Irshad Manji, auteure du best-seller Musulmane mais libre, était de passage à Montréal, cette semaine, à l'occasion de la sortie en DVD du documentaire Oser sa foi, un vif plaidoyer pour un islam réformé. Discussion sans voile avec une musulmane qui a le courage de ses opinions.
J'ai rendez-vous avec Irshad Manji au café Navarino, juste en face du YMCA du Parc, devenu célèbre pour son histoire de vitres givrées visant à préserver le regard des juifs hassidiques devant les femmes en tenue d'exercice. Même si elle vit à Toronto, l'auteure de Musulmane mais libre semble tout à fait au courant de l'histoire. Une histoire qui lui fait dire en souriant que les musulmans orthodoxes et les juifs orthodoxes se ressemblent bien plus qu'ils ne le pensent. «Avec ces vitres givrées, les musulmans devraient remercier les juifs d'avoir fait le sale boulot à leur place!» lance-t-elle, avant d'éclater de rire.
Un café, Irshad? Non, pas de café. «Je jeûne, dit-elle. En plus d'observer le ramadan, je jeûne aussi tous les vendredis depuis plusieurs années. Pas tant pour des raisons religieuses que pour des raisons spirituelles. Pour moi, le jeûne permet de développer une discipline, de l'empathie avec les pauvres. Ce sont des valeurs que je défends, particulièrement dans notre société où il est facile de perdre de vue le sens profond de la vie.»
Irshad Manji, 39 ans, a beau être une musulmane dissidente, lesbienne et féministe, elle n'en demeure pas moins pratiquante. Ce qui ne l'empêche pas de s'interroger de plus en plus sur la façon de concilier islam et laïcité. «Je sais que beaucoup de gens diront qu'on ne peut être les deux. Mais pour moi, être une fidèle musulmane, c'est être laïque. Ma lecture de l'islam et de toute foi abrahamique, c'est que seul Dieu connaît la vérité. Ce qui veut dire que, nous, comme croyants, devons avoir l'humilité d'accommoder des points de vue différents. Et ça, ça ne peut se produire que dans une société laïque.»
Dans le film Oser sa foi, Irshad Manji souligne bien que nous vivons à une époque trouble où il est difficile pour une musulmane de critiquer trop franchement sa religion sans faire l'objet de menaces. Elle commence par raconter qu'elle vit dans une demeure à l'adresse secrète, avec des vitres pare-balles et une boîte à lettres sous clé pour empêcher qu'on y place une bombe. Sa quête en est une pour dénoncer l'injustice, sans se soucier de ceux qui pourraient être offensés par cette dénonciation, dit-elle. «En tant que musulmane, ma foi est inébranlable mais ma conscience est ébranlée. Des terroristes tuent des civils au nom de l'islam.»
Sa prise de parole provocatrice lui a valu des menaces de mort de la part de fondamentalistes. En revanche, sa façon de secouer l'islam sans jamais se poser en victime a bien sûr fait d'elle une héroïne en Occident. Un Occident qui, avouons-le, trouve aussi bien pratique, lui aussi, qu'on fasse le «sale boulot» à sa place. Et comment son discours est-il accueilli par ses coreligionnaires? «Il y a trois ans, c'était 80 % de colère et 20 % d'appui. Aujourd'hui, c'est exactement le contraire», dit-elle, heureuse de constater que son livre traduit en arabe a été téléchargé gratuitement par 250 000 internautes. Dans plusieurs pays moyen-orientaux, on se le passe sous le manteau. Et le film Oser sa foi piraté circule aussi allégrement sur le web.
Membre de la Fondation européenne pour la démocratie, un «think tank» basé à Bruxelles, Irshad Manji s'intéresse de près à la question de l'intégration des musulmans dans les sociétés occidentales. Elle s'indigne du fait que des fondamentalistes en Occident osent se réclamer de la liberté d'expression... jusqu'à temps que cette liberté soit celle de parler librement du prophète Mahomet.
Elle fait référence, entre autres, à la crise des caricatures. Elle déplore que les journaux nord-américains s'y soient autocensurés parce qu'ils craignaient des émeutes. «La vraie histoire, c'est que des imams au Danemark voulaient créer des émeutes avec ces caricatures», dit-elle. Je fais valoir qu'à mon sens, choisir de ne pas publier, c'était aussi choisir de ne pas se faire manipuler par des extrémistes qui auraient justement voulu qu'on le fasse pour leur donner des munitions et leur permettre de dire après : «Regardez comme ils nous méprisent». «C'est une façon intéressante de l'interpréter. Je vais y réfléchir», me dit-elle, à la façon de ceux qui sont plus intéressés par le débat que par le besoin d'avoir raison à tout prix.
Et que pense cette musulmane féministe de la question du voile dans l'espace public qui se pose ici et ailleurs? Irshad Manji m'explique avoir changé son fusil d'épaule concernant la question du voile en France. Elle était d'abord opposée à la loi française interdisant le port du voile à l'école parce qu'elle croyait avant tout au libre-choix. Aujourd'hui, elle croit avoir fait une erreur en présumant que les jeunes femmes portant le voile en France le faisaient par choix. «J'ai changé d'avis parce qu'une semaine avant l'entrée en vigueur de la loi sur la laïcité, un grand sondage demandait aux femmes musulmanes de France si elles appuyaient l'interdiction de porter le hijab à l'école. Et à la surprise générale, la majorité des femmes ont dit oui. Pourquoi? Non pas parce qu'elles s'opposent à l'islam ou au Coran. Mais parce qu'elles s'opposent à la violence, à l'intimidation et au harcèlement des hommes de leur communauté si elles ne le portent pas.»
Irshad Manji rappelle que le voile, en fait, n'a rien à voir avec le religion. «Le Coran ne demande pas aux femmes de se voiler. Il demande aux femmes de se présenter de façon modeste. Cela peut vouloir dire porter des manches longues. Le hijab et le niqab viennent de la culture arabe tribale qui est antérieure à l'islam.»
Dans Oser sa foi, Irshad Manji interviewe une dissidente yéménite qui refuse de porter la burqa. «Quand on nous dit de nous couvrir, c'est comme si on traitait notre corps en entier comme un organe génital», plaidera-t-elle. Un argument qui amène Irshad Manji à pousser la réflexion encore plus loin. «Beaucoup de femmes et d'hommes musulmans disent que les femmes dans le monde occidental sont traitées comme des objets sexuels. Mais ce que cette femme du Yémen dit, c'est : " Regardez. Quand vous nous dites qu'il faut nous couvrir, vous traitez notre corps entier comme un organe génital!" Alors, comment pouvez-vous dire que vous ne nous traitez pas aussi comme un objet sexuel?» Bonne question.
Cette question et d'autres plus profondes encore sur ce que devrait être par exemple un islam moderne faisant place au débat d'idées, Irshad Manji les posera de façon très concrète alors qu'elle se rendra dès janvier à la New York University pour y diriger le «Moral Courage Project». Un projet dont le but est de former des leaders qui oseront dénoncer les injustices au sein de leur propre communauté. Car sans autocritique, point de salut, dit-elle.
Irshad Manji dit vouloir suivre de près le débat qui se déroule au Québec autour de ce qu'on appelle les «accommodements raisonnables». Sa question aux commissaires Bouchard et Taylor? «Que vont-ils recommander quand il s'agit de l'intolérance émanant de groupes fondamentalistes? Quand l'intolérance vient de minorités, que fait-on? Est-ce qu'on reste volontairement aveugle parce qu'il s'agit de minorités? Je ne sais pas ce que la Commission Bouchard-Taylor, dans son amour de l'harmonie, va dire sur le sujet. Mais moi, je ne suis pas disposée à tolérer l'intolérance. Voilà où je trace la ligne.»
Par Rima Elkouri
Source: cyberpresse
(M)
J'ai rendez-vous avec Irshad Manji au café Navarino, juste en face du YMCA du Parc, devenu célèbre pour son histoire de vitres givrées visant à préserver le regard des juifs hassidiques devant les femmes en tenue d'exercice. Même si elle vit à Toronto, l'auteure de Musulmane mais libre semble tout à fait au courant de l'histoire. Une histoire qui lui fait dire en souriant que les musulmans orthodoxes et les juifs orthodoxes se ressemblent bien plus qu'ils ne le pensent. «Avec ces vitres givrées, les musulmans devraient remercier les juifs d'avoir fait le sale boulot à leur place!» lance-t-elle, avant d'éclater de rire.
Un café, Irshad? Non, pas de café. «Je jeûne, dit-elle. En plus d'observer le ramadan, je jeûne aussi tous les vendredis depuis plusieurs années. Pas tant pour des raisons religieuses que pour des raisons spirituelles. Pour moi, le jeûne permet de développer une discipline, de l'empathie avec les pauvres. Ce sont des valeurs que je défends, particulièrement dans notre société où il est facile de perdre de vue le sens profond de la vie.»
Irshad Manji, 39 ans, a beau être une musulmane dissidente, lesbienne et féministe, elle n'en demeure pas moins pratiquante. Ce qui ne l'empêche pas de s'interroger de plus en plus sur la façon de concilier islam et laïcité. «Je sais que beaucoup de gens diront qu'on ne peut être les deux. Mais pour moi, être une fidèle musulmane, c'est être laïque. Ma lecture de l'islam et de toute foi abrahamique, c'est que seul Dieu connaît la vérité. Ce qui veut dire que, nous, comme croyants, devons avoir l'humilité d'accommoder des points de vue différents. Et ça, ça ne peut se produire que dans une société laïque.»
Dans le film Oser sa foi, Irshad Manji souligne bien que nous vivons à une époque trouble où il est difficile pour une musulmane de critiquer trop franchement sa religion sans faire l'objet de menaces. Elle commence par raconter qu'elle vit dans une demeure à l'adresse secrète, avec des vitres pare-balles et une boîte à lettres sous clé pour empêcher qu'on y place une bombe. Sa quête en est une pour dénoncer l'injustice, sans se soucier de ceux qui pourraient être offensés par cette dénonciation, dit-elle. «En tant que musulmane, ma foi est inébranlable mais ma conscience est ébranlée. Des terroristes tuent des civils au nom de l'islam.»
Sa prise de parole provocatrice lui a valu des menaces de mort de la part de fondamentalistes. En revanche, sa façon de secouer l'islam sans jamais se poser en victime a bien sûr fait d'elle une héroïne en Occident. Un Occident qui, avouons-le, trouve aussi bien pratique, lui aussi, qu'on fasse le «sale boulot» à sa place. Et comment son discours est-il accueilli par ses coreligionnaires? «Il y a trois ans, c'était 80 % de colère et 20 % d'appui. Aujourd'hui, c'est exactement le contraire», dit-elle, heureuse de constater que son livre traduit en arabe a été téléchargé gratuitement par 250 000 internautes. Dans plusieurs pays moyen-orientaux, on se le passe sous le manteau. Et le film Oser sa foi piraté circule aussi allégrement sur le web.
Membre de la Fondation européenne pour la démocratie, un «think tank» basé à Bruxelles, Irshad Manji s'intéresse de près à la question de l'intégration des musulmans dans les sociétés occidentales. Elle s'indigne du fait que des fondamentalistes en Occident osent se réclamer de la liberté d'expression... jusqu'à temps que cette liberté soit celle de parler librement du prophète Mahomet.
Elle fait référence, entre autres, à la crise des caricatures. Elle déplore que les journaux nord-américains s'y soient autocensurés parce qu'ils craignaient des émeutes. «La vraie histoire, c'est que des imams au Danemark voulaient créer des émeutes avec ces caricatures», dit-elle. Je fais valoir qu'à mon sens, choisir de ne pas publier, c'était aussi choisir de ne pas se faire manipuler par des extrémistes qui auraient justement voulu qu'on le fasse pour leur donner des munitions et leur permettre de dire après : «Regardez comme ils nous méprisent». «C'est une façon intéressante de l'interpréter. Je vais y réfléchir», me dit-elle, à la façon de ceux qui sont plus intéressés par le débat que par le besoin d'avoir raison à tout prix.
Et que pense cette musulmane féministe de la question du voile dans l'espace public qui se pose ici et ailleurs? Irshad Manji m'explique avoir changé son fusil d'épaule concernant la question du voile en France. Elle était d'abord opposée à la loi française interdisant le port du voile à l'école parce qu'elle croyait avant tout au libre-choix. Aujourd'hui, elle croit avoir fait une erreur en présumant que les jeunes femmes portant le voile en France le faisaient par choix. «J'ai changé d'avis parce qu'une semaine avant l'entrée en vigueur de la loi sur la laïcité, un grand sondage demandait aux femmes musulmanes de France si elles appuyaient l'interdiction de porter le hijab à l'école. Et à la surprise générale, la majorité des femmes ont dit oui. Pourquoi? Non pas parce qu'elles s'opposent à l'islam ou au Coran. Mais parce qu'elles s'opposent à la violence, à l'intimidation et au harcèlement des hommes de leur communauté si elles ne le portent pas.»
Irshad Manji rappelle que le voile, en fait, n'a rien à voir avec le religion. «Le Coran ne demande pas aux femmes de se voiler. Il demande aux femmes de se présenter de façon modeste. Cela peut vouloir dire porter des manches longues. Le hijab et le niqab viennent de la culture arabe tribale qui est antérieure à l'islam.»
Dans Oser sa foi, Irshad Manji interviewe une dissidente yéménite qui refuse de porter la burqa. «Quand on nous dit de nous couvrir, c'est comme si on traitait notre corps en entier comme un organe génital», plaidera-t-elle. Un argument qui amène Irshad Manji à pousser la réflexion encore plus loin. «Beaucoup de femmes et d'hommes musulmans disent que les femmes dans le monde occidental sont traitées comme des objets sexuels. Mais ce que cette femme du Yémen dit, c'est : " Regardez. Quand vous nous dites qu'il faut nous couvrir, vous traitez notre corps entier comme un organe génital!" Alors, comment pouvez-vous dire que vous ne nous traitez pas aussi comme un objet sexuel?» Bonne question.
Cette question et d'autres plus profondes encore sur ce que devrait être par exemple un islam moderne faisant place au débat d'idées, Irshad Manji les posera de façon très concrète alors qu'elle se rendra dès janvier à la New York University pour y diriger le «Moral Courage Project». Un projet dont le but est de former des leaders qui oseront dénoncer les injustices au sein de leur propre communauté. Car sans autocritique, point de salut, dit-elle.
Irshad Manji dit vouloir suivre de près le débat qui se déroule au Québec autour de ce qu'on appelle les «accommodements raisonnables». Sa question aux commissaires Bouchard et Taylor? «Que vont-ils recommander quand il s'agit de l'intolérance émanant de groupes fondamentalistes? Quand l'intolérance vient de minorités, que fait-on? Est-ce qu'on reste volontairement aveugle parce qu'il s'agit de minorités? Je ne sais pas ce que la Commission Bouchard-Taylor, dans son amour de l'harmonie, va dire sur le sujet. Mais moi, je ne suis pas disposée à tolérer l'intolérance. Voilà où je trace la ligne.»
Par Rima Elkouri
Source: cyberpresse
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