Des personnes font la queue, le 30 mai 2006 devant la préfecture de Bobigny, dans l'espoir d'être reçues au service des étrangers.
Sur la photo, Diarry et Mariam, 9 ans et 11 ans, posent fièrement en boubou de fête. Elles tiennent en souriant un téléphone portable à la main. "Pour nous, le téléphone, c'est vital, soupire Fatimata Lam. Quand j'ai laissé mes enfants derrière moi, Diarry avait 1 an, Mariam 3 et Kalidou 11. Cela fait huit ans et je ne les ai jamais revus. Aujourd'hui, tout ce que l'on peut faire, c'est s'envoyer des photos par la Poste et se parler de temps en temps au téléphone. J'essaye de leur dire qu'ils viendront un jour en France, qu'il faut être patient, mais c'est très dur. Cela fait des années que je n'ai plus que leur voix."
Une nuit de 1999, Fatimata Lam, qui militait dans un parti d'opposition mauritanien, a quitté le village de Touldé pour s'embarquer clandestinement sur un bateau de pêche qui a accosté quinze jours plus tard à Marseille. Elle a obtenu en 2002 le statut de réfugié politique, elle a trouvé un emploi de caissière dans un grand magasin de la région parisienne, mais elle a perdu une partie de sa famille dans l'aventure : son mari et l'un de ses fils aînés ont pu la rejoindre dans le cadre du regroupement familial, mais Mariam, Diarry et Kalidou n'ont jamais obtenu leur visa.
Pour les réfugiés politiques, la procédure est pourtant simplifiée : contrairement aux autres immigrés, ils n'ont nul besoin, lors des rapprochements familiaux, de justifier d'un niveau minimum de ressources ou de mètres carrés.
"Certains visas sont pourtant bloqués pendant des années à cause des problèmes d'état civil, souligne Soulé N'Gaidé, qui a suivi le dossier de Mme Lam en tant qu'assistant juridique au Centre international de la Cimade, à Massy (Essonne). En Mauritanie, on peut travailler, se marier, avoir des enfants ou se faire enterrer sans jamais présenter un document administratif. L'état civil est très approximatif."
En 2005, la demande de rapprochement familial de Fatimata Lam a été acceptée pour son mari et l'un de ses fils, mais les autres visas ont été refusés : le consulat de France en Mauritanie précise dans un courrier que la copie d'acte de naissance de Mariam est "apocryphe".
Il affirme en outre ne pas avoir retrouvé l'acte de naissance de Diarry dans les registres et déclare que la fiche de recensement de Kalidou n'a pas été présentée.
"Quand on nous l'a annoncé, je n'arrivais pas à y croire, raconte Mme Lam. Je ne voyais pas comment expliquer à mes enfants que certains pouvaient venir me rejoindre en France et d'autres non."
DEUX ANS SANS RÉPONSE
Pendant des mois, Fatimata Lam et son mari hésitent à accepter ce rapprochement partiel mais, de peur de tout perdre, ils décident de déposer un recours et de prendre, en attendant, les deux visas.
"Ça a été très dur, raconte Mamadou Lam. J'ai été obligé de dire aux petits que l'on partait devant, qu'ils viendraient bientôt, qu'on leur enverrait leur billet dès qu'on pourrait. Je les ai confiés à leur grand-mère, la mère de Fatimata, à Touldé, et on est partis. On avait fourni les pièces manquantes, on avait fait le recours, on pensait qu'ils nous rejoindraient vite. Ça fait deux ans."
Dans leur recours, Mamadou et Fatimata Lam ont fourni l'attestation de recensement de Kalidou et les numéros d'acte de naissance de Mariam et Diarry. Ils ont également transmis une attestation du maire de la commune de Boghé, datée du 7 novembre 2005 : dans cette lettre, Adama Moussa Ba confirme les numéros des actes de naissance, et affirme qu'ils sont "disponibles au fichier central de l'état civil mauritanien". L'édile ajoute que les documents fournis par la famille Lam sont "authentiques aux yeux de [son] administration".
Deux ans ont passé. Les Lam n'ont jamais reçu de réponse. Les travailleurs sociaux de la Cimade ont écrit à plusieurs reprises à la Commission des recours contre les décisions de refus de visa, à Nantes, mais l'administration répond invariablement que le dossier est en cours d'instruction.
"Nous ne pouvons pas les joindre par téléphone car ils ne donnent que leur adresse et nous ne connaissons pas le nom de la personne qui suit cette demande, regrette M. N'Gaidé. Parfois, on a l'impression que le dossier a été oublié quelque part et que personne ne s'en occupe plus."
Aujourd'hui, Kalidou, qui est presque majeur, est parti pour Nouakchott. Mais Mariam et Diarry vivent toujours avec leur grand-mère à Touldé. "C'est absurde, soupire Mme Lam. Je ne peux pas revenir en Mauritanie parce que je suis sous protection française, mais la France refuse que mes filles me rejoignent. La nuit, je me réveille, je pense à elles et je ne peux plus me rendormir."
Difficile, dans ces conditions, de s'insérer durablement en France. "Comment trouver un logement ou un travail lorsque la demande de rapprochement familial traîne bien que les parents aient fourni tous les éléments en leur possession ?", demande le directeur du centre provisoire d'hébergement de la Cimade de Massy, Christophe Piedra.
Fatimata et Mamadou Lam voient désormais Mariam et Diarry grandir sur les photos. "Quand je les ai au téléphone, elles me rappellent qu'en partant pour la France, j'avais promis de leur envoyer leurs billets d'avion, raconte M. Lam, qui est agent de sécurité dans la région parisienne. Je leur explique que le dossier est en cours, qu'il faut attendre, mais elles ne comprennent pas pourquoi ça dure si longtemps, et moi non plus d'ailleurs. La famille est tout éparpillée. Quand j'étais là-bas, je pouvais leur chanter qu'on allait rejoindre un jour leur maman, mais aujourd'hui, qui va leur chanter qu'elles viendront un jour ?"
Source: LeMonde
(M)
Une nuit de 1999, Fatimata Lam, qui militait dans un parti d'opposition mauritanien, a quitté le village de Touldé pour s'embarquer clandestinement sur un bateau de pêche qui a accosté quinze jours plus tard à Marseille. Elle a obtenu en 2002 le statut de réfugié politique, elle a trouvé un emploi de caissière dans un grand magasin de la région parisienne, mais elle a perdu une partie de sa famille dans l'aventure : son mari et l'un de ses fils aînés ont pu la rejoindre dans le cadre du regroupement familial, mais Mariam, Diarry et Kalidou n'ont jamais obtenu leur visa.
Pour les réfugiés politiques, la procédure est pourtant simplifiée : contrairement aux autres immigrés, ils n'ont nul besoin, lors des rapprochements familiaux, de justifier d'un niveau minimum de ressources ou de mètres carrés.
"Certains visas sont pourtant bloqués pendant des années à cause des problèmes d'état civil, souligne Soulé N'Gaidé, qui a suivi le dossier de Mme Lam en tant qu'assistant juridique au Centre international de la Cimade, à Massy (Essonne). En Mauritanie, on peut travailler, se marier, avoir des enfants ou se faire enterrer sans jamais présenter un document administratif. L'état civil est très approximatif."
En 2005, la demande de rapprochement familial de Fatimata Lam a été acceptée pour son mari et l'un de ses fils, mais les autres visas ont été refusés : le consulat de France en Mauritanie précise dans un courrier que la copie d'acte de naissance de Mariam est "apocryphe".
Il affirme en outre ne pas avoir retrouvé l'acte de naissance de Diarry dans les registres et déclare que la fiche de recensement de Kalidou n'a pas été présentée.
"Quand on nous l'a annoncé, je n'arrivais pas à y croire, raconte Mme Lam. Je ne voyais pas comment expliquer à mes enfants que certains pouvaient venir me rejoindre en France et d'autres non."
DEUX ANS SANS RÉPONSE
Pendant des mois, Fatimata Lam et son mari hésitent à accepter ce rapprochement partiel mais, de peur de tout perdre, ils décident de déposer un recours et de prendre, en attendant, les deux visas.
"Ça a été très dur, raconte Mamadou Lam. J'ai été obligé de dire aux petits que l'on partait devant, qu'ils viendraient bientôt, qu'on leur enverrait leur billet dès qu'on pourrait. Je les ai confiés à leur grand-mère, la mère de Fatimata, à Touldé, et on est partis. On avait fourni les pièces manquantes, on avait fait le recours, on pensait qu'ils nous rejoindraient vite. Ça fait deux ans."
Dans leur recours, Mamadou et Fatimata Lam ont fourni l'attestation de recensement de Kalidou et les numéros d'acte de naissance de Mariam et Diarry. Ils ont également transmis une attestation du maire de la commune de Boghé, datée du 7 novembre 2005 : dans cette lettre, Adama Moussa Ba confirme les numéros des actes de naissance, et affirme qu'ils sont "disponibles au fichier central de l'état civil mauritanien". L'édile ajoute que les documents fournis par la famille Lam sont "authentiques aux yeux de [son] administration".
Deux ans ont passé. Les Lam n'ont jamais reçu de réponse. Les travailleurs sociaux de la Cimade ont écrit à plusieurs reprises à la Commission des recours contre les décisions de refus de visa, à Nantes, mais l'administration répond invariablement que le dossier est en cours d'instruction.
"Nous ne pouvons pas les joindre par téléphone car ils ne donnent que leur adresse et nous ne connaissons pas le nom de la personne qui suit cette demande, regrette M. N'Gaidé. Parfois, on a l'impression que le dossier a été oublié quelque part et que personne ne s'en occupe plus."
Aujourd'hui, Kalidou, qui est presque majeur, est parti pour Nouakchott. Mais Mariam et Diarry vivent toujours avec leur grand-mère à Touldé. "C'est absurde, soupire Mme Lam. Je ne peux pas revenir en Mauritanie parce que je suis sous protection française, mais la France refuse que mes filles me rejoignent. La nuit, je me réveille, je pense à elles et je ne peux plus me rendormir."
Difficile, dans ces conditions, de s'insérer durablement en France. "Comment trouver un logement ou un travail lorsque la demande de rapprochement familial traîne bien que les parents aient fourni tous les éléments en leur possession ?", demande le directeur du centre provisoire d'hébergement de la Cimade de Massy, Christophe Piedra.
Fatimata et Mamadou Lam voient désormais Mariam et Diarry grandir sur les photos. "Quand je les ai au téléphone, elles me rappellent qu'en partant pour la France, j'avais promis de leur envoyer leurs billets d'avion, raconte M. Lam, qui est agent de sécurité dans la région parisienne. Je leur explique que le dossier est en cours, qu'il faut attendre, mais elles ne comprennent pas pourquoi ça dure si longtemps, et moi non plus d'ailleurs. La famille est tout éparpillée. Quand j'étais là-bas, je pouvais leur chanter qu'on allait rejoindre un jour leur maman, mais aujourd'hui, qui va leur chanter qu'elles viendront un jour ?"
Source: LeMonde
(M)