Quand on lui demande s'il a tué des gens, Alusine Bah, 27 ans, reste muet et se tord les mains.
Selon Amnistie internationale, quelque 300 000 enfants sont utilisés comme soldats dans le monde. Alusine Bah est l'un d'entre eux. La Presse l'a rencontré.
Quand il marche dans les couloirs de l'Université Concordia, Alusine Bah affiche toujours un immense sourire. Mais derrière cette apparente bonne humeur, le jeune homme de 27 ans à l'accent exotique cache un passé rempli d'atrocités.
Alusine est né dans le village de Yengema, en Sierra Leone. Après avoir vécu une enfance paisible, sa vie a basculé le jour de ses 14 ans. Il s'en souvient comme si c'était hier. Il venait de terminer sa journée d'école, quand des tirs et des cris ont retenti. «La milice armée venait d'envahir mon village. Tout le monde paniquait. Je suis parti chez moi en courant», raconte-t-il.
Arrivé chez lui, le jeune garçon réalise que sa famille a disparu. Seul, il décide de fuir son village avec des voisines et leurs enfants. Après trois jours de fuite, la milice armée les rattrape.
«Ils ont laissé partir les femmes, mais ils ont gardé les enfants. Ils nous ont dit qu'on allait devenir des soldats, dit Alusine. Un des jeunes criait qu'il ne voulait pas. Les miliciens l'ont tué. On a compris qu'on n'avait pas le choix.»
À partir de cet instant, la vie d'Alusine devient un enfer. Tous les jours, muni de sa mitraillette AK-47, il entre dans des villages et pille les habitants pour nourrir les miliciens.
Quand on lui demande s'il a tué des gens, Alusine reste muet. Il se tord les mains. Après de longues minutes de silence, il dit: «Vous savez, les miliciens nous donnaient beaucoup de cannabis pour qu'on soit docile. On n'était pas tout à fait nous-mêmes. On faisait juste obéir.»
Après deux ans de calvaire, Alusine et ses collègues sont finalement libérés par un groupe d'aide humanitaire. Ils sont amenés dans un camp de réhabilitation où ils reçoivent des soins psychologiques. «On essayait de nous déprogrammer. On voulait nous aider à devenir des enfants normaux», explique Alusine, qui garde un souvenir pénible de cette expérience.
«Les gens voulaient m'aider, mais je ne me laissais pas faire. J'étais très méchant avec eux. Je le regrette», souffle-t-il, en refoulant ses larmes.
Après son séjour au camp, Alusine est invité à New York pour participer à une conférence des Nations unies sur les enfants-soldats. Là-bas, il rencontre Bob Wright, un Montréalais qui lui donne ses coordonnées. «Il m'a dit de garder sa carte et de l'appeler si j'avais besoin d'aide», dit Alusine.
De retour en Sierra Leone, d'autres épreuves attendent le garçon. En 1997, les rebelles envahissent à nouveau son village. Alusine s'enfuit en Guinée et reste dans un camp de réfugiés pendant huit mois. Il retourne ensuite dans son pays et s'installe chez sa tante à Freetown. Mais le 6 janvier 1999, la milice armée est de retour.
«Des enfants-soldats que je connaissais sont venus me chercher. Ils étaient devant ma porte et ils criaient: «Alusine! C'est nous! Viens avec nous!» Mais moi je ne voulais pas. Je me suis enfui», raconte-t-il.
Pendant des semaines, Alusine se cache dans la ville. Mais il réalise qu'il mourra s'il continue ainsi. Désespéré, il appelle Bob Wright. «J'ai sorti sa carte que j'avais toujours sur moi et j'ai fait un appel à frais virés. Il m'a tout de suite promis de m'aider», témoigne-t-il.
Cet appel lui a sauvé la vie. Financé par M. Wright, Alusine s'envole pour le Ghana. Là-bas, une famille d'accueil l'attend. Il y reste pendant trois ans, le temps d'obtenir l'autorisation de partir pour le Canada. Puis, le 8 décembre 2003, Alusine arrive enfin à Montréal. «Je vais me rappeler ce jour toute ma vie. Il faisait tellement froid!» raconte-t-il en riant. Alusine s'installe chez M. Wright et s'habitue rapidement à sa nouvelle vie. Il complète un cours d'éducation aux adultes et entre à l'Université Concordia en 2004.
En plus d'aller à l'université, Alusine travaille pour l'organisme Youth in Action qui finance la construction d'écoles en Sierra Leone. Avec l'aide de la Croix-Rouge, Alusine réussit à apprendre que sa mère habite en Guinée. Quant à son père, il ne sait pas. «Dès que je demande où il est, ma mère ne dit rien. Il doit être mort», avance Alusine.
Quand il aura terminé ses études, Alusine veut s'investir à temps complet dans des projets d'aide humanitaire. «Je veux aussi retourner dans mon pays. Mais pas tout de suite. Je ne suis pas prêt», dit-il, les larmes aux yeux.
Le 22 novembre prochain, le YMCA du Grand Montréal remettra une médaille d'honneur à Alusine Bah, pour souligner son courage. Cet honneur le réjouit. «Si je peux être la voix des sans-voix, tant mieux. Car présentement, il y a encore des enfants qui vivent l'enfer en Afrique, et j'espère faire changer les choses», dit-il.
Ariane Lacoursière
La Presse
Source: cyberpresse
(M)
Quand il marche dans les couloirs de l'Université Concordia, Alusine Bah affiche toujours un immense sourire. Mais derrière cette apparente bonne humeur, le jeune homme de 27 ans à l'accent exotique cache un passé rempli d'atrocités.
Alusine est né dans le village de Yengema, en Sierra Leone. Après avoir vécu une enfance paisible, sa vie a basculé le jour de ses 14 ans. Il s'en souvient comme si c'était hier. Il venait de terminer sa journée d'école, quand des tirs et des cris ont retenti. «La milice armée venait d'envahir mon village. Tout le monde paniquait. Je suis parti chez moi en courant», raconte-t-il.
Arrivé chez lui, le jeune garçon réalise que sa famille a disparu. Seul, il décide de fuir son village avec des voisines et leurs enfants. Après trois jours de fuite, la milice armée les rattrape.
«Ils ont laissé partir les femmes, mais ils ont gardé les enfants. Ils nous ont dit qu'on allait devenir des soldats, dit Alusine. Un des jeunes criait qu'il ne voulait pas. Les miliciens l'ont tué. On a compris qu'on n'avait pas le choix.»
À partir de cet instant, la vie d'Alusine devient un enfer. Tous les jours, muni de sa mitraillette AK-47, il entre dans des villages et pille les habitants pour nourrir les miliciens.
Quand on lui demande s'il a tué des gens, Alusine reste muet. Il se tord les mains. Après de longues minutes de silence, il dit: «Vous savez, les miliciens nous donnaient beaucoup de cannabis pour qu'on soit docile. On n'était pas tout à fait nous-mêmes. On faisait juste obéir.»
Après deux ans de calvaire, Alusine et ses collègues sont finalement libérés par un groupe d'aide humanitaire. Ils sont amenés dans un camp de réhabilitation où ils reçoivent des soins psychologiques. «On essayait de nous déprogrammer. On voulait nous aider à devenir des enfants normaux», explique Alusine, qui garde un souvenir pénible de cette expérience.
«Les gens voulaient m'aider, mais je ne me laissais pas faire. J'étais très méchant avec eux. Je le regrette», souffle-t-il, en refoulant ses larmes.
Après son séjour au camp, Alusine est invité à New York pour participer à une conférence des Nations unies sur les enfants-soldats. Là-bas, il rencontre Bob Wright, un Montréalais qui lui donne ses coordonnées. «Il m'a dit de garder sa carte et de l'appeler si j'avais besoin d'aide», dit Alusine.
De retour en Sierra Leone, d'autres épreuves attendent le garçon. En 1997, les rebelles envahissent à nouveau son village. Alusine s'enfuit en Guinée et reste dans un camp de réfugiés pendant huit mois. Il retourne ensuite dans son pays et s'installe chez sa tante à Freetown. Mais le 6 janvier 1999, la milice armée est de retour.
«Des enfants-soldats que je connaissais sont venus me chercher. Ils étaient devant ma porte et ils criaient: «Alusine! C'est nous! Viens avec nous!» Mais moi je ne voulais pas. Je me suis enfui», raconte-t-il.
Pendant des semaines, Alusine se cache dans la ville. Mais il réalise qu'il mourra s'il continue ainsi. Désespéré, il appelle Bob Wright. «J'ai sorti sa carte que j'avais toujours sur moi et j'ai fait un appel à frais virés. Il m'a tout de suite promis de m'aider», témoigne-t-il.
Cet appel lui a sauvé la vie. Financé par M. Wright, Alusine s'envole pour le Ghana. Là-bas, une famille d'accueil l'attend. Il y reste pendant trois ans, le temps d'obtenir l'autorisation de partir pour le Canada. Puis, le 8 décembre 2003, Alusine arrive enfin à Montréal. «Je vais me rappeler ce jour toute ma vie. Il faisait tellement froid!» raconte-t-il en riant. Alusine s'installe chez M. Wright et s'habitue rapidement à sa nouvelle vie. Il complète un cours d'éducation aux adultes et entre à l'Université Concordia en 2004.
En plus d'aller à l'université, Alusine travaille pour l'organisme Youth in Action qui finance la construction d'écoles en Sierra Leone. Avec l'aide de la Croix-Rouge, Alusine réussit à apprendre que sa mère habite en Guinée. Quant à son père, il ne sait pas. «Dès que je demande où il est, ma mère ne dit rien. Il doit être mort», avance Alusine.
Quand il aura terminé ses études, Alusine veut s'investir à temps complet dans des projets d'aide humanitaire. «Je veux aussi retourner dans mon pays. Mais pas tout de suite. Je ne suis pas prêt», dit-il, les larmes aux yeux.
Le 22 novembre prochain, le YMCA du Grand Montréal remettra une médaille d'honneur à Alusine Bah, pour souligner son courage. Cet honneur le réjouit. «Si je peux être la voix des sans-voix, tant mieux. Car présentement, il y a encore des enfants qui vivent l'enfer en Afrique, et j'espère faire changer les choses», dit-il.
Ariane Lacoursière
La Presse
Source: cyberpresse
(M)