Inspecteur de l’enseignement de formation, et ancien formateur à l’Ecole Normale des Instituteurs (ENI), Samba Thiam est né en 1948 à Sélibaby. Entré en politique par la contestation, «parce que je ne supporte pas l’injustice», l’homme est membre fondateur des Forces de libération africaines de Mauritanie connues sous l’acronyme FLAM.
Créées en mars 1983, celles-ci publient en 1986 le «Manifeste du Négro-Mauritanien Opprimé» qui dénonce la condition des Noirs dans notre pays. «Dans l’administration, souligne Samba Thiam, nous ne nous reconnaissions pas. Nous n’avions pas voix au chapitre. Tout se décidait sans nous. Alors, il fallait réagir ». Découvrant le document « brûlant», en avril 1986 à Addis Abeba, sur la table des chefs d’Etat africains présents au sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), le président Ould Taya réagit par la répression.
Plusieurs cadres et intellectuels noirs seront arrêtés et mis en prison à Oualata. Parmi eux Samba Thiam.
Jugé, et condamné à cinq ans d’emprisonnement ferme, il sortira du bagne plus chanceux que d’autres, notamment le poète Téne Youssouf Guèye qui mourra des suites de mauvais traitements et de maladie. C’est alors que, ayant recouvré la liberté, Samba Thiam quitte le pays. La présidence de l’organisation des Flam lui est confiée en décembre 1990, à Dakar au Sénégal, où il passe 10 années.
Depuis décembre 2000, Samba Thiam vit avec sa famille à New York. Il nous a semblé important, au moment où se discutent la question du retour des réfugiés et les solutions devant conduire à la paix et à la réconciliation nationale, d’écouter l’analyse de son mouvement.
Entretien exclusif.
Le Calame : Le retour des réfugiés mauritaniens au Sénégal et au Mali est prévu pour la mi-décembre. Est-ce l’aboutissement d’un rêve?
Samba Thiam : En quelque sorte oui. Du moins, nous l’espérons. Ce rêve dure depuis 18 ans! Cela dit, il est encore tôt de parler d’aboutissement. Attendons encore un peu.
Vous dites enfin, tout de même?
Oui. Mais une fois de plus, il est tôt de crier victoire! Nous avons porté ce dossier à bout de bras, presque seuls, avec toute la douleur que cela sous-entend. Pendant 18 ans, je le rappelle. Et, n’ayons pas peur des mots, sans l’action des Forces de libération africaines de Mauritanie (Flam), il y a longtemps que ce dossier aurait été enterré, par tout le monde. Autrement dit, c’est notre mobilisation pleine de sacrifices dans les milieux politiques divers et des médias qui a fait que le monde garde en mémoire que quelque part des crimes odieux ont été commis et que des personnes demeurent lésées dans leur citoyenneté.
Alors, nous sommes heureux de constater qu’une lueur d’espoir pour la réparation des injustices pointe enfin à l’horizon. Tout comme nous sommes fiers de constater que notre patience, notre persévérance et notre ténacité sont sur le point de donner le fruit escompté. Nous disons ainsi que nos efforts n’ont peut-être pas été vains.
Qu’est ce qui, selon vous, avait jusque là causé des réticences?
L’absence d’une volonté politique déclarée de règlement du problème! Le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi a, à travers son discours historique, montré qu’il était animé de cette volonté là. Il reconnaît au nom de l’Etat que des erreurs ont été commises ; il compatit aux souffrances des victimes, au nom de l’Etat ; il s’engage enfin à procéder à des réparations morales et matérielles de la part de l’Etat. C’est quelque chose d’important, une disposition d’esprit positive qu’on ne saurait ne pas reconnaître.
Vous voudrez dire que l’ancien régime ne vous avait jamais donné la moindre lueur d’espoir?
Ould Taya est resté entêté et borné sur cette question. Avec bien sûr le soutien de ses obligés. Ould Taya, vindicatif et acariâtre fut, de mon point de vue, le président le moins intelligent de tous ceux que la Mauritanie a connus. Il aurait pu, s’il avait une vision du destin commun des peuples. Mais non, il pensait pour une partie du peuple. Il parlait à une fraction du peuple, une seule. C’est cette attitude qui a créé les frictions et tous les maux qui finiront par détruire le tissu mauritanien jadis ouvert.
Avec Ould Taya, pour répondre à votre question, tous les horizons étaient bouchés. Il n’y avait aucune lueur d’espoir, aucune perspective d’avenir autre que le chaos. Aujourd’hui, les choses semblent se redresser grâce à de nouvelles approches.
Vous a-t-on associés aux démarches pour le retour des réfugiés?
A strictement parler non! Nous n’avons pas été directement impliqués. Mais, souvent, nous échangeons avec ceux qui ont en charge ces questions.
Avant de répondre à la main tendue de Nouakchott, vous étiez-vous adressés aux autorités malienne et sénégalaise, vos bienfaitrices des temps…
Bienfaitrices des Flam, ou bienfaitrices des réfugiés? Nos relations avec ces autorités étaient fondées sur le respect et la tolérance. Cela dit, il ne nous a pas semblé nécessaire de le faire, puisqu’elles connaissent plus que quiconque les revendications des réfugiés. Surtout que nous n’avions jamais arrêté de les interpeller sur leur responsabilité dans la gestion de ce dossier. Et quelle que soit l’issue de ce qui se dessine aujourd’hui, les Flam, tout comme les réfugiés, ne cesseront de féliciter et remercier les gouvernements, et les peuples sénégalais et malien. Leur hospitalité ne nous a jamais fait défaut.
Quand bien même…
Sans doute devez-vous penser aux embrouilles, si je puis dire, que certains de nos militants ont eues ça et là avec certaines autorités. Ce sont des évènements qu’il faudra mettre sur le compte de la prudence politique. Personne, aucun régime je veux dire, ne voudra qu’on l’accuse d’être à l’origine des troubles de son voisin. Mais bon…
Qu’est-ce qui a déclenché votre décision d’accepter le retour? Votre rencontre avec le Président Sidi à New York?
Votre question est ambiguë. Car elle suppose, en filigrane, que nous décidons du retour des réfugiés. Ce n’est pas le cas. Les réfugiés, ceux qui vivent dans les camps j’entends, sont autonomes. Libres de leurs décisions, de leurs choix d’avenir. Eux seuls prendront leur décision, en fonction de ce qu’on leur offrira au sortir des journées de concertation.
Mais…
Nous ne cachons pas nos rapports avec les réfugiés, qui sont nôtres, et que nous encadrons. Quelque ascendance, il est vrai, mais…. Il nous revient, en tant que force et conscience politique, de les défendre dans tous leurs droits. D’où les coordinations que nous maintenons avec eux. Mais, soyons clairs, nous ne leur dictons rien. La décision finale leur appartenant, toujours. Cela dit, la rencontre avec le président est venue parachever, si je puis dire, un dialogue continu qui date d’avant l’élection présidentielle. Ould Cheikh Abdallahi étant venu à New York où je réside, il nous a semblé à tous les deux, naturel et normal de nous rencontrer.
Il vous a convaincu
Je dirai qu’il m’a paru rassurant, direct et sans emphase!
En Mauritanie, certes on prépare activement le retour des réfugiés, mais l’adhésion de tout le monde n’est pas acquise. Cela vous inquiète-t-il?
En fait, le terme juste est celui de déportés, au vu des circonstances ayant conduit à l’exil des populations dont il est question aujourd’hui. Quand bien même certains lui trouvent une connotation politique, et lui préfèrent le terme ‘’réfugié‘’, plus neutre, je pense qu’il s’est bien agi de déportation. Mais le souci est ailleurs, dans ce que vous soulignez. De nos jours, il est presque impossible d’obtenir l’adhésion de tout le monde, sur quoi que ce soit. C’est encore plus vrai pour cette question délicate et sensible.
Le retour des réfugiés touche à des enjeux. Remet en cause des intérêts. Réveille des peurs enfouies. Bref, il n’est donc pas surprenant que tout le monde n’y adhère pas. Toutefois, je crois que la majorité de mes compatriotes arabo-berbères, ceux raisonnables et qui croient au devenir commun, ceux-là acceptent cette option du retour pour laquelle oeuvrent les nouvelles autorités. Il y a plus à gagner à ce que ces réfugiés reviennent, qu’à ce qu’ils restent à l’extérieur des frontières. Mais il me semble qu’une bonne campagne de sensibilisation réactivée sur la question ne serait pas de trop.
Votre mouvement s’est scindé en deux groupes l’année dernière. Pouvez-vous nous expliquer les raisons qui ont conduit à la dissidence?
C’est une page que je voudrais, maintenant, voir tournée. Car elle rappelle une déchirure, toujours douloureuse quelque part, entre compagnons de lutte. Mais pour rester courtois, j’en dirais quand même un mot. Quand la lutte devient longue et rude, elle secrète des tensions. Des déchirures se produisent. Toujours. Il en est ainsi de tous les mouvements de lutte, à quelques exceptions près. La fissuration de l’OLP en Palestine, la triste fin des Black-Panthers aux Etats-Unis, l’année de fin de guerre du FLN en Algérie, entre autres exemples, l’illustrent clairement. Pour revenir au cas précis des Flam, disons que les analyses sur l’appréciation de la situation de l’époque avaient achoppé essentiellement sur un point : quelle lecture avec la transition d’Ely Ould Mohamed Vall?
Nos camarades, qui deviendront dissidents, avaient pensé qu’un changement important s’était produit, et qu’il fallait rentrer officiellement, illico presto. Nous, pensions le contraire. Nous disions, plutôt, que ces militaires venaient juste d’arriver, et qu’ils n’avaient pas encore dévoilé leur jeu. Qu’il fallait donc se donner un temps d’observation, pour mieux apprécier la situation et élaborer, ensuite, la stratégie adaptée en conséquence.
L’exil n’étant une fin en soi pour personne, mais qu’il fallait rester prudent et observer. «Il n’est pas pardonnable à un politicien d’être naïf», disait le romancier sénégalais Alioune NDao. L’accueil que Ely leur réserva, ses prises de positions insultantes montrèrent que nos vues étaient justes. Bien sûr, nos camarades ajoutaient, arguments massue, qu’il fallait, si on voulait rester conséquents et cohérents avec nous-mêmes, «être au plus près du peuple pour lequel on prétendait se battre». Mais où sont-ils aujourd’hui? A Paris? Ou à Nouakchott?
Je pense que s’ils avaient un tout petit peu fait preuve de patience, nous aurions pu faire l’économie de cette déchirure. Car c’est maintenant l’heure, au vu de certains signes avant-coureurs qui ne trompent pas. Mais l’histoire jugera, même si nos chemins devraient se croiser de nouveau, car la route est longue et rien n’est encore gagné.
Quelle est votre conception de l’Unité nationale?
Ma conception de l’Unité nationale repose, en fait, sur ce que me disait le président Sidi, lors de notre entretien à New York. Quand nous avions abordé les approches de solutions, sur la base desquelles devrait être rebâti ce pays, approches sur lesquelles du reste nous avons des points de vue légèrement différents, le président m’a dit en guise de réponse à mon intervention qu’il comprenait notre approche, qu’il la respectait, mais que lui préférait plutôt l’approche citoyenne c'est-à-dire «que les Mauritaniens aient les mêmes droits et les mêmes devoirs sans considération de race,
Si les Flam campent, aujourd’hui encore, sur une solution de type communautaire, c’est parce que tous les régimes politiques précédents se sont montrés incapables de mettre en œuvre ce principe. L’expérience des 40 dernières années s’est révélée être un échec. Les hommes qui ont présidé aux destinées de ce pays, pour parler franc, ont plutôt œuvré en sens inverse.
Voilà pourquoi, nous restons persuadés, que pour arriver à traduire dans les faits ce principe cher de l’unité, et en faire une finalité, il faudra nécessairement imprimer dans certaines mentalités que ‘’l’autre aussi existe’’ dans sa dimension psychologique, culturelle, identitaire…
Comment comptez-vous procéder?
Cette existence de l’autre reconnue et affirmée comme étape intermédiaire vers la citoyenneté indifférenciée, ne saurait s’imposer qu’à travers une solution de type communautaire, l’autonomie. Etape qui sera temporaire, transitoire, vers l’édification de l’Etat-nation à citoyenneté indifférenciée. C’est là notre point de vue.
En un mot, si nous partageons avec le président la finalité consensuelle, nous demeurons sceptiques quant à sa réalisation de manière spontanée, sans cette étape intermédiaire. Mais nous ne demandons qu’à être convaincus.
Fini le temps des rancœurs?
Contre qui, et pourquoi? Les Flam n’ont jamais éprouvé de rancœur, d’aucune sorte. Et d’aucune manière. Rancœur? Non! Amertume, peut-être! Les Forces de libération africaines de Mauritanie sont amères d’avoir été mal comprises dans leur discours qui ne comporte aucune haine, mais demande juste une égale dignité pour tous et chacun, dans leur patriotisme sincère, dans leur amour pour ce pays. Amères d’avoir été incomprises, pour avoir dit les choses avant l’heure. Amères d’avoir été mal jugées pour demeurer «ces partisans têtus de la vérité», comme disait l’autre. Partisans de la vérité, sans prétendre en être les détenteurs. Une fois de plus, notre seul tort, comme le disait un ami, est d’avoir eu raison avant tout le monde.
Quelles garanties avez-vous obtenues pour les réfugiés immédiats, je veux dire ceux vivants dans les camps limitrophes du pays?
Aucunes! Sauf que, comme je l’ai dit plus haut, les propos du président semblent rassurants. Encore une fois, il appartiendra aux réfugiés de décider, pas à nous.
Les exilés, ailleurs en Afrique, en Europe et aux Etats-Unis seront-ils concernés par ces mesures?
Nous l’espérons. Parce qu’il n’y a pas que les réfugiés au Sénégal et au Mali qui existent.
Et pendant ces années d’exil forcé, ou voulu pour diverses raisons, d’aucuns ont acquis des nationalités de leurs pays de résidence. La question a-t-elle été évoquée?
Oui, elle a été soumise au président de la République. En fait, ce qui se trouve être posé, c’est la question de la double nationalité. Il faudra bien qu’un jour on accepte d’y faire face. Nous avons notre point de vue là-dessus.
Lequel?
Il est prématuré d’en parler. Nous attendons que la question soit officiellement posée sur la table.
Quand, et comment, avez-vous quitté la Mauritanie?
A ma sortie de prison, en septembre 1990. Libéré, je suis allé dire au revoir à ma mère à Sélibaby. Constatant que rien n’avait changé, pour ne pas dire que tout avait empiré, et plus déterminé que jamais à continuer le combat, je décide alors de partir pour l’exil. De Nouakchott, je me rends à Rosso pour traverser. Ne parvenant pas, après plusieurs jours d’essai, pour cause de frontières verrouillées, je rebrousse chemin. Le lendemain, je m’embarque pour Boghé. C’est là que je me suis résolu à passer, en dépit des patrouilles nocturnes le long du fleuve, et traverser alors le fleuve à la nage, mon balluchon sous les bras.
Samba Thiam songe-t-il au retour en Mauritanie, dans un futur proche?
Oui j’y songe! Le fait qu’un journal national me donne la possibilité d’exprimer les positions de mon organisation dans ses colonnes montre que les choses sont en train de changer positivement. Même s’il reste beaucoup à faire. J’espère donc que mon retour sera pour bientôt.
Un mot sur les conclusions des journées de concertation qui viennent de se tenir?
C’est une victoire de la raison. Une victoire du peuple mauritanien, dans son ensemble.
Propos recueillis par Bios Diallo pour Le Calame
source : Le Calame (Mauritanie)
Créées en mars 1983, celles-ci publient en 1986 le «Manifeste du Négro-Mauritanien Opprimé» qui dénonce la condition des Noirs dans notre pays. «Dans l’administration, souligne Samba Thiam, nous ne nous reconnaissions pas. Nous n’avions pas voix au chapitre. Tout se décidait sans nous. Alors, il fallait réagir ». Découvrant le document « brûlant», en avril 1986 à Addis Abeba, sur la table des chefs d’Etat africains présents au sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), le président Ould Taya réagit par la répression.
Plusieurs cadres et intellectuels noirs seront arrêtés et mis en prison à Oualata. Parmi eux Samba Thiam.
Jugé, et condamné à cinq ans d’emprisonnement ferme, il sortira du bagne plus chanceux que d’autres, notamment le poète Téne Youssouf Guèye qui mourra des suites de mauvais traitements et de maladie. C’est alors que, ayant recouvré la liberté, Samba Thiam quitte le pays. La présidence de l’organisation des Flam lui est confiée en décembre 1990, à Dakar au Sénégal, où il passe 10 années.
Depuis décembre 2000, Samba Thiam vit avec sa famille à New York. Il nous a semblé important, au moment où se discutent la question du retour des réfugiés et les solutions devant conduire à la paix et à la réconciliation nationale, d’écouter l’analyse de son mouvement.
Entretien exclusif.
Le Calame : Le retour des réfugiés mauritaniens au Sénégal et au Mali est prévu pour la mi-décembre. Est-ce l’aboutissement d’un rêve?
Samba Thiam : En quelque sorte oui. Du moins, nous l’espérons. Ce rêve dure depuis 18 ans! Cela dit, il est encore tôt de parler d’aboutissement. Attendons encore un peu.
Vous dites enfin, tout de même?
Oui. Mais une fois de plus, il est tôt de crier victoire! Nous avons porté ce dossier à bout de bras, presque seuls, avec toute la douleur que cela sous-entend. Pendant 18 ans, je le rappelle. Et, n’ayons pas peur des mots, sans l’action des Forces de libération africaines de Mauritanie (Flam), il y a longtemps que ce dossier aurait été enterré, par tout le monde. Autrement dit, c’est notre mobilisation pleine de sacrifices dans les milieux politiques divers et des médias qui a fait que le monde garde en mémoire que quelque part des crimes odieux ont été commis et que des personnes demeurent lésées dans leur citoyenneté.
Alors, nous sommes heureux de constater qu’une lueur d’espoir pour la réparation des injustices pointe enfin à l’horizon. Tout comme nous sommes fiers de constater que notre patience, notre persévérance et notre ténacité sont sur le point de donner le fruit escompté. Nous disons ainsi que nos efforts n’ont peut-être pas été vains.
Qu’est ce qui, selon vous, avait jusque là causé des réticences?
L’absence d’une volonté politique déclarée de règlement du problème! Le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi a, à travers son discours historique, montré qu’il était animé de cette volonté là. Il reconnaît au nom de l’Etat que des erreurs ont été commises ; il compatit aux souffrances des victimes, au nom de l’Etat ; il s’engage enfin à procéder à des réparations morales et matérielles de la part de l’Etat. C’est quelque chose d’important, une disposition d’esprit positive qu’on ne saurait ne pas reconnaître.
Vous voudrez dire que l’ancien régime ne vous avait jamais donné la moindre lueur d’espoir?
Ould Taya est resté entêté et borné sur cette question. Avec bien sûr le soutien de ses obligés. Ould Taya, vindicatif et acariâtre fut, de mon point de vue, le président le moins intelligent de tous ceux que la Mauritanie a connus. Il aurait pu, s’il avait une vision du destin commun des peuples. Mais non, il pensait pour une partie du peuple. Il parlait à une fraction du peuple, une seule. C’est cette attitude qui a créé les frictions et tous les maux qui finiront par détruire le tissu mauritanien jadis ouvert.
Avec Ould Taya, pour répondre à votre question, tous les horizons étaient bouchés. Il n’y avait aucune lueur d’espoir, aucune perspective d’avenir autre que le chaos. Aujourd’hui, les choses semblent se redresser grâce à de nouvelles approches.
Vous a-t-on associés aux démarches pour le retour des réfugiés?
A strictement parler non! Nous n’avons pas été directement impliqués. Mais, souvent, nous échangeons avec ceux qui ont en charge ces questions.
Avant de répondre à la main tendue de Nouakchott, vous étiez-vous adressés aux autorités malienne et sénégalaise, vos bienfaitrices des temps…
Bienfaitrices des Flam, ou bienfaitrices des réfugiés? Nos relations avec ces autorités étaient fondées sur le respect et la tolérance. Cela dit, il ne nous a pas semblé nécessaire de le faire, puisqu’elles connaissent plus que quiconque les revendications des réfugiés. Surtout que nous n’avions jamais arrêté de les interpeller sur leur responsabilité dans la gestion de ce dossier. Et quelle que soit l’issue de ce qui se dessine aujourd’hui, les Flam, tout comme les réfugiés, ne cesseront de féliciter et remercier les gouvernements, et les peuples sénégalais et malien. Leur hospitalité ne nous a jamais fait défaut.
Quand bien même…
Sans doute devez-vous penser aux embrouilles, si je puis dire, que certains de nos militants ont eues ça et là avec certaines autorités. Ce sont des évènements qu’il faudra mettre sur le compte de la prudence politique. Personne, aucun régime je veux dire, ne voudra qu’on l’accuse d’être à l’origine des troubles de son voisin. Mais bon…
Qu’est-ce qui a déclenché votre décision d’accepter le retour? Votre rencontre avec le Président Sidi à New York?
Votre question est ambiguë. Car elle suppose, en filigrane, que nous décidons du retour des réfugiés. Ce n’est pas le cas. Les réfugiés, ceux qui vivent dans les camps j’entends, sont autonomes. Libres de leurs décisions, de leurs choix d’avenir. Eux seuls prendront leur décision, en fonction de ce qu’on leur offrira au sortir des journées de concertation.
Mais…
Nous ne cachons pas nos rapports avec les réfugiés, qui sont nôtres, et que nous encadrons. Quelque ascendance, il est vrai, mais…. Il nous revient, en tant que force et conscience politique, de les défendre dans tous leurs droits. D’où les coordinations que nous maintenons avec eux. Mais, soyons clairs, nous ne leur dictons rien. La décision finale leur appartenant, toujours. Cela dit, la rencontre avec le président est venue parachever, si je puis dire, un dialogue continu qui date d’avant l’élection présidentielle. Ould Cheikh Abdallahi étant venu à New York où je réside, il nous a semblé à tous les deux, naturel et normal de nous rencontrer.
Il vous a convaincu
Je dirai qu’il m’a paru rassurant, direct et sans emphase!
En Mauritanie, certes on prépare activement le retour des réfugiés, mais l’adhésion de tout le monde n’est pas acquise. Cela vous inquiète-t-il?
En fait, le terme juste est celui de déportés, au vu des circonstances ayant conduit à l’exil des populations dont il est question aujourd’hui. Quand bien même certains lui trouvent une connotation politique, et lui préfèrent le terme ‘’réfugié‘’, plus neutre, je pense qu’il s’est bien agi de déportation. Mais le souci est ailleurs, dans ce que vous soulignez. De nos jours, il est presque impossible d’obtenir l’adhésion de tout le monde, sur quoi que ce soit. C’est encore plus vrai pour cette question délicate et sensible.
Le retour des réfugiés touche à des enjeux. Remet en cause des intérêts. Réveille des peurs enfouies. Bref, il n’est donc pas surprenant que tout le monde n’y adhère pas. Toutefois, je crois que la majorité de mes compatriotes arabo-berbères, ceux raisonnables et qui croient au devenir commun, ceux-là acceptent cette option du retour pour laquelle oeuvrent les nouvelles autorités. Il y a plus à gagner à ce que ces réfugiés reviennent, qu’à ce qu’ils restent à l’extérieur des frontières. Mais il me semble qu’une bonne campagne de sensibilisation réactivée sur la question ne serait pas de trop.
Votre mouvement s’est scindé en deux groupes l’année dernière. Pouvez-vous nous expliquer les raisons qui ont conduit à la dissidence?
C’est une page que je voudrais, maintenant, voir tournée. Car elle rappelle une déchirure, toujours douloureuse quelque part, entre compagnons de lutte. Mais pour rester courtois, j’en dirais quand même un mot. Quand la lutte devient longue et rude, elle secrète des tensions. Des déchirures se produisent. Toujours. Il en est ainsi de tous les mouvements de lutte, à quelques exceptions près. La fissuration de l’OLP en Palestine, la triste fin des Black-Panthers aux Etats-Unis, l’année de fin de guerre du FLN en Algérie, entre autres exemples, l’illustrent clairement. Pour revenir au cas précis des Flam, disons que les analyses sur l’appréciation de la situation de l’époque avaient achoppé essentiellement sur un point : quelle lecture avec la transition d’Ely Ould Mohamed Vall?
Nos camarades, qui deviendront dissidents, avaient pensé qu’un changement important s’était produit, et qu’il fallait rentrer officiellement, illico presto. Nous, pensions le contraire. Nous disions, plutôt, que ces militaires venaient juste d’arriver, et qu’ils n’avaient pas encore dévoilé leur jeu. Qu’il fallait donc se donner un temps d’observation, pour mieux apprécier la situation et élaborer, ensuite, la stratégie adaptée en conséquence.
L’exil n’étant une fin en soi pour personne, mais qu’il fallait rester prudent et observer. «Il n’est pas pardonnable à un politicien d’être naïf», disait le romancier sénégalais Alioune NDao. L’accueil que Ely leur réserva, ses prises de positions insultantes montrèrent que nos vues étaient justes. Bien sûr, nos camarades ajoutaient, arguments massue, qu’il fallait, si on voulait rester conséquents et cohérents avec nous-mêmes, «être au plus près du peuple pour lequel on prétendait se battre». Mais où sont-ils aujourd’hui? A Paris? Ou à Nouakchott?
Je pense que s’ils avaient un tout petit peu fait preuve de patience, nous aurions pu faire l’économie de cette déchirure. Car c’est maintenant l’heure, au vu de certains signes avant-coureurs qui ne trompent pas. Mais l’histoire jugera, même si nos chemins devraient se croiser de nouveau, car la route est longue et rien n’est encore gagné.
Quelle est votre conception de l’Unité nationale?
Ma conception de l’Unité nationale repose, en fait, sur ce que me disait le président Sidi, lors de notre entretien à New York. Quand nous avions abordé les approches de solutions, sur la base desquelles devrait être rebâti ce pays, approches sur lesquelles du reste nous avons des points de vue légèrement différents, le président m’a dit en guise de réponse à mon intervention qu’il comprenait notre approche, qu’il la respectait, mais que lui préférait plutôt l’approche citoyenne c'est-à-dire «que les Mauritaniens aient les mêmes droits et les mêmes devoirs sans considération de race,
Si les Flam campent, aujourd’hui encore, sur une solution de type communautaire, c’est parce que tous les régimes politiques précédents se sont montrés incapables de mettre en œuvre ce principe. L’expérience des 40 dernières années s’est révélée être un échec. Les hommes qui ont présidé aux destinées de ce pays, pour parler franc, ont plutôt œuvré en sens inverse.
Voilà pourquoi, nous restons persuadés, que pour arriver à traduire dans les faits ce principe cher de l’unité, et en faire une finalité, il faudra nécessairement imprimer dans certaines mentalités que ‘’l’autre aussi existe’’ dans sa dimension psychologique, culturelle, identitaire…
Comment comptez-vous procéder?
Cette existence de l’autre reconnue et affirmée comme étape intermédiaire vers la citoyenneté indifférenciée, ne saurait s’imposer qu’à travers une solution de type communautaire, l’autonomie. Etape qui sera temporaire, transitoire, vers l’édification de l’Etat-nation à citoyenneté indifférenciée. C’est là notre point de vue.
En un mot, si nous partageons avec le président la finalité consensuelle, nous demeurons sceptiques quant à sa réalisation de manière spontanée, sans cette étape intermédiaire. Mais nous ne demandons qu’à être convaincus.
Fini le temps des rancœurs?
Contre qui, et pourquoi? Les Flam n’ont jamais éprouvé de rancœur, d’aucune sorte. Et d’aucune manière. Rancœur? Non! Amertume, peut-être! Les Forces de libération africaines de Mauritanie sont amères d’avoir été mal comprises dans leur discours qui ne comporte aucune haine, mais demande juste une égale dignité pour tous et chacun, dans leur patriotisme sincère, dans leur amour pour ce pays. Amères d’avoir été incomprises, pour avoir dit les choses avant l’heure. Amères d’avoir été mal jugées pour demeurer «ces partisans têtus de la vérité», comme disait l’autre. Partisans de la vérité, sans prétendre en être les détenteurs. Une fois de plus, notre seul tort, comme le disait un ami, est d’avoir eu raison avant tout le monde.
Quelles garanties avez-vous obtenues pour les réfugiés immédiats, je veux dire ceux vivants dans les camps limitrophes du pays?
Aucunes! Sauf que, comme je l’ai dit plus haut, les propos du président semblent rassurants. Encore une fois, il appartiendra aux réfugiés de décider, pas à nous.
Les exilés, ailleurs en Afrique, en Europe et aux Etats-Unis seront-ils concernés par ces mesures?
Nous l’espérons. Parce qu’il n’y a pas que les réfugiés au Sénégal et au Mali qui existent.
Et pendant ces années d’exil forcé, ou voulu pour diverses raisons, d’aucuns ont acquis des nationalités de leurs pays de résidence. La question a-t-elle été évoquée?
Oui, elle a été soumise au président de la République. En fait, ce qui se trouve être posé, c’est la question de la double nationalité. Il faudra bien qu’un jour on accepte d’y faire face. Nous avons notre point de vue là-dessus.
Lequel?
Il est prématuré d’en parler. Nous attendons que la question soit officiellement posée sur la table.
Quand, et comment, avez-vous quitté la Mauritanie?
A ma sortie de prison, en septembre 1990. Libéré, je suis allé dire au revoir à ma mère à Sélibaby. Constatant que rien n’avait changé, pour ne pas dire que tout avait empiré, et plus déterminé que jamais à continuer le combat, je décide alors de partir pour l’exil. De Nouakchott, je me rends à Rosso pour traverser. Ne parvenant pas, après plusieurs jours d’essai, pour cause de frontières verrouillées, je rebrousse chemin. Le lendemain, je m’embarque pour Boghé. C’est là que je me suis résolu à passer, en dépit des patrouilles nocturnes le long du fleuve, et traverser alors le fleuve à la nage, mon balluchon sous les bras.
Samba Thiam songe-t-il au retour en Mauritanie, dans un futur proche?
Oui j’y songe! Le fait qu’un journal national me donne la possibilité d’exprimer les positions de mon organisation dans ses colonnes montre que les choses sont en train de changer positivement. Même s’il reste beaucoup à faire. J’espère donc que mon retour sera pour bientôt.
Un mot sur les conclusions des journées de concertation qui viennent de se tenir?
C’est une victoire de la raison. Une victoire du peuple mauritanien, dans son ensemble.
Propos recueillis par Bios Diallo pour Le Calame
source : Le Calame (Mauritanie)