Ajay Bramdeo a été le représentant de l’Afrique du Sud à Maurice ces quatre dernières années. Il a mis la main à ses derniers dossiers et se prépare à tirer sa révérence dans quelques jours. Il commente ici l’actualité politique de son pays.
Comment est-ce qu’un diplomate gère un monde qui n’a rien à voir avec celui qui existait quand les relations diplomatiques entre pays ont été établies? Face au terrorisme, que fait un diplomate ?
Comment définit-on le terrorisme et qui est un terroriste ? Alors que nous luttions contre le colonialisme et l’apartheid, les gens nous appelaient des terroristes. Nelson Mandela lui-même était connu comme un terroriste. Il est d’ailleurs toujours défini comme tel par certains pays et il a toujours besoin d’un visa pour aller dans ces pays.
Quels pays ?
(Rires) Je préfère ne pas les nommer. Mais ce que les gens ont appelé terrorisme en ce qui nous concerne était à nos yeux une lutte pour la libération, une lutte tout à fait légitime. Aux yeux de certains, donc, l’Afrique du Sud a un gouvernement terroriste. Il y a toujours, dans le monde, des pays où il y a de l’oppression. Et dans ces pays-là, ces gens-là sont en train de lutter pour se libérer.
Et devenir des oppresseurs à leur tour ?
Pas nécessairement. Voyez ce qui se passe au Timor Est. Voyez ce qui se passe en Palestine. Pourquoi est-ce que les gens se tournent vers les armes dans leur quête de libération? C’est parce que les négociations n’ont pas abouti, parce que la diplomatie n’a pas marché.
Est-ce parce que les négociations n’étaient en fait qu’une façade ?
C’est probablement une des raisons. Ou bien qu’il y avait des pressions externes qui ont compliqué les choses.
Vous parlez des Etats-Unis ?
(Hésitations) Gardons la formule de «pressions externes»! Donc quand on dit qu’il y a des terroristes, que faisons-nous ? Sommes-nous en train de traiter les symptômes ou bien faut-il aller aux racines du problème ? Il y a eu des problèmes en Algérie. Pendant des années, il y a eu du terrorisme en Afrique mais personne n’a pris cela au sérieux.
Pourquoi, selon vous ?
Parce que c’était en Afrique. Quelle différence cela fait quand quelques Africains meurent ? Il a fallu que le terrorisme touche d’autres pays pour que ces pays puissants réagissent. En réagissant, on devient des extrémistes dans le sens où la réponse à ce problème est traduite en actes militaires, tueries, kidnapping de suspects – tout ce qui viole les droits humains des autres. Et pourtant, ces mêmes gens se mettent debout sur des piédestaux et châtient les autres qui ne respectent pas les droits humains. Il y a une politique de deux poids et deux mesures dans le monde qui ne facilite pas la tache des diplomates.
L’opinion internationale a été alarmée par l’élection de Jacob Zuma comme président de l’ANC. Vos impressions ?
Je ne sais pas si ces gens qui ont été alarmés sont des experts mais je crois qu’il y a eu beaucoup d’exagération dans cette affaire. Vous savez, quand on a crié au loup trop de fois, à un moment, plus personne ne vous entend. (Hésitations) Il n’y a rien de mal avec Jacob Zuma. Il y a des allégations de corruption contre lui. Jacob Zuma a nié ces allégations et a dit qu’il s’expliquerait en cour. Certaines personnes en Afrique du Sud pensent que le président Mbeki avait demandé à Zuma de se retirer comme vice-Président du pays, que cela voulait dire que Mbeki voulait couper court à la carrière politique de Zuma. Je pense que ce sont des spéculations.
Sur quoi vous basez-vous pour affirmer cela ?
Malgré le fait que Jacob Zuma s’est retiré comme vice-président, il est resté vice-président de l’ANC. La constitution de l’ANC, tout comme la Constitution du pays, dit que si vous êtes accusé, inculpé et trouvé coupable d’un délit et que vous devez servir une peine d’emprisonnement, vous ne pouvez pas continuer à tenir un poste politique au sein du parti et du pays. Jacob Zuma n’a pas encore été inculpé et trouvé coupable. Il y a eu une enquête qui a duré sept ans durant laquelle, périodiquement, la poursuite a annoncé qu’elle avait un dossier solide et qu’elle allait traduire Zuma en justice. On attend toujours. Mais au-delà de ça, il y a aussi eu une campagne des médias en Afrique du Sud où la presse a fait le procès de Zuma et l’a trouvé coupable alors que l’affaire n’est même pas en cour.
Maintenant quand des étrangers expriment des inquiétudes sur ce qui se passe en Afrique du Sud, je leur dis : «Regardez d’abord ce qui se passe chez vous et puis venez me poser des questions sur Jacob Zuma.» Sans mentionner des noms, vous n’avez qu’à regarder autour de vous et il y a tant de chefs d’Etat contre lesquels il y a eu des plus pires allégations que contre Zuma et pourtant ils ont été élus et sont restés au pouvoir. Donc pourquoi autant de bruit autour de l’élection de Zuma ? Est-ce parce que c’est l’Afrique ? Souvent quand il s’agit de choses qui se passent dans des pays puissants, les gens ferment les yeux mais quand c’est l’Afrique, cela devient scandaleux.
Le judiciaire en Afrique du Sud est-il indépendant ? Pensez-vous qu’il pourra y avoir un procès contre un président de l’ANC et peut-être président du pays ?
La National Prosecution Authority est tellement indépendante que des fois elle en fait trop parce qu’elle veut justement affirmer cette indépendance. Mais si l’affaire va en cour, cela va prendre des années. Après la question va se poser au niveau de l’ANC - si le président doit faire face à un procès, sera-t-il toujours le candidat de l’ANC aux prochaines élections présidentielles du pays ? Ce sera à eux de décider.
Vous avez raison, Jacob Zuma n’a même pas été inculpé. Mais sur le plan éthique, est-ce normal que le président de l’ANC soit confronté à des allégations de fraude ? Cela ne vous met pas mal à l’aise ?
Nous sommes tous innocents jusqu’à ce qu’une cour de justice décide de notre culpabilité.
Mais nous ne parlons pas de culpabilité, nous parlons d’éthique. L’éthique ne devrait-elle pas exister dans la politique ?
Bien sûr. Mais quand il y a des allégations qui n’ont pas été prouvées, est-ce une raison pour décrédibiliser une personne qui pourrait en fait être victime de mauvaises langues ? Quid de ses droits ? Laissons une cour de justice trancher.
Il y a aussi des appréhensions quant à l’élection éventuelle de Zuma à la tête du pays : l’Afrique du Sud pourrait reculer dans les progrès enregistrés. Ces craintes sont-elles justifiées ?
Je ne sais pas d’où viennent ces craintes puisque l’ANC n’est pas un one man show. Il y a toujours eu, à l’ANC, un leadership collectif. Ce leadership est légitimé par les nombreuses branches de l’ANC. C’est cela la démocratie. Il y avait deux candidats pour le poste de président de l’ANC. Malgré tout ce qui s’est dit, les membres de l’ANC ont pris la décision de voter Zuma. 4 000 délégués ont débattu et voté. Donc, si le reste du monde n’est pas satisfait de ce vote, cela veut-il dire que nous devons renverser la démocratie ? Est-ce que la démocratie n’est bonne que quand l’opinion internationale estime que le résultat est acceptable ? La démocratie ne veut-elle pas dire que nous devons accepter la décision de la majorité ? C’est exactement ce qui s’est passé aux élections de l’ANC. Zuma a toujours été un membre de l’exécutif de l’ANC qui est composé de 80 membres. L’exécutif se rencontre chaque mois et décide de la politique à adopter et donc la décision de l’ANC- et donc du gouvernement- ne va pas changer avec l’élection d’un nouveau président.
Mais il y a aussi la personnalité des leaders qui entrent en jeu…
Les gens disent que Zuma est proche des syndicalistes et qu’il y aura un changement dans la politique économique. Je ne le pense pas. L’économie marche et il y a peut-être un besoin de mettre plus d’accent sur le social puisque notre plus grand défi reste l’éradication de la pauvreté. La seule façon de faire cela est à travers la création d’emplois. Il y a beaucoup d’investissement en Afrique du sud mais le type d’investissement que l’on reçoit n’est pas nécessairement le type qui crée l’emploi pour la masse. Donc beaucoup de gens sentent qu’ils sont marginalisés parce qu’ils ne voient pas de progrès dans leur vie. Zuma pourrait effectivement affiner les choses dans ce sens mais cela ne veut pas dire qu’il va tout chambouler.
Zuma serait-il une menace aux minorités en Afrique du Sud ?
Pourquoi cette question ? De quelle minorité sommes-nous en train de parler ? Those people have baggage. Il faut se rappeler que ce ne sont pas tous les Sud-Africains qui ont lutté pour la libération. Il y a donc ceux qui, jusqu’aujourd’hui, ont leur propre opinion de la vie, des relations qui devraient exister entre les différentes races, de la culture. Certains d’entre eux malheureusement regrettent la vie de privilège qu’ils ont menée pour l’apartheid.
C’est toujours un problème ?
Pas pour la majorité des Sud-Africains. Vous savez, jusqu’à 1994, nous avons mis beaucoup d’accent sur la réconciliation. Mais pour se réconcilier, il faut être deux. On ne peut pas avoir une personne qui tend la main et l’autre qui se cache la main derrière le dos. Quelques Sud-Africains ne veulent toujours pas briser les barrières qui ont été construites durant l’apartheid. Et ce sont ces gens-là qui pensent toujours - sans que cela ne soit justifié - que tout le monde est contre eux.
«Quelle différence cela
fait quand quelques Africains
meurent ? Il a fallu que
le terrorisme touche
d’autres pays pour
que ces pays puissants
réagissent»
Donc la commission de vérité et de réconciliation n’a pas pansé les blessures de tout le monde ?
Je pense qu’il y a eu tellement de blessures et de douleur que les gens sont disposés à pardonner mais pas à oublier. On peut être disposé à pardonner à quelqu’un qui nous a fait du tort mais si cette personne maintient la même attitude, cela devient un peu difficile. La réconciliation va prendre beaucoup de temps. Il faut encore 20, 30, 40 ans pour qu’une nouvelle génération de Sud-Africains qui n’ont pas vécu l’apartheid, dont les parents pensent différemment, puisse émerger et ne pas avoir de bagage.
Maurice va aussi mettre sur pied une commission de justice et paix. Pensez-vous que cela va aider compte tenu de notre histoire et des circonstances ?
Je ne connais pas le mandat de la commission donc il serait difficile pour moi de donner une opinion. Mais dans toute société multiculturelle, il y a toujours des hostilités entre différents groupes. C’est important que les gens parlent de cela pour que chacun puisse comprendre le pourquoi des malentendus. Je pense qu’une telle commission peut vous aider à construire votre nation.
Elle n’existe pas, notre nation ?
Je pense qu’elle est là mais disons qu’elle est plus visible quand les gens ne sont pas à Maurice.
Vous le pensez vraiment ? Vous en avez fait l’expérience ?
A Maurice, les gens ont tendance à se catégoriser en petits groupes et c’est dommage. C’est ce qu’il faut changer, je pense. Quand on est Mauricien, on est Mauricien. La foi, la religion, doit rester du domaine du privé. Parce que quand les gens se regroupent, cela aliène les autres.
Si vous aviez à écrire un rapport sur Maurice avant votre départ, qu’auriez-vous écrit ?
(Rires) Je l’ai déjà écrit ! J’ai écrit que Maurice a le potentiel d’être un pays vibrant, dynamique, innovateur et créatif mais qu’il a certains défis qu’il doit impérativement adresser. Ces défis, selon moi, sont que tous les Mauriciens ne sont pas en train de participer activement à l’économie générale. Le fait qu’il y a toujours de la pauvreté dans certains endroits est un problème et je pense que ce problème aurait dû déjà être traité de façon systématique. Il n’y a malheureusement pas de système mis en place pour régler ce problème. Maurice a, d’une certaine façon, les mêmes caractéristiques que l’Afrique du Sud. On voit, dans quelques quartiers, des situations qui sont clairement tiers-mondistes et pourtant 60 % du pays est presque first world, même ce qu’on appelle les régions rurales. Parce que si on n’adresse pas le problème maintenant, le cycle va continuer et ce n’est pas le problème du gouvernement uniquement. La société civile doit s’engager plus. Mais au-delà de ça, je pense qu’un des plus gros défis de Maurice sera de diminuer sa dépendance économique du sucre et diversifier ses secteurs d’activités.
«On voit, dans quelques quartiers,
des situations qui sont clairement
tiers-mondistes et pourtant 60 %
du pays est presque «first
world», même ce qu’on appelle
les régions rurales. Parce
que si on n’adresse
pas le problème maintenant,
le cycle va continuer et ce n’est
pas le problème du gouvernement
uniquement. La société civile
doit s’engager plus.»
Et quelle est la nature des intérêts de l’Afrique du Sud à Maurice ?
Les relations économiques entre nos deux pays ont débuté dans les années 80 mais nous avons établi des relations diplomatiques après 1994. Beaucoup de familles mauriciennes se sont établies en Afrique du Sud dans les années 60 et 70 et donc les liens sont très forts. Mais outre cela, il y a aussi de l’investissement réciproque entre nos deux pays. Nous étions aussi le principal pays d’importation pour Maurice mais avec la mondialisation, nous sommes maintenant à la quatrième place.
Nous avons aussi beaucoup en commun puisque notre population est culturellement et ethniquement diverse. Maurice est bien sûr la destination touristique préférée des Sud-Africains mais la bonne nouvelle est que Maurice n’est plus seulement connue comme une destination touristique maintenant puisque beaucoup de Sud-Africains investissement à Maurice ou y travaillent. Il y a aussi maintenant de plus en plus de Mauriciens qui épousent des Sud-Africains, donc les liens sont forts.
Et finalement, une indiscrétion : de quoi parlent les diplomates quand ils se rencontrent à Maurice?
(Rires) Du trafic, de la façon de conduire des Mauriciens ! Mais non ! Sérieusement, nous nous côtoyons brièvement au cours des réceptions mais nos intérêts à Maurice divergent donc il n’y a pas grand-chose à discuter.
Propos recueillis par Deepa BHOOKHUN
Source: l'express.mu
(M)
Comment est-ce qu’un diplomate gère un monde qui n’a rien à voir avec celui qui existait quand les relations diplomatiques entre pays ont été établies? Face au terrorisme, que fait un diplomate ?
Comment définit-on le terrorisme et qui est un terroriste ? Alors que nous luttions contre le colonialisme et l’apartheid, les gens nous appelaient des terroristes. Nelson Mandela lui-même était connu comme un terroriste. Il est d’ailleurs toujours défini comme tel par certains pays et il a toujours besoin d’un visa pour aller dans ces pays.
Quels pays ?
(Rires) Je préfère ne pas les nommer. Mais ce que les gens ont appelé terrorisme en ce qui nous concerne était à nos yeux une lutte pour la libération, une lutte tout à fait légitime. Aux yeux de certains, donc, l’Afrique du Sud a un gouvernement terroriste. Il y a toujours, dans le monde, des pays où il y a de l’oppression. Et dans ces pays-là, ces gens-là sont en train de lutter pour se libérer.
Et devenir des oppresseurs à leur tour ?
Pas nécessairement. Voyez ce qui se passe au Timor Est. Voyez ce qui se passe en Palestine. Pourquoi est-ce que les gens se tournent vers les armes dans leur quête de libération? C’est parce que les négociations n’ont pas abouti, parce que la diplomatie n’a pas marché.
Est-ce parce que les négociations n’étaient en fait qu’une façade ?
C’est probablement une des raisons. Ou bien qu’il y avait des pressions externes qui ont compliqué les choses.
Vous parlez des Etats-Unis ?
(Hésitations) Gardons la formule de «pressions externes»! Donc quand on dit qu’il y a des terroristes, que faisons-nous ? Sommes-nous en train de traiter les symptômes ou bien faut-il aller aux racines du problème ? Il y a eu des problèmes en Algérie. Pendant des années, il y a eu du terrorisme en Afrique mais personne n’a pris cela au sérieux.
Pourquoi, selon vous ?
Parce que c’était en Afrique. Quelle différence cela fait quand quelques Africains meurent ? Il a fallu que le terrorisme touche d’autres pays pour que ces pays puissants réagissent. En réagissant, on devient des extrémistes dans le sens où la réponse à ce problème est traduite en actes militaires, tueries, kidnapping de suspects – tout ce qui viole les droits humains des autres. Et pourtant, ces mêmes gens se mettent debout sur des piédestaux et châtient les autres qui ne respectent pas les droits humains. Il y a une politique de deux poids et deux mesures dans le monde qui ne facilite pas la tache des diplomates.
L’opinion internationale a été alarmée par l’élection de Jacob Zuma comme président de l’ANC. Vos impressions ?
Je ne sais pas si ces gens qui ont été alarmés sont des experts mais je crois qu’il y a eu beaucoup d’exagération dans cette affaire. Vous savez, quand on a crié au loup trop de fois, à un moment, plus personne ne vous entend. (Hésitations) Il n’y a rien de mal avec Jacob Zuma. Il y a des allégations de corruption contre lui. Jacob Zuma a nié ces allégations et a dit qu’il s’expliquerait en cour. Certaines personnes en Afrique du Sud pensent que le président Mbeki avait demandé à Zuma de se retirer comme vice-Président du pays, que cela voulait dire que Mbeki voulait couper court à la carrière politique de Zuma. Je pense que ce sont des spéculations.
Sur quoi vous basez-vous pour affirmer cela ?
Malgré le fait que Jacob Zuma s’est retiré comme vice-président, il est resté vice-président de l’ANC. La constitution de l’ANC, tout comme la Constitution du pays, dit que si vous êtes accusé, inculpé et trouvé coupable d’un délit et que vous devez servir une peine d’emprisonnement, vous ne pouvez pas continuer à tenir un poste politique au sein du parti et du pays. Jacob Zuma n’a pas encore été inculpé et trouvé coupable. Il y a eu une enquête qui a duré sept ans durant laquelle, périodiquement, la poursuite a annoncé qu’elle avait un dossier solide et qu’elle allait traduire Zuma en justice. On attend toujours. Mais au-delà de ça, il y a aussi eu une campagne des médias en Afrique du Sud où la presse a fait le procès de Zuma et l’a trouvé coupable alors que l’affaire n’est même pas en cour.
Maintenant quand des étrangers expriment des inquiétudes sur ce qui se passe en Afrique du Sud, je leur dis : «Regardez d’abord ce qui se passe chez vous et puis venez me poser des questions sur Jacob Zuma.» Sans mentionner des noms, vous n’avez qu’à regarder autour de vous et il y a tant de chefs d’Etat contre lesquels il y a eu des plus pires allégations que contre Zuma et pourtant ils ont été élus et sont restés au pouvoir. Donc pourquoi autant de bruit autour de l’élection de Zuma ? Est-ce parce que c’est l’Afrique ? Souvent quand il s’agit de choses qui se passent dans des pays puissants, les gens ferment les yeux mais quand c’est l’Afrique, cela devient scandaleux.
Le judiciaire en Afrique du Sud est-il indépendant ? Pensez-vous qu’il pourra y avoir un procès contre un président de l’ANC et peut-être président du pays ?
La National Prosecution Authority est tellement indépendante que des fois elle en fait trop parce qu’elle veut justement affirmer cette indépendance. Mais si l’affaire va en cour, cela va prendre des années. Après la question va se poser au niveau de l’ANC - si le président doit faire face à un procès, sera-t-il toujours le candidat de l’ANC aux prochaines élections présidentielles du pays ? Ce sera à eux de décider.
Vous avez raison, Jacob Zuma n’a même pas été inculpé. Mais sur le plan éthique, est-ce normal que le président de l’ANC soit confronté à des allégations de fraude ? Cela ne vous met pas mal à l’aise ?
Nous sommes tous innocents jusqu’à ce qu’une cour de justice décide de notre culpabilité.
Mais nous ne parlons pas de culpabilité, nous parlons d’éthique. L’éthique ne devrait-elle pas exister dans la politique ?
Bien sûr. Mais quand il y a des allégations qui n’ont pas été prouvées, est-ce une raison pour décrédibiliser une personne qui pourrait en fait être victime de mauvaises langues ? Quid de ses droits ? Laissons une cour de justice trancher.
Il y a aussi des appréhensions quant à l’élection éventuelle de Zuma à la tête du pays : l’Afrique du Sud pourrait reculer dans les progrès enregistrés. Ces craintes sont-elles justifiées ?
Je ne sais pas d’où viennent ces craintes puisque l’ANC n’est pas un one man show. Il y a toujours eu, à l’ANC, un leadership collectif. Ce leadership est légitimé par les nombreuses branches de l’ANC. C’est cela la démocratie. Il y avait deux candidats pour le poste de président de l’ANC. Malgré tout ce qui s’est dit, les membres de l’ANC ont pris la décision de voter Zuma. 4 000 délégués ont débattu et voté. Donc, si le reste du monde n’est pas satisfait de ce vote, cela veut-il dire que nous devons renverser la démocratie ? Est-ce que la démocratie n’est bonne que quand l’opinion internationale estime que le résultat est acceptable ? La démocratie ne veut-elle pas dire que nous devons accepter la décision de la majorité ? C’est exactement ce qui s’est passé aux élections de l’ANC. Zuma a toujours été un membre de l’exécutif de l’ANC qui est composé de 80 membres. L’exécutif se rencontre chaque mois et décide de la politique à adopter et donc la décision de l’ANC- et donc du gouvernement- ne va pas changer avec l’élection d’un nouveau président.
Mais il y a aussi la personnalité des leaders qui entrent en jeu…
Les gens disent que Zuma est proche des syndicalistes et qu’il y aura un changement dans la politique économique. Je ne le pense pas. L’économie marche et il y a peut-être un besoin de mettre plus d’accent sur le social puisque notre plus grand défi reste l’éradication de la pauvreté. La seule façon de faire cela est à travers la création d’emplois. Il y a beaucoup d’investissement en Afrique du sud mais le type d’investissement que l’on reçoit n’est pas nécessairement le type qui crée l’emploi pour la masse. Donc beaucoup de gens sentent qu’ils sont marginalisés parce qu’ils ne voient pas de progrès dans leur vie. Zuma pourrait effectivement affiner les choses dans ce sens mais cela ne veut pas dire qu’il va tout chambouler.
Zuma serait-il une menace aux minorités en Afrique du Sud ?
Pourquoi cette question ? De quelle minorité sommes-nous en train de parler ? Those people have baggage. Il faut se rappeler que ce ne sont pas tous les Sud-Africains qui ont lutté pour la libération. Il y a donc ceux qui, jusqu’aujourd’hui, ont leur propre opinion de la vie, des relations qui devraient exister entre les différentes races, de la culture. Certains d’entre eux malheureusement regrettent la vie de privilège qu’ils ont menée pour l’apartheid.
C’est toujours un problème ?
Pas pour la majorité des Sud-Africains. Vous savez, jusqu’à 1994, nous avons mis beaucoup d’accent sur la réconciliation. Mais pour se réconcilier, il faut être deux. On ne peut pas avoir une personne qui tend la main et l’autre qui se cache la main derrière le dos. Quelques Sud-Africains ne veulent toujours pas briser les barrières qui ont été construites durant l’apartheid. Et ce sont ces gens-là qui pensent toujours - sans que cela ne soit justifié - que tout le monde est contre eux.
«Quelle différence cela
fait quand quelques Africains
meurent ? Il a fallu que
le terrorisme touche
d’autres pays pour
que ces pays puissants
réagissent»
Donc la commission de vérité et de réconciliation n’a pas pansé les blessures de tout le monde ?
Je pense qu’il y a eu tellement de blessures et de douleur que les gens sont disposés à pardonner mais pas à oublier. On peut être disposé à pardonner à quelqu’un qui nous a fait du tort mais si cette personne maintient la même attitude, cela devient un peu difficile. La réconciliation va prendre beaucoup de temps. Il faut encore 20, 30, 40 ans pour qu’une nouvelle génération de Sud-Africains qui n’ont pas vécu l’apartheid, dont les parents pensent différemment, puisse émerger et ne pas avoir de bagage.
Maurice va aussi mettre sur pied une commission de justice et paix. Pensez-vous que cela va aider compte tenu de notre histoire et des circonstances ?
Je ne connais pas le mandat de la commission donc il serait difficile pour moi de donner une opinion. Mais dans toute société multiculturelle, il y a toujours des hostilités entre différents groupes. C’est important que les gens parlent de cela pour que chacun puisse comprendre le pourquoi des malentendus. Je pense qu’une telle commission peut vous aider à construire votre nation.
Elle n’existe pas, notre nation ?
Je pense qu’elle est là mais disons qu’elle est plus visible quand les gens ne sont pas à Maurice.
Vous le pensez vraiment ? Vous en avez fait l’expérience ?
A Maurice, les gens ont tendance à se catégoriser en petits groupes et c’est dommage. C’est ce qu’il faut changer, je pense. Quand on est Mauricien, on est Mauricien. La foi, la religion, doit rester du domaine du privé. Parce que quand les gens se regroupent, cela aliène les autres.
Si vous aviez à écrire un rapport sur Maurice avant votre départ, qu’auriez-vous écrit ?
(Rires) Je l’ai déjà écrit ! J’ai écrit que Maurice a le potentiel d’être un pays vibrant, dynamique, innovateur et créatif mais qu’il a certains défis qu’il doit impérativement adresser. Ces défis, selon moi, sont que tous les Mauriciens ne sont pas en train de participer activement à l’économie générale. Le fait qu’il y a toujours de la pauvreté dans certains endroits est un problème et je pense que ce problème aurait dû déjà être traité de façon systématique. Il n’y a malheureusement pas de système mis en place pour régler ce problème. Maurice a, d’une certaine façon, les mêmes caractéristiques que l’Afrique du Sud. On voit, dans quelques quartiers, des situations qui sont clairement tiers-mondistes et pourtant 60 % du pays est presque first world, même ce qu’on appelle les régions rurales. Parce que si on n’adresse pas le problème maintenant, le cycle va continuer et ce n’est pas le problème du gouvernement uniquement. La société civile doit s’engager plus. Mais au-delà de ça, je pense qu’un des plus gros défis de Maurice sera de diminuer sa dépendance économique du sucre et diversifier ses secteurs d’activités.
«On voit, dans quelques quartiers,
des situations qui sont clairement
tiers-mondistes et pourtant 60 %
du pays est presque «first
world», même ce qu’on appelle
les régions rurales. Parce
que si on n’adresse
pas le problème maintenant,
le cycle va continuer et ce n’est
pas le problème du gouvernement
uniquement. La société civile
doit s’engager plus.»
Et quelle est la nature des intérêts de l’Afrique du Sud à Maurice ?
Les relations économiques entre nos deux pays ont débuté dans les années 80 mais nous avons établi des relations diplomatiques après 1994. Beaucoup de familles mauriciennes se sont établies en Afrique du Sud dans les années 60 et 70 et donc les liens sont très forts. Mais outre cela, il y a aussi de l’investissement réciproque entre nos deux pays. Nous étions aussi le principal pays d’importation pour Maurice mais avec la mondialisation, nous sommes maintenant à la quatrième place.
Nous avons aussi beaucoup en commun puisque notre population est culturellement et ethniquement diverse. Maurice est bien sûr la destination touristique préférée des Sud-Africains mais la bonne nouvelle est que Maurice n’est plus seulement connue comme une destination touristique maintenant puisque beaucoup de Sud-Africains investissement à Maurice ou y travaillent. Il y a aussi maintenant de plus en plus de Mauriciens qui épousent des Sud-Africains, donc les liens sont forts.
Et finalement, une indiscrétion : de quoi parlent les diplomates quand ils se rencontrent à Maurice?
(Rires) Du trafic, de la façon de conduire des Mauriciens ! Mais non ! Sérieusement, nous nous côtoyons brièvement au cours des réceptions mais nos intérêts à Maurice divergent donc il n’y a pas grand-chose à discuter.
Propos recueillis par Deepa BHOOKHUN
Source: l'express.mu
(M)