Ce 28 novembre 2019, la Mauritanie célèbre son indépendance vis-à-vis de la France. Cette date correspond néanmoins à un autre anniversaire, celui de l’exécution sommaire de 28 militaires Afro-mauritaniens sur la base d'Inal, le 28 novembre 1990. Cet événement est symptomatique des violations flagrantes des droits humains commises durant la période dite du « Passif humanitaire » entre 1989 et 1991.
Près de trois décennies plus tard, les victimes et leurs ayants-droit continuent de se heurter aux dispositions de la loi n° 93-23 qui accorde l’amnistie aux membres des forces de sécurité pour tous les crimes qu’ils auraient pu commettre pendant le Passif humanitaire.
MENA Rights Group et le Cadre de Concertation des Rescapés de Mauritanie (CCR-M) ont donc demandé au Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition d’intervenir auprès des autorités mauritaniennes pour leur demander de solder le Passif humanitaire. Cette démarche repose sur une douzaine de témoignages de victimes et de leurs familles qui illustrent l'ampleur et la gravité des violations dont il est question.
Retour sur le Passif humanitaire
À partir de la fin des années 1980, le gouvernement, alors dirigé par le colonel Maaouya ould Sid'Ahmed Taya, a expulsé plus de 60’000 Mauritaniens issus des communautés halpulaars, de soninkés et wolofs désignées sous le terme générique d’ « Afro-mauritaniens », dans un contexte de tensions à la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal. Ces expulsions ont été suivies par d’autres violations des droits humains.
Entre octobre 1990 et la mi-janvier 1991, les autorités ont arrêté arbitrairement environ 3’000 militaires afro-mauritaniens accusés de fomenter un coup d’État. Selon les estimations, entre 500 et 600 d’entre eux ont été victimes d’exécutions sommaires précédées de torture et de détention au secret. Ceux qui ont survécu aux actes de torture ont été libérés entre mars et avril 1991 à la faveur d’une grâce présidentielle.
Loi d’amnistie
Plusieurs victimes et ayants-droit ont tenté d’introduire des plaintes devant les juridictions nationales, mais ces dernières se sont révélées vaines suite à l’entrée en vigueur de la loi n° 93-23 du 14 juin 1993 qui accorde l’amnistie aux membres des forces de sécurité pour tous les crimes qu’ils auraient pu commettre dans le cadre de l’exercice de leur fonction. Cette législation a été maintes fois dénoncée par les organes de traité des Nations unies. En juillet 2019, le Comité des droits de l’homme a jugé préoccupant que le gouvernement n’envisage pas d’amender le texte.
Face à l’inaccessibilité des recours internes, les plaignants n’ont pas eu d’autre choix que de se tourner vers les juridictions extranationales. Une plainte a été déposée devant la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, laquelle a demandé en 2000 aux autorités mauritaniennes d’« établir une enquête indépendante pour clarifier ce qu’est advenu des personnes disparues, et identifier les auteurs des violations » et « assurer la compensation des veuves et bénéficiaires des victimes ».
Des plaintes pour torture ont également été déposées en Europe, notamment en France à l’encontre de Ely Ould Dah, qui était officier de renseignements de la base de Jreïda au moment des faits. Le 1er juillet 2005, la Cour d’assises de Nîmes l’a condamné à 10 ans de réclusion pour avoir commis directement, ordonné et organisé des actes de torture contre des militaires afro-mauritaniens en 1990 et 1991.
Absence de réparation pleine et entière
Les autorités mauritaniennes affirment avoir rendu la justice et octroyé des réparations aux victimes de façon adéquate. Ce constat n’est pourtant pas partagé par les associations de défense des victimes qui estiment que les mesures d’indemnisations ne sauraient se substituer au droit à un recours utile des victimes et de leurs familles.
Sur le plan de la reconnaissance des faits, une prière collective à la mémoire des victimes a été organisée dans la ville de Kaédi en 25 mars 2009. Néanmoins, la vérité sur ce qui s’est passé au cours de cette période est encore considérée comme un tabou national, comme l’a rappelé le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associé.
Il n’y a jamais eu d’enquête transparente afin d’établir la vérité sur les crimes commis, et encore moins de poursuites entamées à l’encontre des auteurs. Les corps des victimes d’exécutions extrajudiciaires n’ont jamais été rendus aux familles qui ne disposent toujours pas de sépultures sur lesquelles se recueillir.
Comment solder le Passif humanitaire ?
La communication conjointe de MENA Rights Group et du Cadre de Concertation des Rescapés de Mauritanie dresse une liste non-exhaustive de mesures destinées à solder de manière définitive le Passif humanitaire. Parmi celles-ci se trouve l’abrogation de la loi d’amnistie afin d’établir la vérité sur les crimes commis, d’en poursuivre les responsables et de leur imposer des peines appropriées. Les autorités sont également appelées à prévoir la réparation adéquate de toutes les victimes et de leurs ayants droit à la mesure de la gravité des violations et du préjudice subi. Toutefois, la mise en œuvre de ces mesures nécessitera une réelle volonté politique de la part des autorités mauritaniennes.
Source: menarights.org[
Près de trois décennies plus tard, les victimes et leurs ayants-droit continuent de se heurter aux dispositions de la loi n° 93-23 qui accorde l’amnistie aux membres des forces de sécurité pour tous les crimes qu’ils auraient pu commettre pendant le Passif humanitaire.
MENA Rights Group et le Cadre de Concertation des Rescapés de Mauritanie (CCR-M) ont donc demandé au Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition d’intervenir auprès des autorités mauritaniennes pour leur demander de solder le Passif humanitaire. Cette démarche repose sur une douzaine de témoignages de victimes et de leurs familles qui illustrent l'ampleur et la gravité des violations dont il est question.
Retour sur le Passif humanitaire
À partir de la fin des années 1980, le gouvernement, alors dirigé par le colonel Maaouya ould Sid'Ahmed Taya, a expulsé plus de 60’000 Mauritaniens issus des communautés halpulaars, de soninkés et wolofs désignées sous le terme générique d’ « Afro-mauritaniens », dans un contexte de tensions à la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal. Ces expulsions ont été suivies par d’autres violations des droits humains.
Entre octobre 1990 et la mi-janvier 1991, les autorités ont arrêté arbitrairement environ 3’000 militaires afro-mauritaniens accusés de fomenter un coup d’État. Selon les estimations, entre 500 et 600 d’entre eux ont été victimes d’exécutions sommaires précédées de torture et de détention au secret. Ceux qui ont survécu aux actes de torture ont été libérés entre mars et avril 1991 à la faveur d’une grâce présidentielle.
Loi d’amnistie
Plusieurs victimes et ayants-droit ont tenté d’introduire des plaintes devant les juridictions nationales, mais ces dernières se sont révélées vaines suite à l’entrée en vigueur de la loi n° 93-23 du 14 juin 1993 qui accorde l’amnistie aux membres des forces de sécurité pour tous les crimes qu’ils auraient pu commettre dans le cadre de l’exercice de leur fonction. Cette législation a été maintes fois dénoncée par les organes de traité des Nations unies. En juillet 2019, le Comité des droits de l’homme a jugé préoccupant que le gouvernement n’envisage pas d’amender le texte.
Face à l’inaccessibilité des recours internes, les plaignants n’ont pas eu d’autre choix que de se tourner vers les juridictions extranationales. Une plainte a été déposée devant la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, laquelle a demandé en 2000 aux autorités mauritaniennes d’« établir une enquête indépendante pour clarifier ce qu’est advenu des personnes disparues, et identifier les auteurs des violations » et « assurer la compensation des veuves et bénéficiaires des victimes ».
Des plaintes pour torture ont également été déposées en Europe, notamment en France à l’encontre de Ely Ould Dah, qui était officier de renseignements de la base de Jreïda au moment des faits. Le 1er juillet 2005, la Cour d’assises de Nîmes l’a condamné à 10 ans de réclusion pour avoir commis directement, ordonné et organisé des actes de torture contre des militaires afro-mauritaniens en 1990 et 1991.
Absence de réparation pleine et entière
Les autorités mauritaniennes affirment avoir rendu la justice et octroyé des réparations aux victimes de façon adéquate. Ce constat n’est pourtant pas partagé par les associations de défense des victimes qui estiment que les mesures d’indemnisations ne sauraient se substituer au droit à un recours utile des victimes et de leurs familles.
Sur le plan de la reconnaissance des faits, une prière collective à la mémoire des victimes a été organisée dans la ville de Kaédi en 25 mars 2009. Néanmoins, la vérité sur ce qui s’est passé au cours de cette période est encore considérée comme un tabou national, comme l’a rappelé le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associé.
Il n’y a jamais eu d’enquête transparente afin d’établir la vérité sur les crimes commis, et encore moins de poursuites entamées à l’encontre des auteurs. Les corps des victimes d’exécutions extrajudiciaires n’ont jamais été rendus aux familles qui ne disposent toujours pas de sépultures sur lesquelles se recueillir.
Comment solder le Passif humanitaire ?
La communication conjointe de MENA Rights Group et du Cadre de Concertation des Rescapés de Mauritanie dresse une liste non-exhaustive de mesures destinées à solder de manière définitive le Passif humanitaire. Parmi celles-ci se trouve l’abrogation de la loi d’amnistie afin d’établir la vérité sur les crimes commis, d’en poursuivre les responsables et de leur imposer des peines appropriées. Les autorités sont également appelées à prévoir la réparation adéquate de toutes les victimes et de leurs ayants droit à la mesure de la gravité des violations et du préjudice subi. Toutefois, la mise en œuvre de ces mesures nécessitera une réelle volonté politique de la part des autorités mauritaniennes.
Source: menarights.org[