Loin de l’image des clandestins risquant leur peau pour l’Europe, et loin du cliché des camps qui colle à l’Afrique, le Sénégal a lui aussi ses réfugiés. La plupart survivent à Dakar à coup de petits boulots. Le phénomène reste marginal, mais n’empêche pas un cruel manque de moyens.
"Quand on arrive, les voisins vous accueillent bien", admet Béatrice, au Sénégal depuis 1999. "Mais gagner sa vie, c’est très difficile, il n’y a déjà pas de travail pour les Sénégalais", regrette la frêle Rwandaise.
Cette mère de trois enfants, tente, à 43 ans, de reconstruire sa vie. Le génocide et la mort de son mari, en 1994, l’ont poussée sur les routes de l’exil. "Je suis restée deux ans dans le camp de Goma" (République démocratique du Congo, ex-Zaïre), jusqu’à sa destruction par les hommes de Laurent-Désiré Kabila, alors chef rebelle.
Après sept mois d’errance dans la forêt, elle arrive au Congo-Brazzaville, où elle est rattrapée par la guerre civile. "Mon seul désir était de vivre dans un pays stable. Mon beau-frère, réfugié au Sénégal, m’a dit de le rejoindre."
Ils se sont mariés à Dakar. Mais la demande d’asile de Béatrice a été rejetée, faute de papiers. Le Haut-Comissariat des Nations-Unies (HCR) aux réfugiés a demandé le regroupement familial. Pour vivre, Béatrice s’est reconvertie de secrétaire-comptable en couturière. Et vend tant bien que mal son travail au porte-à-porte.
Pas d’afflux
Au Sénégal, elle n’a pas trouvé de camps. Au contraire d’autres Etats d’Afrique, "ce n’est pas un pays qui connaît une situation d’urgence avec un afflux massif de réfugiés", explique Mahoua Bamba-Parums, administratrice régionale du HCR.
"Les réfugiés sont disséminés dans Dakar et sa banlieue, ils sont environ 3000" pour 2,5 millions d’habitants. S’y ajoutent un millier de Mauritaniens chassés de leur pays en 1989, qui vivent en ville. Environ 19 000 d’entre eux habitent en outre la vallée du fleuve Sénégal.
"En ville, certaines situations sont plus pathétiques que dans les camps. Il y a des sans-abri", relève Mme Bamba-Parums. "Ceux qui s’en sortent, même les diplômés, n’ont accès qu’à de petits boulots. Et Dakar est une ville chère, y compris pour se loger." Hormis quelques chambres mises à disposition pour des mineurs non accompagnés ou des malades, il n’existe aucun foyer d’accueil.
Budget d’assistance insuffisant
Le Bureau d’orientation sociale, géré par une ONG sénégalaise sur mandat du HCR, a certes un budget d’assistance, mais il demeure très insuffisant en regard des besoins : environ 7500 francs suisses en tout pour l’année. "La communauté internationale n’envoie de l’aide qu’aux points très chauds, comme le Tchad." regrette Charlotte Sarr, assistante sociale.
Outre un service social, le centre offre divers cours gratuits, dont certains ont été élaborés par les réfugiés eux-mêmes. "Le but est de permettre au réfugié de se prendre en charge", explique Mme Sarr. Grâce à des fondations et au HCR, des bourses d’étude ou de formation sont aussi octroyées. "Dans les camps, cette possibilité n’existe pas", relève Mme Bamba-Parums.
Population mouvante
Certains réfugiés, enregistrés ou non, vont tenter leur chance ailleurs. Les ressortissants des pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) profitent de la liberté de circulation dans cet espace. Ils vont d’un pays à l’autre, sans papiers, échappant aux statistiques. "Une population qui va et qui vient sans papiers et sans protection ouvre la porte à l’émigration clandestine", met en garde la représentante du HCR.
Parmi les réfugiés sans espoir de retour, une poignée sont réinstallés dans un pays tiers, sous l’égide du HCR. C’est le cas de Michel Ndzaka. L’ancien médecin du président du Congo-Brazzaville Pascal Lissouba, renversé en 1997, attend d’être réinstallé aux Etats-Unis.
"C’était la seule solution durable", dit-il. Au Sénégal, il n’a jamais pu exercer la médecine, si ce n’est clandestinement. "J’ai essayé de m’établir comme masseur". Après avoir échappé à une tentative d’assassinat, Michel Ndzaka ne se sent pas tranquille en Afrique. Mais "une nouvelle vie commence", assure-t-il, la voix cassée.
Obtenir l’asile au Sénégal
En matière d’asile, le Sénégal se distingue de ses voisins. Il s’est doté d’une Commission nationale d’éligibilité (CNE), chargée de statuer au cas par cas. Le HCR verrait toutefois d’un bon oeil que les auditions ne soient plus effectuées par des inspecteurs de police.
"Ce sont des techniciens du renseignement, mais leur mission est proche de l’assistance sociale", tempère Rokhaya Anne, secrétaire et cheville ouvrière de la CNE. Leur rôle est d’écouter, mais aussi de débusquer d’éventuels agents infiltrés d’autres Etats, renchérit son vice-président François Diouf.
Après l’enregistrement et un premier entretien au secrétariat de la CNE, l’audition principale a lieu dans les locaux du ministère de l’Intérieur. La commission, où siègent des représentants de divers ministères, se réunit à huis clos. Un représentant du Haut-Commissariat des Nations unies (HCR) assiste aux délibérations en tant qu’observateur. La CNE donne ensuite un avis "consultatif". S’il est favorable, le secrétariat prépare un projet de décret pour la présidence.
Le chef de l’Etat Abdulaye Wade signe les décrets de sa main. Il peut s’écouler plusieurs mois entre un avis favorable et la réception du décret. "Le président n’a pas que cela à faire", rétorque Mme Anne.
Ultime recours présidentiel
En cas de refus, le demandeur peut faire recours et amener des compléments au dossier. Il n’y a pas de délai limite, précise M. Diouf. La CNE, à la fois organe de première instance et cour d’appel, statue une deuxième fois.
Après un rejet en appel, il reste possible de s’adresser au chef de l’Etat. Une réfugiée libérienne a ainsi bénéficié de l’appui présidentiel, raconte Mme Anne.
En 2006, la CNE a reçu 262 demandes d’asiles. Seize ont été acceptées. "Le Sénégal est un pays de migrations. Beaucoup de cas n’ont rien à voir avec l’asile", explique Mme Anne. Et d’évoquer le cas de deux Népalais largués par leur passeur dans le port de Dakar. L’histoire a fait le tour de la ville. 16-SEP-2007
Regards croisés de journalistes sur le Nord et le Sud
Pour la première fois, des journalistes de Suisse romande et d’Afrique francophone ont travaillé en tandem sur des enquêtes et des reportages "à quatre mains". Le fruit de leurs travaux se lit et s’écoute cette semaine dans les médias romands.
Intitulée "En quête d’Afrique", l’opération réunit des professionnels des médias de la presse écrite et audiovisuelle de Suisse, du Sénégal, de République démocratique du Congo et du Niger, notamment.
Le tandem de l’ATS a choisi de travailler sur le thème de l’asile. Le correspondant de l’agence à Dakar a ainsi visité le Centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe, en mai lors du lancement du projet. Fin juin, une journaliste de la centrale à Berne s’est rendue dans la capitale sénégalaise.
"En quête d’Afrique" a vu le jour grâce à un partenariat entre la Direction du développement et de la coopération suisse (DDC), la Formation continue des journalistes (FCJ), l’agence Infosud et la Fondation Hirondelle.
Le casse-tête des réfugiés Mauritaniens
Sur les dizaines de milliers de Mauritaniens noirs chassés de leur pays en 1989, 20 000 demeurent encore au Sénégal. Mais tout pourrait changer, car le président mauritanien récemment élu Sid Ould Cheikh Abdallahi multiplie les appels à un retour collectif.
Il s’est même rendu à Dakar pour y évoquer la question et donner des assurances. Pour sonder les intéressés, le HCR a organisé diverses réunions à travers le pays. En juillet dernier, c’était le tour de Dakar. Plus d’une centaine de réfugiés mauritaniens ont pris place dans la cour du Bureau d’orientation sociale, à l’ombre du cocotier, dans un quartier résidentiel de la capitale.
La réunion, qui devait prendre une heure, en a duré trois. "L’accueil n’était pas mauvais, mais ils ont énormément de questions", explique Mahoua Bamba-Parums, du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
"La solution du retour est de loin la préférée du HCR, mais il faut d’abord les consulter sur leurs projets, là-bas". Après 18 ans d’exil, la situation n’est pas simple : les enfants nés au Sénégal ne savent pas ce qu’est la Mauritanie ; les terres ont été confisquées et sont exploitées par d’autres.
Pour Mme Bamba-Parums, l’écoute est le maître-mot si l’on veut faire aboutir une démarche de rapatriement. Et d’évoquer un récent échec : le retour des Libériens. "En Guinée, Côte d’Ivoire et au Ghana, ils ont préféré rentrer. Il n’y a qu’au Sénégal que cela n’a pas marché. Il faut dire que, dans ce pays, ils sont dispersés, coupés de leur communauté. Dans les camps, il y a souvent un effet de groupe."
Source: Nettali
(M)
"Quand on arrive, les voisins vous accueillent bien", admet Béatrice, au Sénégal depuis 1999. "Mais gagner sa vie, c’est très difficile, il n’y a déjà pas de travail pour les Sénégalais", regrette la frêle Rwandaise.
Cette mère de trois enfants, tente, à 43 ans, de reconstruire sa vie. Le génocide et la mort de son mari, en 1994, l’ont poussée sur les routes de l’exil. "Je suis restée deux ans dans le camp de Goma" (République démocratique du Congo, ex-Zaïre), jusqu’à sa destruction par les hommes de Laurent-Désiré Kabila, alors chef rebelle.
Après sept mois d’errance dans la forêt, elle arrive au Congo-Brazzaville, où elle est rattrapée par la guerre civile. "Mon seul désir était de vivre dans un pays stable. Mon beau-frère, réfugié au Sénégal, m’a dit de le rejoindre."
Ils se sont mariés à Dakar. Mais la demande d’asile de Béatrice a été rejetée, faute de papiers. Le Haut-Comissariat des Nations-Unies (HCR) aux réfugiés a demandé le regroupement familial. Pour vivre, Béatrice s’est reconvertie de secrétaire-comptable en couturière. Et vend tant bien que mal son travail au porte-à-porte.
Pas d’afflux
Au Sénégal, elle n’a pas trouvé de camps. Au contraire d’autres Etats d’Afrique, "ce n’est pas un pays qui connaît une situation d’urgence avec un afflux massif de réfugiés", explique Mahoua Bamba-Parums, administratrice régionale du HCR.
"Les réfugiés sont disséminés dans Dakar et sa banlieue, ils sont environ 3000" pour 2,5 millions d’habitants. S’y ajoutent un millier de Mauritaniens chassés de leur pays en 1989, qui vivent en ville. Environ 19 000 d’entre eux habitent en outre la vallée du fleuve Sénégal.
"En ville, certaines situations sont plus pathétiques que dans les camps. Il y a des sans-abri", relève Mme Bamba-Parums. "Ceux qui s’en sortent, même les diplômés, n’ont accès qu’à de petits boulots. Et Dakar est une ville chère, y compris pour se loger." Hormis quelques chambres mises à disposition pour des mineurs non accompagnés ou des malades, il n’existe aucun foyer d’accueil.
Budget d’assistance insuffisant
Le Bureau d’orientation sociale, géré par une ONG sénégalaise sur mandat du HCR, a certes un budget d’assistance, mais il demeure très insuffisant en regard des besoins : environ 7500 francs suisses en tout pour l’année. "La communauté internationale n’envoie de l’aide qu’aux points très chauds, comme le Tchad." regrette Charlotte Sarr, assistante sociale.
Outre un service social, le centre offre divers cours gratuits, dont certains ont été élaborés par les réfugiés eux-mêmes. "Le but est de permettre au réfugié de se prendre en charge", explique Mme Sarr. Grâce à des fondations et au HCR, des bourses d’étude ou de formation sont aussi octroyées. "Dans les camps, cette possibilité n’existe pas", relève Mme Bamba-Parums.
Population mouvante
Certains réfugiés, enregistrés ou non, vont tenter leur chance ailleurs. Les ressortissants des pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) profitent de la liberté de circulation dans cet espace. Ils vont d’un pays à l’autre, sans papiers, échappant aux statistiques. "Une population qui va et qui vient sans papiers et sans protection ouvre la porte à l’émigration clandestine", met en garde la représentante du HCR.
Parmi les réfugiés sans espoir de retour, une poignée sont réinstallés dans un pays tiers, sous l’égide du HCR. C’est le cas de Michel Ndzaka. L’ancien médecin du président du Congo-Brazzaville Pascal Lissouba, renversé en 1997, attend d’être réinstallé aux Etats-Unis.
"C’était la seule solution durable", dit-il. Au Sénégal, il n’a jamais pu exercer la médecine, si ce n’est clandestinement. "J’ai essayé de m’établir comme masseur". Après avoir échappé à une tentative d’assassinat, Michel Ndzaka ne se sent pas tranquille en Afrique. Mais "une nouvelle vie commence", assure-t-il, la voix cassée.
Obtenir l’asile au Sénégal
En matière d’asile, le Sénégal se distingue de ses voisins. Il s’est doté d’une Commission nationale d’éligibilité (CNE), chargée de statuer au cas par cas. Le HCR verrait toutefois d’un bon oeil que les auditions ne soient plus effectuées par des inspecteurs de police.
"Ce sont des techniciens du renseignement, mais leur mission est proche de l’assistance sociale", tempère Rokhaya Anne, secrétaire et cheville ouvrière de la CNE. Leur rôle est d’écouter, mais aussi de débusquer d’éventuels agents infiltrés d’autres Etats, renchérit son vice-président François Diouf.
Après l’enregistrement et un premier entretien au secrétariat de la CNE, l’audition principale a lieu dans les locaux du ministère de l’Intérieur. La commission, où siègent des représentants de divers ministères, se réunit à huis clos. Un représentant du Haut-Commissariat des Nations unies (HCR) assiste aux délibérations en tant qu’observateur. La CNE donne ensuite un avis "consultatif". S’il est favorable, le secrétariat prépare un projet de décret pour la présidence.
Le chef de l’Etat Abdulaye Wade signe les décrets de sa main. Il peut s’écouler plusieurs mois entre un avis favorable et la réception du décret. "Le président n’a pas que cela à faire", rétorque Mme Anne.
Ultime recours présidentiel
En cas de refus, le demandeur peut faire recours et amener des compléments au dossier. Il n’y a pas de délai limite, précise M. Diouf. La CNE, à la fois organe de première instance et cour d’appel, statue une deuxième fois.
Après un rejet en appel, il reste possible de s’adresser au chef de l’Etat. Une réfugiée libérienne a ainsi bénéficié de l’appui présidentiel, raconte Mme Anne.
En 2006, la CNE a reçu 262 demandes d’asiles. Seize ont été acceptées. "Le Sénégal est un pays de migrations. Beaucoup de cas n’ont rien à voir avec l’asile", explique Mme Anne. Et d’évoquer le cas de deux Népalais largués par leur passeur dans le port de Dakar. L’histoire a fait le tour de la ville. 16-SEP-2007
Regards croisés de journalistes sur le Nord et le Sud
Pour la première fois, des journalistes de Suisse romande et d’Afrique francophone ont travaillé en tandem sur des enquêtes et des reportages "à quatre mains". Le fruit de leurs travaux se lit et s’écoute cette semaine dans les médias romands.
Intitulée "En quête d’Afrique", l’opération réunit des professionnels des médias de la presse écrite et audiovisuelle de Suisse, du Sénégal, de République démocratique du Congo et du Niger, notamment.
Le tandem de l’ATS a choisi de travailler sur le thème de l’asile. Le correspondant de l’agence à Dakar a ainsi visité le Centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe, en mai lors du lancement du projet. Fin juin, une journaliste de la centrale à Berne s’est rendue dans la capitale sénégalaise.
"En quête d’Afrique" a vu le jour grâce à un partenariat entre la Direction du développement et de la coopération suisse (DDC), la Formation continue des journalistes (FCJ), l’agence Infosud et la Fondation Hirondelle.
Le casse-tête des réfugiés Mauritaniens
Sur les dizaines de milliers de Mauritaniens noirs chassés de leur pays en 1989, 20 000 demeurent encore au Sénégal. Mais tout pourrait changer, car le président mauritanien récemment élu Sid Ould Cheikh Abdallahi multiplie les appels à un retour collectif.
Il s’est même rendu à Dakar pour y évoquer la question et donner des assurances. Pour sonder les intéressés, le HCR a organisé diverses réunions à travers le pays. En juillet dernier, c’était le tour de Dakar. Plus d’une centaine de réfugiés mauritaniens ont pris place dans la cour du Bureau d’orientation sociale, à l’ombre du cocotier, dans un quartier résidentiel de la capitale.
La réunion, qui devait prendre une heure, en a duré trois. "L’accueil n’était pas mauvais, mais ils ont énormément de questions", explique Mahoua Bamba-Parums, du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
"La solution du retour est de loin la préférée du HCR, mais il faut d’abord les consulter sur leurs projets, là-bas". Après 18 ans d’exil, la situation n’est pas simple : les enfants nés au Sénégal ne savent pas ce qu’est la Mauritanie ; les terres ont été confisquées et sont exploitées par d’autres.
Pour Mme Bamba-Parums, l’écoute est le maître-mot si l’on veut faire aboutir une démarche de rapatriement. Et d’évoquer un récent échec : le retour des Libériens. "En Guinée, Côte d’Ivoire et au Ghana, ils ont préféré rentrer. Il n’y a qu’au Sénégal que cela n’a pas marché. Il faut dire que, dans ce pays, ils sont dispersés, coupés de leur communauté. Dans les camps, il y a souvent un effet de groupe."
Source: Nettali
(M)