Je suis toujours ébahie par les Nous Z 'Autres. Vous direz, en utilisant votre légendaire sens de l'humour, qu'être encore étonnée, passé un âge certain et un certain âge – ce n'est pas la même chose – relève du miracle et que je devrais remercier mon cerveau d'être encore en état de marche. Et vous aurez raison.
N'empêche... A la lecture, fort studieuse, des dépêches de notre royalissime AMI, il m'arrive de me demander si quelque chose a changé sous la Rectification, Palmiers et Compagnie.
Les présidents passent, les mentalités restent. Biram touche l'Islam et voilà la machine à tirer dans tous les sens qui s'ébranle. Pas un coin de notre république dattière qui ne «marche», «manifeste», «proteste», «s'indigne». Le plus petit patelin paumé se découvre une âme de manifestant. Beaucoup de Nous Z'Autres redécouvrent la géographie de notre Sultanat. Au moins un point positif.
Et ça manifeste, en long, en large, en diagonale, en rond, en carré, en triangle, en zigzag, en statique, en lévitations, variées, d'indignation vertueuse... Toutes les Mauritanies réconciliées...
Et comme, apparemment, ces Mauritanies-là, pour une fois réconciliées, ne suffisent pas, les mauritaniens de l'étranger s'y sont mis aussi: ceux de Gambie, du Niger, du Sénégal, etc. Comme au bon temps de la Tayie pas encore «rectifiée», pluie de communiqués chantants, et par-delà les indignations vertueuses, la gloire de notre Roi, lui assurant soutien, admiration sans borne, barbe à papa et confettis.C'est le grand cirque de la dévotion, du léchage de babouches et de la flagornerie.
Pas un parti, non plus, qu'il compte des milliers d'adhérents ou deux personnes, pas une ONG, pas une association, pas une amicale, pas un regroupement, pas une tribu, pas un couple d'amis, pas un couple tout court...qui n'ait échappé à la «communiqué-attitude»: et vas-y que je te dénonce, que je t'invective, que je réclame du sang, que je devienne le défenseur de la Foi, de l'Orphelin et de la Veuve. Un vrai FOV. Nos oulémas et nos cheikhs de mahadra se retrouvent sur les canapés de la République. Quand ils ne provoquent pas des colloques, sur la bonne manière de penser notre rite malékite. C'est à qui va crier et s'indigner le plus fort, le plus rapidement possible. Qui brillera le plus dans la réthorique, essayant de sauter le plus haut, histoire d'attirer les regards de notre Sultan.
La foule crève de la crise; la foule a faim; la foule veut du sang... Du pain et des jeux: histoire romaine, vieille comme les... indignations.
Je me demande comment la TVM n'a pas encore pensé à produire une émission de télé-realité sur le thème de «l'indignation anti-Biram», avec loft, citoyennes et citoyens enfermés (séparés, Grand Dieu ! Nous sommes musulmans..), des caméras partout et des concours de diatribes et de larmes d'indignés. Il y aurait un comptage des larmes de ces indigné(e)s-là. Et aussi, un comptage des plus beaux discours de colère. Sans oublier un comptage des plus beaux «nous renouvelons notre soutien au chef de l'Etat, notre présidentialissime généralissime, rectificatissime Père de tous les oulémas, grand savant du fiqh, justicier et Petit Père de la Nation....». En cadeau: une place, au premier rang, pour assister à l'exécution de «l'apostat», avec petits fours et tout le tremblement.
Bien sûr, seraient occultées les questions pas essentielles du tout : interdiction de parler de l'esclavage; interdiction de parler du fossé entre communautés; interdiction de parler de 1989; interdictions de parler du BASEP; interdiction de parler de justice ; interdiction de parler de «printemps»; interdiction de parler de mémoire, de réconciliation, d'enrôlement; interdiction de parler de racisme, de rejet, d'ostracisme; interdiction de parler de désespoir ; interdiction de...etc., etc. Ce serait une perte de temps de parler de tout ce fatras, non?
Et pourquoi faire, d'ailleurs? Rappeler que nous sommes une société hypocrite, girouette, souvent inculte?
Rappeler que tout va mal chez nous? Rappeler que le rêve des Indépendances a, depuis longtemps, coulé?
Rappeler qu'une partie de nos concitoyens se sent en marge de notre République? Rappeler que se prosterner cinq fois par jour et être «bon» musulman n'empêche pas, chez nous, le système de castes, de noblesse, de tribus, de servitude inscrite au fer rouge symbolique du bien-pensant? Rappeler que, toujours chez nous, on se marie entre soi, entre gens de même naissance, de même couleur, de même caste? Rappeler le mépris? Rappeler le rejet, certes poli, des mariages inter communautaires? Rappeler que, chez nous, il y a toujours les nobles et les autres? Rappeler que des milliers de haratines crèvent dans les adwabas, loin des regards de notre opulente capitale, agonisant dans les silences assourdissants de nos oulémas? Rappeler que des milliers de haratines continuent à vivre dans l'apartheid mental de leurs anciens maîtres, réduits, pour l'éternité, à une servilité pseudo-originelle, «tâche» qui fera d'eux, toujours des moins qu'humains, ceux à qui les anciens maîtres n'accorderont, jamais, la main de leurs filles, par exemple? Ah, la prééminence de la piété, messieurs les oulémas… Rappeler qu'en nos terres d'islam et d'indignations, un znagui restera un znagui, un hartani un hartani, un griot un griot, un forgeron un forgeron? Rappeler que, dans notre République Islamique, des hommes, dans toutes les communautés, ont asservi d'autres hommes, tout en se prosternant cinq fois par jour?
Mon Dieu, tant de questions ineptes et peu importantes!
Faites comme si je n'avais rien écrit. Il y a des priorités plus prioritaires que d'autres, hein? Alors, indignons-nous, en chœur et en rond. Vive les Indignés Ambianceurs!
Salut
Mariem mint DERWICH
Source: Kassataya
N'empêche... A la lecture, fort studieuse, des dépêches de notre royalissime AMI, il m'arrive de me demander si quelque chose a changé sous la Rectification, Palmiers et Compagnie.
Les présidents passent, les mentalités restent. Biram touche l'Islam et voilà la machine à tirer dans tous les sens qui s'ébranle. Pas un coin de notre république dattière qui ne «marche», «manifeste», «proteste», «s'indigne». Le plus petit patelin paumé se découvre une âme de manifestant. Beaucoup de Nous Z'Autres redécouvrent la géographie de notre Sultanat. Au moins un point positif.
Et ça manifeste, en long, en large, en diagonale, en rond, en carré, en triangle, en zigzag, en statique, en lévitations, variées, d'indignation vertueuse... Toutes les Mauritanies réconciliées...
Et comme, apparemment, ces Mauritanies-là, pour une fois réconciliées, ne suffisent pas, les mauritaniens de l'étranger s'y sont mis aussi: ceux de Gambie, du Niger, du Sénégal, etc. Comme au bon temps de la Tayie pas encore «rectifiée», pluie de communiqués chantants, et par-delà les indignations vertueuses, la gloire de notre Roi, lui assurant soutien, admiration sans borne, barbe à papa et confettis.C'est le grand cirque de la dévotion, du léchage de babouches et de la flagornerie.
Pas un parti, non plus, qu'il compte des milliers d'adhérents ou deux personnes, pas une ONG, pas une association, pas une amicale, pas un regroupement, pas une tribu, pas un couple d'amis, pas un couple tout court...qui n'ait échappé à la «communiqué-attitude»: et vas-y que je te dénonce, que je t'invective, que je réclame du sang, que je devienne le défenseur de la Foi, de l'Orphelin et de la Veuve. Un vrai FOV. Nos oulémas et nos cheikhs de mahadra se retrouvent sur les canapés de la République. Quand ils ne provoquent pas des colloques, sur la bonne manière de penser notre rite malékite. C'est à qui va crier et s'indigner le plus fort, le plus rapidement possible. Qui brillera le plus dans la réthorique, essayant de sauter le plus haut, histoire d'attirer les regards de notre Sultan.
La foule crève de la crise; la foule a faim; la foule veut du sang... Du pain et des jeux: histoire romaine, vieille comme les... indignations.
Je me demande comment la TVM n'a pas encore pensé à produire une émission de télé-realité sur le thème de «l'indignation anti-Biram», avec loft, citoyennes et citoyens enfermés (séparés, Grand Dieu ! Nous sommes musulmans..), des caméras partout et des concours de diatribes et de larmes d'indignés. Il y aurait un comptage des larmes de ces indigné(e)s-là. Et aussi, un comptage des plus beaux discours de colère. Sans oublier un comptage des plus beaux «nous renouvelons notre soutien au chef de l'Etat, notre présidentialissime généralissime, rectificatissime Père de tous les oulémas, grand savant du fiqh, justicier et Petit Père de la Nation....». En cadeau: une place, au premier rang, pour assister à l'exécution de «l'apostat», avec petits fours et tout le tremblement.
Bien sûr, seraient occultées les questions pas essentielles du tout : interdiction de parler de l'esclavage; interdiction de parler du fossé entre communautés; interdiction de parler de 1989; interdictions de parler du BASEP; interdiction de parler de justice ; interdiction de parler de «printemps»; interdiction de parler de mémoire, de réconciliation, d'enrôlement; interdiction de parler de racisme, de rejet, d'ostracisme; interdiction de parler de désespoir ; interdiction de...etc., etc. Ce serait une perte de temps de parler de tout ce fatras, non?
Et pourquoi faire, d'ailleurs? Rappeler que nous sommes une société hypocrite, girouette, souvent inculte?
Rappeler que tout va mal chez nous? Rappeler que le rêve des Indépendances a, depuis longtemps, coulé?
Rappeler qu'une partie de nos concitoyens se sent en marge de notre République? Rappeler que se prosterner cinq fois par jour et être «bon» musulman n'empêche pas, chez nous, le système de castes, de noblesse, de tribus, de servitude inscrite au fer rouge symbolique du bien-pensant? Rappeler que, toujours chez nous, on se marie entre soi, entre gens de même naissance, de même couleur, de même caste? Rappeler le mépris? Rappeler le rejet, certes poli, des mariages inter communautaires? Rappeler que, chez nous, il y a toujours les nobles et les autres? Rappeler que des milliers de haratines crèvent dans les adwabas, loin des regards de notre opulente capitale, agonisant dans les silences assourdissants de nos oulémas? Rappeler que des milliers de haratines continuent à vivre dans l'apartheid mental de leurs anciens maîtres, réduits, pour l'éternité, à une servilité pseudo-originelle, «tâche» qui fera d'eux, toujours des moins qu'humains, ceux à qui les anciens maîtres n'accorderont, jamais, la main de leurs filles, par exemple? Ah, la prééminence de la piété, messieurs les oulémas… Rappeler qu'en nos terres d'islam et d'indignations, un znagui restera un znagui, un hartani un hartani, un griot un griot, un forgeron un forgeron? Rappeler que, dans notre République Islamique, des hommes, dans toutes les communautés, ont asservi d'autres hommes, tout en se prosternant cinq fois par jour?
Mon Dieu, tant de questions ineptes et peu importantes!
Faites comme si je n'avais rien écrit. Il y a des priorités plus prioritaires que d'autres, hein? Alors, indignons-nous, en chœur et en rond. Vive les Indignés Ambianceurs!
Salut
Mariem mint DERWICH
Source: Kassataya