A travers quel prisme entrevoir une essence insaisissable dans son intégralité?
L’approche adoptée ici s’inspire du questionnement de l’identité culturelle propre à définir une spécificité nationale dont l’éclosion dans la réalité géo-politique consacre l’existence d’une entité distincte par son passé, par ses contours et par les circonstances de son engendrement. Dans ce sens, traiter de l’identité mauritanienne équivaudrait à interroger l’histoire, la géographie et les différentes sciences sociales à fin d’en dégager les paramètres fondateurs, les jonctions essentielles et les incontournables constances.
C’est aussi un exercice d’introspection collective, un effort d’inventaire résumé et un essai de description sommaire d’un archétype collectif ou "être national" dans sa tension séculaire entre l’unité dans les diversités et la diversité des unités en évolution permanente.
La richesse d’une histoire aux versants multiples (se ressourçant d’Afrique, d’Arabie, du Maghreb, d’Andalousie et du monde), la versatilité d’une géographie culturelle qui dépasse les frontières coloniales tracées au trapèze et l’hypersensibilité caractéristique à l’évocation d’un tel sujet en Mauritanie, renvoie au découragement, au malaise où à la démission théorique face à un thème dont les implications politiques alimentèrent plusieurs courants de pensée (nationaux et nationalistes), bien des querelles durables au sommet du pouvoir et demeurent actuelles dans le processus continuel et douloureux de l’Etat-nation.
La cristallisation de la question de l’identité sur l’aspect linguistique durant l’époque des "batailles identitaires" (pour reprendre une expression de Abdelkader Ould Mohamed dans Chroniques de la rupture, articles parus dans La Tribune , janvier 2006) a fortement éclipsé les autres dimensions de la culture mauritanienne, favorisé les approches ethnocentristes et mi en otage le questionnement transversal du passé et du présent.
Le jeu sémantique sur la nuance épidermique (blanc et noir; arabe et noir...), par simplification excessive et généralisation volontairement entretenue, ont réduit l’expression multiple d’une identité complexe aux clichés bi-colores, appauvri la compréhension d’une personnalité culturelle richement nuancée et favorisé l’émergence de préjugés basés sur l’ignorance de l’autre, l’amnésie de soi-même et la disqualification de la mémoire collective.
Aujourd’hui, comme hier, l’histoire nous interpelle, le passé murmure ses incantations malgré les agitations du présent, les silences du non dit et les enjeux du futur.
Espace de migrations humaines, de convergences culturelles, de croisements ethniques, de compétitions sur les ressources vitales (terres, puits, oasis, réseaux d’échanges...), de mélanges de styles (nomades, agriculteurs sédentaires, oasiens, pécheurs, chasseurs, semi-nomades...), de foisonnement d’entités politiques multi-nationales évanouies (Empire du Ghana, Royaume Almoravide, Fédérations Sanhaja, Royaumes du T’ékrour, Émirats maures...) et d’influences régionales séculaires (Empires du Mali et des Songhai à l’est et au sud, Royaumes marocains au nord, principautés et royaumes de la Sénégambie au sud et mouvements européens venant des côtes atlantiques à l’ouest..), la Mauritanie s’apprête difficilement aux lectures bi-ethniques courantes, aux théories de la confrontation inter-communautaire et à la sélectivité réductrice de la mémoire résumée en ces épisodes les plus tristes ou les plus rayonnants.
L’ampleur des changements survenus le dernier siècle (colonisation, sécheresses, indépendance, urbanisation, sédentarisation des nomades dans les centres urbains, nouvelle organisation administrative, l’insertion dans l’échange international, l’exploitation du fer, du poisson et du pétrole, l’émergence de nouvelles villes comme Nouakchott, les contacts avec la modernité, la démocratie, ...) entraîne une nouvelle configuration de l’identité culturelle désormais soumise à l’harmattan de la mondialisation conquérante et aux pluies de la production technique des sociétés de consommation.
Dans ce écrit, il sera plutôt question de la formation de l’identité traditionnelle; un préalable incontournable pour une compréhension de la personnalité mauritanienne et son devenir.
L’identité culturelle moderne s’inscrit dans un autre contexte et son analyse risque de nous éloigner des pistes dégagées entre ces lignes.
Sans prétendre cerner les contours d’une question largement complexe, ni vouloir réveiller les démons d’une thématique éloignée des préoccupations pratiques du moment (malgré le débat circonstanciel entamé dans la cadence de l’événementiel post-électoral) ; les réflexions suivantes espèrent participer à la culture de l’optimisme, du dépassement des replis communautaires et de la réhabilitation des aboutissements d’une histoire espacée comme les étendues de l’Awkaar, sinueuse comme les passes du Tagant, fertile comme les terres de la vallée, austère parfois comme certaines hamadas du Tiris et prolixe comme les poissonneuses côtes de Nouadhibou.
Les quelques citations de noms ou d’ouvrages, cités ici ou là, ne relèvent ni d’une affinité idéologique avec leurs auteurs, ni d’une démonstration de pédantisme. Il est simplement honnête d’indiquer la source d’une analyse ou l’origine d’une idée ou d’une expression empruntée à autrui. L’étiquette ou le penchant idéologique de quelqu’un ne disqualifie guère, à notre sens, de bonnes analyses qu’il peut produire et l’extrémisme politique n’exclue la hauteur de l’idée, la préoccupation nationale et l’option du repentir.
L’envergure du thème abordé , certes partiellement et subjectivement, nécessite la référence à des idées d’horizons diverses et de tendances contradictoires. Les regards croisés sur le même sujet engendrent ses facettes complémentaires au moment où l’unique regard porte l’intentionnalité réductrice du moment.
La légèreté avec laquelle certains (internautes utilisant des pseudonymes souvent) traitent le background culturel précédant l’actuelle Mauritanie et les héritages légués par ces différentes communautés (dont chacune a engendré des systèmes politiques complexes au cours de son histoire) relève du cafouillage électronique à la mode ces derniers temps .Les peuples portent leur histoire, connaissent leurs grandeurs et en sont mandataires dans la définition de leur devenir commun fait de continuités et de dépassements.
L’éclairage reste manquant sur l’inter-activité multiforme entre ces peuples, sujets et auteurs d’un destin qui les a vu converger vers les mêmes lieux, adorer le même Dieu, tracer des chemins semblables, paître leurs troupeaux sous des cieux sahéliens, chanter la vie et pleurer la nostalgie d’hier.
Aussi qu’on nous excuse des oublis quelque part, des répétitions ici ou là, une énumération probablement redondante pour les initiés (utile pour les généralisateurs de tout acabit) et certainement un penchant (naturel?) à plus disserter sur son milieu d’origine car l’on connaît souvent plus sa communauté culturelle de naissance et l’effort de connaître les autres demeure hélas insuffisant.Et comme tout discours porte ses propres limites (liées au langage) et les limites propres au regard de son auteur (surtout dans la précipitation du monde actuel), le présent écrit gravite simplement autour du souci de trouver dans le jadis collectif une consolation aux errements d’aujourd’hui et si possible les lueurs d’une cohérence sousbassant le flux multiforme des choses et des hommes sur cette portion du continent prise entre le vacarme des vagues océaniques et le silence des sables bruns.
L’âme mauritanienne, dont il est question ici, loin d’être la substance pure des théoriciens de l’antiquité, est plus exactement l’esprit qui sous tend les réalités collectives, rassemble les fragments de la diversité du vécu et donne vie et sens au corps territorial national avant et après le complexe processus de son apparition au podium des nations indépendantes.
Formée des imperceptibles liens qui charpentent l’identité collective d’une communauté liée à un territoire et à une histoire, elle en définit les valeurs fondamentales, les traits spécifiques et les continuités séculaires.
Son existence précède naturellement le projet de l’Etat et son expression tentaculaire en détermine les limites et les intarissables potentialités.Comme toute espèce immatérielle, elle garde son vibrant potentiel en dépit des imperfections, des souffrances et des blessures qui affectent son incarnation politique en tant qu’ Etat providentiel (distinct de l’Eat-providence) pris dans les conjonctures du temps planétaire.
Faute de pouvoir appréhender sa quintessence lointaine ou décrypter son mythe fondateur , le présent écrit tente d’en approcher les constituants fondamentaux dans leur réciproque inter-activité.
Quelque facteurs semblent déterminer sa composition plurielle et aident à placer quelques balises référentielles dans l’océan de l’événementiel saharo-sahélien.
Il s’agit, principalement, de la nature du climat saharien , de l’islam comme religion diffusée et acceptée depuis des dizaines de siècles et de l’appartenance viscérale à deux grands ensembles culturels intimement liés et bouillonnant de différences: l’Afrique et le monde arabe.
1.Le Sahara ou l’emprise du milieu sur les hommes
Ce paragraphe s’articulera essentiellement sur l’effet du changement climatique sur les mouvements de groupes humains et sur la composition mentale des nomades dans un contexte de pluralité culturelle.L’espace climatologique du désert ouest africain constitua le moule écologique dans lequel les éléments (physiques et mentaux) de l’homo-moritanicus ont composé avec les effets de la pluviométrie irrégulière, de l’ensoleillement excessif, du vent multi-vectoriel et de la rareté du couvert végétal.
Au sud du pays, la région de la vallée constitue un autre écosystème au couvert végétal plus dense, ayant une pluviométrie favorable aux différentes formes d’agriculture (Dieeri, Walo..) et formant une zone d’abondance et de migrations où convergent plusieurs cultures (soninkes, wolofs, peulhs,sereres, mandingues et maures).
Sa fertilité légendaire en fut un lieu de compétitions, un terroir d’attachement "mythologique" pour ses habitants et surtout un espace d’accumulation et de perpétuation d’une culture sédentaire (paysanne et fluviale) dont les paramètres cardinaux (le village, la terre, le troupeau, les ancêtres, l’eau du fleuve, les lignages, le livre, l’épée...) s’agencent de manière différente de la constellation tribale saharienne.
Cet espace naturel et culturel constitue un déterminant fondamental de l’identité mauritanienne (nous y reviendrons dans le troisième paragraphe sur la dimension africaine) aussi bien au niveau de son histoire locale qu’a travers son interaction multiforme avec l’ensemble saharien ici évoqué.
L’impact de l’environnement sur la vie des hommes et des choses dans le sahara est d’une telle ampleur que certains ont parlé d’une "dictature climatique" imposée par le milieu sur les groupes humains qui y habitent.
L’évolution de l’écosystème ouest-africain depuis le paléolithique vers une désertification progressive a eu d’énormes effets sur la composition végétale, animale et humaine dans cette partie du monde.
L’apparition d’un style de vie pastoral, et ses pratiques liées à l’instinct de survie, plus adapté à la rareté des précipitations a supplanté les modes d’existence antérieurs basés sur la chasse, la cueillette ou l’agriculture.
L’effet météorologique supplante ici, semble t il, les explications courantes sur les "invasions" programmées, les dominations préconçues et la logique de l’occupation étrangère préméditée.
Ainsi le dessèchement graduel du Sahara a conduit à de larges mouvements de populations vers des lieux plus "vivables" et facilité les migrations et la résidence temporaire ou permanente de nouveaux groupes dans des espaces désormais ouvert par l’étendue géographique et la turbulence historique des siècles passés.
Face à ce changement climatique certains se sont réfugiés vers des terres plus propices à l’agriculture (vallées, cuvettes, oueds, dépressions...), d’autres se sont accommodés avec ce milieu hostile en adoptant le mode de vie agropastoral au moment où la disparition de certains peuples au gré des circonstances géo-historiques a favorisé le passage ou l’installation de nouveaux arrivants aussi bien dans les terres inoccupées qu’au milieu des oasis en extension grâce aux anciens bafours.
La convergence des flux migratoires d’origine diverse (venant de l’Ethiopie, de la haute Egypte, de l’Arabie, du Macina, du Yemen, du Maghreb et de l’Andalousie) facilitée par cette ouverture naturelle du territoire, a crée ce que Feu Saydou Kane appelle «un espace ouvert de compétition et de compénétration ethniques malgré les conflits historiques connus qui traversent son histoire».(communication sur l’ Histoire de l’esclavage et des luttes anti-esclave, www. Webzinemaker).
Si l’utilisation du cheval, au temps des Garamantes (conquête du sahara entre le III ème et Ie premier millénaire avant Jésus) , immortalisée dans leurs peintures de fameuses charrettes à deux roues, a constitué une révolution militaire à l’époque; la domestication du dromadaire (introduit par les pasteurs berbères au II ème siècle avant l’ère chrétienne) et son adaptation multidimensionnelle à un espace aride a inauguré le long chapitre des nomades "enturbannés" lybico-berbères, Sanhaja et maures contemporains. Il s’ensuit également tout un mode d’existence lié au nomadisme camelin partagé par plusieurs autres populations africaines (du Sahel à la corne de l’Afrique) et asiatiques (de l’Arabie à la Mongolie).
Les expressions courantes de ce style de vie sont, entre autres, la transhumance à la quête des pâturages, l’élevage caprin, la stratification sociale rigide, l’organisation en tribus ou confédérations tribales, la fréquence des violences liées à la compétition sur les ressources, la psychologie de la survie dans un milieu naturel hostile, l’ubiquité des frontières spatiales, l’emprunt culturel aux voisins, l’importance stratégique et symbolique des puits, la récurrence des cycles de sécheresse, l’amour inconditionnel du troupeau familial, la quasi vénération du lait des chamelles, le penchant poétique, la passion pour les chevaux de race pure, la mobilité géographique des individus et des groupes, la toponymie du milieu à l’image du corps humain...etc.
La place du chameau dans le patrimoine existentiel maure est comparable à celui de la vache chez les éleveurs peulhs et autres peuples de la "civilisation bovine".
La symbiose séculaire du cheptel (camelin, ovin et bovin) appartenant aux différentes communautés et l’articulation de leur existence autour des puits et des pâturages communs et interchangeables exprime la dissolution séculaire des lignes de démarcation liées à l’appartenance ethnique, à la couleur de la peau ou à l’origine géographique.Elle traduit également la prévalence d’une morale humaniste de survie collective inspirée de l’universalisme islamique dans un contexte de précarité naturelle de chacun et de tous.
Hormis les razzias en temps de guerre (le plus souvent entre tribus ou fractions tribales rivales) les troupeaux de chacun zigzaguaient à gauche et à droite sur les longs parcours des terres sahariennes, pacageaient librement, s’abreuvaient ici ou là sans besoin d’enregistrement ni d’identification de leur provenance ou de leur appartenance.
L’image expressive de cette solidarité pour la survie collective est celle du puits, ce "cordon ombilical lié à la terre" (selon Saint -Exupery), où convergent les caravanes occasionnelles, les bêtes perdues, les habitués locaux et leurs voisins.
L’avènement de l’islam dans un milieu écologique au décor comparable à celui du sud de la péninsule arabique (désert, tribus, chameaux, palmiers, chèvres,..) et chez des populations auparavant disposées à l’esprit monothéiste sous l’influence judéo-chrétienne en Afrique du nord (comme le souligne le professeur Mohamed Lemine Ould El Kettab dans "Ouadane, port caravanier mauritanien" Ed.L"Harmattan 2006, p.20) a accéléré le rythme des bouleversements socio-politiques et culturels avec l’apparition du livre, la diffusion de sciences nouvelles, l’émergence de croyances révolutionnaires rapidement acceptées aussi bien chez les populations noires, berbères ou royaumes environnants.
Les circuits du commerce trans-saharien, par l’étendue de leur envergure géographique et la durée de leur continuité millénaire (bien avant le troc du sel saharien contre l’or du mystérieux peuple Wangara), ont encouragé la formation d’un patrimoine "urbain" où se brassaient les produits et les hommes dans les escales caravanières dont la prospérité économique et intellectuelle est de notoriété.
Ainsi le sel de la Sebkha du Djill (bien avant le fer de sa Kedia) et les dattes de l’Adrar, à titre d’exemple, s’échangeaient contre une multitude de produits du nord et du sud du sahara (textiles, mil, sorgho, arachides, perles, calebasses, or, armes,,...etc ) dans un trafic qui a fait la prospérité de plusieurs empires (Ghana, Songhai, Mali, le Makhzen marocain...) et a dépassé les frontières politiques des États actuels.
Oudane, Shinguitty, Tichitt, Kahedi, Oualata; à l’instar de Toumbouktou, Gao, Khayes, Sijilmassa, Nioro, Tlemcene ou Déjenné étaient, des siècles durant, de véritables laboratoires d’échanges, d’accumulation du savoir pluridisciplinaire (mosquées, bibliothèques, zaouïas aidant), d’expérimentation architecturale, d’approvisionnement en produits nécessaires pour leurs visiteurs et habitants, de refuge pour les rescapés des guerres inter-tribales...
Un vaste et profond brassage inter-ethnique caractérise ces citées dont plusieurs comportent des communautés noires et blanches vivant en symbiose et gardant parfois des traits culturels distinctifs (les Massna de Tichitt par exemple).
Des identités locales s’ y construisaient au fil du temps et des valeurs citadines s’ y
développèrent au coeur du désert.Une certaine manière d’être et une personnalité culturelle spécifiques marquent probablement leurs habitants surtout durant les siècles de prospérité avant la concurrence du commerce atlantique et les tambours de la colonisation.
Les fréquents déplacements dictés par la nature du milieu et la simplicité habituelle du mode de subsistance nomade ont réduit le patrimoine matériel des nomades à son expression la plus élémentaire: des tentes, quelques nattes, des calebasses rouges ou noires, les tassouffras décorées, le "Mechaqaab" ou buffet "porte tout", quelques ustensiles pour le thé et la cuisine sommaire, des coussins et couvertures en peaux de moutons;le tout portable et transportable au gré des circonstances.
Cette réduction utilitaire du hardware "civilisationnel", soumis par ailleurs à tous les facteurs de l’érosion climatique, se trouve compensée par le développement d’un software spirituel basé sur la mémoire, la tradition orale, la création poétique,la subtilité linguistique ( Tma’any ou culture de l’allusion chez les hassanophones), la divination, le penchant vers les sciences occultes, le savoir astrologique, l’appréciation de l’intelligence abstraite,..
L’effacement des traces, l’immensité du vide supplantant les campements d’hier et l’inconsistance de toute évidence de présence et d’action humaines dans plusieurs lieux jadis grouillant de monde ,sous l’effet conjugué de la météo et du temps, conduit à une vision du monde où le nihilisme et le fatalisme consommés côtoient l’éveil mystique et le souci de perfection morale face à la précarité de l’existence humaine, la fragilité de la vie mondaine et la résistance légendaire du minéral témoin éternel et solitaire des péripéties vécues; thèmes chantés dans plusieurs poèmes mauritaniens (Biil Nyaar, Bou-lewtaad, Lemteymech, M’boudaane, melzem Bousseif, Hssey Ijeraâne, Bell Teydoum, Hssey Eremach, Daar B’ayroubatt...).
Cet effacement naturel à double tranchant rend difficile l’établissement symbolique d’une mémoire collective vivante (physiquement) sur les lieux de l’événementiel historique pour la postérité tout en facilitant l’oubli et le dépassement de ses tristes épisodes.
La multiplicité des constats de disparition ( cités ensevelies, ethnies ou tribus éteintes, sites abandonnés à jamais...) renforce le penchant vers la nostalgie, le repentir, le repli vers soi, l’humilité face aux prétentions de la puissance humaine, la considération relative aux oeuvres d’ici bas, la résignation face au destin inévitable et la passion de Dieu dans la mentalité nomade.
Des ressorts mentaux qui se tissent au gré des conditions de vie, se trament dans le silence des métamorphoses psychologiques lentes, s’intériorisent quelque part et se transmettent de génération en génération à travers les contes, les proverbes, les dictons et les maximes de la morale du peu, de la modération, de l’endurance et du repentir.
Face à l’éphémère d’ici bas et aux sourdes plaintes des choses (rochers, dunes, arbres, passages divers...) murmurant l’évaporation de leurs occupants et le silence du néant laissé (Elvennaa Wal Addam) , toute une psychologie de la fin du monde, de l’apocalypse imminent et du renoncement prend place, s’installe et perdure.
L’on peut se demander dans un tel contexte si les collectivités humaines faisaient leur histoire où si le milieu et les circonstances du moment imposaient à ces communautés mobiles de marquer le pas au gré des péripéties convergentes?; quelle était la marge de manoeuvre dans une atmosphère aussi instable?; existait t il une préméditation à l’assimilation culturelle des autochtones par les autres? et est ce que la part du patrimoine perdu est comparable à ce qui en fut légué à la postérité?
Dans tous les cas, le mode de vie nomade, composante significative de l’être mauritanien, aujourd’hui en atrophie considérable dans sa variante campagnarde, constituait un système d’adaptation intégrale au milieu saharien comme l’explique l’encyclopédiste Moktar ould Hamidoun (paix sur son âme) dans l’introduction de "Hayat Mouritania" (tome I) où l’analyse de la culture passe par l’étude des arbres, de la faune du désert, des divisions géo-climatiques, des croisements généalogiques inextricables et l’interrogation des lieux qui ne recèlent plus, en plus du mystère de leur nomination que des cimetières rappelant des batailles inter-tribales, des poèmes glorifiant tel site hébergeant une bien aimée d’autrefois (et quel autrefois?) ou l’épisode d’une action qui a échappé à l’oubli.
Ce système traditionnel d’existence collective s’est bâti également sur un immense socle d’injustices humaines dont la servitude (physique, sociale et mentale) d’une nombreuse population (majoritairement de teint noir) réduite aux impitoyables lois de l’esclavage saharien en constitue une malheureuse constante.
Parmi les révoltes exprimées contre cette condition dramatique et dont les échos déchirants ont retenti entre les dunes et les montagnes impassibles du pays central nous retiendrons ici le préambule lyrique d’un poème de M’Haymid Messouma (esclave en affection partagée avec l’épouse de son maître de la tribu maraboutique de Messouma) :"Oh, combien il est pénible d’être un maure (bidhani) dans la parole et l’action; à l’esprit vif et fin , mourant d’amour pour ma maîtresse et noir (soudani), pourtant noir, risquant ma vie et mon intégrité pour ce dont j’ai l’insatiable soif".(son cruel maître, qui l’avait soumis à toutes les sortes de tortures, a plu tard succombé, comme par punition divine, dans l’une des imprévisibles crues des oueds de l’Assaba ou du Tagant, pour la petite histoire).
Sa vie de poète illuminé et sa réputation de savant confirmé, malgré l’embargo culturel sur les hommes de sa condition, en font un symbole de la révolte contre l’injustice.
A un autre niveau de la structuration mentale collective , sous les effets de la turbulence saharienne, l’on se trouve presque égaré dans une croisée de paradoxes, au centre d’un engrenage d’énigmes psycho-sociales défiant la raison linéaire.Il s’agit de cette difficulté à concilier des comportements culturels opposées mais vécus dans la proximité de leur manifestation.
D’un coté toute cette érudition, cette solidarité sociale automatique, cette hospitalité légendaire des campements, la peur du châtiment divin, la création poétique profuse, l’amour du prophète, la compassion face aux souffrances d’autrui, le partage du disponible , la tentation de la Mecque, la considération des hautes valeurs guerrières (le sens de l’honneur, le respect de la religion, la générosité, le refus des injustices, le courage face aux épreuves, l’initiation musicale et poétique des Maghafras), le respect du savoir, le culte des vertus maraboutiques cardinales ( décrites dans "Shiams Ezzawaya" de Mohamed Elyedali), les prières quotidiennes, la simplicité quasi primitive d’une vie acceptée comme telle, l’investissement dans la "demeure durable"; une batterie de valeurs qui ont existé et dont on se glorifie de temps à autre dans certains milieux.
Dans la même atmosphère et chez les même populations, l’on rencontre des pratiques et des croyances inversement proportionnelles en décadence, qui versent dans le registre du mal universel et concourent à la déchéance collective.Il s’agit de cette récurrence pathétique de la violence sanguinaire entre clans et tribus, la négation de l’humanité à une partie de la population réduite à un outil à exploiter sans scrupules, l’impitoyable stratification sociale réduisant une autre partie laborieuse et créatrice de la population à un statut d’"intouchables", la réhabilitation de certaines valeurs négatives de la "Jahiliya" pré-islamique, les vendettas sporadiques, les règlements de compte au sein des même familles pour le pouvoir politique dans les Émirats, l’esclavage conquérant banalisé, la rébellion à toutes les lois "civiles", la fluctuation du code moral, la trahison de l’allié, la compétition féroce sur les pâturages et les prestiges, la déception des alliances, la propension au saccage sans états d’âme, l’art de la ruse et de la feinte connu chez quelques animaux de la faune locale , la vanité démesurée, la loi de la jungle, ..etc.
Autant de faits sociaux séculaires qui ont conduit plusieurs historiens à qualifier notre territoire traditionnel de pays de l’anarchie ( El Bilad Essaiiba suivant une expression de Sheikh Mohamed El Mamy), d’angle de purgatoire (El Menkib Elbarzakhi) et conduit de notoires savants (dont Sheikh Saad Bouh Algalgamy et Sheikh Sidiya Baba du Trarza) à cautionner la pénétration coloniale française.
Le contraste moral est comparable ici au passage automatique d’un pâturage verdoyant en saison d’automne paisible à une terre brûlée en plein été aride et sans nuages à l’horizon.
Les périodes de paix, de réhabilitation d’une certaine "justice et d’une relative tranquillité (de mémoire de nomade), comme celle de l’émir Ahmed Lemhammed de l’Adrar (1871-1891) ou du long règne de l’émir M’hammed Lehbib du Trarza, étaient l’exception aux règles troublées du jeu local.
Quelques havres de tranquillité, notamment aux alentours des Zaouïas dirigées par des Cheikhs réputés par leur savoir encyclopédique et leur pouvoir occulte "terriblement" dissuasif (par l’activation de la "Tazzabut" ou punition providentielle à ceux qui osent les défier), offraient refuge aux rescapés de l’inférno saharien et à leur troupeau s’il en avaient.Certains de ces chefs religieux avaient aussi leurs cavaleries armées et leurs disciples (Tlamids) prêts à riposter ou attaquer leurs ennemis.
L’ ambivalence dans les valeurs, doublée d’une accentuation des pratiques contradictoires dans le même milieu social , surprend l’observation ordinaire .Sa continuité dans le temps et sa transposition dans un autre contexte (comme aujourd’hui à l’intérieur de l’administration et en milieu sédentaire) exprime la profondeur de son intériorisation.
Cette emprunte mitigée d’un désert où se côtoient certaines contradictions astronomiques ( les libertés quasi-sauvages et les servitudes les plus ingrates; le rayonnement intellectuel et l’ignorance répandue; la grandeur démesurée et les petitesses de l’homo-sapins) a profondément marquée la genèse d’une identité ensoleillée, corrosive, dispersée, ubique, contradictoire et chaleureuse en dépit des ombrages de la condition humaine sacrifiée sur l’autel de la survie et du prestige.
L’émergence de Nouakchott entre les dunes, baptisée un moment de "villes panneaux", traduit également cette relation viscérale (physiquement et mentalement) entre le vide et le plein, le désert et la nouvelle république islamique.
2.L’islam, catalyseur de changements et dénominateur culturel commun
L’islam a précédé, accompagné et profondément déterminé la formation de la société mauritanienne dans sa configuration psycho-sociale, l’échelle de ses valeurs morales, la définition de son horizon spirituel et ce au niveau de chaque composante sociale ou ethnique.
Au delà de son acceptation collective, de sa transcendance par rapport aux aléas des bouleversements socio-historiques dont il a participé et sa fonction de boussole spirituelle consultée au besoin; il a constitué un puissant diapason dans les métamorphoses politiques, les constances sociales et la diversité des expressions spirituelles du puzzle mental se ressourçant des origines les plus variées.
Parmi les moments forts qui ont marqué l’islamisation progressive et intensive du territoire et du peuple mauritaniens depuis la campagne réussie de Oqba ibn Nafii au VIII ème siècle retenons ici le rôle du mouvement politico-religieux almoravide (constitué en royaume vers 1054-1124), la diffusion de son esprit de reforme religieuse chez les tribus sanhaja et les habitants du Tekrour ( grâce au chef peul War Diaby Nd’yay), le développement des centres caravaniers favorisant l’enseignement religieux et l’organisation du pèlerinage, l’arrivée des tribus arabes et les conséquences de la guerre de Sharr-Bebba (vers 1644-1677) sur l’organisation sociale maure ( renforçant la professionnalisation dans les fonctions liées au savoir et à la religion) et de la révolution Torrobee vers 1776 en milieu Pulhar qui a inauguré un vaste mouvement de reformes sociales et religieuses dans le Fuuta et les régions environnantes.
La circulation de la foi et de la profession de foi islamiques dans les artères, veines et tissus du corps social mauritanien en font un organisme imbibe jusqu’à la moelle et au delà parfois, du moins au niveau des préceptes généraux unanimement sacrés: le respect du Coran, l’amour du prophète, l’espoir du salut...
Ainsi ,Comme le souligne Abdel Kader Ould Mohamed ,"dans l’imaginaire collectif des mauritaniens, la culture islamique est en effet, le seul élément attaché à perpétuelle demeure qui offre une référence commune, un passage obligé et un point culminant d’unité" (op.cité);
Dans la pratique, l’on rencontre une multitude de formes d’expressions populaires (allant de la piété scrupuleuse à l’observation mimétique et superficielle du rituel), de confréries religieuses (Qadiriya et Tijania majoritairement), de degrés d’instruction (allant d’un niveau d’alphabétisation sommaire à l’accumulation du savoir encyclopédique); malgré l’acceptation quasi-unanime du rite malekite comme école doctrinale dominante dans la majeur partie du pays.
Sur le plan théorique un continuel débat a opposé les savants de la "Zahirriya" (ou tenants du contenu textuel et apparent du livre) aux mystiques de la "Batiniyya" (ou voie intérieure) tendant vers la perfection de l’âme et l’investissement de la dimension occulte sous la direction d’un guide spirituel le plus souvent affilié à un ordre confrérique.Il en résulte une diversité de pratiques liturgiques, une variété de styles propres à chaque Zaouïa, des querelles de chapelles et des divergences d’interprétations des textes transcendant les considérations d’appartenance régionale, ethnique ou sociale.
L’islam saharien (mauritanien) comporte ainsi une nébuleuse de pistes et de chemins sur la voix de Dieu; partant de la même source (le Qoran et la Sunna prophétique), allant vers les même finalités par des voies variées dont le rite malekite (référant à l’Imam de Médina Malik Ibn Enness) constitue l’épine dorsale depuis l’introduction de la Muddawana (du Figh malekite) et des oeuvres d’Ikhlil Ibn Isshag par l’intermédiaire des savants pèlerins comme le détaille l’érudit Mohamed El Moktar Ould Bah dans la littérature juridique et l’évolution du malekisme en Mauritanie.
L’horizon islamique entraîne également le sentiment d’appartenance à une communauté plus large ( Oummout Mohammed) liée par la corde de la foi et la tentation de se déplacer vers d’autres lieux pour y élire demeure près du prophète (à la Mecque ou Médina).Des facteurs qui relativisent l’attachement aveugle à la terre natale, par la reconnaissance de la primauté des lieux saints, et tempère l’identification exclusive au groupe ethnique d’origine par son immersion dans le grand ensemble planétaire musulman.
Au niveau social l’existence d’une classe maraboutique influente (voir dominante) au sommet de la hiérarchie traditionnelle constitue une constante partagée, à divers degrés, chez les différentes ethnies du pays.
Si les marabouts ( les Moodinu des Soninkes et Zwayas des maures) formaient une sorte d’alliance au sommet avec les classes dirigeantes (Tinkalemmu et guerriers arabes); la société Pulhaar a vu ses marabouts guerriers en contrôle du pouvoir politique et du mouvement de reformes (sociales et morales) suivant l’instauration des dynasties Almmamiyaat dans le Fuuta Torro avec Thierno Souleymaan Baal en 1778.Il s’en suivit une redéfinition de l’organisation sociale Pulaar avec les hommes de religion au sommet de l’aristocratie foncière de la nouvelle république théocratique (les Torrobbees suivies des classes Rimbe, Subalbe, Sebbe, Dywambe et Gullunkobe) et le début de plusieurs guerres saintes (Jihads) partant de Goumel pour la propagation de l’islam en Afrique de l’ouest (notamment en pays Bambara, au Segu, dans le delta du Niger et chez les peulhs du Macina).C’est dire la profondeur de la valorisation et de la diffusion des activités culturelles et guerrières liées au religieux dans le corps social et mental collectif.
Dans ce décor où les livres, les fusils, les hommes et les biens circulaient inlassablement, la majorité nomade ou sédentaire (éleveurs, paysans ou artisans) islamisée et musulmane jouissait mentalement du confort mental procuré par l’esprit d’égalité des chances devant les lois divines (l’accès au repentir, la rédemption, le salut de l’âme,l’espoir du paradis, le pardon des péchés, la probabilité d’avoir la chance de faire partie des trois coudées de l’archange Gabriel...) au même moment qu’une grande partie de cette silencieuse communauté (toutes ethnies confondues) subissait l’injustice d’un ordre social perpétué par le biais d’une instrumentalisation idéologique raffinée du discours religieux.
L’Islam aurait été ce facteur pulvérisateur des cloisonnements ethniques, mobilisateur des révoltes potentielles, transformateur des ordres sociaux, distributeur de normes , géomètre d’une cartographie politique aux lignes variantes et lieu de refuge face aux imprévisibles aléas de l’histoire trouble du Sahara et du continent africain soumis à des pressions exogènes de plus en plus préoccupantes.
3.L’Afrique comme Berceau et comme déterminant
Continentale et côtière, la Mauritanie africaine se conjugue à tous les temps (du passé composé au futur simple), s’exprime dans tous ses lieux et tremble au rythme de tous les vents du Sahara, du Nil, du Maghreb, du soudan et du sahel.
Appartenant aux deux afriques simplifiées (l’Afrique noire au sud et l’Afrique blanche au nord suivant une schématisation courante) et aux deux "fluctuants" (noirs et arabes) suivant une formule de L.S.Senghor reprise dans les mémoires du premier président mauritanien (p.262) qui souhaitait en faire, suivant ses termes "un raccourci des deux afriques"..
Si "l’africanité" des ethnies noires mauritaniennes constitue un référentiel d’ancrage en profondeur dans le continent noir sur tous les plans (racial, culturel, historique, social et mental...), l’africanité culturelle et existentielle des maures demeure timidement exprimée, peu explorée malgré sa manifestation à tous les niveaux de la vie sociale et souvent réduite à la théorie de l’influence artistique (musique, vêtements) et mentale (sorcellerie, croyances animistes).
Une telle africanité est corroborée par plusieurs facteurs dont l’ancienneté des populations berbères Sanhajas en Afrique du nord (plus précisément les confédérations tribales Lemtouna, Gdala...sur le territoire de l’actuelle Mauritanie), l’existence d’une importante population maure de teint noir, le long séjour des tribus arabes hilaliennes en Afrique du nord (plusieurs siècles avant le mouvement des Beni Hassan vers les territoires de l’actuelle Mauritanie) et les osmoses (linguistiques, humaines et culturelles) entre ces populations, leurs voisins (autochtones ou migrants comme eux) et avec d’autres ethnies soudanaises ou sub-sahariennes durant l’époque des Émirats (Trarza, Brakna, Idawiiich et chefferies guerrières de l’est notamment) et des fragments de tribus maures exilés au fonds du Mali et au delà de la rive droite du fleuve sénégal.
Ainsi l’on retrouve chez toutes les communautés mauritaniennes des arts populaires, des coutumes, des apparences et des traditions inspirées d’autres peuples du continent et faisant désormais partie du patrimoine transmis de génération en génération au même moment que des traditions bédouines sont devenues pulhars, soninkes ou wolofs.
Et sans y rendre compte l’on se retrouve projeté dans cette zone médiane de l’homo-mauritanicus où se croisent ,chez toutes les ethnies, des pratiques et de rituels inspirés d’origines diverses et faisant désormais partie du vécu collectif: les jeux corporels (Hi-ri Hi-ri ou Ataaz) comme chez les Dinka du Soudan, des démonstrations vestimentaires exubérantes à la Songhai durant les fêtes, les coiffures d’enfants aux symboles touarègues ou nubiens, des repas mandingues, des chants égyptiens se référant au Nil, des rapports totémiques avec des animaux (scorpions, oiseaux) comme dans les traditions animistes Bambara, les grosses perles d’ambre jaune portées par toutes les sahéliennes et sahariennes, des croyances aux esprits d’ancêtres en présence active, des danses guerrières armes en main, des courses et danses de chevaux entraînés,
Zone inter-culturelle médiane dont la signification est rarement explorée comme cette "troisième ethnie" (que Ngaidee Abderrahmane définit comme les métis de tous cotes ) dont on parle peu et qui est pourtant au centre de la problématique identitaire.
Dans plusieurs aspects de la vie sociale et culturelle une ressemblance dans les habitudes renvoie à un phénomène de "télescopage permanent entre passé et présent, langage et réalités, conservatisme social et évolution des données sociales fondamentales..." comme l’écrit le prof Lo Gourmo à propos des manifestations de l’esclavage dans divers milieux.
Sous les effets du temps (l’histoire) et de l’espace ( milieu ) l’influence inter-communautaire multi-vectorielle résonnait au fonds du patrimoine oral, physique et mental.
La toponymie du "Trab El Bidaan" ne relève t elle pas des indélébiles empreintes negro-africaines (Guimi. Guebou...) comme le souligne le doyen Ba Oumar dans Le Fouta Toro au carrefour des cultures; au même moment que le mode de vie (physique et mental) des éleveurs Peulhs tend vers une "bédouinité" à la frontière de l’archétype islamique arabe originel.Un dicton exprime cette vocation d’inseparabilite essentielle en rappelant qu’"être né toucouleur, c’est être né musulman" en plus de la passion pour l’élevage, la conquête et les longs parcours.
L’étymologie et la tonalité des noms symboliques (totémiques) choisis par plusieurs tribus maures et exprimés majestueusement à voix haute durant les moments d’apothéose collective (pour la glorification et l’enchantement) comme Siibbe (Laghlal), Babbih (Tajakanet), N’dyeng (Awlad Dayman), Diakhitee révèlent la profondeur des passerelles mentales tissées dans le vécu, l’imaginaire et l’inconscient communautaires.
Au niveau de l’art musical, les divisions de la musique maure en trois voies principales ( blanche, noire et médiane) dont chacune comporte cinq modes (Karr, Vagou, Lekhal,Lebiadh et Lebteyt) et des sous modes "blanchis" ou "noircis" suivant la résonance de la Tiddinit (luth maure) et l’inspiration du griot traduit cet inextricable bouillon de brassage entre les influences africaines et le référentiel des colorations symboliques (blanches et noires) débouchant sur cette autre zone intermédiaire (Legneyddiya) et les itinérants bleues (Eshwaar Ezrag) qui font vibrer les plus fines cordes de l’être saharien.Par ailleurs l’origine mandingue des instruments utilisés, l’étymologie soninkee ou Pulhar de certains modes (Vaghou, Tenedjougha, Makhajougga, Sennyima...) se trouvent ici couplés aux chants d’Andalousie et aux poèmes maures en arabe classique (N’hayya, Leschwaars) et qui se croisent, vraiscemblablement, avec les sujets abordes dans les genres litteraires pulhars du "lelle" (chants d’amour) , du "Gumballa" (chants de guerre) et des "beytis"(poemes religieux).
Plusieurs afriques se bousculent ainsi à l’intérieur de chaque communauté et souvent dans le pathos (l’intérieur émotionnel) de chacun d’entre nous (consciemment ou non) s’exprimant à travers la parole, les gestes, les croyances, les habits et les habitudes, les coutumes, les rythmes, les couleurs, les peurs et les silences.
Parmi ces multiples afriques culturelles l’on peut citer, de façon schématique et descriptive, l’Afrique originelle (des croyances pré-islamiques et des forets sauvages), l’Afrique traditionnelle communautaire (ethnies, tribus, villages, campements solidaires), l’Afrique commerçante (caravanes, dioulas, boutiquiers des anciens temps..), l’Afrique islamique (des oulémas, des mahadras, des conquérants religieux), l’Afrique féodale (esclavage, domination aristocratique, stratification sociale par naissance), l’Afrique conflictuelle (querelles interminables, batailles rangées, violences gratuites...), l’Afrique des différences (déserts et forets, dialectes divers...) et l’"Afrique, mon Afrique" du manuel scolaire (celle des marigots, des crocodiles, de toto le gourmand, des baobabs et des palmiers au bord des dunes solitaires).
La présence d’anciennes entités politiques organisées (comme l’empire Soninkee du Wagadu ou Ghana, les royaumes du Tekrour et la confédération tribale Sanhaja) sur le territoire de l’actuelle Mauritanie et la proximité de formations historiques puissantes ayant sous leurs hégémonies de vastes territoires multi-ethniques dont une partie (plus ou mois vaste) de l’est et du sud mauritaniens a approfondi le degré d’influences, d’emprunts et d’échanges multi-culturels dans un contexte de brassages ethniques, de prospérité commerciale cyclique (trafic transsaharien) et d’ordre politico-militaire changeant.
Il s’agit notamment de l’empire du Mali (1235-1590) dont la capitale Niani servait de centre aux rois Mansa (dont le célèbre Kanko Moussa au pèlerinage féerique de 1325) et du second empire Songhai(1340-1591) dont la capitale Gao constituait un point de rencontre entre plusieurs routes tran-sahariennes, un centre de rayonnement culturel et un point de départ d’expéditions militaires vers les royaumes environnants sous les rois guerriers dont le fameux Sunni Ali Beer aux expéditions militaires allant au delà de la prise de Djenne en 1473 de Toumbouktou en 1468.
Dans ce cadre se situe la réalité de zone-tampon, au propre et au figuré, d’un territoire intermédiaire mis sous pression par ses voisins (du nord, du sud et de l’est) plus organisés et par moments en opposition.
Il n’est plus , des lors, surprenant de trouver dans le patrimoine culturel mauritanien (maure , peuhl, soninke ou wolof) les instruments de musique mandingues, des fastes vestimentaires songhais, des traditions haoussas ou bambaras...
La convergence d’influences régionales soutenues (en provenance des empires à l’est, du Makhzen au nord et des royaumes wolofs ou peulhs au sud) au cours du long processus des mutations culturelles locales n’est pas sans éclipser la dimension des présences mauritaniennes au coeur des profondes mutations socio-politiques et spirituelles régionales à travers des hommes d’envergure trans-nationale comme Sheikh Sid’El Mokhtar El Kunty 1730-1811 (dans l’Azawad, le pays touarègue, le Bornu, le Macina et le Mali du nord), El-Haj Omar El Fuuty 1795-1864 (dans le pays Bambara, le delta du Niger et au Fouta Djalon) et Sheikh Maalainin Elgalgamy m-1911 (dans le sahara occidental et les territoires du Makhzen marocain).
Là se révèle l’aspect trans-frontalier, panislamique, vectoriel, "expansionniste" peut être et révolutionnaire de l’identité mauritanienne dans ses expressions extra-territoriales africaines.
Dans ce carrefour de convergences plurielles, un vaste phénomène d’africanisation des arabes et d’arabisation des africains prend place dans tout le sahara et les zones environnantes.
Les lointaines racines de l’osmose entre ce qui est originellement africain et ce qui est fondamentalement arabe poussèrent ainsi dans une atmosphère où l’islam, le commerce, la politique, la survie, la libre circulation et la guerre tissaient les liens les plus inextricables.
L’essentielle fibre arabe de l’âme mauritanienne commence ainsi à germer, à s’étendre progressivement et par vagues sur un terrain de prédilection inséparable des dimensions sahariennes, islamiques et africaines.
4.L’Arabite dans la genèse de l’identité mauritanienne
Arabes vous avez dit arabes?
Vaste sujet où les passions plurielles, les raisons multiples (des uns et des autres) et les enjeux sémantiques et idéologico-politiques du moment se côtoient et se bousculent à la première pensée.
En limitant cette analyse à la société mauritanienne d’hier (çad d’avant l’indépendance) nous faisons l’économie de tremper dans les dédales de l’arabite comme enjeu politique, terrain de confrontation et problématique centrale du nationalisme arabe dépassant les frontières
d’états membres de la ligue arabe.
Il s’agit simplement ici de quelques réflexions éparses sur le rôle de la culture arabe comme déterminant essentiel dans la composition identitaire mauritanienne aussi bien au niveau de la composante maure (qualifiée couramment d’arabe-berbère ou d’arabe tout court) que dans la culture des ethnies négro-africaines islamisée depuis plus d’un millénaire et soumises à un large et ouvert contact avec les populations arabes voisines.
Plusieurs niveaux définissent le déterminant arabe dans la formation et l’expression de l’identité mauritanienne.Sur les plans racial, social, généalogique, linguistique, mental, psychologique et politique le facteur arabe a constitué l’une des matrices fondamentales de la définition et de l’identification d’une grande partie du peuplement mauritanien à travers les âges; surtout chez les nomades maures, comportant certaines des tribus hilaliennes qui traversèrent l’Afrique du nord en provenance du Yemen, dont le mode de vie s’apparente physiquement et mentalement aux bédouins de l’arabie du sud et dont la langue le "Hassania" (le parler des Béni Hassan) est plus proche de leurs dialectes que des versions parlées au Maghreb (comme l’explique la linguiste Catherine Taine-Cheikh dans son Dictionnaire Hassaniya-Français).
Plusieurs raisons historiques ont concouru à cette genèse: la conquête islamique vers l’an 711 apportant une cavalerie arabe dont une partie s’est installée pour de bon, la présence d’une diaspora arabe active dans tout le sahel (commerçants, voyageurs, historiens, hommes de religion, aventuriers, exilés volontaires...), l’ adoption de l’écriture arabe dans les correspondances officielles et les contrats locaux, la diffusion rapide de l’islam et de sa langue liturgique dans la région, les mélanges entre les populations arabes du maghreb et les berbères sanhaja, l’arrivée des tribus hilaniennes d’arabie depuis le XI ème siècle, le mouvement réformateur almoravide bousculant la géopolitique du Maghreb et du sud du sahara, l’acceptation du rite malékite chez les confédérations Lemtouna, le rôle intellectuel et juridique des "capitales caravanières", la pratique du pèlerinage à la mecque renforçant l’apport culturel des pèlerins multi-ethniques, le mouvement des tribus Béni Hassan vers l’ouest du sahara au XVI ème siècle et la constitution des Émirats maures sous des chefferies guerrières arabes après la guerre de Sharr-Bebba (1634-1677), les migrations arabes venant du maghreb suite aux conflits armées, le développement des Mahadras ou "universités nomades" recevant les étudiants des campements et des régions environnantes...
Si dans l’ensemble maure, et pour les multiples causes citées, l’arabite généalogique déclarée a constitué un patrimoine commun chez toutes les tribus ou presque, la revendication qorâichite, chérifienne voir hashemite se retrouve aussi chez plusieurs familles peulhs,soninkéés et wolofs.
Ainsi, en plus des Béni Hassan dont le dialecte a été adopté par la majorité des habitants du Trabe El Bidhaan (comme l’explique en détail le prof. HamahouLLah ould Salem dans l’origine des maures, le temps des Hassan, articles parus dans l’hebdomadaire Tahalil Hebdo), plusieurs tribus maures rattachent leur descendance à Oqba Ibn Naffii El vihri, à Qoraich (tribu du prophète), aux Anssar (compagnons de médina), aux Ommeyades (cousins des qoraychites), aux Alawites (descendants de Alioune Ibn Ebi taleb) ou à un ancêtre mythique venant de l’arabie après un pèlerinage.
La diffusion de la langue arabe s’est effectuée, apparemment, suivant ces indescriptibles lois de présence humaine prolongée dans le temps, d’élasticité des zones culturelles, de l’emprunt, de l’imitation volontaire, de l’acceptation populaire de la religion musulmane à une époque où le système éducatif n’avait pas de ministère.Il en est de même de la célébration des coutumes et valeurs pulaars, soninkees ou wolofs chez les "bidhanes".
Dans le Fouta, l’approfondissement de l’islam et sa diffusion au Tekrour, les brassages humains dans les dynasties d’origines ethniques variées, le voisinage avec les Brakna et Trarza maures, la révolution Toroddo en 1776 et l’instauration de l’Almamyat, le mouvement des pèlerins, commerçants et étudiants, ont été parmi les facteurs de diffusion de la langue arabe.
La généalogie de plusieurs familles Halpulaar, wolof, Soninke ou Bambara dénote d’une recherche passionnée d’ancêtres arabo-berbères comme le souligne feu Saidou Kane dans son article cité précédemment; au même moment que des familles maures ont intégré les Kane, Wane, Sy,Ly, Hanne.
Outre la dimension idéologique, liée aux reclassements entre clans et les prestiges de naissance, la valeur symbolique de cette propension répandue à la quête d’origines arabes exprime la valeur quasi mythique d’une telle appartenance dans l’imaginaire collectif traditionnel (toutes communautés confondues).
Se rapprocher de tout ce qui peut relier au saint prophète Mohamed (SLAWS) et ses disciples (les Sahabas) était une valeur cardinale dans les villages et campements musulmans du sud du sahara.
L’apprentissage de la langue arabe, voir la maîtrise de l’arabe classique, était une valeur qui traversait toutes les communautés ethniques et constituait un critère de promotion et de valorisation sociales (statut convoité par la langue de Môlière après la colonisation). Ces prédispositions positives à la langue de l’islam encourageaient la fréquence des emprunts lexicaux, des choix de noms arabes aux nouveaux nés et la tendance courante de certains campements maures (fuyant la rage de leurs cousins ou d’autres tribus arabes) à prendre refuge et chercher protection chez les populations noires voisines qui les recevaient avec beaucoup d’égards et établissaient des liens spécifiques avec eux et leurs représentants.
Un dicton maure, souvent repris dans les poèmes hassaniya de l’émission hebdomadaire de radio Mauritanie "El Edeb Eshaebi" (La littérature populaire maure) de feu Ould sid’Brahim, ne dit il pas expressément qu’"en lieu où vivent les noirs, les maures ne furent jamais inquiétés (Bled vih Essoudaan ma yebtaatou vih El-bidaan) traduisant cette propension séculaire des maures à se sentir bien chez eux au delà du fleuve et de l’Azawad.
La présence continuelle d’étudiants d’origines ethniques variées dans les centres d’études religieuses (les Mahadras) et dont certains devenaient plus tard des enseignants du Qoran voir des Sheikhs (guides religieux) dans leurs communautés d’origine (et au delà) renforçait la permanence des échanges culturels avec l’aide de ce support linguistique (la langue arabe) qui les reliait à un ensemble dont les rivages atteignirent l’Asie lointaine.
Au niveau des tribus berbères l’islamisation rapide, le développement des sciences religieuses et le voisinage avec la diaspora arabe du Maghreb ont préparé le terrain pour une arabisation culturelle effective avec l’assimilation de la langue des conquérants arabes (Béni Hassan) et le repli voir la quasi disparition du berbère, considéré comme le langage des vaincus après la guerre de Sharr Bebba (comme l’explique Abdelwedoud Ould Cheikh dans Éléments d’histoire de la Mauritanie, Ed. du Centre culturel Saint Exupery de Nouakchott).
Dans la société maure, l"‘arabité" culturelle se double d’une "arabité" fonctionnelle ou sociale représentée par les tribus guerrières ayant comme vocation le port des armes, la défense du "territoire", l’exercice des hautes fonctions politiques pour certains et la pratique des arts liés à la guerre: le maniement des sabres, le tir, l’usage des chevaux et des chameaux dans les combats, la protection des griots et l’appréciation de leur art surtout avant l’affrontement avec l’ennemi (Vagou, Senniyima...), le culte de la témérité et des valeurs chevaleresques comme le détaille en termes plus exacts Abdelwedoud Ould Cheikh dans Islam, nomadisme et pouvoir politique dans la société maure pré-coloniale, Université de Paris IV 1974).
Cette classe sociale, aux origines ethniques diverses ( tribus arabes, guerriers berbères et cavaliers noirs du Trarza) est souvent symbolisée par l’étrier (Errikab) comme le souligne le titre de l’analyse sociologique de Francis de Chassey sur la société traditionnelle mauritanienne "l’étrier, la houe et le livre"; trois symboles des modes de production "dominants" dans des communautés humaines stratifiées.
La tentation populaire d’une arabité d’origine se double d’une quête existentielle à l’arabite originelle (ou originale) exprimée chez certains poètes mauritaniens qui voulaient dépasser le niveau d’excellence des Mouaallaqat (Sept à dix poèmes pré-islamiques, chefs d’oeuvre sélectionnés et collés à la Kaaba) et appeler les anciens poètes de la Jahiliya à se relever de leurs tombes pour descendre sur le terrain de la joute poétique dans leur langue littéraire pure (El voussha) et dans des lieux qui leurs seront familiers.A ce propos quelques poèmes de Mohamed Ibn Tolba El-Yaaqouby et de Sidi-Mohamed Ibn Maham El-Alawi (repris dans Al-Wassit de Mohamed Lemine Eshinguitty) traduisent cette vocation.
La vocation arabe entre le purisme originel, l’appartenance fonctionnelle (liée au statut social), l’attachement symbolique (à cause de l’islam) et l’acceptation populaire spontanée constituera une dimension essentielle de la genèse (psychologique et matérielle) de l’être mauritanien, bien avant la colonisation française et l’émergence des idéologies nouvelles (dont le panarabisme).
L’écho favorable et l’enthousiasme volontariste pour la culture arabo-islamique dans le Fuuta consacrera, des siècles durant, l’âge d’or de la complémentarité arabo-africaine qui a transcendé toutes les barrières communautaires et pulvérisé les cloisonnements (sociaux, géographiques, ethniques...) les plus anciens.
Là aussi se révèle l’épine dorsale d’une réalité composite, évolutive et rebelle aux simplifications du discours idéologique.
Conclusion
L’absence d’une autorité centrale couvrant le territoire de l’actuelle Mauritanie avant la colonisation et la diversité de nominations (le Tekrur, El-maghrib El-aqssa...) suivant les époques dont Bilad-Shinguitt (pays des originaires de la ville sainte de Shinguitty) fut l’identification la plus courante (notamment en Orient islamique), n’exclue l’existence d’une personnalité culturelle spécifique transcendant les particularités régionales ou linguistiques.
Cependant, plusieurs facteurs rendent illusoire l’expression d’une identité nationale basée sur des considérations de primauté territoriale d’une communauté ethnique singulière, d’homogénéité culturelle à caractère racial ou d’une juxtaposition bi-ethnique détachée du contexte d’ interaction entre les composantes d’une diversité évolutive.
Parmi ces facteurs généraux signalons ici l’ethno-genèse multi-ethnique de chacune des composantes linguistiques du pays, la trajectoire de migration des peuples en question, la dispersion géographique trans-frontalière de chaque communauté, l’inexistence d’une unité politique precoloniale sur le large terrain et au niveau de chaque groupe ethnique, les impératifs de survie dans un environnement hostile et conflictuel, la primauté de l’appartenance immédiate (au clan, à la fraction tribale, au lignage...) et la prééminence des bouleversements historiques résultant du partage de l’Afrique par les puissances coloniales et de la mondialisation des échanges internationaux.
L’émergence de l’Etat national, ce "leviathan" qui engloutit toutes les créatures sur son chemin (comme le dirait th.Hobbes), suppose l’existence d’une âme propre à l’espace mauritanien au delà des contingences de la volonté coloniale et des sacrifices des pionniers de l’indépendance.
Cette âme constitue naturellement le ressort ontologique de la république, le réceptacle de toutes ses diversités rassemblées et la raison de sa continuité en dépit des imperfections et malaises du corps politique, social ou culturel.
Elle porte en elle le souffle transcendant les contingences de l’histoire locale, les détails de l’organisation technique de l’Etat, les antagonismes structurels ou conjoncturels de l’après indépendance, les querelles de partage du pouvoir et les aléas de la mondialisation conquérante.
Les effets conjugués et alchimiques de ses déterminants fondamentaux (l’islam, les cultures arabe et africaine et l’environnement du sahara et du sahel) en font un creuset de rayonnement, un espace de vulnérabilité (à cause de la possibilité de jeu sur ses diversités culturelles et l’ouverture naturelle de ses frontières terrestres et maritimes ) et un carrefour de paradoxes où les énigmes de la complexité locale rendent la perception mitigée, l’attachement à degrés variables et le projet national en perd.
source: Tahahil Hebdo
L’approche adoptée ici s’inspire du questionnement de l’identité culturelle propre à définir une spécificité nationale dont l’éclosion dans la réalité géo-politique consacre l’existence d’une entité distincte par son passé, par ses contours et par les circonstances de son engendrement. Dans ce sens, traiter de l’identité mauritanienne équivaudrait à interroger l’histoire, la géographie et les différentes sciences sociales à fin d’en dégager les paramètres fondateurs, les jonctions essentielles et les incontournables constances.
C’est aussi un exercice d’introspection collective, un effort d’inventaire résumé et un essai de description sommaire d’un archétype collectif ou "être national" dans sa tension séculaire entre l’unité dans les diversités et la diversité des unités en évolution permanente.
La richesse d’une histoire aux versants multiples (se ressourçant d’Afrique, d’Arabie, du Maghreb, d’Andalousie et du monde), la versatilité d’une géographie culturelle qui dépasse les frontières coloniales tracées au trapèze et l’hypersensibilité caractéristique à l’évocation d’un tel sujet en Mauritanie, renvoie au découragement, au malaise où à la démission théorique face à un thème dont les implications politiques alimentèrent plusieurs courants de pensée (nationaux et nationalistes), bien des querelles durables au sommet du pouvoir et demeurent actuelles dans le processus continuel et douloureux de l’Etat-nation.
La cristallisation de la question de l’identité sur l’aspect linguistique durant l’époque des "batailles identitaires" (pour reprendre une expression de Abdelkader Ould Mohamed dans Chroniques de la rupture, articles parus dans La Tribune , janvier 2006) a fortement éclipsé les autres dimensions de la culture mauritanienne, favorisé les approches ethnocentristes et mi en otage le questionnement transversal du passé et du présent.
Le jeu sémantique sur la nuance épidermique (blanc et noir; arabe et noir...), par simplification excessive et généralisation volontairement entretenue, ont réduit l’expression multiple d’une identité complexe aux clichés bi-colores, appauvri la compréhension d’une personnalité culturelle richement nuancée et favorisé l’émergence de préjugés basés sur l’ignorance de l’autre, l’amnésie de soi-même et la disqualification de la mémoire collective.
Aujourd’hui, comme hier, l’histoire nous interpelle, le passé murmure ses incantations malgré les agitations du présent, les silences du non dit et les enjeux du futur.
Espace de migrations humaines, de convergences culturelles, de croisements ethniques, de compétitions sur les ressources vitales (terres, puits, oasis, réseaux d’échanges...), de mélanges de styles (nomades, agriculteurs sédentaires, oasiens, pécheurs, chasseurs, semi-nomades...), de foisonnement d’entités politiques multi-nationales évanouies (Empire du Ghana, Royaume Almoravide, Fédérations Sanhaja, Royaumes du T’ékrour, Émirats maures...) et d’influences régionales séculaires (Empires du Mali et des Songhai à l’est et au sud, Royaumes marocains au nord, principautés et royaumes de la Sénégambie au sud et mouvements européens venant des côtes atlantiques à l’ouest..), la Mauritanie s’apprête difficilement aux lectures bi-ethniques courantes, aux théories de la confrontation inter-communautaire et à la sélectivité réductrice de la mémoire résumée en ces épisodes les plus tristes ou les plus rayonnants.
L’ampleur des changements survenus le dernier siècle (colonisation, sécheresses, indépendance, urbanisation, sédentarisation des nomades dans les centres urbains, nouvelle organisation administrative, l’insertion dans l’échange international, l’exploitation du fer, du poisson et du pétrole, l’émergence de nouvelles villes comme Nouakchott, les contacts avec la modernité, la démocratie, ...) entraîne une nouvelle configuration de l’identité culturelle désormais soumise à l’harmattan de la mondialisation conquérante et aux pluies de la production technique des sociétés de consommation.
Dans ce écrit, il sera plutôt question de la formation de l’identité traditionnelle; un préalable incontournable pour une compréhension de la personnalité mauritanienne et son devenir.
L’identité culturelle moderne s’inscrit dans un autre contexte et son analyse risque de nous éloigner des pistes dégagées entre ces lignes.
Sans prétendre cerner les contours d’une question largement complexe, ni vouloir réveiller les démons d’une thématique éloignée des préoccupations pratiques du moment (malgré le débat circonstanciel entamé dans la cadence de l’événementiel post-électoral) ; les réflexions suivantes espèrent participer à la culture de l’optimisme, du dépassement des replis communautaires et de la réhabilitation des aboutissements d’une histoire espacée comme les étendues de l’Awkaar, sinueuse comme les passes du Tagant, fertile comme les terres de la vallée, austère parfois comme certaines hamadas du Tiris et prolixe comme les poissonneuses côtes de Nouadhibou.
Les quelques citations de noms ou d’ouvrages, cités ici ou là, ne relèvent ni d’une affinité idéologique avec leurs auteurs, ni d’une démonstration de pédantisme. Il est simplement honnête d’indiquer la source d’une analyse ou l’origine d’une idée ou d’une expression empruntée à autrui. L’étiquette ou le penchant idéologique de quelqu’un ne disqualifie guère, à notre sens, de bonnes analyses qu’il peut produire et l’extrémisme politique n’exclue la hauteur de l’idée, la préoccupation nationale et l’option du repentir.
L’envergure du thème abordé , certes partiellement et subjectivement, nécessite la référence à des idées d’horizons diverses et de tendances contradictoires. Les regards croisés sur le même sujet engendrent ses facettes complémentaires au moment où l’unique regard porte l’intentionnalité réductrice du moment.
La légèreté avec laquelle certains (internautes utilisant des pseudonymes souvent) traitent le background culturel précédant l’actuelle Mauritanie et les héritages légués par ces différentes communautés (dont chacune a engendré des systèmes politiques complexes au cours de son histoire) relève du cafouillage électronique à la mode ces derniers temps .Les peuples portent leur histoire, connaissent leurs grandeurs et en sont mandataires dans la définition de leur devenir commun fait de continuités et de dépassements.
L’éclairage reste manquant sur l’inter-activité multiforme entre ces peuples, sujets et auteurs d’un destin qui les a vu converger vers les mêmes lieux, adorer le même Dieu, tracer des chemins semblables, paître leurs troupeaux sous des cieux sahéliens, chanter la vie et pleurer la nostalgie d’hier.
Aussi qu’on nous excuse des oublis quelque part, des répétitions ici ou là, une énumération probablement redondante pour les initiés (utile pour les généralisateurs de tout acabit) et certainement un penchant (naturel?) à plus disserter sur son milieu d’origine car l’on connaît souvent plus sa communauté culturelle de naissance et l’effort de connaître les autres demeure hélas insuffisant.Et comme tout discours porte ses propres limites (liées au langage) et les limites propres au regard de son auteur (surtout dans la précipitation du monde actuel), le présent écrit gravite simplement autour du souci de trouver dans le jadis collectif une consolation aux errements d’aujourd’hui et si possible les lueurs d’une cohérence sousbassant le flux multiforme des choses et des hommes sur cette portion du continent prise entre le vacarme des vagues océaniques et le silence des sables bruns.
L’âme mauritanienne, dont il est question ici, loin d’être la substance pure des théoriciens de l’antiquité, est plus exactement l’esprit qui sous tend les réalités collectives, rassemble les fragments de la diversité du vécu et donne vie et sens au corps territorial national avant et après le complexe processus de son apparition au podium des nations indépendantes.
Formée des imperceptibles liens qui charpentent l’identité collective d’une communauté liée à un territoire et à une histoire, elle en définit les valeurs fondamentales, les traits spécifiques et les continuités séculaires.
Son existence précède naturellement le projet de l’Etat et son expression tentaculaire en détermine les limites et les intarissables potentialités.Comme toute espèce immatérielle, elle garde son vibrant potentiel en dépit des imperfections, des souffrances et des blessures qui affectent son incarnation politique en tant qu’ Etat providentiel (distinct de l’Eat-providence) pris dans les conjonctures du temps planétaire.
Faute de pouvoir appréhender sa quintessence lointaine ou décrypter son mythe fondateur , le présent écrit tente d’en approcher les constituants fondamentaux dans leur réciproque inter-activité.
Quelque facteurs semblent déterminer sa composition plurielle et aident à placer quelques balises référentielles dans l’océan de l’événementiel saharo-sahélien.
Il s’agit, principalement, de la nature du climat saharien , de l’islam comme religion diffusée et acceptée depuis des dizaines de siècles et de l’appartenance viscérale à deux grands ensembles culturels intimement liés et bouillonnant de différences: l’Afrique et le monde arabe.
1.Le Sahara ou l’emprise du milieu sur les hommes
Ce paragraphe s’articulera essentiellement sur l’effet du changement climatique sur les mouvements de groupes humains et sur la composition mentale des nomades dans un contexte de pluralité culturelle.L’espace climatologique du désert ouest africain constitua le moule écologique dans lequel les éléments (physiques et mentaux) de l’homo-moritanicus ont composé avec les effets de la pluviométrie irrégulière, de l’ensoleillement excessif, du vent multi-vectoriel et de la rareté du couvert végétal.
Au sud du pays, la région de la vallée constitue un autre écosystème au couvert végétal plus dense, ayant une pluviométrie favorable aux différentes formes d’agriculture (Dieeri, Walo..) et formant une zone d’abondance et de migrations où convergent plusieurs cultures (soninkes, wolofs, peulhs,sereres, mandingues et maures).
Sa fertilité légendaire en fut un lieu de compétitions, un terroir d’attachement "mythologique" pour ses habitants et surtout un espace d’accumulation et de perpétuation d’une culture sédentaire (paysanne et fluviale) dont les paramètres cardinaux (le village, la terre, le troupeau, les ancêtres, l’eau du fleuve, les lignages, le livre, l’épée...) s’agencent de manière différente de la constellation tribale saharienne.
Cet espace naturel et culturel constitue un déterminant fondamental de l’identité mauritanienne (nous y reviendrons dans le troisième paragraphe sur la dimension africaine) aussi bien au niveau de son histoire locale qu’a travers son interaction multiforme avec l’ensemble saharien ici évoqué.
L’impact de l’environnement sur la vie des hommes et des choses dans le sahara est d’une telle ampleur que certains ont parlé d’une "dictature climatique" imposée par le milieu sur les groupes humains qui y habitent.
L’évolution de l’écosystème ouest-africain depuis le paléolithique vers une désertification progressive a eu d’énormes effets sur la composition végétale, animale et humaine dans cette partie du monde.
L’apparition d’un style de vie pastoral, et ses pratiques liées à l’instinct de survie, plus adapté à la rareté des précipitations a supplanté les modes d’existence antérieurs basés sur la chasse, la cueillette ou l’agriculture.
L’effet météorologique supplante ici, semble t il, les explications courantes sur les "invasions" programmées, les dominations préconçues et la logique de l’occupation étrangère préméditée.
Ainsi le dessèchement graduel du Sahara a conduit à de larges mouvements de populations vers des lieux plus "vivables" et facilité les migrations et la résidence temporaire ou permanente de nouveaux groupes dans des espaces désormais ouvert par l’étendue géographique et la turbulence historique des siècles passés.
Face à ce changement climatique certains se sont réfugiés vers des terres plus propices à l’agriculture (vallées, cuvettes, oueds, dépressions...), d’autres se sont accommodés avec ce milieu hostile en adoptant le mode de vie agropastoral au moment où la disparition de certains peuples au gré des circonstances géo-historiques a favorisé le passage ou l’installation de nouveaux arrivants aussi bien dans les terres inoccupées qu’au milieu des oasis en extension grâce aux anciens bafours.
La convergence des flux migratoires d’origine diverse (venant de l’Ethiopie, de la haute Egypte, de l’Arabie, du Macina, du Yemen, du Maghreb et de l’Andalousie) facilitée par cette ouverture naturelle du territoire, a crée ce que Feu Saydou Kane appelle «un espace ouvert de compétition et de compénétration ethniques malgré les conflits historiques connus qui traversent son histoire».(communication sur l’ Histoire de l’esclavage et des luttes anti-esclave, www. Webzinemaker).
Si l’utilisation du cheval, au temps des Garamantes (conquête du sahara entre le III ème et Ie premier millénaire avant Jésus) , immortalisée dans leurs peintures de fameuses charrettes à deux roues, a constitué une révolution militaire à l’époque; la domestication du dromadaire (introduit par les pasteurs berbères au II ème siècle avant l’ère chrétienne) et son adaptation multidimensionnelle à un espace aride a inauguré le long chapitre des nomades "enturbannés" lybico-berbères, Sanhaja et maures contemporains. Il s’ensuit également tout un mode d’existence lié au nomadisme camelin partagé par plusieurs autres populations africaines (du Sahel à la corne de l’Afrique) et asiatiques (de l’Arabie à la Mongolie).
Les expressions courantes de ce style de vie sont, entre autres, la transhumance à la quête des pâturages, l’élevage caprin, la stratification sociale rigide, l’organisation en tribus ou confédérations tribales, la fréquence des violences liées à la compétition sur les ressources, la psychologie de la survie dans un milieu naturel hostile, l’ubiquité des frontières spatiales, l’emprunt culturel aux voisins, l’importance stratégique et symbolique des puits, la récurrence des cycles de sécheresse, l’amour inconditionnel du troupeau familial, la quasi vénération du lait des chamelles, le penchant poétique, la passion pour les chevaux de race pure, la mobilité géographique des individus et des groupes, la toponymie du milieu à l’image du corps humain...etc.
La place du chameau dans le patrimoine existentiel maure est comparable à celui de la vache chez les éleveurs peulhs et autres peuples de la "civilisation bovine".
La symbiose séculaire du cheptel (camelin, ovin et bovin) appartenant aux différentes communautés et l’articulation de leur existence autour des puits et des pâturages communs et interchangeables exprime la dissolution séculaire des lignes de démarcation liées à l’appartenance ethnique, à la couleur de la peau ou à l’origine géographique.Elle traduit également la prévalence d’une morale humaniste de survie collective inspirée de l’universalisme islamique dans un contexte de précarité naturelle de chacun et de tous.
Hormis les razzias en temps de guerre (le plus souvent entre tribus ou fractions tribales rivales) les troupeaux de chacun zigzaguaient à gauche et à droite sur les longs parcours des terres sahariennes, pacageaient librement, s’abreuvaient ici ou là sans besoin d’enregistrement ni d’identification de leur provenance ou de leur appartenance.
L’image expressive de cette solidarité pour la survie collective est celle du puits, ce "cordon ombilical lié à la terre" (selon Saint -Exupery), où convergent les caravanes occasionnelles, les bêtes perdues, les habitués locaux et leurs voisins.
L’avènement de l’islam dans un milieu écologique au décor comparable à celui du sud de la péninsule arabique (désert, tribus, chameaux, palmiers, chèvres,..) et chez des populations auparavant disposées à l’esprit monothéiste sous l’influence judéo-chrétienne en Afrique du nord (comme le souligne le professeur Mohamed Lemine Ould El Kettab dans "Ouadane, port caravanier mauritanien" Ed.L"Harmattan 2006, p.20) a accéléré le rythme des bouleversements socio-politiques et culturels avec l’apparition du livre, la diffusion de sciences nouvelles, l’émergence de croyances révolutionnaires rapidement acceptées aussi bien chez les populations noires, berbères ou royaumes environnants.
Les circuits du commerce trans-saharien, par l’étendue de leur envergure géographique et la durée de leur continuité millénaire (bien avant le troc du sel saharien contre l’or du mystérieux peuple Wangara), ont encouragé la formation d’un patrimoine "urbain" où se brassaient les produits et les hommes dans les escales caravanières dont la prospérité économique et intellectuelle est de notoriété.
Ainsi le sel de la Sebkha du Djill (bien avant le fer de sa Kedia) et les dattes de l’Adrar, à titre d’exemple, s’échangeaient contre une multitude de produits du nord et du sud du sahara (textiles, mil, sorgho, arachides, perles, calebasses, or, armes,,...etc ) dans un trafic qui a fait la prospérité de plusieurs empires (Ghana, Songhai, Mali, le Makhzen marocain...) et a dépassé les frontières politiques des États actuels.
Oudane, Shinguitty, Tichitt, Kahedi, Oualata; à l’instar de Toumbouktou, Gao, Khayes, Sijilmassa, Nioro, Tlemcene ou Déjenné étaient, des siècles durant, de véritables laboratoires d’échanges, d’accumulation du savoir pluridisciplinaire (mosquées, bibliothèques, zaouïas aidant), d’expérimentation architecturale, d’approvisionnement en produits nécessaires pour leurs visiteurs et habitants, de refuge pour les rescapés des guerres inter-tribales...
Un vaste et profond brassage inter-ethnique caractérise ces citées dont plusieurs comportent des communautés noires et blanches vivant en symbiose et gardant parfois des traits culturels distinctifs (les Massna de Tichitt par exemple).
Des identités locales s’ y construisaient au fil du temps et des valeurs citadines s’ y
développèrent au coeur du désert.Une certaine manière d’être et une personnalité culturelle spécifiques marquent probablement leurs habitants surtout durant les siècles de prospérité avant la concurrence du commerce atlantique et les tambours de la colonisation.
Les fréquents déplacements dictés par la nature du milieu et la simplicité habituelle du mode de subsistance nomade ont réduit le patrimoine matériel des nomades à son expression la plus élémentaire: des tentes, quelques nattes, des calebasses rouges ou noires, les tassouffras décorées, le "Mechaqaab" ou buffet "porte tout", quelques ustensiles pour le thé et la cuisine sommaire, des coussins et couvertures en peaux de moutons;le tout portable et transportable au gré des circonstances.
Cette réduction utilitaire du hardware "civilisationnel", soumis par ailleurs à tous les facteurs de l’érosion climatique, se trouve compensée par le développement d’un software spirituel basé sur la mémoire, la tradition orale, la création poétique,la subtilité linguistique ( Tma’any ou culture de l’allusion chez les hassanophones), la divination, le penchant vers les sciences occultes, le savoir astrologique, l’appréciation de l’intelligence abstraite,..
L’effacement des traces, l’immensité du vide supplantant les campements d’hier et l’inconsistance de toute évidence de présence et d’action humaines dans plusieurs lieux jadis grouillant de monde ,sous l’effet conjugué de la météo et du temps, conduit à une vision du monde où le nihilisme et le fatalisme consommés côtoient l’éveil mystique et le souci de perfection morale face à la précarité de l’existence humaine, la fragilité de la vie mondaine et la résistance légendaire du minéral témoin éternel et solitaire des péripéties vécues; thèmes chantés dans plusieurs poèmes mauritaniens (Biil Nyaar, Bou-lewtaad, Lemteymech, M’boudaane, melzem Bousseif, Hssey Ijeraâne, Bell Teydoum, Hssey Eremach, Daar B’ayroubatt...).
Cet effacement naturel à double tranchant rend difficile l’établissement symbolique d’une mémoire collective vivante (physiquement) sur les lieux de l’événementiel historique pour la postérité tout en facilitant l’oubli et le dépassement de ses tristes épisodes.
La multiplicité des constats de disparition ( cités ensevelies, ethnies ou tribus éteintes, sites abandonnés à jamais...) renforce le penchant vers la nostalgie, le repentir, le repli vers soi, l’humilité face aux prétentions de la puissance humaine, la considération relative aux oeuvres d’ici bas, la résignation face au destin inévitable et la passion de Dieu dans la mentalité nomade.
Des ressorts mentaux qui se tissent au gré des conditions de vie, se trament dans le silence des métamorphoses psychologiques lentes, s’intériorisent quelque part et se transmettent de génération en génération à travers les contes, les proverbes, les dictons et les maximes de la morale du peu, de la modération, de l’endurance et du repentir.
Face à l’éphémère d’ici bas et aux sourdes plaintes des choses (rochers, dunes, arbres, passages divers...) murmurant l’évaporation de leurs occupants et le silence du néant laissé (Elvennaa Wal Addam) , toute une psychologie de la fin du monde, de l’apocalypse imminent et du renoncement prend place, s’installe et perdure.
L’on peut se demander dans un tel contexte si les collectivités humaines faisaient leur histoire où si le milieu et les circonstances du moment imposaient à ces communautés mobiles de marquer le pas au gré des péripéties convergentes?; quelle était la marge de manoeuvre dans une atmosphère aussi instable?; existait t il une préméditation à l’assimilation culturelle des autochtones par les autres? et est ce que la part du patrimoine perdu est comparable à ce qui en fut légué à la postérité?
Dans tous les cas, le mode de vie nomade, composante significative de l’être mauritanien, aujourd’hui en atrophie considérable dans sa variante campagnarde, constituait un système d’adaptation intégrale au milieu saharien comme l’explique l’encyclopédiste Moktar ould Hamidoun (paix sur son âme) dans l’introduction de "Hayat Mouritania" (tome I) où l’analyse de la culture passe par l’étude des arbres, de la faune du désert, des divisions géo-climatiques, des croisements généalogiques inextricables et l’interrogation des lieux qui ne recèlent plus, en plus du mystère de leur nomination que des cimetières rappelant des batailles inter-tribales, des poèmes glorifiant tel site hébergeant une bien aimée d’autrefois (et quel autrefois?) ou l’épisode d’une action qui a échappé à l’oubli.
Ce système traditionnel d’existence collective s’est bâti également sur un immense socle d’injustices humaines dont la servitude (physique, sociale et mentale) d’une nombreuse population (majoritairement de teint noir) réduite aux impitoyables lois de l’esclavage saharien en constitue une malheureuse constante.
Parmi les révoltes exprimées contre cette condition dramatique et dont les échos déchirants ont retenti entre les dunes et les montagnes impassibles du pays central nous retiendrons ici le préambule lyrique d’un poème de M’Haymid Messouma (esclave en affection partagée avec l’épouse de son maître de la tribu maraboutique de Messouma) :"Oh, combien il est pénible d’être un maure (bidhani) dans la parole et l’action; à l’esprit vif et fin , mourant d’amour pour ma maîtresse et noir (soudani), pourtant noir, risquant ma vie et mon intégrité pour ce dont j’ai l’insatiable soif".(son cruel maître, qui l’avait soumis à toutes les sortes de tortures, a plu tard succombé, comme par punition divine, dans l’une des imprévisibles crues des oueds de l’Assaba ou du Tagant, pour la petite histoire).
Sa vie de poète illuminé et sa réputation de savant confirmé, malgré l’embargo culturel sur les hommes de sa condition, en font un symbole de la révolte contre l’injustice.
A un autre niveau de la structuration mentale collective , sous les effets de la turbulence saharienne, l’on se trouve presque égaré dans une croisée de paradoxes, au centre d’un engrenage d’énigmes psycho-sociales défiant la raison linéaire.Il s’agit de cette difficulté à concilier des comportements culturels opposées mais vécus dans la proximité de leur manifestation.
D’un coté toute cette érudition, cette solidarité sociale automatique, cette hospitalité légendaire des campements, la peur du châtiment divin, la création poétique profuse, l’amour du prophète, la compassion face aux souffrances d’autrui, le partage du disponible , la tentation de la Mecque, la considération des hautes valeurs guerrières (le sens de l’honneur, le respect de la religion, la générosité, le refus des injustices, le courage face aux épreuves, l’initiation musicale et poétique des Maghafras), le respect du savoir, le culte des vertus maraboutiques cardinales ( décrites dans "Shiams Ezzawaya" de Mohamed Elyedali), les prières quotidiennes, la simplicité quasi primitive d’une vie acceptée comme telle, l’investissement dans la "demeure durable"; une batterie de valeurs qui ont existé et dont on se glorifie de temps à autre dans certains milieux.
Dans la même atmosphère et chez les même populations, l’on rencontre des pratiques et des croyances inversement proportionnelles en décadence, qui versent dans le registre du mal universel et concourent à la déchéance collective.Il s’agit de cette récurrence pathétique de la violence sanguinaire entre clans et tribus, la négation de l’humanité à une partie de la population réduite à un outil à exploiter sans scrupules, l’impitoyable stratification sociale réduisant une autre partie laborieuse et créatrice de la population à un statut d’"intouchables", la réhabilitation de certaines valeurs négatives de la "Jahiliya" pré-islamique, les vendettas sporadiques, les règlements de compte au sein des même familles pour le pouvoir politique dans les Émirats, l’esclavage conquérant banalisé, la rébellion à toutes les lois "civiles", la fluctuation du code moral, la trahison de l’allié, la compétition féroce sur les pâturages et les prestiges, la déception des alliances, la propension au saccage sans états d’âme, l’art de la ruse et de la feinte connu chez quelques animaux de la faune locale , la vanité démesurée, la loi de la jungle, ..etc.
Autant de faits sociaux séculaires qui ont conduit plusieurs historiens à qualifier notre territoire traditionnel de pays de l’anarchie ( El Bilad Essaiiba suivant une expression de Sheikh Mohamed El Mamy), d’angle de purgatoire (El Menkib Elbarzakhi) et conduit de notoires savants (dont Sheikh Saad Bouh Algalgamy et Sheikh Sidiya Baba du Trarza) à cautionner la pénétration coloniale française.
Le contraste moral est comparable ici au passage automatique d’un pâturage verdoyant en saison d’automne paisible à une terre brûlée en plein été aride et sans nuages à l’horizon.
Les périodes de paix, de réhabilitation d’une certaine "justice et d’une relative tranquillité (de mémoire de nomade), comme celle de l’émir Ahmed Lemhammed de l’Adrar (1871-1891) ou du long règne de l’émir M’hammed Lehbib du Trarza, étaient l’exception aux règles troublées du jeu local.
Quelques havres de tranquillité, notamment aux alentours des Zaouïas dirigées par des Cheikhs réputés par leur savoir encyclopédique et leur pouvoir occulte "terriblement" dissuasif (par l’activation de la "Tazzabut" ou punition providentielle à ceux qui osent les défier), offraient refuge aux rescapés de l’inférno saharien et à leur troupeau s’il en avaient.Certains de ces chefs religieux avaient aussi leurs cavaleries armées et leurs disciples (Tlamids) prêts à riposter ou attaquer leurs ennemis.
L’ ambivalence dans les valeurs, doublée d’une accentuation des pratiques contradictoires dans le même milieu social , surprend l’observation ordinaire .Sa continuité dans le temps et sa transposition dans un autre contexte (comme aujourd’hui à l’intérieur de l’administration et en milieu sédentaire) exprime la profondeur de son intériorisation.
Cette emprunte mitigée d’un désert où se côtoient certaines contradictions astronomiques ( les libertés quasi-sauvages et les servitudes les plus ingrates; le rayonnement intellectuel et l’ignorance répandue; la grandeur démesurée et les petitesses de l’homo-sapins) a profondément marquée la genèse d’une identité ensoleillée, corrosive, dispersée, ubique, contradictoire et chaleureuse en dépit des ombrages de la condition humaine sacrifiée sur l’autel de la survie et du prestige.
L’émergence de Nouakchott entre les dunes, baptisée un moment de "villes panneaux", traduit également cette relation viscérale (physiquement et mentalement) entre le vide et le plein, le désert et la nouvelle république islamique.
2.L’islam, catalyseur de changements et dénominateur culturel commun
L’islam a précédé, accompagné et profondément déterminé la formation de la société mauritanienne dans sa configuration psycho-sociale, l’échelle de ses valeurs morales, la définition de son horizon spirituel et ce au niveau de chaque composante sociale ou ethnique.
Au delà de son acceptation collective, de sa transcendance par rapport aux aléas des bouleversements socio-historiques dont il a participé et sa fonction de boussole spirituelle consultée au besoin; il a constitué un puissant diapason dans les métamorphoses politiques, les constances sociales et la diversité des expressions spirituelles du puzzle mental se ressourçant des origines les plus variées.
Parmi les moments forts qui ont marqué l’islamisation progressive et intensive du territoire et du peuple mauritaniens depuis la campagne réussie de Oqba ibn Nafii au VIII ème siècle retenons ici le rôle du mouvement politico-religieux almoravide (constitué en royaume vers 1054-1124), la diffusion de son esprit de reforme religieuse chez les tribus sanhaja et les habitants du Tekrour ( grâce au chef peul War Diaby Nd’yay), le développement des centres caravaniers favorisant l’enseignement religieux et l’organisation du pèlerinage, l’arrivée des tribus arabes et les conséquences de la guerre de Sharr-Bebba (vers 1644-1677) sur l’organisation sociale maure ( renforçant la professionnalisation dans les fonctions liées au savoir et à la religion) et de la révolution Torrobee vers 1776 en milieu Pulhar qui a inauguré un vaste mouvement de reformes sociales et religieuses dans le Fuuta et les régions environnantes.
La circulation de la foi et de la profession de foi islamiques dans les artères, veines et tissus du corps social mauritanien en font un organisme imbibe jusqu’à la moelle et au delà parfois, du moins au niveau des préceptes généraux unanimement sacrés: le respect du Coran, l’amour du prophète, l’espoir du salut...
Ainsi ,Comme le souligne Abdel Kader Ould Mohamed ,"dans l’imaginaire collectif des mauritaniens, la culture islamique est en effet, le seul élément attaché à perpétuelle demeure qui offre une référence commune, un passage obligé et un point culminant d’unité" (op.cité);
Dans la pratique, l’on rencontre une multitude de formes d’expressions populaires (allant de la piété scrupuleuse à l’observation mimétique et superficielle du rituel), de confréries religieuses (Qadiriya et Tijania majoritairement), de degrés d’instruction (allant d’un niveau d’alphabétisation sommaire à l’accumulation du savoir encyclopédique); malgré l’acceptation quasi-unanime du rite malekite comme école doctrinale dominante dans la majeur partie du pays.
Sur le plan théorique un continuel débat a opposé les savants de la "Zahirriya" (ou tenants du contenu textuel et apparent du livre) aux mystiques de la "Batiniyya" (ou voie intérieure) tendant vers la perfection de l’âme et l’investissement de la dimension occulte sous la direction d’un guide spirituel le plus souvent affilié à un ordre confrérique.Il en résulte une diversité de pratiques liturgiques, une variété de styles propres à chaque Zaouïa, des querelles de chapelles et des divergences d’interprétations des textes transcendant les considérations d’appartenance régionale, ethnique ou sociale.
L’islam saharien (mauritanien) comporte ainsi une nébuleuse de pistes et de chemins sur la voix de Dieu; partant de la même source (le Qoran et la Sunna prophétique), allant vers les même finalités par des voies variées dont le rite malekite (référant à l’Imam de Médina Malik Ibn Enness) constitue l’épine dorsale depuis l’introduction de la Muddawana (du Figh malekite) et des oeuvres d’Ikhlil Ibn Isshag par l’intermédiaire des savants pèlerins comme le détaille l’érudit Mohamed El Moktar Ould Bah dans la littérature juridique et l’évolution du malekisme en Mauritanie.
L’horizon islamique entraîne également le sentiment d’appartenance à une communauté plus large ( Oummout Mohammed) liée par la corde de la foi et la tentation de se déplacer vers d’autres lieux pour y élire demeure près du prophète (à la Mecque ou Médina).Des facteurs qui relativisent l’attachement aveugle à la terre natale, par la reconnaissance de la primauté des lieux saints, et tempère l’identification exclusive au groupe ethnique d’origine par son immersion dans le grand ensemble planétaire musulman.
Au niveau social l’existence d’une classe maraboutique influente (voir dominante) au sommet de la hiérarchie traditionnelle constitue une constante partagée, à divers degrés, chez les différentes ethnies du pays.
Si les marabouts ( les Moodinu des Soninkes et Zwayas des maures) formaient une sorte d’alliance au sommet avec les classes dirigeantes (Tinkalemmu et guerriers arabes); la société Pulhaar a vu ses marabouts guerriers en contrôle du pouvoir politique et du mouvement de reformes (sociales et morales) suivant l’instauration des dynasties Almmamiyaat dans le Fuuta Torro avec Thierno Souleymaan Baal en 1778.Il s’en suivit une redéfinition de l’organisation sociale Pulaar avec les hommes de religion au sommet de l’aristocratie foncière de la nouvelle république théocratique (les Torrobbees suivies des classes Rimbe, Subalbe, Sebbe, Dywambe et Gullunkobe) et le début de plusieurs guerres saintes (Jihads) partant de Goumel pour la propagation de l’islam en Afrique de l’ouest (notamment en pays Bambara, au Segu, dans le delta du Niger et chez les peulhs du Macina).C’est dire la profondeur de la valorisation et de la diffusion des activités culturelles et guerrières liées au religieux dans le corps social et mental collectif.
Dans ce décor où les livres, les fusils, les hommes et les biens circulaient inlassablement, la majorité nomade ou sédentaire (éleveurs, paysans ou artisans) islamisée et musulmane jouissait mentalement du confort mental procuré par l’esprit d’égalité des chances devant les lois divines (l’accès au repentir, la rédemption, le salut de l’âme,l’espoir du paradis, le pardon des péchés, la probabilité d’avoir la chance de faire partie des trois coudées de l’archange Gabriel...) au même moment qu’une grande partie de cette silencieuse communauté (toutes ethnies confondues) subissait l’injustice d’un ordre social perpétué par le biais d’une instrumentalisation idéologique raffinée du discours religieux.
L’Islam aurait été ce facteur pulvérisateur des cloisonnements ethniques, mobilisateur des révoltes potentielles, transformateur des ordres sociaux, distributeur de normes , géomètre d’une cartographie politique aux lignes variantes et lieu de refuge face aux imprévisibles aléas de l’histoire trouble du Sahara et du continent africain soumis à des pressions exogènes de plus en plus préoccupantes.
3.L’Afrique comme Berceau et comme déterminant
Continentale et côtière, la Mauritanie africaine se conjugue à tous les temps (du passé composé au futur simple), s’exprime dans tous ses lieux et tremble au rythme de tous les vents du Sahara, du Nil, du Maghreb, du soudan et du sahel.
Appartenant aux deux afriques simplifiées (l’Afrique noire au sud et l’Afrique blanche au nord suivant une schématisation courante) et aux deux "fluctuants" (noirs et arabes) suivant une formule de L.S.Senghor reprise dans les mémoires du premier président mauritanien (p.262) qui souhaitait en faire, suivant ses termes "un raccourci des deux afriques"..
Si "l’africanité" des ethnies noires mauritaniennes constitue un référentiel d’ancrage en profondeur dans le continent noir sur tous les plans (racial, culturel, historique, social et mental...), l’africanité culturelle et existentielle des maures demeure timidement exprimée, peu explorée malgré sa manifestation à tous les niveaux de la vie sociale et souvent réduite à la théorie de l’influence artistique (musique, vêtements) et mentale (sorcellerie, croyances animistes).
Une telle africanité est corroborée par plusieurs facteurs dont l’ancienneté des populations berbères Sanhajas en Afrique du nord (plus précisément les confédérations tribales Lemtouna, Gdala...sur le territoire de l’actuelle Mauritanie), l’existence d’une importante population maure de teint noir, le long séjour des tribus arabes hilaliennes en Afrique du nord (plusieurs siècles avant le mouvement des Beni Hassan vers les territoires de l’actuelle Mauritanie) et les osmoses (linguistiques, humaines et culturelles) entre ces populations, leurs voisins (autochtones ou migrants comme eux) et avec d’autres ethnies soudanaises ou sub-sahariennes durant l’époque des Émirats (Trarza, Brakna, Idawiiich et chefferies guerrières de l’est notamment) et des fragments de tribus maures exilés au fonds du Mali et au delà de la rive droite du fleuve sénégal.
Ainsi l’on retrouve chez toutes les communautés mauritaniennes des arts populaires, des coutumes, des apparences et des traditions inspirées d’autres peuples du continent et faisant désormais partie du patrimoine transmis de génération en génération au même moment que des traditions bédouines sont devenues pulhars, soninkes ou wolofs.
Et sans y rendre compte l’on se retrouve projeté dans cette zone médiane de l’homo-mauritanicus où se croisent ,chez toutes les ethnies, des pratiques et de rituels inspirés d’origines diverses et faisant désormais partie du vécu collectif: les jeux corporels (Hi-ri Hi-ri ou Ataaz) comme chez les Dinka du Soudan, des démonstrations vestimentaires exubérantes à la Songhai durant les fêtes, les coiffures d’enfants aux symboles touarègues ou nubiens, des repas mandingues, des chants égyptiens se référant au Nil, des rapports totémiques avec des animaux (scorpions, oiseaux) comme dans les traditions animistes Bambara, les grosses perles d’ambre jaune portées par toutes les sahéliennes et sahariennes, des croyances aux esprits d’ancêtres en présence active, des danses guerrières armes en main, des courses et danses de chevaux entraînés,
Zone inter-culturelle médiane dont la signification est rarement explorée comme cette "troisième ethnie" (que Ngaidee Abderrahmane définit comme les métis de tous cotes ) dont on parle peu et qui est pourtant au centre de la problématique identitaire.
Dans plusieurs aspects de la vie sociale et culturelle une ressemblance dans les habitudes renvoie à un phénomène de "télescopage permanent entre passé et présent, langage et réalités, conservatisme social et évolution des données sociales fondamentales..." comme l’écrit le prof Lo Gourmo à propos des manifestations de l’esclavage dans divers milieux.
Sous les effets du temps (l’histoire) et de l’espace ( milieu ) l’influence inter-communautaire multi-vectorielle résonnait au fonds du patrimoine oral, physique et mental.
La toponymie du "Trab El Bidaan" ne relève t elle pas des indélébiles empreintes negro-africaines (Guimi. Guebou...) comme le souligne le doyen Ba Oumar dans Le Fouta Toro au carrefour des cultures; au même moment que le mode de vie (physique et mental) des éleveurs Peulhs tend vers une "bédouinité" à la frontière de l’archétype islamique arabe originel.Un dicton exprime cette vocation d’inseparabilite essentielle en rappelant qu’"être né toucouleur, c’est être né musulman" en plus de la passion pour l’élevage, la conquête et les longs parcours.
L’étymologie et la tonalité des noms symboliques (totémiques) choisis par plusieurs tribus maures et exprimés majestueusement à voix haute durant les moments d’apothéose collective (pour la glorification et l’enchantement) comme Siibbe (Laghlal), Babbih (Tajakanet), N’dyeng (Awlad Dayman), Diakhitee révèlent la profondeur des passerelles mentales tissées dans le vécu, l’imaginaire et l’inconscient communautaires.
Au niveau de l’art musical, les divisions de la musique maure en trois voies principales ( blanche, noire et médiane) dont chacune comporte cinq modes (Karr, Vagou, Lekhal,Lebiadh et Lebteyt) et des sous modes "blanchis" ou "noircis" suivant la résonance de la Tiddinit (luth maure) et l’inspiration du griot traduit cet inextricable bouillon de brassage entre les influences africaines et le référentiel des colorations symboliques (blanches et noires) débouchant sur cette autre zone intermédiaire (Legneyddiya) et les itinérants bleues (Eshwaar Ezrag) qui font vibrer les plus fines cordes de l’être saharien.Par ailleurs l’origine mandingue des instruments utilisés, l’étymologie soninkee ou Pulhar de certains modes (Vaghou, Tenedjougha, Makhajougga, Sennyima...) se trouvent ici couplés aux chants d’Andalousie et aux poèmes maures en arabe classique (N’hayya, Leschwaars) et qui se croisent, vraiscemblablement, avec les sujets abordes dans les genres litteraires pulhars du "lelle" (chants d’amour) , du "Gumballa" (chants de guerre) et des "beytis"(poemes religieux).
Plusieurs afriques se bousculent ainsi à l’intérieur de chaque communauté et souvent dans le pathos (l’intérieur émotionnel) de chacun d’entre nous (consciemment ou non) s’exprimant à travers la parole, les gestes, les croyances, les habits et les habitudes, les coutumes, les rythmes, les couleurs, les peurs et les silences.
Parmi ces multiples afriques culturelles l’on peut citer, de façon schématique et descriptive, l’Afrique originelle (des croyances pré-islamiques et des forets sauvages), l’Afrique traditionnelle communautaire (ethnies, tribus, villages, campements solidaires), l’Afrique commerçante (caravanes, dioulas, boutiquiers des anciens temps..), l’Afrique islamique (des oulémas, des mahadras, des conquérants religieux), l’Afrique féodale (esclavage, domination aristocratique, stratification sociale par naissance), l’Afrique conflictuelle (querelles interminables, batailles rangées, violences gratuites...), l’Afrique des différences (déserts et forets, dialectes divers...) et l’"Afrique, mon Afrique" du manuel scolaire (celle des marigots, des crocodiles, de toto le gourmand, des baobabs et des palmiers au bord des dunes solitaires).
La présence d’anciennes entités politiques organisées (comme l’empire Soninkee du Wagadu ou Ghana, les royaumes du Tekrour et la confédération tribale Sanhaja) sur le territoire de l’actuelle Mauritanie et la proximité de formations historiques puissantes ayant sous leurs hégémonies de vastes territoires multi-ethniques dont une partie (plus ou mois vaste) de l’est et du sud mauritaniens a approfondi le degré d’influences, d’emprunts et d’échanges multi-culturels dans un contexte de brassages ethniques, de prospérité commerciale cyclique (trafic transsaharien) et d’ordre politico-militaire changeant.
Il s’agit notamment de l’empire du Mali (1235-1590) dont la capitale Niani servait de centre aux rois Mansa (dont le célèbre Kanko Moussa au pèlerinage féerique de 1325) et du second empire Songhai(1340-1591) dont la capitale Gao constituait un point de rencontre entre plusieurs routes tran-sahariennes, un centre de rayonnement culturel et un point de départ d’expéditions militaires vers les royaumes environnants sous les rois guerriers dont le fameux Sunni Ali Beer aux expéditions militaires allant au delà de la prise de Djenne en 1473 de Toumbouktou en 1468.
Dans ce cadre se situe la réalité de zone-tampon, au propre et au figuré, d’un territoire intermédiaire mis sous pression par ses voisins (du nord, du sud et de l’est) plus organisés et par moments en opposition.
Il n’est plus , des lors, surprenant de trouver dans le patrimoine culturel mauritanien (maure , peuhl, soninke ou wolof) les instruments de musique mandingues, des fastes vestimentaires songhais, des traditions haoussas ou bambaras...
La convergence d’influences régionales soutenues (en provenance des empires à l’est, du Makhzen au nord et des royaumes wolofs ou peulhs au sud) au cours du long processus des mutations culturelles locales n’est pas sans éclipser la dimension des présences mauritaniennes au coeur des profondes mutations socio-politiques et spirituelles régionales à travers des hommes d’envergure trans-nationale comme Sheikh Sid’El Mokhtar El Kunty 1730-1811 (dans l’Azawad, le pays touarègue, le Bornu, le Macina et le Mali du nord), El-Haj Omar El Fuuty 1795-1864 (dans le pays Bambara, le delta du Niger et au Fouta Djalon) et Sheikh Maalainin Elgalgamy m-1911 (dans le sahara occidental et les territoires du Makhzen marocain).
Là se révèle l’aspect trans-frontalier, panislamique, vectoriel, "expansionniste" peut être et révolutionnaire de l’identité mauritanienne dans ses expressions extra-territoriales africaines.
Dans ce carrefour de convergences plurielles, un vaste phénomène d’africanisation des arabes et d’arabisation des africains prend place dans tout le sahara et les zones environnantes.
Les lointaines racines de l’osmose entre ce qui est originellement africain et ce qui est fondamentalement arabe poussèrent ainsi dans une atmosphère où l’islam, le commerce, la politique, la survie, la libre circulation et la guerre tissaient les liens les plus inextricables.
L’essentielle fibre arabe de l’âme mauritanienne commence ainsi à germer, à s’étendre progressivement et par vagues sur un terrain de prédilection inséparable des dimensions sahariennes, islamiques et africaines.
4.L’Arabite dans la genèse de l’identité mauritanienne
Arabes vous avez dit arabes?
Vaste sujet où les passions plurielles, les raisons multiples (des uns et des autres) et les enjeux sémantiques et idéologico-politiques du moment se côtoient et se bousculent à la première pensée.
En limitant cette analyse à la société mauritanienne d’hier (çad d’avant l’indépendance) nous faisons l’économie de tremper dans les dédales de l’arabite comme enjeu politique, terrain de confrontation et problématique centrale du nationalisme arabe dépassant les frontières
d’états membres de la ligue arabe.
Il s’agit simplement ici de quelques réflexions éparses sur le rôle de la culture arabe comme déterminant essentiel dans la composition identitaire mauritanienne aussi bien au niveau de la composante maure (qualifiée couramment d’arabe-berbère ou d’arabe tout court) que dans la culture des ethnies négro-africaines islamisée depuis plus d’un millénaire et soumises à un large et ouvert contact avec les populations arabes voisines.
Plusieurs niveaux définissent le déterminant arabe dans la formation et l’expression de l’identité mauritanienne.Sur les plans racial, social, généalogique, linguistique, mental, psychologique et politique le facteur arabe a constitué l’une des matrices fondamentales de la définition et de l’identification d’une grande partie du peuplement mauritanien à travers les âges; surtout chez les nomades maures, comportant certaines des tribus hilaliennes qui traversèrent l’Afrique du nord en provenance du Yemen, dont le mode de vie s’apparente physiquement et mentalement aux bédouins de l’arabie du sud et dont la langue le "Hassania" (le parler des Béni Hassan) est plus proche de leurs dialectes que des versions parlées au Maghreb (comme l’explique la linguiste Catherine Taine-Cheikh dans son Dictionnaire Hassaniya-Français).
Plusieurs raisons historiques ont concouru à cette genèse: la conquête islamique vers l’an 711 apportant une cavalerie arabe dont une partie s’est installée pour de bon, la présence d’une diaspora arabe active dans tout le sahel (commerçants, voyageurs, historiens, hommes de religion, aventuriers, exilés volontaires...), l’ adoption de l’écriture arabe dans les correspondances officielles et les contrats locaux, la diffusion rapide de l’islam et de sa langue liturgique dans la région, les mélanges entre les populations arabes du maghreb et les berbères sanhaja, l’arrivée des tribus hilaniennes d’arabie depuis le XI ème siècle, le mouvement réformateur almoravide bousculant la géopolitique du Maghreb et du sud du sahara, l’acceptation du rite malékite chez les confédérations Lemtouna, le rôle intellectuel et juridique des "capitales caravanières", la pratique du pèlerinage à la mecque renforçant l’apport culturel des pèlerins multi-ethniques, le mouvement des tribus Béni Hassan vers l’ouest du sahara au XVI ème siècle et la constitution des Émirats maures sous des chefferies guerrières arabes après la guerre de Sharr-Bebba (1634-1677), les migrations arabes venant du maghreb suite aux conflits armées, le développement des Mahadras ou "universités nomades" recevant les étudiants des campements et des régions environnantes...
Si dans l’ensemble maure, et pour les multiples causes citées, l’arabite généalogique déclarée a constitué un patrimoine commun chez toutes les tribus ou presque, la revendication qorâichite, chérifienne voir hashemite se retrouve aussi chez plusieurs familles peulhs,soninkéés et wolofs.
Ainsi, en plus des Béni Hassan dont le dialecte a été adopté par la majorité des habitants du Trabe El Bidhaan (comme l’explique en détail le prof. HamahouLLah ould Salem dans l’origine des maures, le temps des Hassan, articles parus dans l’hebdomadaire Tahalil Hebdo), plusieurs tribus maures rattachent leur descendance à Oqba Ibn Naffii El vihri, à Qoraich (tribu du prophète), aux Anssar (compagnons de médina), aux Ommeyades (cousins des qoraychites), aux Alawites (descendants de Alioune Ibn Ebi taleb) ou à un ancêtre mythique venant de l’arabie après un pèlerinage.
La diffusion de la langue arabe s’est effectuée, apparemment, suivant ces indescriptibles lois de présence humaine prolongée dans le temps, d’élasticité des zones culturelles, de l’emprunt, de l’imitation volontaire, de l’acceptation populaire de la religion musulmane à une époque où le système éducatif n’avait pas de ministère.Il en est de même de la célébration des coutumes et valeurs pulaars, soninkees ou wolofs chez les "bidhanes".
Dans le Fouta, l’approfondissement de l’islam et sa diffusion au Tekrour, les brassages humains dans les dynasties d’origines ethniques variées, le voisinage avec les Brakna et Trarza maures, la révolution Toroddo en 1776 et l’instauration de l’Almamyat, le mouvement des pèlerins, commerçants et étudiants, ont été parmi les facteurs de diffusion de la langue arabe.
La généalogie de plusieurs familles Halpulaar, wolof, Soninke ou Bambara dénote d’une recherche passionnée d’ancêtres arabo-berbères comme le souligne feu Saidou Kane dans son article cité précédemment; au même moment que des familles maures ont intégré les Kane, Wane, Sy,Ly, Hanne.
Outre la dimension idéologique, liée aux reclassements entre clans et les prestiges de naissance, la valeur symbolique de cette propension répandue à la quête d’origines arabes exprime la valeur quasi mythique d’une telle appartenance dans l’imaginaire collectif traditionnel (toutes communautés confondues).
Se rapprocher de tout ce qui peut relier au saint prophète Mohamed (SLAWS) et ses disciples (les Sahabas) était une valeur cardinale dans les villages et campements musulmans du sud du sahara.
L’apprentissage de la langue arabe, voir la maîtrise de l’arabe classique, était une valeur qui traversait toutes les communautés ethniques et constituait un critère de promotion et de valorisation sociales (statut convoité par la langue de Môlière après la colonisation). Ces prédispositions positives à la langue de l’islam encourageaient la fréquence des emprunts lexicaux, des choix de noms arabes aux nouveaux nés et la tendance courante de certains campements maures (fuyant la rage de leurs cousins ou d’autres tribus arabes) à prendre refuge et chercher protection chez les populations noires voisines qui les recevaient avec beaucoup d’égards et établissaient des liens spécifiques avec eux et leurs représentants.
Un dicton maure, souvent repris dans les poèmes hassaniya de l’émission hebdomadaire de radio Mauritanie "El Edeb Eshaebi" (La littérature populaire maure) de feu Ould sid’Brahim, ne dit il pas expressément qu’"en lieu où vivent les noirs, les maures ne furent jamais inquiétés (Bled vih Essoudaan ma yebtaatou vih El-bidaan) traduisant cette propension séculaire des maures à se sentir bien chez eux au delà du fleuve et de l’Azawad.
La présence continuelle d’étudiants d’origines ethniques variées dans les centres d’études religieuses (les Mahadras) et dont certains devenaient plus tard des enseignants du Qoran voir des Sheikhs (guides religieux) dans leurs communautés d’origine (et au delà) renforçait la permanence des échanges culturels avec l’aide de ce support linguistique (la langue arabe) qui les reliait à un ensemble dont les rivages atteignirent l’Asie lointaine.
Au niveau des tribus berbères l’islamisation rapide, le développement des sciences religieuses et le voisinage avec la diaspora arabe du Maghreb ont préparé le terrain pour une arabisation culturelle effective avec l’assimilation de la langue des conquérants arabes (Béni Hassan) et le repli voir la quasi disparition du berbère, considéré comme le langage des vaincus après la guerre de Sharr Bebba (comme l’explique Abdelwedoud Ould Cheikh dans Éléments d’histoire de la Mauritanie, Ed. du Centre culturel Saint Exupery de Nouakchott).
Dans la société maure, l"‘arabité" culturelle se double d’une "arabité" fonctionnelle ou sociale représentée par les tribus guerrières ayant comme vocation le port des armes, la défense du "territoire", l’exercice des hautes fonctions politiques pour certains et la pratique des arts liés à la guerre: le maniement des sabres, le tir, l’usage des chevaux et des chameaux dans les combats, la protection des griots et l’appréciation de leur art surtout avant l’affrontement avec l’ennemi (Vagou, Senniyima...), le culte de la témérité et des valeurs chevaleresques comme le détaille en termes plus exacts Abdelwedoud Ould Cheikh dans Islam, nomadisme et pouvoir politique dans la société maure pré-coloniale, Université de Paris IV 1974).
Cette classe sociale, aux origines ethniques diverses ( tribus arabes, guerriers berbères et cavaliers noirs du Trarza) est souvent symbolisée par l’étrier (Errikab) comme le souligne le titre de l’analyse sociologique de Francis de Chassey sur la société traditionnelle mauritanienne "l’étrier, la houe et le livre"; trois symboles des modes de production "dominants" dans des communautés humaines stratifiées.
La tentation populaire d’une arabité d’origine se double d’une quête existentielle à l’arabite originelle (ou originale) exprimée chez certains poètes mauritaniens qui voulaient dépasser le niveau d’excellence des Mouaallaqat (Sept à dix poèmes pré-islamiques, chefs d’oeuvre sélectionnés et collés à la Kaaba) et appeler les anciens poètes de la Jahiliya à se relever de leurs tombes pour descendre sur le terrain de la joute poétique dans leur langue littéraire pure (El voussha) et dans des lieux qui leurs seront familiers.A ce propos quelques poèmes de Mohamed Ibn Tolba El-Yaaqouby et de Sidi-Mohamed Ibn Maham El-Alawi (repris dans Al-Wassit de Mohamed Lemine Eshinguitty) traduisent cette vocation.
La vocation arabe entre le purisme originel, l’appartenance fonctionnelle (liée au statut social), l’attachement symbolique (à cause de l’islam) et l’acceptation populaire spontanée constituera une dimension essentielle de la genèse (psychologique et matérielle) de l’être mauritanien, bien avant la colonisation française et l’émergence des idéologies nouvelles (dont le panarabisme).
L’écho favorable et l’enthousiasme volontariste pour la culture arabo-islamique dans le Fuuta consacrera, des siècles durant, l’âge d’or de la complémentarité arabo-africaine qui a transcendé toutes les barrières communautaires et pulvérisé les cloisonnements (sociaux, géographiques, ethniques...) les plus anciens.
Là aussi se révèle l’épine dorsale d’une réalité composite, évolutive et rebelle aux simplifications du discours idéologique.
Conclusion
L’absence d’une autorité centrale couvrant le territoire de l’actuelle Mauritanie avant la colonisation et la diversité de nominations (le Tekrur, El-maghrib El-aqssa...) suivant les époques dont Bilad-Shinguitt (pays des originaires de la ville sainte de Shinguitty) fut l’identification la plus courante (notamment en Orient islamique), n’exclue l’existence d’une personnalité culturelle spécifique transcendant les particularités régionales ou linguistiques.
Cependant, plusieurs facteurs rendent illusoire l’expression d’une identité nationale basée sur des considérations de primauté territoriale d’une communauté ethnique singulière, d’homogénéité culturelle à caractère racial ou d’une juxtaposition bi-ethnique détachée du contexte d’ interaction entre les composantes d’une diversité évolutive.
Parmi ces facteurs généraux signalons ici l’ethno-genèse multi-ethnique de chacune des composantes linguistiques du pays, la trajectoire de migration des peuples en question, la dispersion géographique trans-frontalière de chaque communauté, l’inexistence d’une unité politique precoloniale sur le large terrain et au niveau de chaque groupe ethnique, les impératifs de survie dans un environnement hostile et conflictuel, la primauté de l’appartenance immédiate (au clan, à la fraction tribale, au lignage...) et la prééminence des bouleversements historiques résultant du partage de l’Afrique par les puissances coloniales et de la mondialisation des échanges internationaux.
L’émergence de l’Etat national, ce "leviathan" qui engloutit toutes les créatures sur son chemin (comme le dirait th.Hobbes), suppose l’existence d’une âme propre à l’espace mauritanien au delà des contingences de la volonté coloniale et des sacrifices des pionniers de l’indépendance.
Cette âme constitue naturellement le ressort ontologique de la république, le réceptacle de toutes ses diversités rassemblées et la raison de sa continuité en dépit des imperfections et malaises du corps politique, social ou culturel.
Elle porte en elle le souffle transcendant les contingences de l’histoire locale, les détails de l’organisation technique de l’Etat, les antagonismes structurels ou conjoncturels de l’après indépendance, les querelles de partage du pouvoir et les aléas de la mondialisation conquérante.
Les effets conjugués et alchimiques de ses déterminants fondamentaux (l’islam, les cultures arabe et africaine et l’environnement du sahara et du sahel) en font un creuset de rayonnement, un espace de vulnérabilité (à cause de la possibilité de jeu sur ses diversités culturelles et l’ouverture naturelle de ses frontières terrestres et maritimes ) et un carrefour de paradoxes où les énigmes de la complexité locale rendent la perception mitigée, l’attachement à degrés variables et le projet national en perd.
source: Tahahil Hebdo