Le 19 septembre dernier, lors de la cérémonie d’investiture du nouveau président malien Ibrahim Boubacar Keïta, l’on a noté l’absence du président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz. Une absence qui soulève du côté de Nouakchott interrogations et inquiétudes, en particulier sur l’avenir des relations entre les deux pays. Auparavant, à l’occasion de son discours d’adieu le 03 septembre, le président par intérim, Dioncounda Traoré, annonçait déjà la couleur : il a remercié, en les nommant, chacun des chefs d’Etat dont les Maliens ont pu apprécier le soutien durant l’épreuve que leur pays venait de traverser. Le nom de Mohamed Ould Abdel Aziz fut soigneusement omis et la Mauritanie n’ayant été citée qu’au titre des pays voisins abritant des Maliens déplacés à la faveur de ces troubles. Guère plus.
Est-ce réellement surprenant quand on sait le rôle directement joué par Nouakchott dans la déstabilisation du régime déchu et l’ambigüité de sa politique tout au long de la période de transition. En effet, sous couvert d’une lutte contre le terrorisme islamique dont il a décidé que l’épicentre se trouve en territoire malien, Mohamed Ould Abdel Aziz voulait en réalité appuyer les revendications indépendantistes des rebelles touareg visant la création dans le nord du Mali d’un Etat Azawad. Une appellation qui ne répond ni à un fondement géographique ou historique, ni à une réalité sociologique ou ethnologique. La région est peuplée de songhaï, de peul, de bozo, de barbiches, ainsi que de touareg. Rien, aucune étude historique ou scientifique n’attribue à ces derniers une antériorité sur les autres, ni même un poids démographique particulièrement favorable. Bien au contraire. Le délaissement supposé ou réel de cette zone par le pouvoir central de Bamako ne touchait donc pas spécifiquement et exclusivement les Touareg.
Eloignée de tout, donc du contrôle de l’Etat central miné par la corruption, la zone est devenue au fil des années un terreau fertile pour les narcotrafiquants de différents pays frontaliers, une zone d’activités criminelles de toutes sortes, un terrain squatté aussi par des fractions djihadistes en recherche de bases d’implantation.
Les nouvelles autorités maliennes n’avaient pas eu besoin de tant de temps que cela pour comprendre la duplicité du jeu de Nouakchott qui d’ailleurs, n’avait pas échappé à la rue malienne et à sa classe politique : des partis politiques aux journaux, en passant par la société civile, le choix du raïs mauritanien de favoriser la partition du Mali ne faisait l’ombre d’aucun doute. Outre le fait d’héberger les éléments du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) qui ont pignon sur rue à Nouakchott, Mohamed Ould Abdel Aziz aurait mis à contribution les généraux Hadi et Meguette, qui ont fait leurs preuves dans l’art de la répression intérieure et de la déstabilisation extérieure, pour encadrer et contrôler cette rébellion. Un journal bamakois, dans sa livraison du 7 mars 2012, rapportait ces propos jugés belliqueux du désormais ex-ministre des affaires étrangères, Hamadi Ould Hamadi, qui aurait déclaré sur RFI que « les Touareg sont une communauté ethnique (..), ils n’ont jamais attaqué un pays étranger ». Certains intellectuels mauritaniens n’hésitent pas à parler de solidarité épidermique. D’autres, proches de la ligne officielle, justifient ce soutien par la proximité ethnique.
Quoi qu’il en soit, en faisant de la lutte contre Al Qaeda au Sahel un objectif presque obsessionnel depuis 2010, Mohamed Ould Abdel Aziz avait revêtu un costume qui ne lui sied pas, ignorant toutefois que le contrôle du calendrier d’une telle aventure lui échappait. Plusieurs faisceaux d’indices semblent accréditer l’hypothèse d’un soutien apporté à sa démarche par le président français de l’époque, Nicolas Sarkozy, dont l’agenda était tout autre, à en croire le communiqué du président du bureau politique du MNLA, Mahmoud Ag Aghaly qui «accueille ouvertement le soutien de la France pour la recherche d’une solution durable et définitive de cette crise (reconnaissance du droit à l’autodétermination au peuple de l’Azawad) ». Ce communiqué daté du 8 février 2012 fait suite à une initiative présentée par Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, au Sénat français le mardi 7 février 2012.
Pendant la période d’occupation du Nord du Mali, les relations entre Nouakchott et Bamako se sont considérablement dégradées. Les incursions de l’armée mauritanienne en territoire malien eurent pour conséquences de « dresser » l’armée de ce pays contre la Mauritanie et ses ressortissants : dans la nuit du 8 au 9 septembre 2012, dans la localité malienne de Diabali, l’armée malienne a tué 16 personnes à bord d’un véhicule de transport en commun, dont 12 Mauritaniens. Si l’on a évoqué côté malien un refus d’obtempérer lors d’un contrôle de voyageurs, nombreux furent les Mauritaniens qui ont cru au règlement de compte. A Fassala, village d’origine de 9 des 12 tués, on a réclamé vengeance. Durant la transition, la Mauritanie refusera, contre toute logique, de participer à la coalition internationale, arguant l’absence de mandat préalable des Nations-unies. Qu’à cela ne tienne. Une résolution des Nations-unies vote la mise en place de la Minusma. La Mauritanie accepte l’idée d’une participation, mais pose des conditions : choisir les lieux d’implantations de ses troupes, non loin de ses frontières. En réalité, il s’agit de points de cantonnements qui devaient « revenir » aux Touareg selon les termes de l’accord de Ouagadougou, signé le 18 juin 2013 entre le gouvernement malien et les mouvements de l’Azawad (MNLA et HCUA), conditions jugées inacceptables pour Bamako. Nouakchott se formalise et Mohamed Ould Abdel Aziz reçoit entre les deux tours de l’élection présidentielle malienne les principaux responsables militaires de la rébellion touareg. A quelles fins ?
Aujourd’hui, le Mali a retrouvé, avec l’aide et le soutien de la France de François Hollande et de pays de la sous-région, son intégrité territoriale et un fonctionnement « normal ». Le nouveau président élu, ainsi que le gouvernement qu’il a nommé, auront fort à faire. Ils devront d’abord relever le défi de préserver la souveraineté retrouvée, entre une fermeté absolue à tenir sur l’intégrité du territoire malien, un et indivisible ; et un dialogue nécessaire avec les rebelles impliquant des concessions. Celles-ci ne devraient prendre en aucun cas la forme d’un renoncement d’une quelconque partie de la souveraineté nationale. Relever un tel défi passe par la reconstruction d’une armée véritablement opérationnelle, capable de ramener définitivement la partie nord dans le giron national, par la consolidation de la démocratie et la lutte contre la corruption généralisée au sein même de cette armée défaite comme au sein de l’administration, la remise sur pied d’une économie affaiblie par dix-huit mois de conflit. Le Mali pourra compter sur le soutien de la communauté internationale et l’appui des pays amis et voisins.
Mohamed Ould Abdel Aziz ne fait plus partie du jeu : il a joué, il a perdu. Il apparait désormais sur le plan international comme un singleton. Au plan intérieur, il fait face à des défis multiples. L’absence de réponse rapide et adaptée aux problèmes posés par les inondations de quartiers entiers à Nouakchott l’expose à une explosion sociale certaine, à un moment où les affres de la pauvreté, du racisme et de l’esclavage deviennent de plus en plus insupportables. S’y ajoutent les difficultés de l’opération d’enrôlement et le risque de ne pas pouvoir tenir dans ce contexte des élections libres et transparentes. S’il venait à être mis en difficulté, il doit savoir qu’il ne pourra compter ni sur ses voisins du nord avec lesquels il entretient des relations exécrables (Maroc) ni ceux du sud (Afrique noire) dont les ressortissants sont soumis en Mauritanie à des tracasseries et humiliations quotidiennes qui frisent le racisme primaire.
Ciré Ba et Boubacar Diagana
Paris, le 25 septembre 2013
Source: Ba Ciré
Est-ce réellement surprenant quand on sait le rôle directement joué par Nouakchott dans la déstabilisation du régime déchu et l’ambigüité de sa politique tout au long de la période de transition. En effet, sous couvert d’une lutte contre le terrorisme islamique dont il a décidé que l’épicentre se trouve en territoire malien, Mohamed Ould Abdel Aziz voulait en réalité appuyer les revendications indépendantistes des rebelles touareg visant la création dans le nord du Mali d’un Etat Azawad. Une appellation qui ne répond ni à un fondement géographique ou historique, ni à une réalité sociologique ou ethnologique. La région est peuplée de songhaï, de peul, de bozo, de barbiches, ainsi que de touareg. Rien, aucune étude historique ou scientifique n’attribue à ces derniers une antériorité sur les autres, ni même un poids démographique particulièrement favorable. Bien au contraire. Le délaissement supposé ou réel de cette zone par le pouvoir central de Bamako ne touchait donc pas spécifiquement et exclusivement les Touareg.
Eloignée de tout, donc du contrôle de l’Etat central miné par la corruption, la zone est devenue au fil des années un terreau fertile pour les narcotrafiquants de différents pays frontaliers, une zone d’activités criminelles de toutes sortes, un terrain squatté aussi par des fractions djihadistes en recherche de bases d’implantation.
Les nouvelles autorités maliennes n’avaient pas eu besoin de tant de temps que cela pour comprendre la duplicité du jeu de Nouakchott qui d’ailleurs, n’avait pas échappé à la rue malienne et à sa classe politique : des partis politiques aux journaux, en passant par la société civile, le choix du raïs mauritanien de favoriser la partition du Mali ne faisait l’ombre d’aucun doute. Outre le fait d’héberger les éléments du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) qui ont pignon sur rue à Nouakchott, Mohamed Ould Abdel Aziz aurait mis à contribution les généraux Hadi et Meguette, qui ont fait leurs preuves dans l’art de la répression intérieure et de la déstabilisation extérieure, pour encadrer et contrôler cette rébellion. Un journal bamakois, dans sa livraison du 7 mars 2012, rapportait ces propos jugés belliqueux du désormais ex-ministre des affaires étrangères, Hamadi Ould Hamadi, qui aurait déclaré sur RFI que « les Touareg sont une communauté ethnique (..), ils n’ont jamais attaqué un pays étranger ». Certains intellectuels mauritaniens n’hésitent pas à parler de solidarité épidermique. D’autres, proches de la ligne officielle, justifient ce soutien par la proximité ethnique.
Quoi qu’il en soit, en faisant de la lutte contre Al Qaeda au Sahel un objectif presque obsessionnel depuis 2010, Mohamed Ould Abdel Aziz avait revêtu un costume qui ne lui sied pas, ignorant toutefois que le contrôle du calendrier d’une telle aventure lui échappait. Plusieurs faisceaux d’indices semblent accréditer l’hypothèse d’un soutien apporté à sa démarche par le président français de l’époque, Nicolas Sarkozy, dont l’agenda était tout autre, à en croire le communiqué du président du bureau politique du MNLA, Mahmoud Ag Aghaly qui «accueille ouvertement le soutien de la France pour la recherche d’une solution durable et définitive de cette crise (reconnaissance du droit à l’autodétermination au peuple de l’Azawad) ». Ce communiqué daté du 8 février 2012 fait suite à une initiative présentée par Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, au Sénat français le mardi 7 février 2012.
Pendant la période d’occupation du Nord du Mali, les relations entre Nouakchott et Bamako se sont considérablement dégradées. Les incursions de l’armée mauritanienne en territoire malien eurent pour conséquences de « dresser » l’armée de ce pays contre la Mauritanie et ses ressortissants : dans la nuit du 8 au 9 septembre 2012, dans la localité malienne de Diabali, l’armée malienne a tué 16 personnes à bord d’un véhicule de transport en commun, dont 12 Mauritaniens. Si l’on a évoqué côté malien un refus d’obtempérer lors d’un contrôle de voyageurs, nombreux furent les Mauritaniens qui ont cru au règlement de compte. A Fassala, village d’origine de 9 des 12 tués, on a réclamé vengeance. Durant la transition, la Mauritanie refusera, contre toute logique, de participer à la coalition internationale, arguant l’absence de mandat préalable des Nations-unies. Qu’à cela ne tienne. Une résolution des Nations-unies vote la mise en place de la Minusma. La Mauritanie accepte l’idée d’une participation, mais pose des conditions : choisir les lieux d’implantations de ses troupes, non loin de ses frontières. En réalité, il s’agit de points de cantonnements qui devaient « revenir » aux Touareg selon les termes de l’accord de Ouagadougou, signé le 18 juin 2013 entre le gouvernement malien et les mouvements de l’Azawad (MNLA et HCUA), conditions jugées inacceptables pour Bamako. Nouakchott se formalise et Mohamed Ould Abdel Aziz reçoit entre les deux tours de l’élection présidentielle malienne les principaux responsables militaires de la rébellion touareg. A quelles fins ?
Aujourd’hui, le Mali a retrouvé, avec l’aide et le soutien de la France de François Hollande et de pays de la sous-région, son intégrité territoriale et un fonctionnement « normal ». Le nouveau président élu, ainsi que le gouvernement qu’il a nommé, auront fort à faire. Ils devront d’abord relever le défi de préserver la souveraineté retrouvée, entre une fermeté absolue à tenir sur l’intégrité du territoire malien, un et indivisible ; et un dialogue nécessaire avec les rebelles impliquant des concessions. Celles-ci ne devraient prendre en aucun cas la forme d’un renoncement d’une quelconque partie de la souveraineté nationale. Relever un tel défi passe par la reconstruction d’une armée véritablement opérationnelle, capable de ramener définitivement la partie nord dans le giron national, par la consolidation de la démocratie et la lutte contre la corruption généralisée au sein même de cette armée défaite comme au sein de l’administration, la remise sur pied d’une économie affaiblie par dix-huit mois de conflit. Le Mali pourra compter sur le soutien de la communauté internationale et l’appui des pays amis et voisins.
Mohamed Ould Abdel Aziz ne fait plus partie du jeu : il a joué, il a perdu. Il apparait désormais sur le plan international comme un singleton. Au plan intérieur, il fait face à des défis multiples. L’absence de réponse rapide et adaptée aux problèmes posés par les inondations de quartiers entiers à Nouakchott l’expose à une explosion sociale certaine, à un moment où les affres de la pauvreté, du racisme et de l’esclavage deviennent de plus en plus insupportables. S’y ajoutent les difficultés de l’opération d’enrôlement et le risque de ne pas pouvoir tenir dans ce contexte des élections libres et transparentes. S’il venait à être mis en difficulté, il doit savoir qu’il ne pourra compter ni sur ses voisins du nord avec lesquels il entretient des relations exécrables (Maroc) ni ceux du sud (Afrique noire) dont les ressortissants sont soumis en Mauritanie à des tracasseries et humiliations quotidiennes qui frisent le racisme primaire.
Ciré Ba et Boubacar Diagana
Paris, le 25 septembre 2013
Source: Ba Ciré