Boubacar Diagana - Ciré Ba
S’il est, en Mauritanie d’aujourd’hui, une ville dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle recule, c’est bien Kaédi. Pourtant, la plus grande cité du Sud, « Hier capitale du Fouta, aujourd’hui, capitale agricole de la Mauritanie » (Tène Youssouf Gueye), eut un passé historique glorieux et des atouts exceptionnels : l’implantation de la première école en Mauritanie en 1898 dans laquelle furent formés les premiers lettrés et cadres du pays, une administration structurée et d’autres infrastructures qui datent du début du siècle. Puis ce fut le début d’industrialisation avec l’installation d’une usine de tannerie et d’un abattoir frigorifique, l’ouverture de l’Ecole Nationale de Formation et de Vulgarisation Agricole (ENFVA – anciennement appelée Ecole des Cadres Ruraux puis Centre de Vulgarisation Agricole).
Kaédi fut la première ville dotée d’un aéroport et d’un hôpital pour toute la vallée du fleuve Sénégal, parmi les premières à avoir un collège. Kaédi fut aussi la première ville équipée d’une centrale électrique et d’un réseau d’eau potable, muni d’un réseau d’évacuation des eaux pluviales. La plupart de ces réalisations portent la signature d’un homme de carrure exceptionnelle, son nom reste gravé dans la mémoire collective : Youssouf Koïta, Député – Maire, il fit de Kaédi une vitrine et un passage obligé de Chefs d’Etats et parlementaires étrangers en visite en Mauritanie : les présidents Ahmadou Ahidjo du Cameroun en février 1967, Hamani Diori du Niger en avril 1967, Léopold Sédar Senghor du Sénégal. Kaédi a également accueilli des délégations de parlementaires français et maliens respectivement en mai et décembre 1966. Si un édifice public à Kaédi (l’hôtel de ville pour le symbole) devait porter le nom d’une personnalité, ce devrait bien être Youssouf Koïta pour son rôle de grand bâtisseur de notre cité.
L’âge d’or de Kaédi s’est poursuivi jusqu’à la fin des années soixante-dix sous la houlette du richissime Député Abdoul Aziz Bâ qui mit sa fortune au service d’une jeunesse épanouie et d’une ville très dynamique sur le plan culturel, tellement dynamique que tous les artistes, sportifs (lutteurs notamment) de la sous – région venaient y chercher une consécration. L’arène N’Diyame Diéry était devenue un temple presque mythique. Cette période faste a donné à la capitale du Gorgol un rayonnement international : la ville était attractive, génératrice d’emplois dans le tertiaire, hospitalière et tolérante. Abdoul Aziz Ba (le lycée gagnerait à porter son nom) y fit venir en 1974 l’épouse du président tchadien Ngarta Tombalbaye, invitée d’honneur d’une mémorable soirée culturelle à Peyrissac. Néné Diallo, ainsi qu’on l’appelait, donna même son nom à un modèle de boucles d’oreille en or bien prisées des kaédiennes. Nombreuses sont les familles venues d’autres régions de Mauritanie, de la sous région, du Maghreb, d’Europe ou du Liban s’y installer pour développer des activités commerciales (les familles Elyas, Laroussi Alami et Ghabli dans la mercerie et le tissu) ou culturelles et récréatives (Ali Nar, Bousfia et Chaïtou dans le commerce et salles de cinéma). La deuxième génération de ces familles venues d’ailleurs fut totalement intégrée et adoptée par Dimbé comme ses authentiques enfants. Le regretté Docteur Abdallah Chaïtou en est l’archétype. Après des études primaires et secondaires à Kaédi, et un diplôme de médecin, il rentre s’installer dans la ville de son enfance et servit avec un amour et un professionnalisme que tout Kaédi lui reconnait au sein de l’établissement hospitalier de la ville. Mort, il fut enterré à Kaédi. La ville lui rendrait un hommage mérité en donnant son nom à l’hôpital.
Paradoxalement, voilà que depuis trente ans, avec la mise en place des municipalités, la ville tombe en désuétude, en déclin. Là où d’autres municipalités s’approprient l’outil et l’institution par le biais de la décentralisation pour engager des actions de développement, Kaédi se morfond. La ville est devenue une immense décharge à ciel ouvert, les inondations, quoique moins fréquentes, ont des conséquences de plus en plus désastreuses, en raison d’installations anarchiques de populations en zones inondables que les différentes équipes municipales ont laissé se développer quand elles ne les ont pas favorisées ; l’école d’agriculture, fleuron de la formation professionnelle pour les cadres ruraux est en lambeaux ; le Centre National de Recherche Agronomique (CNARADA) est réduit en simple jardin des plantes ; l’aéroport qui connut encore au milieu des années quatre-vingt jusqu’à quatre vols hebdomadaires, dont deux d’Air Sénégal, n’est plus qu’une piste pour animaux errants ; le lycée, un des plus dynamiques du pays, avec au moins une semaine régionale par an et ses résultats brillants, n’est plus que l’ombre de lui-même.
Qu’est-ce qui pourrait bien expliquer cet état de fait ? Plusieurs raisons.
D’abord, la principale raison est la volonté de l’Etat, plus clairement affichée sous le régime de Maawiya Ould Sid’ Ahmed Taya, de marginaliser Kaédi catalogué ville-rebelle. L’Etat s’appliquera à étouffer la ville ; d’abord en transférant à Aleg certains services comme le Palais de justice, fermant l’ENFVA, puis soumettant la ville et ses jeunes en état d’urgence encadré par des militaires du Secteur Autonome de Kaédi (SAK) et une police répressive. Aujourd’hui encore, traumatisé par cette violence, humilié par la déportation vers le Sénégal de certains ses fils comme Baba Gallé Wone (paix en son âme), Abdoul Touré ou Habibou Niang (l’irremplaçable boulanger, paix en son âme), Kaédi reste l’épicentre de la lutte pour la justice.
Ensuite, les très nombreux fils de cette ville, cadres peuplant ministères et autres administrations de l’Etat à Nouakchott notamment ou vivant à l’étranger, commerçants ou hommes d’affaires hésitent, voire craignent de prendre leur responsabilité pour lui donner un autre destin.
Enfin, au sein même de la ville, il y a une minorité agissante, dynamique économiquement et intellectuellement, avec une forte assise culturelle et religieuse qui peine à croire en ses chances. La composante soninké a pourtant tous les atouts et sa partition à jouer avec les autres communautés pour tirer Kaédi vers le haut. Son berceau, le quartier de Gattaga, pourrait figurer dans le haut d’un classement mondial des villes, si l’on considère la densité des surdiplômés.
En l’absence d’une politique d’aménagement du territoire véritablement volontariste, impulsant un égal développement des contrées, cette impulsion vient souvent des femmes ou hommes qui président aux destinées des villes et des collectivités territoriales (région, département, communauté des communes). Saint-Louis du Sénégal, capitale historique de l’Afrique de l’Ouest, a commencé à péricliter quand Dakar a été érigé capitale du Sénégal et dont le développement s’est fait au détriment de la grande cité du Nord. Il a fallu attendre plusieurs décennies pour voir les fils de NDar se décider à prendre en main le destin de leur ville pour que celle-ci se mette à nouveau à rayonner avec le soutien de l’Etat du Sénégal, de la communauté internationale et de l’UNESCO.
Comme Saint-Louis du Sénégal, des initiatives et des dynamiques émergent partout dans le monde pour sauver Kaédi. Au registre de celles-ci, la page Facebook appelée « Petits souvenirs de Dimbé » créée par Bocar Oumar Ba qui explique en ces termes son initiative : « L'idée de créer ce groupe m'a été inspirée par deux photos publiées cette semaine, …. Il m'est donc apparu comme pouvant correspondre à un besoin, pour chacun d'entre nous qui a vécu dans cette merveilleuse ville de Kaédi, d'avoir envie de partager certains de ses souvenirs, histoire de reconstituer la vieille fraternité kaëdienne. Je pense qu'il pourrait aussi être intéressant de voir différentes générations partager leurs expériences de cette ville. Bien naturellement, comme son titre l'indique, il n'est ici question que de choses légères, débarrassées du poids de nos opinions politiques ou sensibilitaires de quel que ordre que ce soit, pour permettre à la seule bonne humeur de régir ici nos fraternelles relations. Je formule le vœu ardent que vos contributions (photos, blagues, histoires vécues, etc.) puissent rendre à notre cher Dimbé ses couleurs d'antan».
En quelques mois, ce forum regroupe près de 1900 personnes aux profils et âges différents. Il pourrait être le portail par lequel devraient partir ou converger les nouvelles initiatives visant à sortir Kaédi de sa léthargie. La cité ocre ne peut ni ne doit plus vivre que de son passé (« So leydi men ene haalee ko golle hanki ngonnoo », était le refrain d’une célèbre chanson de la troupe de Kaédi, primée au festival national de 1974) aussi glorieux fut-il, mais se tourner résolument vers le futur en profitant de toutes ses potentialités pour construire un avenir radieux pour toutes ses filles et pour tous ces fils.
Boubacar Diagana et Ciré Ba – Paris
22 août 2013
Source: Ciré Ba
Kaédi fut la première ville dotée d’un aéroport et d’un hôpital pour toute la vallée du fleuve Sénégal, parmi les premières à avoir un collège. Kaédi fut aussi la première ville équipée d’une centrale électrique et d’un réseau d’eau potable, muni d’un réseau d’évacuation des eaux pluviales. La plupart de ces réalisations portent la signature d’un homme de carrure exceptionnelle, son nom reste gravé dans la mémoire collective : Youssouf Koïta, Député – Maire, il fit de Kaédi une vitrine et un passage obligé de Chefs d’Etats et parlementaires étrangers en visite en Mauritanie : les présidents Ahmadou Ahidjo du Cameroun en février 1967, Hamani Diori du Niger en avril 1967, Léopold Sédar Senghor du Sénégal. Kaédi a également accueilli des délégations de parlementaires français et maliens respectivement en mai et décembre 1966. Si un édifice public à Kaédi (l’hôtel de ville pour le symbole) devait porter le nom d’une personnalité, ce devrait bien être Youssouf Koïta pour son rôle de grand bâtisseur de notre cité.
L’âge d’or de Kaédi s’est poursuivi jusqu’à la fin des années soixante-dix sous la houlette du richissime Député Abdoul Aziz Bâ qui mit sa fortune au service d’une jeunesse épanouie et d’une ville très dynamique sur le plan culturel, tellement dynamique que tous les artistes, sportifs (lutteurs notamment) de la sous – région venaient y chercher une consécration. L’arène N’Diyame Diéry était devenue un temple presque mythique. Cette période faste a donné à la capitale du Gorgol un rayonnement international : la ville était attractive, génératrice d’emplois dans le tertiaire, hospitalière et tolérante. Abdoul Aziz Ba (le lycée gagnerait à porter son nom) y fit venir en 1974 l’épouse du président tchadien Ngarta Tombalbaye, invitée d’honneur d’une mémorable soirée culturelle à Peyrissac. Néné Diallo, ainsi qu’on l’appelait, donna même son nom à un modèle de boucles d’oreille en or bien prisées des kaédiennes. Nombreuses sont les familles venues d’autres régions de Mauritanie, de la sous région, du Maghreb, d’Europe ou du Liban s’y installer pour développer des activités commerciales (les familles Elyas, Laroussi Alami et Ghabli dans la mercerie et le tissu) ou culturelles et récréatives (Ali Nar, Bousfia et Chaïtou dans le commerce et salles de cinéma). La deuxième génération de ces familles venues d’ailleurs fut totalement intégrée et adoptée par Dimbé comme ses authentiques enfants. Le regretté Docteur Abdallah Chaïtou en est l’archétype. Après des études primaires et secondaires à Kaédi, et un diplôme de médecin, il rentre s’installer dans la ville de son enfance et servit avec un amour et un professionnalisme que tout Kaédi lui reconnait au sein de l’établissement hospitalier de la ville. Mort, il fut enterré à Kaédi. La ville lui rendrait un hommage mérité en donnant son nom à l’hôpital.
Paradoxalement, voilà que depuis trente ans, avec la mise en place des municipalités, la ville tombe en désuétude, en déclin. Là où d’autres municipalités s’approprient l’outil et l’institution par le biais de la décentralisation pour engager des actions de développement, Kaédi se morfond. La ville est devenue une immense décharge à ciel ouvert, les inondations, quoique moins fréquentes, ont des conséquences de plus en plus désastreuses, en raison d’installations anarchiques de populations en zones inondables que les différentes équipes municipales ont laissé se développer quand elles ne les ont pas favorisées ; l’école d’agriculture, fleuron de la formation professionnelle pour les cadres ruraux est en lambeaux ; le Centre National de Recherche Agronomique (CNARADA) est réduit en simple jardin des plantes ; l’aéroport qui connut encore au milieu des années quatre-vingt jusqu’à quatre vols hebdomadaires, dont deux d’Air Sénégal, n’est plus qu’une piste pour animaux errants ; le lycée, un des plus dynamiques du pays, avec au moins une semaine régionale par an et ses résultats brillants, n’est plus que l’ombre de lui-même.
Qu’est-ce qui pourrait bien expliquer cet état de fait ? Plusieurs raisons.
D’abord, la principale raison est la volonté de l’Etat, plus clairement affichée sous le régime de Maawiya Ould Sid’ Ahmed Taya, de marginaliser Kaédi catalogué ville-rebelle. L’Etat s’appliquera à étouffer la ville ; d’abord en transférant à Aleg certains services comme le Palais de justice, fermant l’ENFVA, puis soumettant la ville et ses jeunes en état d’urgence encadré par des militaires du Secteur Autonome de Kaédi (SAK) et une police répressive. Aujourd’hui encore, traumatisé par cette violence, humilié par la déportation vers le Sénégal de certains ses fils comme Baba Gallé Wone (paix en son âme), Abdoul Touré ou Habibou Niang (l’irremplaçable boulanger, paix en son âme), Kaédi reste l’épicentre de la lutte pour la justice.
Ensuite, les très nombreux fils de cette ville, cadres peuplant ministères et autres administrations de l’Etat à Nouakchott notamment ou vivant à l’étranger, commerçants ou hommes d’affaires hésitent, voire craignent de prendre leur responsabilité pour lui donner un autre destin.
Enfin, au sein même de la ville, il y a une minorité agissante, dynamique économiquement et intellectuellement, avec une forte assise culturelle et religieuse qui peine à croire en ses chances. La composante soninké a pourtant tous les atouts et sa partition à jouer avec les autres communautés pour tirer Kaédi vers le haut. Son berceau, le quartier de Gattaga, pourrait figurer dans le haut d’un classement mondial des villes, si l’on considère la densité des surdiplômés.
En l’absence d’une politique d’aménagement du territoire véritablement volontariste, impulsant un égal développement des contrées, cette impulsion vient souvent des femmes ou hommes qui président aux destinées des villes et des collectivités territoriales (région, département, communauté des communes). Saint-Louis du Sénégal, capitale historique de l’Afrique de l’Ouest, a commencé à péricliter quand Dakar a été érigé capitale du Sénégal et dont le développement s’est fait au détriment de la grande cité du Nord. Il a fallu attendre plusieurs décennies pour voir les fils de NDar se décider à prendre en main le destin de leur ville pour que celle-ci se mette à nouveau à rayonner avec le soutien de l’Etat du Sénégal, de la communauté internationale et de l’UNESCO.
Comme Saint-Louis du Sénégal, des initiatives et des dynamiques émergent partout dans le monde pour sauver Kaédi. Au registre de celles-ci, la page Facebook appelée « Petits souvenirs de Dimbé » créée par Bocar Oumar Ba qui explique en ces termes son initiative : « L'idée de créer ce groupe m'a été inspirée par deux photos publiées cette semaine, …. Il m'est donc apparu comme pouvant correspondre à un besoin, pour chacun d'entre nous qui a vécu dans cette merveilleuse ville de Kaédi, d'avoir envie de partager certains de ses souvenirs, histoire de reconstituer la vieille fraternité kaëdienne. Je pense qu'il pourrait aussi être intéressant de voir différentes générations partager leurs expériences de cette ville. Bien naturellement, comme son titre l'indique, il n'est ici question que de choses légères, débarrassées du poids de nos opinions politiques ou sensibilitaires de quel que ordre que ce soit, pour permettre à la seule bonne humeur de régir ici nos fraternelles relations. Je formule le vœu ardent que vos contributions (photos, blagues, histoires vécues, etc.) puissent rendre à notre cher Dimbé ses couleurs d'antan».
En quelques mois, ce forum regroupe près de 1900 personnes aux profils et âges différents. Il pourrait être le portail par lequel devraient partir ou converger les nouvelles initiatives visant à sortir Kaédi de sa léthargie. La cité ocre ne peut ni ne doit plus vivre que de son passé (« So leydi men ene haalee ko golle hanki ngonnoo », était le refrain d’une célèbre chanson de la troupe de Kaédi, primée au festival national de 1974) aussi glorieux fut-il, mais se tourner résolument vers le futur en profitant de toutes ses potentialités pour construire un avenir radieux pour toutes ses filles et pour tous ces fils.
Boubacar Diagana et Ciré Ba – Paris
22 août 2013
Source: Ciré Ba