Après le pèlerinage d’Inal, le 27 et 29 novembre, le président de l’IRA-Mauritanie, Biram Ould Dah Ould Abeid, a décidé de se rendre à Sorimalé, le 28 novembre 2012. Objectif: se recueillir sur la fosse commune de ce paisible village fortement traumatisé, lors des fameux évènements de 89-91. Situé en bordure du fleuve Sénégal – un crime, à l’époque – ce village, peuplé de cultivateurs, de pêcheurs et d’éleveurs a payé un très lourd tribut à sa situation géographique.
Sorimalé a obtenu sa triste et amère célébrité, avec deux évènements choquants: la découverte d’une fosse commune où étaient enterrés plusieurs de ses ressortissants – voir «Mauritanie Nouvelles» n° 10, en date du 21 mars 1992 – et l’assassinant, dans la nuit du 22 au 23 août 1992, d’un commerçant maure installé, dans la localité, depuis 1988.
Assassinés froidement
Les populations de Sorimalé ont subi, de plein fouet, les conséquences des évènements de 1989. Comme nombre de villages situé sur la rive du fleuve, Sorimalé s’est vu flanqué d’un poste de police dont la principale mission était de surveiller les va-et-vient à travers le fleuve, avec, à la clef, droit de rançon des populations. Pour traverser, ne fût-ce que pour des condoléances, chacun devait s’acquitter de 100 à 200 UM. Pour les commerçants, la taxe variait selon la quantité et la valeur en transit. Ambiance également variable, au gré des mutations des policiers et des arrestations plus ou moins arbitraires. Sorimalé et les villages voisins, situés un plus loin de la rive, s’accommodèrent, difficilement, des humeurs des commissaires et des commandants de brigade qui se succédèrent à M’Bagne, durant cette période.
Cette situation, pesante mais, tout de même, vivable, dura jusqu’à l’intrusion, dans la zone, d’hommes armés, travaillant officiellement, dans la coupe du bois, mais chargés, manifestement, de beaucoup plus basses besognes, sous la protection de l’administration et des forces de sécurité. Cette sorte de milice para-militaire circulait à sa guise, tandis que les populations locales n’osaient même plus se rendre dans leurs champs, à certaines heures de la journée. Ceux qui avaient le malheur de s’aventurer à peine hors de leur village risquaient, tout simplement, d’être abattus. C’est ce qui est, hélas, arrivé, le 18 mars 1990, à Samba Dioulé Dia, Abou Mamadou et Diallo Thierno Moctar, partis à la recherche de leurs animaux. Tirés comme des lapins, à en croire les sources dignes de foi, par la bande armée qui écumait la forêt dite de Diakal, au nord-ouest de Sorimalé. Leurs corps seront découverts dans une fosse commune, deux ans plus tard. La presse indépendante se déplaça sur les lieux et Sorimalé, village martyr, fût placé sous les feux de l’actualité. Le permanent du CMSN de l’époque, le docteur N’Diaye Kane fut dépêché sur les lieux, sans suites.
A ces personnes froidement assassinées, il faut ajouter Amadou Harouna Thiongane. Cet homme, très connu, dans la zone, pour sa jovialité et sa courtoisie fut abattu par des éléments de la Garde qui avaient remplacé les policiers. Presque tous analphabètes, ces nouveaux-venus se sont livrés à toutes sortes d’exactions: interdire les cérémonies de famille et la surveillance de champs, poussant, même, le culot à prohiber la lumière dans les maisons, la nuit, et à obliger les gens à leur apporter des moutons, pour leur alimentation.
Thiongane Amadou a été arrêté, de nuit, au bord du fleuve: c’était un crime. Les gardes l’ont accusé de venir de l’autre côté du fleuve et de servir de vaguemestre pour les mauritaniens de la diaspora. Autrement dit, de convoyer l’argent que la diaspora envoyait aux familles restées au pays. Les villageois ont déclaré avoir entendu les gardes le battre à coups de crosses et de ceinturons, en traversant la ville, pour l’achever hors du village. Que Dieu accorde justice et repos à ces hommes lâchement assassinés par des forces dites de sécurité ou des sbires à leur solde.
Prétexte tout trouvé
Dans la nuit du 22 au 23 août 1992, Sidi Ould Soueid est attaqué par des hommes armés. Criblé de balles, il meurt, peu après son évacuation vers Kaédi, via M’Bagne. Alerté, Isselmou, le commandant de brigade de M’Bagne, se rend à Sorimalé et entame l’enquête, avant d’en être dessaisi par les fusiliers marins installés à Bababé, venus, en force, sous le commandement de Sidi Mohamed Ould El Vaida. Selon Isselmou, rencontré, à M’Bagne, le jour même de son limogeage, les assaillants étaient venus du Sénégal et il s’agissait d’un règlement de compte.
Mais, pour les fusiliers marins, le commerçant avait été tué par les jeunes du village où il tenait boutique, depuis 1988. Comme on dit, dans la vallée: «un chameau ne meurt jamais naturellement, près des champs, il est toujours abattu par les cultivateurs locaux». Sitôt arrivés, les fusiliers marins placèrent le village en état de siège, durant trois jours. Personne ne sort, personne ne rentre, sauf les animaux. Presque tous les hommes valides furent conduits au poste, installé à l’école du village. Tortures, bastonnades, humiliations… tout y passa. C’est des suites de ces exactions que Dia Hamatt Atoumané, un grand notable du village, décèdera. Une mort atroce qui a suscité une vive polémique, entre l’UFD de l’époque et le PRDS naissant. Pour les premiers, c’était le chef de village qui avait été tué, pour les seconds, c’était son frère. Venues pour les condoléances, les populations des villages voisins furent soumises à des enquêtes et intimidations.
Au terme de leurs interrogatoires musclés, les fusiliers marins retinrent onze personnes au poste: Diop Kalidou Penda Dikel, logeur du commerçant; Astel Mairam, son épouse; Dia Demba Atoumané, chef de village; Anne Ali Maya, adjudant de la Garde à la retraite; Sarr Ousmane Thierno, garde à la retraite; Sarr Alassane Dama, Niass Yaya, Sow Abou Mairam, Hamidou M’Bodj, Diop Ismail Demba et Tall Malick. Quatre seront déférées au Parquet d’Aleg: Niass Yaya, Hamidou Bodj, Diop Ismaila Demba seront relaxés, quelques mois plus tard, tandis qu’Alassane Dama Sarr croupit, en ce début d’année 2012 encore, en prison à Aleg.
Malgré le déploiement en force des fusiliers marins et du déplacement, sur les lieux, du commandant de la 5ème région militaire (Aleg), l’enquête n’a pas permis d’élucider le meurtre. Les populations du village à qui l’on fit porter le chapeau gardent le sentiment d’avoir été victimes d’une expédition punitive de l’administration et des fusiliers marins de Bababé. Les douilles, trouvées sur les lieux du crime, n’ont pas l’objet d’analyse poussée. Mais, selon diverses informations concordantes, elles proviendraient d’armes de guerre détenues par les forces de sécurité ou les bandes qu’elles armèrent. Craignant d’être emprisonné voire exécuté sans autre forme de procès, personne de la vallée n’osait détenir une arme à feu, pas même un mousquet traditionnel. Beaucoup s’étaient débarrassés de leur fusil, pour ne pas s’attirer des ennuis. Seuls les expulsés de l’époque, qui organisaient des raids en Mauritanie, pour récupérer leur bétail spolié, utilisaient des armes à feu.
Le pèlerinage qu’IRA Mauritanie et les organisations de défense des droits de l’Homme vont effectuer à Sorimalé, en novembre prochain, constitue une importante consolation, faute de réparations, pour des citoyens qui se sont sentis, pendant les évènements 89/92, comme n’étant pas des mauritaniens. Comble de cruelle ironie, le poste de police, installé, à Sorimalé, après les gendarmes et les gardes, continue, aujourd’hui encore, à racketter les populations amenées, pour des raisons diverses, à traverser le fleuve Sénégal qui ne constitua jamais, avant ces évènements, une frontière. Pour traverser le fleuve, les gens de ce village et des localités voisines, traumatisés par les exactions qu’ils ont subies, se résignent à payer octroi. Des montants qui ne sont, bien évidemment, jamais reversés dans les caisses de l’Etat.
Espérons, en tout cas, que le pouvoir ne fera pas obstacle à ce pèlerinage censé lever, un tout petit peu, le coin du voile, encore opaque, sur ce qui s’est passé dans cette vallée des larmes.
DL
Source: le calame
Sorimalé a obtenu sa triste et amère célébrité, avec deux évènements choquants: la découverte d’une fosse commune où étaient enterrés plusieurs de ses ressortissants – voir «Mauritanie Nouvelles» n° 10, en date du 21 mars 1992 – et l’assassinant, dans la nuit du 22 au 23 août 1992, d’un commerçant maure installé, dans la localité, depuis 1988.
Assassinés froidement
Les populations de Sorimalé ont subi, de plein fouet, les conséquences des évènements de 1989. Comme nombre de villages situé sur la rive du fleuve, Sorimalé s’est vu flanqué d’un poste de police dont la principale mission était de surveiller les va-et-vient à travers le fleuve, avec, à la clef, droit de rançon des populations. Pour traverser, ne fût-ce que pour des condoléances, chacun devait s’acquitter de 100 à 200 UM. Pour les commerçants, la taxe variait selon la quantité et la valeur en transit. Ambiance également variable, au gré des mutations des policiers et des arrestations plus ou moins arbitraires. Sorimalé et les villages voisins, situés un plus loin de la rive, s’accommodèrent, difficilement, des humeurs des commissaires et des commandants de brigade qui se succédèrent à M’Bagne, durant cette période.
Cette situation, pesante mais, tout de même, vivable, dura jusqu’à l’intrusion, dans la zone, d’hommes armés, travaillant officiellement, dans la coupe du bois, mais chargés, manifestement, de beaucoup plus basses besognes, sous la protection de l’administration et des forces de sécurité. Cette sorte de milice para-militaire circulait à sa guise, tandis que les populations locales n’osaient même plus se rendre dans leurs champs, à certaines heures de la journée. Ceux qui avaient le malheur de s’aventurer à peine hors de leur village risquaient, tout simplement, d’être abattus. C’est ce qui est, hélas, arrivé, le 18 mars 1990, à Samba Dioulé Dia, Abou Mamadou et Diallo Thierno Moctar, partis à la recherche de leurs animaux. Tirés comme des lapins, à en croire les sources dignes de foi, par la bande armée qui écumait la forêt dite de Diakal, au nord-ouest de Sorimalé. Leurs corps seront découverts dans une fosse commune, deux ans plus tard. La presse indépendante se déplaça sur les lieux et Sorimalé, village martyr, fût placé sous les feux de l’actualité. Le permanent du CMSN de l’époque, le docteur N’Diaye Kane fut dépêché sur les lieux, sans suites.
A ces personnes froidement assassinées, il faut ajouter Amadou Harouna Thiongane. Cet homme, très connu, dans la zone, pour sa jovialité et sa courtoisie fut abattu par des éléments de la Garde qui avaient remplacé les policiers. Presque tous analphabètes, ces nouveaux-venus se sont livrés à toutes sortes d’exactions: interdire les cérémonies de famille et la surveillance de champs, poussant, même, le culot à prohiber la lumière dans les maisons, la nuit, et à obliger les gens à leur apporter des moutons, pour leur alimentation.
Thiongane Amadou a été arrêté, de nuit, au bord du fleuve: c’était un crime. Les gardes l’ont accusé de venir de l’autre côté du fleuve et de servir de vaguemestre pour les mauritaniens de la diaspora. Autrement dit, de convoyer l’argent que la diaspora envoyait aux familles restées au pays. Les villageois ont déclaré avoir entendu les gardes le battre à coups de crosses et de ceinturons, en traversant la ville, pour l’achever hors du village. Que Dieu accorde justice et repos à ces hommes lâchement assassinés par des forces dites de sécurité ou des sbires à leur solde.
Prétexte tout trouvé
Dans la nuit du 22 au 23 août 1992, Sidi Ould Soueid est attaqué par des hommes armés. Criblé de balles, il meurt, peu après son évacuation vers Kaédi, via M’Bagne. Alerté, Isselmou, le commandant de brigade de M’Bagne, se rend à Sorimalé et entame l’enquête, avant d’en être dessaisi par les fusiliers marins installés à Bababé, venus, en force, sous le commandement de Sidi Mohamed Ould El Vaida. Selon Isselmou, rencontré, à M’Bagne, le jour même de son limogeage, les assaillants étaient venus du Sénégal et il s’agissait d’un règlement de compte.
Mais, pour les fusiliers marins, le commerçant avait été tué par les jeunes du village où il tenait boutique, depuis 1988. Comme on dit, dans la vallée: «un chameau ne meurt jamais naturellement, près des champs, il est toujours abattu par les cultivateurs locaux». Sitôt arrivés, les fusiliers marins placèrent le village en état de siège, durant trois jours. Personne ne sort, personne ne rentre, sauf les animaux. Presque tous les hommes valides furent conduits au poste, installé à l’école du village. Tortures, bastonnades, humiliations… tout y passa. C’est des suites de ces exactions que Dia Hamatt Atoumané, un grand notable du village, décèdera. Une mort atroce qui a suscité une vive polémique, entre l’UFD de l’époque et le PRDS naissant. Pour les premiers, c’était le chef de village qui avait été tué, pour les seconds, c’était son frère. Venues pour les condoléances, les populations des villages voisins furent soumises à des enquêtes et intimidations.
Au terme de leurs interrogatoires musclés, les fusiliers marins retinrent onze personnes au poste: Diop Kalidou Penda Dikel, logeur du commerçant; Astel Mairam, son épouse; Dia Demba Atoumané, chef de village; Anne Ali Maya, adjudant de la Garde à la retraite; Sarr Ousmane Thierno, garde à la retraite; Sarr Alassane Dama, Niass Yaya, Sow Abou Mairam, Hamidou M’Bodj, Diop Ismail Demba et Tall Malick. Quatre seront déférées au Parquet d’Aleg: Niass Yaya, Hamidou Bodj, Diop Ismaila Demba seront relaxés, quelques mois plus tard, tandis qu’Alassane Dama Sarr croupit, en ce début d’année 2012 encore, en prison à Aleg.
Malgré le déploiement en force des fusiliers marins et du déplacement, sur les lieux, du commandant de la 5ème région militaire (Aleg), l’enquête n’a pas permis d’élucider le meurtre. Les populations du village à qui l’on fit porter le chapeau gardent le sentiment d’avoir été victimes d’une expédition punitive de l’administration et des fusiliers marins de Bababé. Les douilles, trouvées sur les lieux du crime, n’ont pas l’objet d’analyse poussée. Mais, selon diverses informations concordantes, elles proviendraient d’armes de guerre détenues par les forces de sécurité ou les bandes qu’elles armèrent. Craignant d’être emprisonné voire exécuté sans autre forme de procès, personne de la vallée n’osait détenir une arme à feu, pas même un mousquet traditionnel. Beaucoup s’étaient débarrassés de leur fusil, pour ne pas s’attirer des ennuis. Seuls les expulsés de l’époque, qui organisaient des raids en Mauritanie, pour récupérer leur bétail spolié, utilisaient des armes à feu.
Le pèlerinage qu’IRA Mauritanie et les organisations de défense des droits de l’Homme vont effectuer à Sorimalé, en novembre prochain, constitue une importante consolation, faute de réparations, pour des citoyens qui se sont sentis, pendant les évènements 89/92, comme n’étant pas des mauritaniens. Comble de cruelle ironie, le poste de police, installé, à Sorimalé, après les gendarmes et les gardes, continue, aujourd’hui encore, à racketter les populations amenées, pour des raisons diverses, à traverser le fleuve Sénégal qui ne constitua jamais, avant ces évènements, une frontière. Pour traverser le fleuve, les gens de ce village et des localités voisines, traumatisés par les exactions qu’ils ont subies, se résignent à payer octroi. Des montants qui ne sont, bien évidemment, jamais reversés dans les caisses de l’Etat.
Espérons, en tout cas, que le pouvoir ne fera pas obstacle à ce pèlerinage censé lever, un tout petit peu, le coin du voile, encore opaque, sur ce qui s’est passé dans cette vallée des larmes.
DL
Source: le calame