’intention de toutes nos structures. Il est inutile et inapproprié de revenir ici sur les détails de ce document. Ce qu’il importe de retenir c’est que la consolidation organisationnelle demeure un défi permanent, surtout dans notre cas, quand on sait qu’on doit faire fonctionner des structures aussi dispersées que nous le sommes sur 3 continents. En dépit de l’usure du temps, des affres de l’exil et des contraintes de la distance, l’ardeur militante des flamistes est restée aussi vivante que leur foi commune dans la justesse de notre combat.
A l’heure actuelle, nos militants, tout comme nos responsables nationaux, sont occupés à finaliser les réformes structurelles ainsi que les réorientations politiques qui maintiennent actuels et adaptés notre dynamisme et nos stratégies par rapport aux donnes nationales et internationales.
Quant au chantier de la sensibilisation et de l’information, il est sans nul doute celui qui nous a valu d’être aujourd’hui l’organisation politique la plus connue de la Mauritanie. Un important travail continue de se faire en faveur de la prise de conscience de l’acuité des principaux contentieux nationaux. Sans verser dans une auto-célébration insouciante, nous pouvons à juste titre réclamer notre part de mérite dans l’évolution politique et sociale frémissante dans notre pays. Il reste encore du chemin à faire pour arriver à l’essentiel, c’est-à-dire, la traduction dans les faits des intentions de consolidation de l’unité nationale qui, en aucune façon, ne pourra se réaliser sur le lit des discriminations raciales et sociales dont fait l’objet l’immense majorité de nos populations. C’est pourquoi, les FLAM se posent-elles désormais comme un mouvement porteur de projet de société fédérateur qui place la justice sociale, l’égalité entre nos races et nos communautés et le développement économique et social harmonieux de notre pays au centre de leur action politique.
Flamnet : Depuis le discours du président de la république sur les Déportés, on assiste en Mauritanie à une campagne violente et haineuse contre les FLAM dans une certaine presse et auprès de certains cercles politiques. Comment expliquez-vous cet acharnement contre les FLAM?
IBRA MIFO SOW : Les FLAM n’agitent que ceux dont la normalisation de la vie politique et sociale de notre pays déjoue les sombres desseins exclusivistes, eux et leurs bras séculiers, une horde de génocidaires en cabale, mais aussi ceux à qui la diabolisation de notre Mouvement assurait un plan de carrière prospérant sur une lâcheté tranquillement assumée. On se serait amusé de cette fébrilité si on n’était pas suffisamment édifié sur leurs capacités de nuisance, si on ignorait tout le mal qu’ils ont causé à l’unité nationale.
Le discours du Président de la République et la confirmation qui en a été faite par le Premier Ministre dans sa Déclaration de Politique Générale font justice à la Plate-forme dite de “Discussion pour une Mauritanie reconciliée” que nous avions soumise au candidat Sidi et plus tard au Chef de l’Etat qu’il est devenu. On ne peut que se féliciter du fait que le schéma de sortie de crise que nous avions dessiné soit suivi par les plus hautes autorités de l’Etat. Globalement on réclamait que le Président de la République reconnaisse et assume, au nom de l’Etat, les graves violations des droits humains commises à l’encontre d’une partie de nos populations, que les Déportés soient ramenés dans la dignité et rétablis dans tous leurs droits, que des mesures courageuses de réhabilitation des anciens esclaves soient prises, et en fin que le problème du passif humanitaire reçoive un traitement juste et équitable. On reste tout à fait évidemment serein sur les difficultés à vaincre avant de parvenir à la mise en oeuvre de ces bonnes intentions, et en particulier celles sur le dossier du passif humanitaire. Nous ne partageons pas les propositions qui voudraient solder ces crimes à bon compte par le biais de quelques compensations pécuniaires de condescendance distribuées aux ayants-droit. C’est à la fois simpliste et dangereux en ce qu’il constituerait un précédent préjudiciable à l’instauration d’un Etat de droit que nous appelons de tous nos voeux. Pour nous, il faut concilier le refus de l’impunité, les exigences de la vérité, le droit à la réparation avec la nécessité du pardon.
Pour important qu’il soi, le réglement de ces dossiers humanitaires, qui sont, on ne le répétera jamais assez, les conséquences logiques d’une politique aveuglément particulariste, ne constitue qu’un préalabre apaisant à l’ouverture d’un débat de fond sur la cohabitation, contradiction principale qu’on n’arrive pas à dépasser faute d’avoir eu jusqu’à présent le courage d’y faire face avec lucidité. C’est ce à quoi appelait le Manifeste de 1986 qui invitait “ toutes nos nationalités à un dialogue de races et de cultures dans lequel nous nous dirons la vérité pour guérir nos maux”. C’est ce même souci de rencontre et de reconnaissance mutuelle de nos diversités entre elles qui continue de motiver l’engagement et la détermination des FLAM. Aussi longtemps qu’elle continuera à rassembler sur le même territoire les communautés qui la composent actuellement, la Mauritanie sera condamnée à assumer son destin biracial et sa diversité culturelle. Et nous pensons que la meilleure façon de péréniser cette coexistence, c’est de fixer les régles de son fonctionnement par des lois constitutionnelles qui reconnaissent et sécurisent chacune de nos identités.
Flamnet : Certaines mauvaises langues pensent qu´après le retour des Déportés et le réglement du passif humanitaire, qu´ils considérent comme votre "fond de commerce", les FLAM n´auront plus leur raison d´être, que répondriez-vous à ces allégations ?
IBRA MIFO SOW : Les FLAM n’ont pas le destin lié avec les douloureux dossiers humanitaires de notre pays. Nous avons estimé que c’étaient des causes justes qui méritaient l’engagement et la mobilisation de tous ceux que la justice et la paix préoccupaient dans notre pays. Peut-être avons-nous été les plus déterminés, les plus actifs sur le terrain, mais nous n’étions certainement pas les seuls à nous en soucier. En tout cas, je l’espère, pour la Mauritanie. C’est pourquoi, nous, au niveau des FLAM, nous ne sommes même pas surpris par l’engouement actuel, presque général, autour de ces problèmes. On est même satisfait de la profusion d’organisations qui se sont subitement créées et qui sont dédiées à la bonne cause, devenue miraculeusement priorité nationale. Et toutes ces propositions généreuses et inspirées, tous ces grands discours patriotiques, tous ces appels pathétiques, toute cette mauvaise conscience qui s’en veut, tous ces nouveaux ralliés rivalisant d’ardeur et de zèle, tous ces enquêteurs-compulateurs, experts avisés de la gestion des préjudices, toutes ces bousculades audacieuses, je veux dire, tout ce don de soi bruyant ne peut tout de même pas être que factice. Nous, nous voulons croire qu’il y avait bien une prédisposition qui n’attendait qu’un prétexte, par exemple la volonté du prince, pour s’exprimer au grand jour. Si, aujourd’hui, tout le monde est unanime à reconnaître qu’un grand mal a été fait et qu’il mérite d’être réparé, on ne peut donc pas reprocher aux FLAM de s’en être occupées.
Sur le cas particulier de ces dossiers conflictuels et sur celui plus général de la cohabitation, notre seul tort est d’avoir eu raison avant tout le monde. C’est parce que nous sommes conscients des menaces sérieuses que constituaient à terme ces problèmes contre la paix et la stabilité aussi bien de notre pays que de la sous-région, que nous nous sommes opposés à leur occultation.
Pour les Déportés, nous avons refusé la solution de l’incognito que les racoleurs du régime défunt voulaient imposer dans les camps en les vidant rien que pour sauvegarder l’image de marque de O/ Taya dont ils étaient devenus des alliés objectifs contre les FLAM et la justice. Tout comme nous nous opposons à l’absolution pure et simple des bourreaux que le système a utilisés pour la basse besogne de la purification éthnique. Cette attitude d’intransigeance n’est dictée que par notre amour pour notre pays. Malheureusement, on ne peut pas en dire de même de nos autorités nationales et de la classe politique traditionnelle bien accommodante qui s’étaient toujours illlustrées dans une indifférence suicidaire face aux barricades et aux tranchées qui assiègaient la République.
Nous n’avons rien à nous reprocher, rien, ni d’avoir porté à nu les plans de dénégrification ourdis par le système, ni d’avoir résisté activement sur le champs de bataille pour notre survie, ni encore moins d’avoir refusé notre soutien inconditionnel à une transition qui a excellé dans l’exercice du dilatoire face aux problèmes essentiels de notre unité nationale.
Ceux qui prédisent ou souhaitent la disparition des FLAM méconnaissent la portée de notre combat, l’impact incommensurable de notre influence morale, politique et philosophique sur l’immense partie de nos populations.Tous ceux qui luttent pour la sauvegarde de nos identités, pour le respect des droits nationaux et qui refusent le régne de l’arbitraire et de l’exclusion sont des flamistes qui s’ignorent. Le flamisme est une attitude, un état d’esprit, une fidélité à un idéal de justice, c’est la défense de la diversité, c’est l’appel à la complémentarité. C’est pourquoi, Les FLAM constituent une nécessité pour la Mauritanie. Notre lutte continuera donc en se raffermissant, en mobilisant davantage et surtout en s’inscrivant plus résolument dans la dynamique de la proposition et de la rencontre. Rien ne nous divertira de cet engagement. Nous laissons par conséquent le terrain de l’anathème et de l’invective à ceux auxquels il ne reste plus que la gestion de la vacuité et du spécieux.
Flamnet : Envisagez-vous un retour ou un redeploiement de votre organisation à l'interieur compte-tenu de l'évolution de la situation? Que diriez-vous à ceux qui se demandent si l'exil a encore un sens ou pourquoi les FLAM sont toujours en exil?
IBRA MIFO SOW : Il y a eu à un moment donné dans l’histoire politique de notre pays des conditions objectives qui ont contraint notre Organisation à l’exil. Ce n’était ni une solution de facilité, ni une option irréversible. Il n’a jamais été dit, nulle part dans nos textes, que les FLAM doivent demeurer indéfiniment en exil. On peut même dire que cela a été un accident de parcours. Mais nous avons pu positiver cet accident, en nous saisissant de cette opportunité ni voulue, ni même prévue, il faut le reconnaître, pour en faire un outil redoutable au service de notre résistance et de la lutte contre les injustices auxquelles peu de gens osaient s’opposer de l’intérieur. Ce combat-là n’a pas été vain.
Si les conditions qui nous ont poussés, puis maintenus pendant si longtemps hors de chez nous disparaissent, il n’y aura aucune raison pour que nous ne rentrions pas. J’espère même que cela se fera le plus tôt possible. Mais, c’est nous qui devons évaluer la réalité de l’évolution de ces conditions et en particulier de celles liées à la sécurité. Car, il ne faut pas oublier que ce sont nos militants et nos sympathisants qui ont été les principales victimes de la terreur qui prévalait dans notre pays. Nous avons subi la fureur du système dans nos libertés, dans notre chair, dans nos vies de famille, nous et tous ceux qui sont susceptibles de sympathie pour notre combat afin que soit étouffée à jamais toute velléité de remise en cause du cours hégémonique de la beydanisation de la vie politique et socio-économique de la Mauritanie.
Il y a, actuellement, au sein de toutes nos structures, un débat ouvert sur l’appréciation de la nouvelle donne nationale et sur l’impulsion à donner à notre lutte. Il permettra à nos militants de faire des propositions motivées sur les objectifs et les stratégies à assigner à notre Mouvement. A l’issue de leurs réflexions, nous convoquerons l’une de nos instances de délibération, le congrès ou le conseil national, pour statuer. Il n’ y aura donc ni précipitation, ni improvisation. Une chose est cependant sure, comme ne cesse de le rappeler notre Président, les FLAM ne se déroberont pas devant leur devoir. Le terrain national, nous le connaissons bien et nous avons des atouts solides à y faire prévaloir.
Flamnet : Que pensez-vous de la naissance de l'AJD/MR? Les FLAM ont-elles été consultées pour la création de ce rassemblement ? Quelles seront les relations entre les FLAM et ce parti dans la perspective d'un redeploiement?
IBRA MIFO SOW : Je voudrais d’abord rendre hommage à la constance de l’AJD qui a ainsi aujourd’hui pu servir de socle à un plus grand rassemblement, et puis, saluer l’humilité et la générosité de ses dirigeants. Nous connaissons la valeur de ces hommes et de ces femmes qui ont été, pour la plupart, des camarades de combat et avec lesquels les ponts n’ont jamais été coupés. Les FLAM et l’AJD ont su maintenir entre elles des rapports utiles et respectueux de la souveraineté de chacune de nos Organisations. Nous ne doutons pas non plus des qualités du Président Sarr. Je crois qu’il n’a jamais perdu de vue le caractère prioritaire de la résolution de la question nationale. Nous nous félicitons de l’unanimité qui l’a porté à la tête de son nouveau parti. De façon générale, nous considérons que cette organisation a en son sein beaucoup d’hommes et de femmes de convictions qui prennent parfaitement au sérieux la mission qu’ils se sont assignée.
Est-ce que les FLAM ont été contactées? Je réponds que non. Du moins, pas dans les régles de l’art. Il est vrai, il y a eu, in extremis, quelques initiatives individuelles, relevant plutôt de l’ordre de la confidence, comme par acquis de conscience. Or, il en faut beaucoup plus pour engager les FLAM. A notre connaissance, il y avait bien une commission de contacts qui a eu, sans doute, des alliances plus stratégiques à négocier. Nous ne reprochons rien à personne. Chacun a ses priorités. L’essentiel actuellement sera de garder solides les passerelles qui existent et qui nous permettront à un moment donné d’envisager l’avenir ensemble. A condition évidemment que l’excès de “réalisme” ne prenne pas en ôtage la substance de la cause que nous avons en partage. Dans tous les cas, les défis à relever sont si immenses que nous ne serons jamais de trop à plusieurs pour y faire face.
Flamnet : Votre dernier mot à nos militants et aux mauritaniens d´une manière générale ...
IBRA MIFO SOW : Nos militants sont actuellement entrain de finir la réflexion sur des sujets d’importance capitale pour notre combat pour la Mauritanie. Il s’agit entre autres d’une proposition de Projet de Société et d’une Charte sur la Cohabitation pour que la Mauritanie régle ses contentieux nationaux et se prépare à un développement harmonieux. C’est un nouveau cap pour notre Organisation et je sais que nos militants sont prêts et parés à l’aborder avec disponibilité et discipline. C’est parce qu’ils sont restés mobilisés et déterminés que des pans entiers d’injustices commencent à tomber.
Les FLAM n’ont aucun autre dessein que celui de contribuer, ensemble avec toutes les forces progressistes de notre pays, à l’édification d’un véritable Etat de droit. Notre combat acharné contre les injustices et en faveur de l’égalité de nos races et de nos cultures le prouve éloquemment. La normalisation de la cohabitation entre nos communautés est possible. C’est ensemble qu’on le fera en nous enrichissant de nos différences et en assumant le droit de chacune de nos identités à la reconnaissance pleine et entière.
Je remercie Flamnet et ses animateurs pour le travail de promotion de la liberté et de la justice qu’ils font en faveur de la Mauritanie. Je vous encourage à continuer le travail d’informations et d’explications que vous menez pour mieux faire comprendre le sens de notre combat. Nos concitoyens ont besoin de mieux nous connaître, eux qui sont restés si longemps abusés par une presse aux ordres d’une dictature qui a bati sa longévité sur le mensonge et la falsification. La Lutte continue.
FLAMNET : Merci camarade et nous disons encore avec vous : La lutte continue de plus belle !
Propos recueillis par Kaaw Touré et Abdoulaye Thiongane
le 14 septembre 2007
http://flamnet.fr.fm/
source : Flamnet