I- Pourquoi sommes-nous démobilisés ?
La nature du militantisme et son sens se sont toujours posés pour les membres d’une communauté opprimée. Il est intéressant de s’interroger sur les causes profondes des réticences quant aux convictions militantes et au faible investissement dans l’espace politique organisationnel et associatif chez les mauritaniens, particulièrement les africains noirs mauritaniens. C’est un constat général : les Mauritaniens n’ont pas la fibre militante aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Dans l’imaginaire populaire, le militant organisé et discipliné est considéré comme quelqu’un qui perd son temps, c’est-à-dire qui ne le rentabilise pas. Au lieu de mettre son énergie au service de ses propres intérêts, il se consacre à une cause d’intérêt général peu rentable et qui, dès lors qu’il est du côté de l’opposition, est une prise de risque pour lui et pour sa famille.
Pour l’opinion générale, la politique se présente comme un engagement au service des intérêts et sans se préoccuper de l’intérêt général. Cette vision ou représentation de la politique n’est que la manifestation publique de ce que nos dirigeants et les agents des services de l’Etat pratiquent au quotidien. On peut observer qu’il n’y pas de honte, ni de risque de pénalité à disposer des biens publics. C’est le code non écrit des pratiques institutionnelles et administratives dans notre pays. D’où une vision de subordination, de résignation, de fatalisme par rapport à l’arbitraire de la politique régnante, celle qui considère que la seule politique qui vaille est celle des détenteurs du pouvoir : le président, les membres du gouvernement et ceux qui y sont associés. Nous sommes donc en face d’une considération utilitariste et instrumentaliste du pouvoir. La politique se résume alors à l’occupation de postes qui permettent d’accéder aux ressources de l’Etat et de s’en servir, pour soi et ses proches. Il faut dire que cette mise en scène de la politique et de l’occupation des institutions de l’Etat a donné une représentation dominante des pratiques politiques.
En effet, l’histoire politique de notre pays, depuis Moctar Ould Daddah jusqu’à Ould Abdoul Aziz a montré que ceux et celles qui vivent dans de conditions enviables, appartiennent aux sphères du pouvoir, si bien qu’au gré des changements de régimes, la condition économique change selon le départ et les arrivés au pouvoir et le degré de voisinage. Il est malheureux de le dire, rares sont les cadres mauritaniens bénéficiaires de conditions de vie économiques viables par le mérite de la compétence. Pourtant, nous avons des cadres compétents et méritants, mais sans subordination au pouvoir politique, point de prospérité économique. L’argument économique et la visibilité sociale ont façonné les mentalités par rapport à une certaine vision de la politique.
L’autre aspect du faible investissement dans l’espace politique, en termes d’engagement politique, contre le pouvoir de l’arbitraire, est la répression contre les opposants. En Mauritanie comme dans tous les régimes de dictature, les opposants furent soumis à la logique des arrestations, des emprisonnements, de tortures atroces. Des méthodes d’humiliation ont toujours prévalu afin de décourager des velléités de contestation, d’opposition et de résistance.
A cette configuration politique continentale partagée à l’époque par bon nombre de pays non démocratiques s’ajoute la dimension raciste et esclavagiste du régime qui refusait aux noirs africains et haratines de s’engager dans le combat contre l’esclavage, le racisme et l’oppression. Un dispositif impressionnant pour dissuader la jeunesse mauritanienne à s’engager dans la voie du combat politique a été mis en place. Le pouvoir politique mauritanien s’appuyant sur les féodalités tribales et aristocratiques de la société mauritanienne dans sa diversité, a noué des alliances qui ont permis de contrôler les agissements de ceux qu’on considérait comme des « jeunes égarés », dès lors qu’ils s’inscrivaient dans la logique de la contestation, qui, pour la plupart, en franchissant l’âge de la maturité, finissaient soit, par être récupérés par le pouvoir ou définitivement marginalisés, réduits à la misère et à la pauvreté.
Le cynisme du pouvoir n’a fait que se radicaliser avec les années Ould Taya, mais le principe et les méthodes furent les mêmes depuis le premier gouvernement mauritanien. Il n’y a jamais eu un tant soit peu de respect de la dignité des acteurs de la contestation : la répression fut impitoyable.
Dans ce contexte, l’esprit militant était étouffé dans la mesure où la démonstration qui en était faite procédait, de l’humiliation, du dénigrement et de la dénonciation du militantisme oppositionnel, comme une forme d’irresponsabilité et d’insouciance. Il en a toujours été ainsi dans une société où l’utilité sociale, est à l’aune des capacités matérielles et financières à répondre aux sollicitations des proches. Le nomadisme politique des dernières décennies a fini par convaincre du non-sens de l’engagement politique oppositionnel. Les figures des militants de l’opposition sans ressources n’ont pas favorisé le symbolisme de l’exemple. C’est dire que tout contribue à se convaincre de l’inutilité de la résistance politique au nom des valeurs de dignité, de liberté et de démocratie. Telle est l’ambiance globale de la désaffection du militantisme politique et de la conscience du devoir pour chacun d’entre nous de nous engager contre un système dont l’objectif avoué est de nous exclure de notre propre pays en réécrivant une autre histoire, celle du mensonge.
II- Le militantisme est notre devoir : Pourquoi nous devons militer ?
Exilés de l’intérieur et de l’extérieur, nous membres de la communauté africaine noire mauritanienne qu’elle que soit notre condition, nous sommes tous exclus et opprimés dans la mesure où notre droit à vivre libre et digne dans notre pays nous est refusé. Hier comme aujourd’hui, au quotidien, nos droits sont bafoués. L’opération de recensement qui a tant fait bouger la rue n’a pas encore fini de faire des victimes ; récemment c’est Abass Kane qui a été victime d’emprisonnement arbitraire par le bon vouloir d’un simple chef de centre d’enrôlement. La politique de l’impunité, du racisme et de l’esclavage, du déni de notre humanité et de notre appartenance à notre pays est plus que d’actualité.
Ould Abdoul Aziz, fait preuve, à travers ses décisions, ses gestes, ses paroles qu’il est le fidèle et loyal continuateur du système et que son modèle reste et restera Ould Taya. L’Etat mauritanien sous Mohamed Abdoul Aziz a entériné la politique raciste inaugurée depuis les indépendances, radicalisée avec le cynisme négationniste de Ould Taya. Au lieu de tourner cette page sombre de terreur et d’extermination, par une politique résolument démocratique, Ould Abdoul Aziz a repris l’initiative pour réinscrire le projet d’éradication de la composante africaine noire en donnant une nouvelle étape à la politique génocidaire déclenchée par Ould Taya.
Dans ce contexte, le scepticisme et les réticences des opprimés que nous sommes n’ont plus leur raison d’être. Il n’est plus possible de continuer à entretenir la haine de soi, l’attentisme, le fatalisme, le désespoir. Il faut que tous, nous comprenions que, pour recouvrer nos droits et reconquérir notre dignité, nous n’avons qu’un seul choix, c’est de nous organiser politiquement. Nous devons devenir membres actifs d’organisations politiques, d’associations de défense des droits humains. Notre combat, est humaniste, éthique, politique, humanitaire. Nous n’avons pas besoin de violence, ni de guerre, ce dont nous avons besoin c’est d’un militantisme massif, conscient, volontaire, responsable, discipliné, organisé et constant. Si, tous, ensemble, nous acceptions de nous unir autour de la préservation de ce qui nous appartient à tous : notre pays, nos terres, nos langues, nos valeurs de civilisation, notre sens de l’honneur, de la solidarité, de la générosité, notre idéal d’une société mauritanienne démocratique, égalitaire et fraternelle va se transformer en réalité.
Notre devoir est de cultiver la solidarité de proximité, de mutualiser nos efforts, nos idées, nos énergies, sans haine, sans ressenti, mais en étant tournés vers l’avenir, contre les démons de la division, du particularisme, du conservatisme. Nous sommes tous victimes de l’injustice d’un système raciste, barbare, chauviniste et esclavagiste. Notre adversaire, c’est le système avec ses principaux acteurs, détenteurs défenseurs, profiteurs et décideurs. Notre cible n’est pas nous-mêmes en tant que victimes.
Nous pouvons ne pas être d’accord, sur les méthodes, sur les voies, sur les conceptions, mais nous avons le devoir de dégager des priorités partagées, sans jamais nous manquer de respect. Même avec des divergences fortes, notre éthique doit être la solidarité et la fraternité des victimes. Personne ne défendra mieux que nous, nos propres droits. Nous les connaissons : le droit de vivre dans notre propre pays, de bénéficier de nos droits civiques, de nos terres, de nos biens. En l’absence de l’avènement d’un système politique dans lequel nous nous reconnaissons nos terres nous appartiennent. Nous ne reconnaissons pas des lois qui sont conçues pour nous exclure, nous exterminer, nous exproprier, nous faire disparaître.
La législation en vigueur en Mauritanie est celle de l’exclusion par la pratique politique. La constitution est à usage international, extérieur, mais la réalité législatrice est celle du pouvoir accordé aux gouverneurs de régions, aux préfets, aux commissaires de police et aux commandants de brigade qui jouissent de tout le pouvoir d’humiliation, d’emprisonnement et de mort, dès lors qu’il s’agit des populations noires. Il ne faut pas que l’on se trompe de combat : la communauté africaine noire est opprimée, assiégée, soumise de façon quotidienne à l’humiliation, à la misère et à l’appauvrissement.
Notre communauté ne bénéfice pas de projets, des nombreuses opportunités de financement, de développement. Tout est orienté vers le nord du pays. Cette réalité doit être dénoncée publiquement, parce qu’elle entérine une complicité internationale qui découle de la volonté politique des dirigeants mauritaniens. Combien de projets de financements sont proposés aux autres pays africains ? Rien n’est adressé aux populations de la vallée.
Il est clair que le système politique raciste a fait très mal à tous les niveaux. Et, comble du malheur, il est parvenu même à nous convaincre de l’inutilité de notre engagement à résister contre un système qui nous refuse toute possibilité d’exister dignement. Le partage dans la pauvreté n’est pas une solution, même si nous ne pouvons pas y renoncer.
III- Pour exister, il faut s’engager
Il nous appartient pour mettre fin à ce système de domination, de nous organiser, de militer : hommes/femmes, jeunes/ adultes et vieux. Plus personne ne doit rester en dehors des organisations politiques ou associatives qui sont au service de la revendication de notre dignité. Aujourd’hui notre combat doit répondre à un triple objectif : devoir de mémoire, exigence de justice et impératif de construire l’avenir. Il y a le passé fait de notre sang, de nos larmes, de la tragédie que nous avons subi. Le présent, des criminels se promènent et sont heureux ; nos orphelins, nos veuves sont sans défense et leur travail de deuil n’est pas encore rendu possible par aucune institution ; Ould Taya poursuit son quotidien avec sa famille, entretenu par l’Etat mauritanien. Notre avenir ? Nous ne pouvons pas ne pas envisager notre avenir dans notre propre pays, même si l’horizon est sombre. Il n’est pas de notre devoir de désespérer, de ruminer la défaite et l’impuissance ; notre devoir est d’agir, d’espérer, et de donner de l’espoir et d’entretenir la culture de la justice, de l’égalité, de la fraternité et de la solidarité.
Nos responsabilités sont énormes, nos missions grandioses ! Il n’y a pas de plus motivant que de se dire chaque jour, je suis en train de contribuer à la libération de mon peuple pour lui permettre de reconquérir sa dignité. Il n’y rien de plus précieux que de donner une partie de son temps, de sa vie à l’espoir pour le peuple qui nous a vus naître et grandir, afin de lui permettre de recouvrer ses droits et de retrouver une existence libre et digne.
Telle doit être notre tâche aujourd’hui, nous sommes exilés dans des sociétés qui nous préservent de l’humiliation de la dictature raciste. Le devoir d’un apatride est de ne jamais oublier qu’il est privé de liberté et de dignité dans son propre pays. Le chemin du retour ne sera possible que si nous faisons de notre dignité, une priorité au quotidien par l’engagement politique et associatif. Il est de notre devoir d’être au service de notre libération, et de créer les conditions de l’avènement de l’Etat de droit et de la vraie démocratie.
Hamdou Rabby Sy
Porte-parole de l'AVOMM
*Conférence à Bruxelles le samedi 28 janvier 2012
avomm.com
La nature du militantisme et son sens se sont toujours posés pour les membres d’une communauté opprimée. Il est intéressant de s’interroger sur les causes profondes des réticences quant aux convictions militantes et au faible investissement dans l’espace politique organisationnel et associatif chez les mauritaniens, particulièrement les africains noirs mauritaniens. C’est un constat général : les Mauritaniens n’ont pas la fibre militante aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Dans l’imaginaire populaire, le militant organisé et discipliné est considéré comme quelqu’un qui perd son temps, c’est-à-dire qui ne le rentabilise pas. Au lieu de mettre son énergie au service de ses propres intérêts, il se consacre à une cause d’intérêt général peu rentable et qui, dès lors qu’il est du côté de l’opposition, est une prise de risque pour lui et pour sa famille.
Pour l’opinion générale, la politique se présente comme un engagement au service des intérêts et sans se préoccuper de l’intérêt général. Cette vision ou représentation de la politique n’est que la manifestation publique de ce que nos dirigeants et les agents des services de l’Etat pratiquent au quotidien. On peut observer qu’il n’y pas de honte, ni de risque de pénalité à disposer des biens publics. C’est le code non écrit des pratiques institutionnelles et administratives dans notre pays. D’où une vision de subordination, de résignation, de fatalisme par rapport à l’arbitraire de la politique régnante, celle qui considère que la seule politique qui vaille est celle des détenteurs du pouvoir : le président, les membres du gouvernement et ceux qui y sont associés. Nous sommes donc en face d’une considération utilitariste et instrumentaliste du pouvoir. La politique se résume alors à l’occupation de postes qui permettent d’accéder aux ressources de l’Etat et de s’en servir, pour soi et ses proches. Il faut dire que cette mise en scène de la politique et de l’occupation des institutions de l’Etat a donné une représentation dominante des pratiques politiques.
En effet, l’histoire politique de notre pays, depuis Moctar Ould Daddah jusqu’à Ould Abdoul Aziz a montré que ceux et celles qui vivent dans de conditions enviables, appartiennent aux sphères du pouvoir, si bien qu’au gré des changements de régimes, la condition économique change selon le départ et les arrivés au pouvoir et le degré de voisinage. Il est malheureux de le dire, rares sont les cadres mauritaniens bénéficiaires de conditions de vie économiques viables par le mérite de la compétence. Pourtant, nous avons des cadres compétents et méritants, mais sans subordination au pouvoir politique, point de prospérité économique. L’argument économique et la visibilité sociale ont façonné les mentalités par rapport à une certaine vision de la politique.
L’autre aspect du faible investissement dans l’espace politique, en termes d’engagement politique, contre le pouvoir de l’arbitraire, est la répression contre les opposants. En Mauritanie comme dans tous les régimes de dictature, les opposants furent soumis à la logique des arrestations, des emprisonnements, de tortures atroces. Des méthodes d’humiliation ont toujours prévalu afin de décourager des velléités de contestation, d’opposition et de résistance.
A cette configuration politique continentale partagée à l’époque par bon nombre de pays non démocratiques s’ajoute la dimension raciste et esclavagiste du régime qui refusait aux noirs africains et haratines de s’engager dans le combat contre l’esclavage, le racisme et l’oppression. Un dispositif impressionnant pour dissuader la jeunesse mauritanienne à s’engager dans la voie du combat politique a été mis en place. Le pouvoir politique mauritanien s’appuyant sur les féodalités tribales et aristocratiques de la société mauritanienne dans sa diversité, a noué des alliances qui ont permis de contrôler les agissements de ceux qu’on considérait comme des « jeunes égarés », dès lors qu’ils s’inscrivaient dans la logique de la contestation, qui, pour la plupart, en franchissant l’âge de la maturité, finissaient soit, par être récupérés par le pouvoir ou définitivement marginalisés, réduits à la misère et à la pauvreté.
Le cynisme du pouvoir n’a fait que se radicaliser avec les années Ould Taya, mais le principe et les méthodes furent les mêmes depuis le premier gouvernement mauritanien. Il n’y a jamais eu un tant soit peu de respect de la dignité des acteurs de la contestation : la répression fut impitoyable.
Dans ce contexte, l’esprit militant était étouffé dans la mesure où la démonstration qui en était faite procédait, de l’humiliation, du dénigrement et de la dénonciation du militantisme oppositionnel, comme une forme d’irresponsabilité et d’insouciance. Il en a toujours été ainsi dans une société où l’utilité sociale, est à l’aune des capacités matérielles et financières à répondre aux sollicitations des proches. Le nomadisme politique des dernières décennies a fini par convaincre du non-sens de l’engagement politique oppositionnel. Les figures des militants de l’opposition sans ressources n’ont pas favorisé le symbolisme de l’exemple. C’est dire que tout contribue à se convaincre de l’inutilité de la résistance politique au nom des valeurs de dignité, de liberté et de démocratie. Telle est l’ambiance globale de la désaffection du militantisme politique et de la conscience du devoir pour chacun d’entre nous de nous engager contre un système dont l’objectif avoué est de nous exclure de notre propre pays en réécrivant une autre histoire, celle du mensonge.
II- Le militantisme est notre devoir : Pourquoi nous devons militer ?
Exilés de l’intérieur et de l’extérieur, nous membres de la communauté africaine noire mauritanienne qu’elle que soit notre condition, nous sommes tous exclus et opprimés dans la mesure où notre droit à vivre libre et digne dans notre pays nous est refusé. Hier comme aujourd’hui, au quotidien, nos droits sont bafoués. L’opération de recensement qui a tant fait bouger la rue n’a pas encore fini de faire des victimes ; récemment c’est Abass Kane qui a été victime d’emprisonnement arbitraire par le bon vouloir d’un simple chef de centre d’enrôlement. La politique de l’impunité, du racisme et de l’esclavage, du déni de notre humanité et de notre appartenance à notre pays est plus que d’actualité.
Ould Abdoul Aziz, fait preuve, à travers ses décisions, ses gestes, ses paroles qu’il est le fidèle et loyal continuateur du système et que son modèle reste et restera Ould Taya. L’Etat mauritanien sous Mohamed Abdoul Aziz a entériné la politique raciste inaugurée depuis les indépendances, radicalisée avec le cynisme négationniste de Ould Taya. Au lieu de tourner cette page sombre de terreur et d’extermination, par une politique résolument démocratique, Ould Abdoul Aziz a repris l’initiative pour réinscrire le projet d’éradication de la composante africaine noire en donnant une nouvelle étape à la politique génocidaire déclenchée par Ould Taya.
Dans ce contexte, le scepticisme et les réticences des opprimés que nous sommes n’ont plus leur raison d’être. Il n’est plus possible de continuer à entretenir la haine de soi, l’attentisme, le fatalisme, le désespoir. Il faut que tous, nous comprenions que, pour recouvrer nos droits et reconquérir notre dignité, nous n’avons qu’un seul choix, c’est de nous organiser politiquement. Nous devons devenir membres actifs d’organisations politiques, d’associations de défense des droits humains. Notre combat, est humaniste, éthique, politique, humanitaire. Nous n’avons pas besoin de violence, ni de guerre, ce dont nous avons besoin c’est d’un militantisme massif, conscient, volontaire, responsable, discipliné, organisé et constant. Si, tous, ensemble, nous acceptions de nous unir autour de la préservation de ce qui nous appartient à tous : notre pays, nos terres, nos langues, nos valeurs de civilisation, notre sens de l’honneur, de la solidarité, de la générosité, notre idéal d’une société mauritanienne démocratique, égalitaire et fraternelle va se transformer en réalité.
Notre devoir est de cultiver la solidarité de proximité, de mutualiser nos efforts, nos idées, nos énergies, sans haine, sans ressenti, mais en étant tournés vers l’avenir, contre les démons de la division, du particularisme, du conservatisme. Nous sommes tous victimes de l’injustice d’un système raciste, barbare, chauviniste et esclavagiste. Notre adversaire, c’est le système avec ses principaux acteurs, détenteurs défenseurs, profiteurs et décideurs. Notre cible n’est pas nous-mêmes en tant que victimes.
Nous pouvons ne pas être d’accord, sur les méthodes, sur les voies, sur les conceptions, mais nous avons le devoir de dégager des priorités partagées, sans jamais nous manquer de respect. Même avec des divergences fortes, notre éthique doit être la solidarité et la fraternité des victimes. Personne ne défendra mieux que nous, nos propres droits. Nous les connaissons : le droit de vivre dans notre propre pays, de bénéficier de nos droits civiques, de nos terres, de nos biens. En l’absence de l’avènement d’un système politique dans lequel nous nous reconnaissons nos terres nous appartiennent. Nous ne reconnaissons pas des lois qui sont conçues pour nous exclure, nous exterminer, nous exproprier, nous faire disparaître.
La législation en vigueur en Mauritanie est celle de l’exclusion par la pratique politique. La constitution est à usage international, extérieur, mais la réalité législatrice est celle du pouvoir accordé aux gouverneurs de régions, aux préfets, aux commissaires de police et aux commandants de brigade qui jouissent de tout le pouvoir d’humiliation, d’emprisonnement et de mort, dès lors qu’il s’agit des populations noires. Il ne faut pas que l’on se trompe de combat : la communauté africaine noire est opprimée, assiégée, soumise de façon quotidienne à l’humiliation, à la misère et à l’appauvrissement.
Notre communauté ne bénéfice pas de projets, des nombreuses opportunités de financement, de développement. Tout est orienté vers le nord du pays. Cette réalité doit être dénoncée publiquement, parce qu’elle entérine une complicité internationale qui découle de la volonté politique des dirigeants mauritaniens. Combien de projets de financements sont proposés aux autres pays africains ? Rien n’est adressé aux populations de la vallée.
Il est clair que le système politique raciste a fait très mal à tous les niveaux. Et, comble du malheur, il est parvenu même à nous convaincre de l’inutilité de notre engagement à résister contre un système qui nous refuse toute possibilité d’exister dignement. Le partage dans la pauvreté n’est pas une solution, même si nous ne pouvons pas y renoncer.
III- Pour exister, il faut s’engager
Il nous appartient pour mettre fin à ce système de domination, de nous organiser, de militer : hommes/femmes, jeunes/ adultes et vieux. Plus personne ne doit rester en dehors des organisations politiques ou associatives qui sont au service de la revendication de notre dignité. Aujourd’hui notre combat doit répondre à un triple objectif : devoir de mémoire, exigence de justice et impératif de construire l’avenir. Il y a le passé fait de notre sang, de nos larmes, de la tragédie que nous avons subi. Le présent, des criminels se promènent et sont heureux ; nos orphelins, nos veuves sont sans défense et leur travail de deuil n’est pas encore rendu possible par aucune institution ; Ould Taya poursuit son quotidien avec sa famille, entretenu par l’Etat mauritanien. Notre avenir ? Nous ne pouvons pas ne pas envisager notre avenir dans notre propre pays, même si l’horizon est sombre. Il n’est pas de notre devoir de désespérer, de ruminer la défaite et l’impuissance ; notre devoir est d’agir, d’espérer, et de donner de l’espoir et d’entretenir la culture de la justice, de l’égalité, de la fraternité et de la solidarité.
Nos responsabilités sont énormes, nos missions grandioses ! Il n’y a pas de plus motivant que de se dire chaque jour, je suis en train de contribuer à la libération de mon peuple pour lui permettre de reconquérir sa dignité. Il n’y rien de plus précieux que de donner une partie de son temps, de sa vie à l’espoir pour le peuple qui nous a vus naître et grandir, afin de lui permettre de recouvrer ses droits et de retrouver une existence libre et digne.
Telle doit être notre tâche aujourd’hui, nous sommes exilés dans des sociétés qui nous préservent de l’humiliation de la dictature raciste. Le devoir d’un apatride est de ne jamais oublier qu’il est privé de liberté et de dignité dans son propre pays. Le chemin du retour ne sera possible que si nous faisons de notre dignité, une priorité au quotidien par l’engagement politique et associatif. Il est de notre devoir d’être au service de notre libération, et de créer les conditions de l’avènement de l’Etat de droit et de la vraie démocratie.
Hamdou Rabby Sy
Porte-parole de l'AVOMM
*Conférence à Bruxelles le samedi 28 janvier 2012
avomm.com