Quand un peuple vit une crise aussi profonde, comme celle que le peuple malien a traversée, dans ses formes diverses et variées, depuis 2011 et parvient, dans ce contexte, à élire son Président, par l’expression du suffrage universel, il faut saluer sa capacité à se transcender et à surmonter les épreuves difficiles d’une expérience aussi humiliante que mortifère. Il ne s’agit pas de s’en féliciter et d’en rester là, mais d’inscrire cet événement important dans le processus de l’Histoire universelle et de l’histoire singulière du peuple malien.
Il ne faut pas oublier que le Mali est un pays riche de ses mythes et de ses fortes traditions depuis les temps immémoriaux. Ce qui ne doit pas nous amener à occulter les expériences politiques du début des indépendances avec Modibo Keïta, la dictature féroce et sanguinaire du Général Moussa Traoré, dont la gouvernance a mis à genoux le pays. Un régime de tyrannie qui est l’un des plus cyniques du continent africain. Quoiqu’on dise, il y avait eu une transition réussie au Mali en 1991, qui a été portée par l’élite politique, intellectuelle du Mali et le peuple s’en est saisi, en payant cher de sa vie, pour libérer le pays de la dictature de Moussa Traoré qui, jusqu’au dernier moment, n’a pas voulu lâcher le pouvoir. Il faut bien se souvenir de ce lieutenant-colonel qui avait téléphoné au collectif de l’opposition malienne pour contribuer à la chute de Moussa Traoré et arrêter les massacres qui étaient au programme du Général président. A l’instar de tous les despotes qu’ils soient militaires ou civils, Moussa Traoré ne voulait pas céder à la pression des forces démocratiques, des syndicats, des associations et du peuple. L’officier supérieur en question, est le célèbre Amadou Toumani Touré qui n’a pas démérité, durant cette période de transition, qui avait débouché sur des élections présidentielles. Elections qui ont permis l’arrivée d’Alpha Oumar Konaré, premier président démocratiquement élu du Mali. Le processus s’est grippé quand Amadou Toumani Touré bénéficiant de l’aura de sa gestion de la transition a pris la décision de revenir sur l’arène politique et de briguer le mandat présidentiel. Il est des retours qui ne sont pas prometteurs. Et la suite est connue.
Que faut-il en retenir ?
L’expérience du Mali a fait réfléchir et a surpris tout le monde par la pédagogie de l’endormissement et l’abandon de l’armée malienne par le glorieux officier supérieur devenu Général président. Si je ne m’abuse à l’exception du Général DE Gaulle, un général président fait rarement du bien à son peuple, du moins sur le plan démocratique. C’est le cas de Mohamed Ould Abdoul Aziz, le président mauritanien, qui, pour obtenir le grade de Général, a usurpé le pouvoir et brutalement interrompu l’expérience démocratique amorcée en Mauritanie, non sans surveillance et fragilité. On voit bien que les Généraux, quel que soit leur prestige, ne peuvent pas être des promoteurs et des animateurs de la démocratie. S’ils sont bienveillants et respectueux de l’intérêt supérieur, ils peuvent veiller au bon fonctionnement des institutions de sécurité et ne pas accepter l’ingérence de leurs forces dans le processus de la vie politique dans son sens le plus élevé et le plus efficient pour l’intérêt général.
En effet, l’expérience politique du Mali montre que la réussite du bon déroulement des élections présidentielles qui viennent de s’accomplir, est le résultat d’un long processus, impliquant des acteurs nationaux de tous bords et des acteurs régionaux et internationaux. Il faut dire et reconnaître que sans l’intervention de la France, le soutien et l’appui de la communauté internationale et de l’Afrique, on n’en serait pas là aujourd’hui à saluer la réussite des élections dans ce pays tombé dans les mains du fanatisme, de la négation de la vie et de la dignité humaine. Il y a un courage éthique à admettre le caractère salutaire de la décision politique des autorités maliennes et du Président français, François Hollande. Il est incontestable que cette action est la démonstration que l’idée démocratique ne peut se réduire à des paroles, à des énoncés, mais à l’usage raisonnable et progressiste des forces armées, quand la souveraineté d’un pays est remise en cause par des forces de l’arbitraire et de l’obscurantisme. On ne peut plus être dans le schéma conservateur de la revendication de l’« authenticité africaine » qui a servi de fondement idéologique aux dictateurs du continent, dont les cas les plus célèbres furent Sékou Touré de la Guinée et Mobutu Seso Seko de l’ex- Zaïre.
La leçon de l’expérience malienne révèle également que l’idée démocratique ne peut pas être culturelle et locale. La démocratie est une idée universelle, un principe fondamental, un schème instituant, constituant et régulateur pour un vivre ensemble, collectivement assumé. Il s’agit d’un paradigme, d’une utopie et d’un archétype au sens platonicien de l’Idée. Le principe démocratique ne peut s’adapter au contexte, dans son esprit, dans sa méthode et dans ses mécanismes. Il relève du formalisme logique universel de tout principe et de toute Idée. Il ne faut pas confondre l’Idée et son effectuation concrète et spécifique. Partir des réalités d’une société ne permet pas de construire une nation démocratique.
L’approche qui consiste à partir des réalités, procède d’une incompréhension de l’universalité de l’idée démocratique. Celle-ci ne peut être le reflet ni de la réalité locale, encore moins des pratiques, religieuses et sociales. L’offre démocratique met en crise et en difficulté, nécessairement, le conformisme de l’ordre établi. L’idée démocratique est ainsi un condensé explosif qui a pour fonction critique de déconstruire, d’anéantir, du moins d’affaiblir les résistances, les représentations et les pesanteurs de l’enracinement dans des pratiques culturelles irrationnelles et arbitraires. Quand un président de la République décide de modifier la constitution pour briguer un troisième mandat, il n’est plus dans l’horizon de l’idée démocratique et des aspirations du peuple, mais dans une forme de régression ou de persistance dans les pratiques irrationnelles de la toute-puissance et du mépris de la citoyenneté républicaine. C’est à se dire qu’il avait rusé avec le formalisme des mécanismes et des procédures des élections. Mais il n’adhère pas au fond, à l’esprit, au principe et à l’idée démocratique. Il en est ainsi de la plupart des intellectuels, des savants, des experts et des technocrates du continent, qui n’ont pas procédé à la rupture épistémologique, éthique et philosophique, indispensable, pour opérer une mutation intellectuelle décisive, et entrer ainsi dans la culture de la rationalité. C’est cette mutation radicale qui ouvre la voie à l’adhésion à l’universalité de l’idée démocratique.
Le rôle des militaires comme des intellectuels en tant qu’acteurs et contributeurs au jeu démocratique est essentiel dans le processus de construction de la société démocratique. Les politiques reflètent aussi les rapports de force stratégiques des forces militaires et de sécurité en place ; de même qu’ils traduisent le flou entretenu par la rhétorique des intellectuels. Quand les intellectuels en restent au formalisme des valeurs culturelles et des procédures et ne tiennent pas compte des exigences universelles de transformation de la société, ils contribuent de fait au renforcement de l’ordre établi. Ce n’est pas pour rien que ce qu’on a appelé très vite le « printemps arabe » a viré au cauchemar. Parce qu’on a confondu le formalisme des procédures des élections en démocratie et le sens de la démocratie. Comment une société peut-elle prétendre au suffrage universel conçu par l’idée démocratique en refusant la laïcité, l’égalité de tous les citoyens sans distinction de race et de sexe ? Comment une société qui fonde ses conceptions du vivre ensemble sur la religion, le racisme, l’esclavage, le tribalisme, le clanisme, le népotisme, le conservatisme, peut-elle organiser des élections démocratiques? Ce sont des questionnements qui méritent d’être approfondis pour opérer la démarcation entre l’universalité de l’idée démocratique et sa traduction effective, à travers des expériences singulières. Il ne saurait y avoir d’exception démocratique, ni de spécificité démocratique.
Quand la démocratie est effective, elle se manifeste à travers une matrice commune et des critères repérables et admis par tous. Il n’y a pas de démocratie arabe, ni africaine, ni asiatique, encore moins occidentale. Elle est une idée à des degrés d’effectuation variable. Mais l’effectivité de l’idée se traduit par le respect d’un certain nombre de règles et de pratiques ; ce qui n’exclut pas des imperfections, des manquements, des choses à déplorer. La France de Hollande n’est pas celle de Sarkozy, mais elle est bien une République démocratique. La Tunisie de Moncef Marzouki n’est pas celle de Ben Ali, mais elle n’est pas une société démocratique. Le Sénégal d’Abdoulaye Wade n’est pas celui de Macky Sall, mais c’est bien un pays où l’idée démocratique a son ancrage, malgré les contradictions et les tergiversations de la société sénégalaise. La Mauritanie de Mohamed Ould Abdoul Aziz n’est pas celle d’Ould Taya, mais le régime politique demeure un régime de dictature raciste, esclavagiste, tribal et clanique et qui fait prospérer le système en vigueur, depuis toujours, dans son œuvre d’exclusion de la composante africaine noire. Le recensement en cours qui veut entériner la négation de la citoyenneté de toute une composante en constitue une preuve irréfutable. Le président mauritanien n’a pas respecté les échéances électorales! Il continue à régner en despote absolu : son Excellence général président, usurpateur du pouvoir qu’il entend confisquer devant l’Eternel et au grand dam du peuple et des opprimés de toujours. Quelle méprise de l’idée démocratique !
Hier comme aujourd’hui, ici et ailleurs, localement et universellement, la fondamentalité philosophique, éthique et humaniste de l’idée démocratique demeure actuelle, la variation est au niveau de sa maturation sociale, culturelle et économique. Il n’y a pas de trouvaille à faire, de ce point de vue, ni d’application, ni d’adaptation, ni de consensus, encore moins de compromis, mais de rigueur dans la responsabilité des élites qu’elles soient politiques, militaires et intellectuelles. Il faut dire que la démocratie ne pourra jamais s’enraciner dans des logiques obscurantistes, opportunistes, relevant des pratiques de l’arbitraire et de l’aveuglement.
Etre démocrate, c’est fondamentalement et radicalement, refuser toute forme de compromission avec des régimes politiques qui mettent en avant l’impunité, le clientélisme, le favoritisme, le clanisme. Etre démocrate, c’est assumer la radicalité de la revendication de l’exigence de justice, d’équité et d’égalité. Etre démocrate, c’est revendiquer l’éthique de la rationalité du savoir, du respect et de la promotion des droits humains, des droits des enfants, des femmes et des minorités. Etre démocrate, c’est se démarquer de la rhétorique de la démagogie et du consensus mou, faisant ainsi l’impasse au devoir de penser comme exigence de clarté et de clarification.
L’expérience malienne, depuis la crise jusqu’à son aboutissement à l’élection de son président, en passant par l’intervention politique et militaire de la France doit nous inviter à réfléchir à l’exigence universelle de contribution au rayonnement universel de l’idée démocratique. Il ne doit y avoir aucune inflexion ou adaptation, de ce qu’il faut bien reconnaître comme l’une des conquêtes les plus significatives du long cheminement des peuples vers la réalisation d’un vivre ensemble rationnel, civilisé, apaisé et fraternel. L’idée démocratique est porteuse du sens de l’Histoire comme aspiration des humains à vivre librement et dignement. C’est de cette universalité qu’il est question, et qu’il convient de promouvoir et de propulser afin que nos peuples soient enfin libérés du joug de l’oppression, de l’injustice, de l’humiliation, de l’impunité, de la misère et de la pauvreté. L’approche adaptative ou culturaliste est un leurre qui ne contribue pas au désir des peuples à la souveraineté conquise de haute lutte par les nations démocratiques.
Paris le 19 août 2013
Par Hamdou Rabby SY
Philosophe et militant des droits de l’Homme
avomm.com
Il ne faut pas oublier que le Mali est un pays riche de ses mythes et de ses fortes traditions depuis les temps immémoriaux. Ce qui ne doit pas nous amener à occulter les expériences politiques du début des indépendances avec Modibo Keïta, la dictature féroce et sanguinaire du Général Moussa Traoré, dont la gouvernance a mis à genoux le pays. Un régime de tyrannie qui est l’un des plus cyniques du continent africain. Quoiqu’on dise, il y avait eu une transition réussie au Mali en 1991, qui a été portée par l’élite politique, intellectuelle du Mali et le peuple s’en est saisi, en payant cher de sa vie, pour libérer le pays de la dictature de Moussa Traoré qui, jusqu’au dernier moment, n’a pas voulu lâcher le pouvoir. Il faut bien se souvenir de ce lieutenant-colonel qui avait téléphoné au collectif de l’opposition malienne pour contribuer à la chute de Moussa Traoré et arrêter les massacres qui étaient au programme du Général président. A l’instar de tous les despotes qu’ils soient militaires ou civils, Moussa Traoré ne voulait pas céder à la pression des forces démocratiques, des syndicats, des associations et du peuple. L’officier supérieur en question, est le célèbre Amadou Toumani Touré qui n’a pas démérité, durant cette période de transition, qui avait débouché sur des élections présidentielles. Elections qui ont permis l’arrivée d’Alpha Oumar Konaré, premier président démocratiquement élu du Mali. Le processus s’est grippé quand Amadou Toumani Touré bénéficiant de l’aura de sa gestion de la transition a pris la décision de revenir sur l’arène politique et de briguer le mandat présidentiel. Il est des retours qui ne sont pas prometteurs. Et la suite est connue.
Que faut-il en retenir ?
L’expérience du Mali a fait réfléchir et a surpris tout le monde par la pédagogie de l’endormissement et l’abandon de l’armée malienne par le glorieux officier supérieur devenu Général président. Si je ne m’abuse à l’exception du Général DE Gaulle, un général président fait rarement du bien à son peuple, du moins sur le plan démocratique. C’est le cas de Mohamed Ould Abdoul Aziz, le président mauritanien, qui, pour obtenir le grade de Général, a usurpé le pouvoir et brutalement interrompu l’expérience démocratique amorcée en Mauritanie, non sans surveillance et fragilité. On voit bien que les Généraux, quel que soit leur prestige, ne peuvent pas être des promoteurs et des animateurs de la démocratie. S’ils sont bienveillants et respectueux de l’intérêt supérieur, ils peuvent veiller au bon fonctionnement des institutions de sécurité et ne pas accepter l’ingérence de leurs forces dans le processus de la vie politique dans son sens le plus élevé et le plus efficient pour l’intérêt général.
En effet, l’expérience politique du Mali montre que la réussite du bon déroulement des élections présidentielles qui viennent de s’accomplir, est le résultat d’un long processus, impliquant des acteurs nationaux de tous bords et des acteurs régionaux et internationaux. Il faut dire et reconnaître que sans l’intervention de la France, le soutien et l’appui de la communauté internationale et de l’Afrique, on n’en serait pas là aujourd’hui à saluer la réussite des élections dans ce pays tombé dans les mains du fanatisme, de la négation de la vie et de la dignité humaine. Il y a un courage éthique à admettre le caractère salutaire de la décision politique des autorités maliennes et du Président français, François Hollande. Il est incontestable que cette action est la démonstration que l’idée démocratique ne peut se réduire à des paroles, à des énoncés, mais à l’usage raisonnable et progressiste des forces armées, quand la souveraineté d’un pays est remise en cause par des forces de l’arbitraire et de l’obscurantisme. On ne peut plus être dans le schéma conservateur de la revendication de l’« authenticité africaine » qui a servi de fondement idéologique aux dictateurs du continent, dont les cas les plus célèbres furent Sékou Touré de la Guinée et Mobutu Seso Seko de l’ex- Zaïre.
La leçon de l’expérience malienne révèle également que l’idée démocratique ne peut pas être culturelle et locale. La démocratie est une idée universelle, un principe fondamental, un schème instituant, constituant et régulateur pour un vivre ensemble, collectivement assumé. Il s’agit d’un paradigme, d’une utopie et d’un archétype au sens platonicien de l’Idée. Le principe démocratique ne peut s’adapter au contexte, dans son esprit, dans sa méthode et dans ses mécanismes. Il relève du formalisme logique universel de tout principe et de toute Idée. Il ne faut pas confondre l’Idée et son effectuation concrète et spécifique. Partir des réalités d’une société ne permet pas de construire une nation démocratique.
L’approche qui consiste à partir des réalités, procède d’une incompréhension de l’universalité de l’idée démocratique. Celle-ci ne peut être le reflet ni de la réalité locale, encore moins des pratiques, religieuses et sociales. L’offre démocratique met en crise et en difficulté, nécessairement, le conformisme de l’ordre établi. L’idée démocratique est ainsi un condensé explosif qui a pour fonction critique de déconstruire, d’anéantir, du moins d’affaiblir les résistances, les représentations et les pesanteurs de l’enracinement dans des pratiques culturelles irrationnelles et arbitraires. Quand un président de la République décide de modifier la constitution pour briguer un troisième mandat, il n’est plus dans l’horizon de l’idée démocratique et des aspirations du peuple, mais dans une forme de régression ou de persistance dans les pratiques irrationnelles de la toute-puissance et du mépris de la citoyenneté républicaine. C’est à se dire qu’il avait rusé avec le formalisme des mécanismes et des procédures des élections. Mais il n’adhère pas au fond, à l’esprit, au principe et à l’idée démocratique. Il en est ainsi de la plupart des intellectuels, des savants, des experts et des technocrates du continent, qui n’ont pas procédé à la rupture épistémologique, éthique et philosophique, indispensable, pour opérer une mutation intellectuelle décisive, et entrer ainsi dans la culture de la rationalité. C’est cette mutation radicale qui ouvre la voie à l’adhésion à l’universalité de l’idée démocratique.
Le rôle des militaires comme des intellectuels en tant qu’acteurs et contributeurs au jeu démocratique est essentiel dans le processus de construction de la société démocratique. Les politiques reflètent aussi les rapports de force stratégiques des forces militaires et de sécurité en place ; de même qu’ils traduisent le flou entretenu par la rhétorique des intellectuels. Quand les intellectuels en restent au formalisme des valeurs culturelles et des procédures et ne tiennent pas compte des exigences universelles de transformation de la société, ils contribuent de fait au renforcement de l’ordre établi. Ce n’est pas pour rien que ce qu’on a appelé très vite le « printemps arabe » a viré au cauchemar. Parce qu’on a confondu le formalisme des procédures des élections en démocratie et le sens de la démocratie. Comment une société peut-elle prétendre au suffrage universel conçu par l’idée démocratique en refusant la laïcité, l’égalité de tous les citoyens sans distinction de race et de sexe ? Comment une société qui fonde ses conceptions du vivre ensemble sur la religion, le racisme, l’esclavage, le tribalisme, le clanisme, le népotisme, le conservatisme, peut-elle organiser des élections démocratiques? Ce sont des questionnements qui méritent d’être approfondis pour opérer la démarcation entre l’universalité de l’idée démocratique et sa traduction effective, à travers des expériences singulières. Il ne saurait y avoir d’exception démocratique, ni de spécificité démocratique.
Quand la démocratie est effective, elle se manifeste à travers une matrice commune et des critères repérables et admis par tous. Il n’y a pas de démocratie arabe, ni africaine, ni asiatique, encore moins occidentale. Elle est une idée à des degrés d’effectuation variable. Mais l’effectivité de l’idée se traduit par le respect d’un certain nombre de règles et de pratiques ; ce qui n’exclut pas des imperfections, des manquements, des choses à déplorer. La France de Hollande n’est pas celle de Sarkozy, mais elle est bien une République démocratique. La Tunisie de Moncef Marzouki n’est pas celle de Ben Ali, mais elle n’est pas une société démocratique. Le Sénégal d’Abdoulaye Wade n’est pas celui de Macky Sall, mais c’est bien un pays où l’idée démocratique a son ancrage, malgré les contradictions et les tergiversations de la société sénégalaise. La Mauritanie de Mohamed Ould Abdoul Aziz n’est pas celle d’Ould Taya, mais le régime politique demeure un régime de dictature raciste, esclavagiste, tribal et clanique et qui fait prospérer le système en vigueur, depuis toujours, dans son œuvre d’exclusion de la composante africaine noire. Le recensement en cours qui veut entériner la négation de la citoyenneté de toute une composante en constitue une preuve irréfutable. Le président mauritanien n’a pas respecté les échéances électorales! Il continue à régner en despote absolu : son Excellence général président, usurpateur du pouvoir qu’il entend confisquer devant l’Eternel et au grand dam du peuple et des opprimés de toujours. Quelle méprise de l’idée démocratique !
Hier comme aujourd’hui, ici et ailleurs, localement et universellement, la fondamentalité philosophique, éthique et humaniste de l’idée démocratique demeure actuelle, la variation est au niveau de sa maturation sociale, culturelle et économique. Il n’y a pas de trouvaille à faire, de ce point de vue, ni d’application, ni d’adaptation, ni de consensus, encore moins de compromis, mais de rigueur dans la responsabilité des élites qu’elles soient politiques, militaires et intellectuelles. Il faut dire que la démocratie ne pourra jamais s’enraciner dans des logiques obscurantistes, opportunistes, relevant des pratiques de l’arbitraire et de l’aveuglement.
Etre démocrate, c’est fondamentalement et radicalement, refuser toute forme de compromission avec des régimes politiques qui mettent en avant l’impunité, le clientélisme, le favoritisme, le clanisme. Etre démocrate, c’est assumer la radicalité de la revendication de l’exigence de justice, d’équité et d’égalité. Etre démocrate, c’est revendiquer l’éthique de la rationalité du savoir, du respect et de la promotion des droits humains, des droits des enfants, des femmes et des minorités. Etre démocrate, c’est se démarquer de la rhétorique de la démagogie et du consensus mou, faisant ainsi l’impasse au devoir de penser comme exigence de clarté et de clarification.
L’expérience malienne, depuis la crise jusqu’à son aboutissement à l’élection de son président, en passant par l’intervention politique et militaire de la France doit nous inviter à réfléchir à l’exigence universelle de contribution au rayonnement universel de l’idée démocratique. Il ne doit y avoir aucune inflexion ou adaptation, de ce qu’il faut bien reconnaître comme l’une des conquêtes les plus significatives du long cheminement des peuples vers la réalisation d’un vivre ensemble rationnel, civilisé, apaisé et fraternel. L’idée démocratique est porteuse du sens de l’Histoire comme aspiration des humains à vivre librement et dignement. C’est de cette universalité qu’il est question, et qu’il convient de promouvoir et de propulser afin que nos peuples soient enfin libérés du joug de l’oppression, de l’injustice, de l’humiliation, de l’impunité, de la misère et de la pauvreté. L’approche adaptative ou culturaliste est un leurre qui ne contribue pas au désir des peuples à la souveraineté conquise de haute lutte par les nations démocratiques.
Paris le 19 août 2013
Par Hamdou Rabby SY
Philosophe et militant des droits de l’Homme
avomm.com