Sur les raisons de ce qui s'est passé dimanche soir dans une mosquée de Teyarett, j'entends tout et n'importe quoi.
Passons sur l'indignation qui fleurit partout, dans les salons, dans la rue, sur la toile.
Sur cette dernière, c'est la course à l'échalote pour l'attribution du premier prix « d'islamité » : c'est à qui changera sa photo, sur Facebook par exemple, pour y mettre une photo du Coran.
Nous étions le pays au million de poètes ; nous sommes devenus le pays au million de « Croisés », de défenseurs indignés....
Chacun étant libre, n'est-ce pas, de ses méthodes d'indignations, laissons cela de côté...
Sur le « qui est derrière cet acte », c'est là que les choses deviennent, sinon amusantes, du moins quelques peu farfelues.
Tout le monde est indexé : « la communauté internationale islamophobe », « les ennemis de l'Islam », « la machination israélienne » (celle là ça faisait longtemps!), « les athées », « les chiens d'athées », etc...
En plus de nous réveiller citoyens du pays au million de défenseurs et d'avocats nous nous découvrons le pays au million de juges ET avocats. Pour faire court, la tendance majoritaire c'est, je cite « égorgeons les responsables », « pendons les », « décapitons les », « tuons les », etc etc...
Pour résumer, en mettant bout à bout tous ces mots, cela pourrait donner : « les chiens d'athées, envoyés par Israël, les islamophobes de la communauté internationale et par les ennemis de l'extérieur, salissent le Coran et doivent être exécutés. »
Je remercie Israël d'exister : sans lui nous ne pourrions alimenter notre paranoïa.
Je remercie aussi la communauté internationale pour son existence : sans elle nous ne pourrions accuser personne.
Et je remercie encore plus les « athées » : ils sont tellement pratiques qu'il faudrait quand même penser à leur rendre hommage : ils nous permettent toutes les âneries et toutes les contre-vérités...
Faut dire que nous ne faisons pas dans la demi mesure : on nous a tellement martelé que la laïcité c'est de l'athéisme que nous sommes fiers d'alimenter la confusion et d'être les porte-paroles des ultras religieux qui n'en demandaient pas tant au niveau audience et publicité.
Faisons un peu d'histoire : le concept de laïcité dans le monde arabe, 'ilmaniyya, est apparu au 19° siècle chez les penseurs de la Nahda (la Renaissance), en opposition au sultanat turc et pour établir un distingo entre pouvoir civil et pouvoir religieux. Pour ces penseurs, il fallait séparer la religion comme croyance privée et personnelle et pouvoir politique comme sphère publique ; la séparation du privé et du public...
Certains de nos compatriotes se réclament de cette notion de la laïcité ; cela ne fait pas d'eux des athées, quoiqu'en disent tous les « indignés » locaux... Dire le contraire est un mensonge éhonté et permet de livrer à la foule chauffée à blanc des innocents....
On peut être laïcs et être indignés par les attaques contre l'Islam.
L'athée, lui, ne reconnaît pas de Dieu immanent. La nuance est énorme.
Il est criminel, en ces temps troublés, de faire des amalgames de ce genre.
Mais c'est si commode pour nos zélotes défenseurs que je reconnais que sans ces poncifs leur combat pour nos valeurs perdrait de sa saveur.
Et si, dans tout ce qui se passe chez nous depuis quelques semaines, nous acceptions enfin de faire nos autocritiques, de nous regarder en face et de nous dire que nous sommes responsables des événements actuels ?
Depuis des années, nous avons laissé nos mosquées devenir des lieux de meetings politiques, nous avons laissé des prêcheurs raconter tout et n'importe quoi, nous avons regardé partir une partie de notre jeunesse vers les qatibas djihadistes, nous avons ignoré ou feint d'ignorer le travail de sape et de radicalisation mis en œuvre depuis des décennies par nos « meilleurs ennemis », à savoir les wahhabites ; nous avons accepté que des pays étrangers construisent des mosquées dans certains quartiers, comme si nous n'avions pas nos mosquées et que nous étions des musulmans en devenir ; nous avons applaudi quand, de l'étranger, des dons sous forme de Corans nous parvenaient, comme si, là aussi, nous étions à islamiser et que nous n'étions pas considérés, dans le monde musulman, comme terre d'érudits et de savants....
Nous avons regardé, depuis quelques semaines, être brandis dans les manifestations demandant la tête d'Ould Mkhaytir, les drapeaux noirs d'Al Qaida sans que cela ne nous émeuve et ne nous interpelle.
Nous avons érigé de simples érudits en icônes politico-religieuses à adorer...
Nous avons laissé faire et regarder, comme des étrangers, toutes ces femmes mauritaniennes qui, un jour, ont envahi nos rues couvertes du niqab, comme si nos mères et nos grands mères, non voilées entièrement, n'étaient pas de bonnes musulmanes. Nous avons vu arriver la mode du hijab, des gants, des chaussettes, tout cela reléguant nos habits féminins traditionnels au rang de quasi péchés.
Nous avons feint d'oublier que ce fut bien un jeune garçon de chez nous, un mauritanien, pas un étranger, qui a choisi une mort atroce en allant se faire exploser devant l'ambassade de France.
Pendant des décennies, nous avons choisi la politique de la fuite et de l'aveuglement refusant de dire les choses qui fâchent, comme, par exemple, l'absurdité de la légitimation religieuse faite par certains de nos oulémas, de pratiques anti islamiques, comme l'excision, le mariage forcé, l'esclavage, le mariage précoce.... tout en sachant le poids des érudits chez nous...
Nos gouvernants, quel qu’ils soient, ont tenté de ménager la chèvre et le chou : emprisonner et condamner des salafistes, en libérer d'autres, favoriser les radios et télévisions religieuses, grand écart permanent entre lutte anti terroriste, sécuritaire et populisme.
Aujourd'hui nous payons les pots cassés : la manipulation grossière que sent le geste absurde et indigne de la mosquée de Teyarett relève de la théorie du chaos chère aux radicaux et déjà testée dans le monde arabe.
Tout le monde s'indigne et se demande « pourquoi, comment »... Comme si nous pensions pourvoir nous tenir à l'écart du reste du monde.... Après le Maghreb, après le monde arabe, après les tentatives de déstabilisation du Mali, du Nigeria, etc., nous voilà à notre tour plongés dans la tourmente... Même modus operandi, mêmes violences, mêmes fanatismes....
Une guerre sourde, profonde, dégueulasse, qui prend en otage des indignations légitimes et qui s'apparente à des tentatives de faire tomber le pouvoir....
Pour lutter contre tout cela il aurait fallu des politiques forts, capables de gestes encore plus forts. Nous n'avons eu droit qu'à du populisme primaire, aussi bien de la part du chef de l'Etat que des partis dits d'opposition.
La lâcheté et le manque de courage ne fabriquent pas un avenir : ils déconstruisent un présent.
Aujourd'hui ce sont les ultras qui occupent la rue, terrorisant les enfants des écoles, saccageant, affrontant les forces de l'ordre, distillant la peur, ayant entamé un bras de fer avec le pouvoir.
Les luttes internes aux mouvements politiques religieux débordent sur la société et le politique.
Ould Mkhaytir n'était qu'un prétexte ; l'affaire de Teyarett est un moyen.
Salut
Mariem mint DERWICH
Source: Le Calame
Passons sur l'indignation qui fleurit partout, dans les salons, dans la rue, sur la toile.
Sur cette dernière, c'est la course à l'échalote pour l'attribution du premier prix « d'islamité » : c'est à qui changera sa photo, sur Facebook par exemple, pour y mettre une photo du Coran.
Nous étions le pays au million de poètes ; nous sommes devenus le pays au million de « Croisés », de défenseurs indignés....
Chacun étant libre, n'est-ce pas, de ses méthodes d'indignations, laissons cela de côté...
Sur le « qui est derrière cet acte », c'est là que les choses deviennent, sinon amusantes, du moins quelques peu farfelues.
Tout le monde est indexé : « la communauté internationale islamophobe », « les ennemis de l'Islam », « la machination israélienne » (celle là ça faisait longtemps!), « les athées », « les chiens d'athées », etc...
En plus de nous réveiller citoyens du pays au million de défenseurs et d'avocats nous nous découvrons le pays au million de juges ET avocats. Pour faire court, la tendance majoritaire c'est, je cite « égorgeons les responsables », « pendons les », « décapitons les », « tuons les », etc etc...
Pour résumer, en mettant bout à bout tous ces mots, cela pourrait donner : « les chiens d'athées, envoyés par Israël, les islamophobes de la communauté internationale et par les ennemis de l'extérieur, salissent le Coran et doivent être exécutés. »
Je remercie Israël d'exister : sans lui nous ne pourrions alimenter notre paranoïa.
Je remercie aussi la communauté internationale pour son existence : sans elle nous ne pourrions accuser personne.
Et je remercie encore plus les « athées » : ils sont tellement pratiques qu'il faudrait quand même penser à leur rendre hommage : ils nous permettent toutes les âneries et toutes les contre-vérités...
Faut dire que nous ne faisons pas dans la demi mesure : on nous a tellement martelé que la laïcité c'est de l'athéisme que nous sommes fiers d'alimenter la confusion et d'être les porte-paroles des ultras religieux qui n'en demandaient pas tant au niveau audience et publicité.
Faisons un peu d'histoire : le concept de laïcité dans le monde arabe, 'ilmaniyya, est apparu au 19° siècle chez les penseurs de la Nahda (la Renaissance), en opposition au sultanat turc et pour établir un distingo entre pouvoir civil et pouvoir religieux. Pour ces penseurs, il fallait séparer la religion comme croyance privée et personnelle et pouvoir politique comme sphère publique ; la séparation du privé et du public...
Certains de nos compatriotes se réclament de cette notion de la laïcité ; cela ne fait pas d'eux des athées, quoiqu'en disent tous les « indignés » locaux... Dire le contraire est un mensonge éhonté et permet de livrer à la foule chauffée à blanc des innocents....
On peut être laïcs et être indignés par les attaques contre l'Islam.
L'athée, lui, ne reconnaît pas de Dieu immanent. La nuance est énorme.
Il est criminel, en ces temps troublés, de faire des amalgames de ce genre.
Mais c'est si commode pour nos zélotes défenseurs que je reconnais que sans ces poncifs leur combat pour nos valeurs perdrait de sa saveur.
Et si, dans tout ce qui se passe chez nous depuis quelques semaines, nous acceptions enfin de faire nos autocritiques, de nous regarder en face et de nous dire que nous sommes responsables des événements actuels ?
Depuis des années, nous avons laissé nos mosquées devenir des lieux de meetings politiques, nous avons laissé des prêcheurs raconter tout et n'importe quoi, nous avons regardé partir une partie de notre jeunesse vers les qatibas djihadistes, nous avons ignoré ou feint d'ignorer le travail de sape et de radicalisation mis en œuvre depuis des décennies par nos « meilleurs ennemis », à savoir les wahhabites ; nous avons accepté que des pays étrangers construisent des mosquées dans certains quartiers, comme si nous n'avions pas nos mosquées et que nous étions des musulmans en devenir ; nous avons applaudi quand, de l'étranger, des dons sous forme de Corans nous parvenaient, comme si, là aussi, nous étions à islamiser et que nous n'étions pas considérés, dans le monde musulman, comme terre d'érudits et de savants....
Nous avons regardé, depuis quelques semaines, être brandis dans les manifestations demandant la tête d'Ould Mkhaytir, les drapeaux noirs d'Al Qaida sans que cela ne nous émeuve et ne nous interpelle.
Nous avons érigé de simples érudits en icônes politico-religieuses à adorer...
Nous avons laissé faire et regarder, comme des étrangers, toutes ces femmes mauritaniennes qui, un jour, ont envahi nos rues couvertes du niqab, comme si nos mères et nos grands mères, non voilées entièrement, n'étaient pas de bonnes musulmanes. Nous avons vu arriver la mode du hijab, des gants, des chaussettes, tout cela reléguant nos habits féminins traditionnels au rang de quasi péchés.
Nous avons feint d'oublier que ce fut bien un jeune garçon de chez nous, un mauritanien, pas un étranger, qui a choisi une mort atroce en allant se faire exploser devant l'ambassade de France.
Pendant des décennies, nous avons choisi la politique de la fuite et de l'aveuglement refusant de dire les choses qui fâchent, comme, par exemple, l'absurdité de la légitimation religieuse faite par certains de nos oulémas, de pratiques anti islamiques, comme l'excision, le mariage forcé, l'esclavage, le mariage précoce.... tout en sachant le poids des érudits chez nous...
Nos gouvernants, quel qu’ils soient, ont tenté de ménager la chèvre et le chou : emprisonner et condamner des salafistes, en libérer d'autres, favoriser les radios et télévisions religieuses, grand écart permanent entre lutte anti terroriste, sécuritaire et populisme.
Aujourd'hui nous payons les pots cassés : la manipulation grossière que sent le geste absurde et indigne de la mosquée de Teyarett relève de la théorie du chaos chère aux radicaux et déjà testée dans le monde arabe.
Tout le monde s'indigne et se demande « pourquoi, comment »... Comme si nous pensions pourvoir nous tenir à l'écart du reste du monde.... Après le Maghreb, après le monde arabe, après les tentatives de déstabilisation du Mali, du Nigeria, etc., nous voilà à notre tour plongés dans la tourmente... Même modus operandi, mêmes violences, mêmes fanatismes....
Une guerre sourde, profonde, dégueulasse, qui prend en otage des indignations légitimes et qui s'apparente à des tentatives de faire tomber le pouvoir....
Pour lutter contre tout cela il aurait fallu des politiques forts, capables de gestes encore plus forts. Nous n'avons eu droit qu'à du populisme primaire, aussi bien de la part du chef de l'Etat que des partis dits d'opposition.
La lâcheté et le manque de courage ne fabriquent pas un avenir : ils déconstruisent un présent.
Aujourd'hui ce sont les ultras qui occupent la rue, terrorisant les enfants des écoles, saccageant, affrontant les forces de l'ordre, distillant la peur, ayant entamé un bras de fer avec le pouvoir.
Les luttes internes aux mouvements politiques religieux débordent sur la société et le politique.
Ould Mkhaytir n'était qu'un prétexte ; l'affaire de Teyarett est un moyen.
Salut
Mariem mint DERWICH
Source: Le Calame