Il est de notre mémoire comme il est de la politique en Mauritanie : un grand écart entre splendeurs et misères, aveuglements et perceptions, réalités et dénis.
Les commémorations du 52° anniversaire de l'accession à l'indépendance de notre jeune nation n'échappent pas à la règle.
Comme chaque année, la machine gouvernementale s'est mise en branle, levers des couleurs, discours, flonflons et patriotisme.
Les médias publics ont abreuvé les citoyens que nous sommes d'images d'archives,de chants laudateurs. Avec, cette année, une particularité : les « explications » d'un président qui fut absent 40 jours pour cause de tirs contre sa personne, tentant ainsi de pallier au black out total qui fut de mise pendant l'hospitalisation en France du chef de l'Etat.
Dans une conférence de presse boycottée par la quasi totalité de la presse mauritanienne, Mohamed ould Abdel Aziz s'est fait le héraut des réalisations de l'état sous sa gouvernance, dévidant un chapelet d'exemples. « Tout va bien » pourrait résumer l'exercice : l'économie? Voir les réalisations. La justice? En progrès. Le chômage? Le gouvernement travaille. La crise malienne? Y être sans y être. Le passif humanitaire? Voir la prière de Kaédi.
Pas un mot sur Inal, sur Sorimalé, sur les disparus, les fosses communes, les exécutions extra judicaires.
Comme si ceux ci n'existaient pas et relevaient d'un fantasme, d'une illusion d'optique collective, d'un mirage.
Pas un mot sur les 28 pendus de la nuit du 27 au 28 Novembre 1990, à Inal.
Pas un mot sur les disparus des années de braise, ceux dont les corps n'ont pas été rendus à leurs familles.
Pas un mot sur la justice.
La Mauritanie « nouvelle » continue ainsi son bonhomme de chemin, construisant une « mémoire d'Etat », officielle, démocratie amnésique et aveugle. Sourde.
Au nom d'une raison d'état présupposée, notre pays a fait l'économie de sa mémoire.
Une mémoire sélective qui occulte tout un pan de notre histoire nationale.
Le déni de réalités est, depuis les années 90, la norme officielle, nonobstant les appels d'associations de rescapés, de militants des droits de l'Homme.
Dans un pays où tout le microcosme politique savait mais où personne ne « mouftait », dans un pays où les militaires gèrent le politique depuis le coup d'état du 10 Juillet 1978, seuls détenteurs des ordres et actions, l'aphasie officielle semble être le seul chemin de la réconciliation.
Le vrai courage politique aurait été, non pas seulement la prière de kaédi et les indemnisations des victimes des années noires, mais la volonté claire et affichée de se colleter avec notre passé sanglant.
Le vrai courage politique aurait été de désigner, enfin, les coupables de meurtres, de viols, d'exactions, de vols, d'emprisonnements, de tortures, quitte à décapiter une partie du commandement militaire.
Le vrai courage politique aurait été de dire, de libérer la parole, de reconnaître que notre armée, désignée comme républicaine, s'est rendue coupable de crimes contre l'humanité, de meurtres barbares, d'actes ignominieux.
Le vrai courage politique aurait été de décider, enfin, de juger les coupables; eux qui sont toujours libres.
Le vrai courage aurait été la fin de l'impunité.
Mais nos dirigeants, issus eux mêmes de la Grande Muette, en ont décidé autrement.
La Mauritanie démocratisée, libéralisée, « rectifiée », a choisi le silence des années Taya et l'effacement des mémoires.
En « oubliant » un peu vite que la construction de cette Mauritanie là ne peut se faire que sur un vrai changement radical et une expiation du passé.
Un vrai courage politique....
Mariem mint DERWICH
Source: Kassataya