Une scène surréaliste à l’entrée de Basra, à proximité du cinéma Sada, à 21h seulement : une cinquantaine de jeunes, tous noirs, assis à même le sol, les genoux recroquevillés, deux mitraillettes de gardes, négligemment tournés vers eux, tandis que les deux autres, au bord du goudron, arrêtent systématiquement les voitures qui passent, contrôlant au faciès.
Parmi la cinquantaine d’individus arrêtés, quelques filles, mauritaniennes, qui «allaient acheter du pain». D’autres jeunes hommes qui se promenaient simplement. Mauritaniens aussi. Et quelques étrangers également. Des sénégalais et quelques maliens.
Ces derniers, officiellement, sont le prétexte de ce branle-bas de combat à Sebkha, où les autorités disent lutter contre les étrangers en situation irrégulière en Mauritanie. Or, vous ne verrez ces situations qu’à Sebkha. Exclusivement.
«Je connais des étrangers maghrébins, ou arabes qui sont tout autant en situation irrégulière administrativement, et qui ne sont pas inquiétés. Avez-vous vu un seul, je dis bien un seul clair de peau lors des files d’attente hallucinantes d’étrangers devant le stade olympique, ou devant les commissariats il y a quelques mois, pour se procurer une carte de séjour ? Pas un, non. Il s’agit bien, et je le dis clairement d’une chasse aux étrangers noirs» martèle Abdoul Birane Wane, coordinateur du collectif Touche pas à ma nationalité.
Parmi la cinquantaine de jeunes cités plus haut, certains ont été arrêtés avec une pièce d’identité mauritanienne, mais datant du recensement précédant celui en cours. « Ça ne justifie plus qu’ils sont mauritaniens » lance laconique, et avec un aplomb à rendre muet un griot, un des gardes qui stoppait les voitures, fort sympathique au demeurant, mais qui dit «suivre des ordres de sa hiérarchie».
«À chaque fois qu'il y a des mesures a priori juste par rapport à une situation, que ce soit par rapport au recensement, ou la par rapport à des questions de sécurité, il y a un noyau cancéreux dans les autorités qui profitent de ces occasions pour faire la misère aux noirs» affirme Abdoul Birane Wane.
Pour lui le silence des autorités est un "silence intolérable". «On peut de moins en moins parler de réconciliation et d'unité nationale dans ces circonstances, ou pas une voix civile autorisée ou religieuse ne s'élève pour critiquer ce racisme qui ne se cache plus. Pourtant ils ont tous été prompts à critiquer les injustices et les crimes commis à l'endroit des Touaregs. Mais où sont-elles quand il s'agit de leurs concitoyens, de leurs supposés frères? Cette même situation que les Touaregs vivent au Mali, nous la connaissons ici" développe-t-il.
Appels à la désobéissance civile
Souley avait été des groupes spontanément formés durant les violentes manifestations de l’été 2011, durant lesquelles TPMN avait mobilisé la jeunesse pour dénoncer un recensement dit discriminatoire alors.
Avec une bande d’amis issus du quartier de Cinquième, il était en première ligne pour crier contre le racisme d’état du pays. Et pour lui la patience d’une frange de la jeunesse négro-mauritanienne, commence à atteindre une certaine limite.
«Nos ainés nous disent de ne pas céder à la violence, mais ce qu’on nous impose ici, c’est une humiliation qu’on tient de moins en moins» murmure-t-il sur le palier de la boutique d’Abdel, le commerçant maure de son pâté de maisons, à une trentaine de mètres du cinéma Sada.
Ce n’est pas une vie ça. Ce que nos ainés ont accepté dans le passé, nous ne l’accepterons pas. Peur ? Peur de quoi ? Que peut nous prendre cet état ? Nous n’avons plus rien ! Plus d’emplois, pas d’accès au crédit, écartés de l’administration aujourd’hui. C’est eux qui ont tout à perdre » s’enflamme le jeune trentenaire.
«Nous nous organiserons pour appeler à la désobéissance civile dans notre quartier, si ces humiliations continuent» soutient Malick, un ami de Souley.
«Nous pouvons aller ensemble maintenant sur le nouveau goudron de Cinquième, qui était il y a quelques semaines encore la rue la plus vivante, la plus populaire de tout Nouakchott. Il n’y a plus un rat à partir de 20h. Les étrangers craignent les rafles brutales, et les mauritaniens craignent ces injustices et ces humiliations permanents où leur mauritanité est mise en doute» continue-t-il.
Pour les deux amis, qui observent de loin les contrôles des gardes qui continuent, et le groupe de jeunes arrêtés qui gonfle, «Une prise de conscience des jeunes négro-mauritaniens est en cours». «Maintenant il y a des sujets qui ne peuvent plus être tabou, il s’agit de savoir si on peut vivre ensemble ou non, si ce racisme d’état peut cesser ou non. Et prendre acte» soupire Malick.
Mamoudou Lamine Kane
Source: Noorinfo
Parmi la cinquantaine d’individus arrêtés, quelques filles, mauritaniennes, qui «allaient acheter du pain». D’autres jeunes hommes qui se promenaient simplement. Mauritaniens aussi. Et quelques étrangers également. Des sénégalais et quelques maliens.
Ces derniers, officiellement, sont le prétexte de ce branle-bas de combat à Sebkha, où les autorités disent lutter contre les étrangers en situation irrégulière en Mauritanie. Or, vous ne verrez ces situations qu’à Sebkha. Exclusivement.
«Je connais des étrangers maghrébins, ou arabes qui sont tout autant en situation irrégulière administrativement, et qui ne sont pas inquiétés. Avez-vous vu un seul, je dis bien un seul clair de peau lors des files d’attente hallucinantes d’étrangers devant le stade olympique, ou devant les commissariats il y a quelques mois, pour se procurer une carte de séjour ? Pas un, non. Il s’agit bien, et je le dis clairement d’une chasse aux étrangers noirs» martèle Abdoul Birane Wane, coordinateur du collectif Touche pas à ma nationalité.
Parmi la cinquantaine de jeunes cités plus haut, certains ont été arrêtés avec une pièce d’identité mauritanienne, mais datant du recensement précédant celui en cours. « Ça ne justifie plus qu’ils sont mauritaniens » lance laconique, et avec un aplomb à rendre muet un griot, un des gardes qui stoppait les voitures, fort sympathique au demeurant, mais qui dit «suivre des ordres de sa hiérarchie».
«À chaque fois qu'il y a des mesures a priori juste par rapport à une situation, que ce soit par rapport au recensement, ou la par rapport à des questions de sécurité, il y a un noyau cancéreux dans les autorités qui profitent de ces occasions pour faire la misère aux noirs» affirme Abdoul Birane Wane.
Pour lui le silence des autorités est un "silence intolérable". «On peut de moins en moins parler de réconciliation et d'unité nationale dans ces circonstances, ou pas une voix civile autorisée ou religieuse ne s'élève pour critiquer ce racisme qui ne se cache plus. Pourtant ils ont tous été prompts à critiquer les injustices et les crimes commis à l'endroit des Touaregs. Mais où sont-elles quand il s'agit de leurs concitoyens, de leurs supposés frères? Cette même situation que les Touaregs vivent au Mali, nous la connaissons ici" développe-t-il.
Appels à la désobéissance civile
Souley avait été des groupes spontanément formés durant les violentes manifestations de l’été 2011, durant lesquelles TPMN avait mobilisé la jeunesse pour dénoncer un recensement dit discriminatoire alors.
Avec une bande d’amis issus du quartier de Cinquième, il était en première ligne pour crier contre le racisme d’état du pays. Et pour lui la patience d’une frange de la jeunesse négro-mauritanienne, commence à atteindre une certaine limite.
«Nos ainés nous disent de ne pas céder à la violence, mais ce qu’on nous impose ici, c’est une humiliation qu’on tient de moins en moins» murmure-t-il sur le palier de la boutique d’Abdel, le commerçant maure de son pâté de maisons, à une trentaine de mètres du cinéma Sada.
Ce n’est pas une vie ça. Ce que nos ainés ont accepté dans le passé, nous ne l’accepterons pas. Peur ? Peur de quoi ? Que peut nous prendre cet état ? Nous n’avons plus rien ! Plus d’emplois, pas d’accès au crédit, écartés de l’administration aujourd’hui. C’est eux qui ont tout à perdre » s’enflamme le jeune trentenaire.
«Nous nous organiserons pour appeler à la désobéissance civile dans notre quartier, si ces humiliations continuent» soutient Malick, un ami de Souley.
«Nous pouvons aller ensemble maintenant sur le nouveau goudron de Cinquième, qui était il y a quelques semaines encore la rue la plus vivante, la plus populaire de tout Nouakchott. Il n’y a plus un rat à partir de 20h. Les étrangers craignent les rafles brutales, et les mauritaniens craignent ces injustices et ces humiliations permanents où leur mauritanité est mise en doute» continue-t-il.
Pour les deux amis, qui observent de loin les contrôles des gardes qui continuent, et le groupe de jeunes arrêtés qui gonfle, «Une prise de conscience des jeunes négro-mauritaniens est en cours». «Maintenant il y a des sujets qui ne peuvent plus être tabou, il s’agit de savoir si on peut vivre ensemble ou non, si ce racisme d’état peut cesser ou non. Et prendre acte» soupire Malick.
Mamoudou Lamine Kane
Source: Noorinfo