Tentacules et Camorra version locale
Sept personnes arrêtées début mai dans le cadre d’une enquête préliminaire pour trafic présumé de drogue, suite à la découverte de 600 kg de cocaïne abandonnés sur le tarmac de l’aéroport de Nouadhibou, ont été déférées au parquet et écrouées à titre préventif par le juge d’instruction près le tribunal régional de la capitale économique. L’intitulé précis de l’acte d’accusation contre ces individus « trafic de drogue à grande échelle » infraction prévue et punie par les articles 44 à 48 de loi de juillet 2005 (relative au terrorisme, blanchissement d’argent et différents trafics).
Ce groupe est composé de 3 Mauritaniens 2 Français (connus des services de police dans leur pays) et d’un Marocain. Entendu dans le cadre de la même affaire au tout début de l’enquête préliminaire, Mohamed Lemine Ould Chibih Ould Cheikh Melaïnine, Président du FP, a été à nouveau auditionné lundi par le procureur de la République et laissé en liberté. À noter que son parti dénonce déjà «un acharnement» contre son leader. Les mauritaniens ont pour noms El Koyry Ould Haidallah (né en 1975 à Nouadhibou), Abdallahi Ould Mohamed né en 1975 à Boutilimitt), Nagi Ould Abdallahi (né en 1976 à Boutilimitt). Les marocains du groupe sont El Alaoui youssef El Adrami et Housein Abou Dirar. Sont également placés en détention préventive Abdy Ba houssein (un français manifestement d’origine africaine) né en 1973 à Paris et 2 belges. Quant à Sidi Mohamed Ould Haidallah (dont le véhicule a été retrouvé dans les environs de Innal avec des pneus crevés), il continue d’être activement recherché en même temps que quatre autres individus (2 mauritaniens et 2 européens: le pilote et le copilote du bimoteur). Les protagonistes de cette affaire ont été placés en détention préventive à la maison d’arrêt de Nouadhibou.
Cette «évolution» du dossier, qui entre maintenant dans une phase déterminante, a été précédée d’un véritable pavé dans la mare de l’enquête, avec la démission du directeur de la police judiciaire et de la sécurité publique, le commissaire Abdat Ould Senny. Un acte qui serait motivé par une décision de la cour suprême lui retirant le grade de commissaire divisionnaire. Une vieille affaire qui a refait surface dans un contexte bien particulier. Particularité en vertu de laquelle l’opinion pourrait ne pas se suffire de la première explication avancée. Ainsi, depuis l’annonce de cette nouvelle, on s’interroge sur un éventuel lien entre sa démission et la conduite de l’enquête menée à Nouadhibou. Le commissaire a-t-il réellement démissionné? A-t-il été débarqué? Pour quelles raisons? Après cette démission, l’intérim a été confié au directeur de la Sûreté d’État (poste qu’il a occupé juste après le putsch du 03 août 2005), Mohamed Abdallahi Ould Adda, un haut responsable de la police nationale qui a longtemps servi (pendant dix ans, jusqu’à sa nomination à la DST) en qualité DRS dans la grande métropole du nord. Simple coïncidence ou coup millimétré, lié à la conduite d’une une affaire qui passionne l’opinion nationale, et qui, dans le genre (trafic et autres), ne date certainement pas d’aujourd’hui? Difficile d’avoir une grille de lecture précise pour le moment.
Autour de cette affaire rode encore un chapelet d’interrogations dont les réponses futures aideront à éclairer la religion des mauritaniens par rapport à la question centrale et déterminante pour l’avenir du pays: notre territoire sert-il de point de transit au trafic international de drogue? Depuis combien de temps? Quels sont les individus qui animent la filière? Une affaire dans le traitement de laquelle il faudra éviter toute démarche laxiste, ou a minima, c'est-à-dire celle qui consisterait à circonscrire les sanctions aux boucs émissaires, lampistes et autres faire valoir. Surtout pas de protection blindée pour les gros poissons, car l’opinion ne comprendrait pas. Alors, à la justice de jouer sa partition dans le respect du principe de la présomption d’innocence et des droits de tous les protagonistes.
Écran de fumée
Parallèlement au feuilleton du transit de la drogue par la grande métropole du Nord, plusieurs rafles ont été effectuées au niveau des débits de boissons de Nouakchott et de Nouadhibou. Des opérations qui ont conduit à la saisie d’importantes quantités d’alcool et d’autres substances psychotropes. Une action parallèle dont l’opportunité par rapport au contexte semble douteuse. En plus du fait qu’elle ne peut apporter aucune avancée significative par rapport à l’enquête en cours à Nouadhibou, elle présente le risque de servir d’écran de fumée, en détournant les regards de l’opinion de la question de fond: à savoir retrouver les présumés responsables du transit de la drogue par le territoire national.
En plus, ces rafles semblent être à géométrie variable, dans la mesure où elles n’auraient pas touché les grands établissements hôteliers. En somme, l’Affaire de Nouadhibou étant infiniment plus grave que le délit de vente illicite d’alcool, il serait bon de la tirer au clair sans les effets de manche et autres actions plus spectaculaires qu’efficaces. L’opinion a un besoin vital d’être édifiée sur l’éventualité de l’existence d’un réseau assurant le transit de la substance mortelle par notre territoire. Quel serait alors l’organisation des éléments impliqués? À quand remonte l’existence d’une telle organisation? Si l’existence d’une telle structure est avérée, les ramifications n’iraient-elles pas bien au-delà de la personne de Sidi Mohamed Ould Haiddallah? N’a-t-elle pas des ramifications au-delà du territoire national avec des réseaux dans les pays voisins? Les bonnes réponses à ces questions sont de nature à éviter l’écueil de la politique contre productive du bouc émissaire. C’est là la voie suivant laquelle notre justice pourrait s’attaquer de manière objective et sereine au présumé trafic de drogue, pour mettre fin par la suite à toutes les autres activités criminelles (réseaux d’immigration clandestine, de revente de voitures volées, blanchiment d’argent, faux billets…), tolérées sous le règne de Ould Taya et qui ont mis l’État dans une situation de déliquescence avancée.
La bourde du directeur de l’orientation islamique
À côté de ces développements, on a noté dans la semaine une sortie du directeur de l’orientation islamique, Sidi Mohamed Ould Chewaf, qui a commis une véritable bourde en faisant remonter le début de la consommation de drogue en Mauritanie à l’année 1995. Ce haut responsable qui semble assez restrictif dans ses appréciations, a aussi tenu un discours fait d’amalgame entre la consommation de drogue, un délit et le trafic, un crime à l’échelle planétaire, au même titre que les activités terroristes qui exigent un effort de lutte coordonné supranational. Une déclaration qui n’est d’aucune utilité de nature à faire avancer le débat. Certes, la Mauritanie n’est pas un pays producteur, ni même un territoire consommateur à une échelle importante de drogue. Mais soutenir que ce phénomène n’est apparu ici qu’en 1995 parait imprudent de la part d’un directeur national. Par rapport à la question de fond, les propos d’Ould Chewaf étaient presque hors sujet. La condamnation de l’usage et de la commercialisation de la drogue par l’Islam, tous les mauritaniens en sont informés. Tout comme ils savent parfaitement que l’Islam condamne tous les autres trafics et détournements, pratiques qui ont eu pignon sur rue ici durant toutes «les belles» années de la non morale. C’est dire que le débat est ailleurs et qu’il importe de ne pas distraire les Mauritaniens avec la récitation de formules connues de tous. Abordant les conséquences de l’usage des substances psychotropes, le directeur de l’orientation islamique dira que celui-ci «nuit aux capacités mentales et physiques de l’individu, détruit sa réputation, sa fortune et ternit son image». Là, il a raison. Seule objection, les grands consommateurs de drogue ne sont pas forcément des gens fortunés. Pour toutes les raisons ainsi évoquées, il a indiqué que «la religion interdit catégoriquement l’usage, l’achat et la commercialisation de ce produit dangereux», appelant le peuple à se mobiliser pour lutter contre le phénomène «par devoir religieux». S’il avait développé à fond les arguments religieux sur la commercialisation du produit, il aurait plus été dans le bon tempo en collant au contexte et à l’actualité.
Réagissant à cette déclaration, un spécialiste des affaires pénales la juge de nature à installer «une confusion préjudiciable» entre le trafiquant de drogue, «qui est un criminel de grande envergure qui amasse des millions voire des milliards sur le malheur, la détresse et la faiblesse des autres», et «un consommateur dépendant, qui, même s’il commet un délit par l’absorption d’une substance interdite, reste d’abord et avant tout un malade qui doit être soigné». Birane Wane, universitaire, déclare que «la Mauritanie a l’inconvénient d’être exposée à une triple fragilité stratégique: 700 kilomètres de côtes ouvertes sur l’Europe et l’Amérique latine, donc incontrôlables. 2.600 kilomètres de bordure saharienne, véritable no man’s land où sévissent bandes de terroristes et criminels en tous genres. Et, troisième fragilité stratégique: la Mauritanie est encadrée par des pays producteurs de substances psychotropes». Il cite le voisinage (Maroc, Sénégal, Gambie, Guinée Bissau, Côte d’Ivoire) dans lequel est produit le haschich «et de puissantes ramifications qui permettent l’écoulement de toutes les autres formes de substances».
Sur le plan de la répression du trafic de drogue, «la guerre est perdue d’avance pour un pays comme la Mauritanie pour plusieurs raisons. Un État qui n’a même pas les moyens de financer son développement ne peut s’offrir les moyens (colossaux) de lutte contre le trafic. Notre économie informelle ne permet aucune traçabilité de la circulation des fonds et favorise facilement les opérations de blanchiment», selon Wane. Il souligne également l’insuffisance de la formation des forces de sécurité: gendarmerie, police, douane…En plus du manque d’outillage de ces forces, il évoque «la déliquescence de l’État qui autorise tous les trafics» et les nouvelles stratégies du trafic international. L’enquête n’aura pas les moyens d’arriver aux personnalités les plus importantes qui seraient mêlées au trafic, fait-il remarquer.
Haidallah senior dénonce la politique du bouc émissaire.
C’est dans un contexte complètement brouillé que l’ancien chef de l’État, Mohamed Khouna Ould Haiddallah, sort de sa réserve pour dire non à la tactique du bouc émissaire par laquelle l’enquête, et au-delà les autorités, désignent son fils, Sidi Mohamed, et le président du FP, comme personnages centraux de cette affaire. Cette réaction est enregistrée dans une lettre ouverte destinée au président de la République, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, rendue publique pendant le week-end. L’ancien chef de l’État «exprime son étonnement pour la publicité et la dramatisation» des éléments tendant à accréditer la thèse d’une activité qui serait découverte pour la première fois dans le pays. Il révèle sa désapprobation par rapport à la sortie devant la presse nationale et internationale du porte parole du gouvernement, la convocation et l’audition par la police «d’une grande personnalité politique de rang social connu et respectable» sous le seul prétexte de ses relations avec Sidi Mohamed Ould Haidallah. Il dénonce également «l’empressement» des autorités: police, douane, gendarmerie et justice «à saisir tout ce qui appartient de près ou de loin à Sidi Mohamed Ould Haidallah, avant même qu’il soit reconnu coupable, alors que par le passé, plusieurs citoyens dont parfois de grands fonctionnaires, ont été arrêtés et même jugés sans qu’on ne parle à aucun moment de leurs biens». Après le constat de cette politique de deux poids, deux mesures, Haidallah senior révèle que les mêmes autorités sont sur le point de saisir, à Nouakchott, une maison dont il a lui-même financé la construction dans le courant de l’année 2006. Il s’interroge alors sur les véritables motivations des enquêteurs. «Cherche-t-on par là à détourner l’attention de l’opinion sur les cas de plusieurs dizaines de trafiquants connus de tout le monde, qui continuent à circuler à bord de VX dans les rues de Nouakchott et Nouadhibou, sous le regard complice de l’administration? Sommes-nous en face d’une administration qui continue à utiliser la justice afin de régler des comptes politiques?».
Pour finir, l’ancien président du CMSN assène une conviction: « Monsieur le président, je tiens à signaler à la nouvelle administration que des quantités importantes de drogue ont été à plusieurs reprises saisies à Rosso, Nouakchott, Atar et Nouadhibou, et que notre société est devenue une société de consommation depuis plusieurs années». Tout en s’engageant à se désolidariser de son fils au cas où la culpabilité de ce dernier serait établie, Mohamed Khouna Ould Haiddallah fustige «l’allergie» de notre justice à l’évocation de certains noms de familles pour que «les mauritaniens soient traités de la même façon».
Amadou Seck
Source: le calame