« Le discours qui valait hier à leurs auteurs le qualificatif «d´ennemis de la nation» était devenu subitement un cheval de bataille qu´enfourchaient tous les prétendants aux trônes. «Unité nationale», «retour des déportés», «règlement du passif humanitaire», «esclavage»; on eût dit que, brusquement, tout le monde s´était réveillé FLAMISTE»
FLAMNET reçoit aujourd´hui un grand homme de lettres, une plume sûre, un combattant de la liberté, un intellectuel de haute facture qui n´est plus à présenter aux mauritaniens, nous voulons nommer Harouna Rachid Ly l´enfant chéri de Wouro Dialaw.
Ancien gendarme mais révoqué pendant les années de braise pour délit de faciès. Oui, c´était un crime d´être un noir et fier de sa négritude pendant le régne de sa majesté Ould Taya et Rachid était fier de ses origines donc un «ennemi de la nation».
Rachid LY travaille maintenant dans un Cabinet d’Avocat à Nouakchott. Il a collaboré à plusieurs journaux indépendants comme le Calame de feu Habib Ould Mahfoudh, Al Bayane et est actuellement rédacteur-en-chef de l’hebdomadaire “La Nouvelle Expression”.
Écrivain et auteur de plusieurs ouvrages dont : Le réveil agité, Editions L’Harmattan, (Paris, France, 1997), Que le Diable t´emporte ! publié à compte d’auteur( Nouakchott, 2000), Le trésor des Houya-Houya, Editions Manuscrit.com, (Paris, France, 2001) et maintenant il vient de publier «1989, Gendarme en Mauritanie», Editions Cultures Croisées, Roissy-en-Brie, France, ( 2007). C´est pour parler de son nouveau livre, de la démocratisation en Mauritanie , de la question nationale, de la situation de la presse au pays et d´autres questions d´actualité que nous avons donné la parole à ce fin observateur et acteur de la scène politique mauritanienne.
Pour la petite histoire Rachid est l´un des rares mauritaniens de l´intérieur à écrire à visage découvert et à participer aux débats sans langue de bois dans le FORUM FLAMNET pendant les années de plomb de Taya.
Entretien/
FLAMNET : Bonjour Rachid, voulez-vous vous présenter aux lecteurs de FLAMNET?
RACHID LY : Je m’appelle Harouna LY dit Rachid. Je suis natif de Wouro-Dialaw (Département de Bababé)… Après quelques années passées à la Gendarmerie nationale, j’ai quitté ce corps (ou du moins j’ai été ousté) le 6 juin de l’an de disgrâce 1989. Depuis, je travaille dans un cabinet d’avocat. A mes heures perdues, je suis écrivain et, « subsidiairement », je suis rédacteur en chef du journal « La Nouvelle Expression ». Pour rappel, l’honneur nous a été donné de « bosser », avec feu Habib Ould Mahfoud, « L’homme qui est mort debout », (Dieu l’Agrée dans Son Vaste Paradis. Amin) à Al-Bayane et, par la suite, au Calame, journaux pionniers qui ont tracé la voie à la presse indépendante de notre pays.
FLAMNET : Nous savons que vous venez de mettre la dernière main sur un ouvrage, voulez-vous nous donner la primeur des thèmes qui y sont abordés?
RACHID LY : Il s’agit d’un livre aussi bien autobiographique qu’un ouvrage qui fait le survol de la vie de la Mauritanie ces dernières années. Il a pour titre «1989, Gendarme en Mauritanie». Sans prétention, j’y aborde l’histoire de quelques groupuscules politiques avant la pantalonnade de la démocratisation des années 90 ; la vie d’un gendarme négro-mauritanien dans une ville du Nord mais surtout le processus qui, après les sanglants pogroms de Dakar et de Nouakchott d’avril 1989, a conduit à l’arrestation, la déportation ou la révocation de plusieurs fonctionnaires noirs mauritaniens.
FLAMNET : Gendarme en 1989 en Mauritanie et noir en plus ça ne devait pas être facile au royaume de Taya?
RACHID LY : Ce n’était pas facile. Il faut croire que les corps constitués (armée, gendarmerie, garde…), en prenant le pouvoir le 10 juillet 1978, avaient fait de l’homme de l’uniforme, sans aucun mandat du peuple, le dépositaire du dernier recours de cette notion quelque peu biscornue de la légitimité nationale ; si bien que des « petits caporaux », s’estimant fondés à avoir opinion sur la chose « politique », s’étaient mis à transposer les « problèmes civils » aux choses militaires. L’institution militaire n’était plus à l’abri des relents nationalistes au sens étroit du terme. Le malheur est aussi que, dans ce capharnaüm où les seules senteurs ne venaient plus que de la botte et du ceinturon, il était devenu comme une mode d’accoler des couleurs aux membres des forces armées : pro-baathistes, pro-nasséristes, pro-FLAM. Si chez nos compatriotes maures des corps constitués, les « moukhabaratt » avaient un choix étendu dans l’étiquetage, pour les négro-mauritaniens en uniforme, « on » pratiquait un raccourci saisissant : FLAM… Une bonne trouvaille pour les justifications a posteriori : on ne s’embarrassait plus de scrupule pour vider le gendarme négro-mauritanien, par exemple ; puisque dans l’entendement embrumé des excités de la calotte crânienne, s’il n’était pas Sénégalais (côté pile), il était « un ennemi de la nation » (côté face), autre vocable « brandi » à tout bout de champ pour aplatir le peuple.
FLAMNET : Est-il facile d´être Négro-mauritanien et de mener une carrière désengagée?
RACHID LY : Pas du tout… A moins d’être un mauvais citoyen. Ecoutez, je trouve que les gens qui se comportent de cette façon rendent un mauvais service au pays. « Houbboul watan minal iimaan » (« L’amour de la patrie est un devoir »). Rester dans son coin, cultiver son petit jardin, compter ses sous ou ses cors au pied est un comportement que tout bon citoyen doit abhorrer. Un citoyen (qu’il soit négro-mauritanien) ou de toute autre communauté nationale doit montrer qu’il est un citoyen ; remplir ses devoirs sans faille et réclamer ses droits sans faiblesse… Le désengagement est synonyme de démission – mieux, de l’aplatissement ; et c’est bien parce le camp de ceux qui préféraient la position horizontale était plus compact que celui de ceux qui étaient debout, que les applaudisseurs, les courtisans et les magouilleurs ont transformé ce pays en une marre de boue et de gadoue dans laquelle s’ébattaient des colonies de canards (boiteux, s’entend). Le pays n’avancera pas avec cette engeance…
FLAMNET : Votre ouvrage vient après "J'étais à Oualata" de Boye et "L'enfer d’Inal" de SY. Peut-on à votre avis parler d'une floraison ou d'un printemps de la littérature de la mémoire?
RACHID LY : Permettez-moi d’abord de rendre un hommage mérité à nos deux aînés (Boye Alassane Harouna et Mahammadou SY) pour leur témoignage inestimable à verser dans les pages de l’histoire de notre pays. Ces livres, à eux deux, représentent un ensemble de faisceaux qui éclairent et jettent une lumière crue sur les turpitudes d’un système et d’un régime qui a conduit la Mauritanie dans les récifs. Il fallait le faire ; en bons soldats, ils l’ont fait et je crois que cela mérite d’être salué… « floraison ou printemps de la littérature de la mémoire », je le pense. Les paroles s’envolent, les écrits restent. Si l’on se place sur l’angle de l’épuration et du passif humanitaire, on ne peut que se féliciter de ce travail de mémoire et de tout acte qui contribue à faire refluer les partisans de « la mise sous séquestre de l’Histoire »…
FLAMNET : Quelle est la situation de la presse en Mauritanie, est-ce que c´est facile d´exercer ce métier aujourd´hui au pays sans grands soutiens financiers ou sponsors?
RACHID LY : La presse mauritanienne se divise, grosso modo, en trois catégories : celle qui est plus ou moins debout (même si c’est branlant); celle qui a la langue sur les genoux et « la presse couchée » (au sens propre et figuré du terme). Les deux premières tirent leur épingle du jeu et sont à encourager. Elles ont contribué, cahin-caha, à l’enracinement (un bien grand mot !) de l’Etat de droit et l’ancrage (pourquoi pas ?!) de la démocratie. La dernière est une ivraie qu’il faut « éradiquer ». A dire vrai, la situation de la presse en Mauritanie n’est pas des meilleures. D’abord, l’Etat ne lui consent la moindre subvention et récemment elle a connu une cascade de plaintes (même si parfois elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même). Ensuite, la pub et autres insertions ne sont pas légion et ne bénéficient pas au grand nombre. Enfin, s’il ne fallait compter que sur le lectorat, beaucoup de journaux auraient mis la clé sous le paillasson. Malgré tout, il faut saluer le courage de ce quatrième pouvoir qui, même sous l’ère Taya, a su émettre des notes discordantes. Quant aux couinements de ces ouistitis que l’on surnomme sous nos cieux Peshmergas, tout le monde essaie de faire avec… Non, à dire vrai, sans soutiens financiers ou sponsors, comme vous dites, exercer le métier de journaliste relèverait, pour le moins, des dix travaux d’Hercule.
FLAMNET : Comment expliquez-vous le refus du CMJD d´aborder pendant la transition les questions qui "fâchent" à savoir le racisme d´Etat, l´esclavage, les déportations, le passif humanitaire, etc...
RACHID LY : Je ne l’explique pas, je le déplore. Sur ces questions, si le CMJD avait pris le taureau par les cornes, il serait entré dans l’Histoire par la grande porte ; dommage qu’il ait opté pour le soupirail. Pour se dédouaner à bon compte, il s’était mis à enfourcher le même cheval que Taya et ses partisans : « Tout réfugié mauritanien peut revenir » ; ou nouvelle trouvaille : « Il reviendra au prochain pouvoir, plus légitime, de régler la question (des déportés) »; au foot, on appelle ça, au mieux, « botter en touche ! » et au pire « des sorties hasardeuses d’un gardien peu bondissant» (ou bondissant mal)! Soyons reconnaissons au CMJD d’avoir débloqué la situation d’impasse dans laquelle se trouvait le pays mais étonnons-nous de sa propension à remettre aux calendes post-transitoires le règlement de dossiers si saillants au motif d’une « plus grande légitimité » du pouvoir civil qui lui succédera, présupposant donc son manque de légitimité (lui le CMJD) à régler ces questions. Légitimité, dit-on. Est-il légitime de renverser un régime civil, fut-il celui de Maaouya ? Le CMJD n’a-t-il pas modifié la Constitution, signé une Charte, des décrets, des traités et des conventions ? N’a-t-il pas libéré des condamnés ? Disons les choses sans faux fuyants ni formules alambiquées : le CMJD n’avait aucun mandat du peuple pour agir… tout s’est fait, ici, par consentement, consensus (pour ne pas dire par hochement de tête) et ce, suivant le « principe » (éculé ?) du « choix du moindre mal ». C’est dire donc que l’argument «de la légitimité » n’est pas suffisant. Nos vaillants libérateurs ont choisi la stratégie du contournement au lieu d’y aller à la hussarde. C’est dommage…
FLAMNET : Vous êtes un observateur averti de la scène politique nationale; Sidioca a-t-il la volonté et la marge de manoeuvre nécessaires pour résorber la question nationale? Ne risque-t-on pas d'assister à un exercice de colmatage qui se réduirait à faire rentrer les Déportés et passer sous silence tout le reste?
RACHID LY : Je pense que Sidioca a la volonté de trouver une solution à « l’unité nationale » comme il l’a dit dans sa campagne et l’a redit en plusieurs occasions. Sidi dispose-t-il d’une marge de manoeuvre ? Il est permis de penser que s’il s’est affranchi de la tutelle que voulait lui imposer ses encombrants amis d’El Mithaq, il pourrait éviter les écueils de toute autre pesanteur… Maintenant, est-ce que « la question nationale », telle que posée par les FLAM, et « l’unité nationale » du président Sidi ont la même signification ?… That is the question !! Comme diraient les sujets de sa Gracieuse Majesté. L’essentiel est que les dernières élections ont permis d’aborder les sujets tabous, ceux qui valaient à leurs auteurs le repoussant qualificatif de « ennemis du peuple ». Sincèrement, je crois que le processus vers une Mauritanie égalitaire, unie, juste et fraternelle est irréversible ; même si subsistent encore des esprits obtus et des freins de toutes sortes. La Mauritanie est revenue tellement de loin que l’espoir réside dans une rupture complète avec l’étroitesse d’esprit, la navigation à vue et les sectarismes de mauvais aloi. Restons confiants… et vigilants, car ce n’est pas une mince affaire de construire un bon citoyen et… de bons responsables. Et comme disait feu Habib Ould Mahfoud (que Dieu l’Agrée dans Son Vaste Paradis. Amin) : « Tant que certains n’appelleront pas notre pays notre chambre à coucher, il y a de l’espoir » !
FLAMNET : Pensez-vous que la démocratie est maintenant bien ancrée en Mauritanie et qu´avec la nouvelle "république" la situation des négro-mauritaniens n´est plus à déplorer?
RACHID LY : Il y a eu des élections transparentes. Des instruments tendant à poser les fondements de l’Etat de droit (CENI – enterrée avec la Transition – Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA), CNDH (Commission Nationale des Droits de l’Homme)) sont venus renforcer ceux qui existaient déjà ; d’autres verront prochainement le jour (le Conseil Economique et Social…). Mais le problème de ce pays n’est pas celui des instruments juridiques mais plutôt le comportement de ses responsables et de ses citoyens. La Mauritanie est sans doute le pays le plus complet en matière de textes, mais du formalisme de ceux-ci à la réalité sur le terrain existe un fossé que « le responsable » – ce grand enfant – comble à sa guise. Pour schématiser, je dirais que la Mauritanie est un pays démocratique mais que beaucoup de Mauritaniens ne sont pas des démocrates sincères. Nous venons de sortir d’une transition après avoir gémi longtemps sous le joug d’un système honni ; je pense qu’il est encore tôt de dresser le constat mais, l’avis général est que le nouveau président est animé de la volonté manifeste de sortir la Mauritanie de la cohorte des pays bananiers et dattiers… Je pense qu’il est utile de rappeler que les problèmes de cohabitation et d’unité nationale que le pays a connus sont dus plus au comportement irresponsable d’un système que des individus pris séparément ; un système qui a su poser les fondements solides d’une obscure technique du « diviser pour régner », qui a eu pour conséquence de cultiver l’incompréhension, semer la discorde et nourrir le ressentiment intercommunautaire. Et ce système recrutait, hélas, ses doungourous et ses seconds couteaux dans toutes les périphéries. Combien étaient-ils les négro-mauritaniens qui chantaient les louanges du régime désormais déchu ? Combien d’entre eux dansaient autour de notre scalp à peine coupé ? Qui venaient dans la Vallée prêcher la « bonne parole » en usant du chantage et de l’intimidation ? Ces Zoulous, ces VF ? Combien d’entre eux ont défendu Maaouya à Banjul, Bruxelles, Madrid, Durban ou Dakar ? Cette horde qui écrasait la Vallée du pied et du pneu était composée des fils de cette contrée. Ce n’était point des Maham, ni des Mahmoud mais des petits Mamadou bien de chez nous… Entre nos communautés, la vie n’était pas toujours rose mais la bonne entente existait, chaque maure ayant son kowri qu’il était prêt à défendre contre ses propres parents, s’il le faut ; et chaque kowri ayant son maure, son hartani auxquels il était attaché comme à la prunelle de ses yeux. Le retour d’un tel climat est possible, encore faut-il que la nouvelle république, comme vous dites, traduise dans les faits notre devise nationale : Honneur – Fraternité – Justice. « Le poisson pourrit par la tête », comme on dit ; hélas, le malheur de ce pays est toujours venu de sa tête qui pense mal.
FLAMNET : Que pensez-vous des FLAM, de leur lutte et du site Flamnet ?
RACHID LY : C’est une organisation qui, dès le départ, a su montrer du doigt les dangers qui guettent la Mauritanie. Malheureusement, ses constats, ses mises en garde furent mal perçus ou tout simplement instrumentalisés. Sans doute aussi, avaient-elles commis une erreur de n’avoir pas rallié à leur combat ou associé à leur diagnostic les autres composantes nationales, passant ainsi, aux yeux de leurs détracteurs, pour une « entité » sectaire et communautariste… Cependant, ici, pendant le printemps électoral de 2006-2007 qui avait pris les allures de catharsis, bien des masques sont tombés, bien des voiles de pudeurs, oripeaux couvrant des pans entiers de lâchetés, d’opportunisme inconscient et du réalisme bas de gamme, ont été jetés aux orties. Le discours qui valait hier à leurs auteurs le qualificatif « d’ennemis de la nation » était devenu subitement un cheval de bataille qu’enfourchaient tous les prétendants aux trônes. « Unité nationale », « retour des déportés », « règlement du passif humanitaire », « esclavage »… on eût dit que, brusquement, tout le monde s’était réveillé FLAMISTE. Comme qui dirait, « Be mbiyanooma tan cahen Be mbii alaa muuDen ! » (Il leur avait été conseillé : « Mouillons ce couscous avant de l’avaler », ils avaient rétorqué : « Que non ! Nous le préférons sec ! »)…
FLAMNET est un site qui a contribué grandement au débat sur les grandes questions nationales ; ce dont il doit être remercié.
FLAMNET : Votre dernier mot à nos lecteurs!
RACHID LY : La lutte pour une Mauritanie unie, juste et prospère… continue !
FLAMNET : Oui Rachid , la lutte doit continuer et merci d'avoir répondu à notre invitation.
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Propos recueillis par Kaaw Touré et Abdoulaye Thiongane.
Le mercredi 13 juin 2007
http://flamnet.fr.fm/
FLAMNET reçoit aujourd´hui un grand homme de lettres, une plume sûre, un combattant de la liberté, un intellectuel de haute facture qui n´est plus à présenter aux mauritaniens, nous voulons nommer Harouna Rachid Ly l´enfant chéri de Wouro Dialaw.
Ancien gendarme mais révoqué pendant les années de braise pour délit de faciès. Oui, c´était un crime d´être un noir et fier de sa négritude pendant le régne de sa majesté Ould Taya et Rachid était fier de ses origines donc un «ennemi de la nation».
Rachid LY travaille maintenant dans un Cabinet d’Avocat à Nouakchott. Il a collaboré à plusieurs journaux indépendants comme le Calame de feu Habib Ould Mahfoudh, Al Bayane et est actuellement rédacteur-en-chef de l’hebdomadaire “La Nouvelle Expression”.
Écrivain et auteur de plusieurs ouvrages dont : Le réveil agité, Editions L’Harmattan, (Paris, France, 1997), Que le Diable t´emporte ! publié à compte d’auteur( Nouakchott, 2000), Le trésor des Houya-Houya, Editions Manuscrit.com, (Paris, France, 2001) et maintenant il vient de publier «1989, Gendarme en Mauritanie», Editions Cultures Croisées, Roissy-en-Brie, France, ( 2007). C´est pour parler de son nouveau livre, de la démocratisation en Mauritanie , de la question nationale, de la situation de la presse au pays et d´autres questions d´actualité que nous avons donné la parole à ce fin observateur et acteur de la scène politique mauritanienne.
Pour la petite histoire Rachid est l´un des rares mauritaniens de l´intérieur à écrire à visage découvert et à participer aux débats sans langue de bois dans le FORUM FLAMNET pendant les années de plomb de Taya.
Entretien/
FLAMNET : Bonjour Rachid, voulez-vous vous présenter aux lecteurs de FLAMNET?
RACHID LY : Je m’appelle Harouna LY dit Rachid. Je suis natif de Wouro-Dialaw (Département de Bababé)… Après quelques années passées à la Gendarmerie nationale, j’ai quitté ce corps (ou du moins j’ai été ousté) le 6 juin de l’an de disgrâce 1989. Depuis, je travaille dans un cabinet d’avocat. A mes heures perdues, je suis écrivain et, « subsidiairement », je suis rédacteur en chef du journal « La Nouvelle Expression ». Pour rappel, l’honneur nous a été donné de « bosser », avec feu Habib Ould Mahfoud, « L’homme qui est mort debout », (Dieu l’Agrée dans Son Vaste Paradis. Amin) à Al-Bayane et, par la suite, au Calame, journaux pionniers qui ont tracé la voie à la presse indépendante de notre pays.
FLAMNET : Nous savons que vous venez de mettre la dernière main sur un ouvrage, voulez-vous nous donner la primeur des thèmes qui y sont abordés?
RACHID LY : Il s’agit d’un livre aussi bien autobiographique qu’un ouvrage qui fait le survol de la vie de la Mauritanie ces dernières années. Il a pour titre «1989, Gendarme en Mauritanie». Sans prétention, j’y aborde l’histoire de quelques groupuscules politiques avant la pantalonnade de la démocratisation des années 90 ; la vie d’un gendarme négro-mauritanien dans une ville du Nord mais surtout le processus qui, après les sanglants pogroms de Dakar et de Nouakchott d’avril 1989, a conduit à l’arrestation, la déportation ou la révocation de plusieurs fonctionnaires noirs mauritaniens.
FLAMNET : Gendarme en 1989 en Mauritanie et noir en plus ça ne devait pas être facile au royaume de Taya?
RACHID LY : Ce n’était pas facile. Il faut croire que les corps constitués (armée, gendarmerie, garde…), en prenant le pouvoir le 10 juillet 1978, avaient fait de l’homme de l’uniforme, sans aucun mandat du peuple, le dépositaire du dernier recours de cette notion quelque peu biscornue de la légitimité nationale ; si bien que des « petits caporaux », s’estimant fondés à avoir opinion sur la chose « politique », s’étaient mis à transposer les « problèmes civils » aux choses militaires. L’institution militaire n’était plus à l’abri des relents nationalistes au sens étroit du terme. Le malheur est aussi que, dans ce capharnaüm où les seules senteurs ne venaient plus que de la botte et du ceinturon, il était devenu comme une mode d’accoler des couleurs aux membres des forces armées : pro-baathistes, pro-nasséristes, pro-FLAM. Si chez nos compatriotes maures des corps constitués, les « moukhabaratt » avaient un choix étendu dans l’étiquetage, pour les négro-mauritaniens en uniforme, « on » pratiquait un raccourci saisissant : FLAM… Une bonne trouvaille pour les justifications a posteriori : on ne s’embarrassait plus de scrupule pour vider le gendarme négro-mauritanien, par exemple ; puisque dans l’entendement embrumé des excités de la calotte crânienne, s’il n’était pas Sénégalais (côté pile), il était « un ennemi de la nation » (côté face), autre vocable « brandi » à tout bout de champ pour aplatir le peuple.
FLAMNET : Est-il facile d´être Négro-mauritanien et de mener une carrière désengagée?
RACHID LY : Pas du tout… A moins d’être un mauvais citoyen. Ecoutez, je trouve que les gens qui se comportent de cette façon rendent un mauvais service au pays. « Houbboul watan minal iimaan » (« L’amour de la patrie est un devoir »). Rester dans son coin, cultiver son petit jardin, compter ses sous ou ses cors au pied est un comportement que tout bon citoyen doit abhorrer. Un citoyen (qu’il soit négro-mauritanien) ou de toute autre communauté nationale doit montrer qu’il est un citoyen ; remplir ses devoirs sans faille et réclamer ses droits sans faiblesse… Le désengagement est synonyme de démission – mieux, de l’aplatissement ; et c’est bien parce le camp de ceux qui préféraient la position horizontale était plus compact que celui de ceux qui étaient debout, que les applaudisseurs, les courtisans et les magouilleurs ont transformé ce pays en une marre de boue et de gadoue dans laquelle s’ébattaient des colonies de canards (boiteux, s’entend). Le pays n’avancera pas avec cette engeance…
FLAMNET : Votre ouvrage vient après "J'étais à Oualata" de Boye et "L'enfer d’Inal" de SY. Peut-on à votre avis parler d'une floraison ou d'un printemps de la littérature de la mémoire?
RACHID LY : Permettez-moi d’abord de rendre un hommage mérité à nos deux aînés (Boye Alassane Harouna et Mahammadou SY) pour leur témoignage inestimable à verser dans les pages de l’histoire de notre pays. Ces livres, à eux deux, représentent un ensemble de faisceaux qui éclairent et jettent une lumière crue sur les turpitudes d’un système et d’un régime qui a conduit la Mauritanie dans les récifs. Il fallait le faire ; en bons soldats, ils l’ont fait et je crois que cela mérite d’être salué… « floraison ou printemps de la littérature de la mémoire », je le pense. Les paroles s’envolent, les écrits restent. Si l’on se place sur l’angle de l’épuration et du passif humanitaire, on ne peut que se féliciter de ce travail de mémoire et de tout acte qui contribue à faire refluer les partisans de « la mise sous séquestre de l’Histoire »…
FLAMNET : Quelle est la situation de la presse en Mauritanie, est-ce que c´est facile d´exercer ce métier aujourd´hui au pays sans grands soutiens financiers ou sponsors?
RACHID LY : La presse mauritanienne se divise, grosso modo, en trois catégories : celle qui est plus ou moins debout (même si c’est branlant); celle qui a la langue sur les genoux et « la presse couchée » (au sens propre et figuré du terme). Les deux premières tirent leur épingle du jeu et sont à encourager. Elles ont contribué, cahin-caha, à l’enracinement (un bien grand mot !) de l’Etat de droit et l’ancrage (pourquoi pas ?!) de la démocratie. La dernière est une ivraie qu’il faut « éradiquer ». A dire vrai, la situation de la presse en Mauritanie n’est pas des meilleures. D’abord, l’Etat ne lui consent la moindre subvention et récemment elle a connu une cascade de plaintes (même si parfois elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même). Ensuite, la pub et autres insertions ne sont pas légion et ne bénéficient pas au grand nombre. Enfin, s’il ne fallait compter que sur le lectorat, beaucoup de journaux auraient mis la clé sous le paillasson. Malgré tout, il faut saluer le courage de ce quatrième pouvoir qui, même sous l’ère Taya, a su émettre des notes discordantes. Quant aux couinements de ces ouistitis que l’on surnomme sous nos cieux Peshmergas, tout le monde essaie de faire avec… Non, à dire vrai, sans soutiens financiers ou sponsors, comme vous dites, exercer le métier de journaliste relèverait, pour le moins, des dix travaux d’Hercule.
FLAMNET : Comment expliquez-vous le refus du CMJD d´aborder pendant la transition les questions qui "fâchent" à savoir le racisme d´Etat, l´esclavage, les déportations, le passif humanitaire, etc...
RACHID LY : Je ne l’explique pas, je le déplore. Sur ces questions, si le CMJD avait pris le taureau par les cornes, il serait entré dans l’Histoire par la grande porte ; dommage qu’il ait opté pour le soupirail. Pour se dédouaner à bon compte, il s’était mis à enfourcher le même cheval que Taya et ses partisans : « Tout réfugié mauritanien peut revenir » ; ou nouvelle trouvaille : « Il reviendra au prochain pouvoir, plus légitime, de régler la question (des déportés) »; au foot, on appelle ça, au mieux, « botter en touche ! » et au pire « des sorties hasardeuses d’un gardien peu bondissant» (ou bondissant mal)! Soyons reconnaissons au CMJD d’avoir débloqué la situation d’impasse dans laquelle se trouvait le pays mais étonnons-nous de sa propension à remettre aux calendes post-transitoires le règlement de dossiers si saillants au motif d’une « plus grande légitimité » du pouvoir civil qui lui succédera, présupposant donc son manque de légitimité (lui le CMJD) à régler ces questions. Légitimité, dit-on. Est-il légitime de renverser un régime civil, fut-il celui de Maaouya ? Le CMJD n’a-t-il pas modifié la Constitution, signé une Charte, des décrets, des traités et des conventions ? N’a-t-il pas libéré des condamnés ? Disons les choses sans faux fuyants ni formules alambiquées : le CMJD n’avait aucun mandat du peuple pour agir… tout s’est fait, ici, par consentement, consensus (pour ne pas dire par hochement de tête) et ce, suivant le « principe » (éculé ?) du « choix du moindre mal ». C’est dire donc que l’argument «de la légitimité » n’est pas suffisant. Nos vaillants libérateurs ont choisi la stratégie du contournement au lieu d’y aller à la hussarde. C’est dommage…
FLAMNET : Vous êtes un observateur averti de la scène politique nationale; Sidioca a-t-il la volonté et la marge de manoeuvre nécessaires pour résorber la question nationale? Ne risque-t-on pas d'assister à un exercice de colmatage qui se réduirait à faire rentrer les Déportés et passer sous silence tout le reste?
RACHID LY : Je pense que Sidioca a la volonté de trouver une solution à « l’unité nationale » comme il l’a dit dans sa campagne et l’a redit en plusieurs occasions. Sidi dispose-t-il d’une marge de manoeuvre ? Il est permis de penser que s’il s’est affranchi de la tutelle que voulait lui imposer ses encombrants amis d’El Mithaq, il pourrait éviter les écueils de toute autre pesanteur… Maintenant, est-ce que « la question nationale », telle que posée par les FLAM, et « l’unité nationale » du président Sidi ont la même signification ?… That is the question !! Comme diraient les sujets de sa Gracieuse Majesté. L’essentiel est que les dernières élections ont permis d’aborder les sujets tabous, ceux qui valaient à leurs auteurs le repoussant qualificatif de « ennemis du peuple ». Sincèrement, je crois que le processus vers une Mauritanie égalitaire, unie, juste et fraternelle est irréversible ; même si subsistent encore des esprits obtus et des freins de toutes sortes. La Mauritanie est revenue tellement de loin que l’espoir réside dans une rupture complète avec l’étroitesse d’esprit, la navigation à vue et les sectarismes de mauvais aloi. Restons confiants… et vigilants, car ce n’est pas une mince affaire de construire un bon citoyen et… de bons responsables. Et comme disait feu Habib Ould Mahfoud (que Dieu l’Agrée dans Son Vaste Paradis. Amin) : « Tant que certains n’appelleront pas notre pays notre chambre à coucher, il y a de l’espoir » !
FLAMNET : Pensez-vous que la démocratie est maintenant bien ancrée en Mauritanie et qu´avec la nouvelle "république" la situation des négro-mauritaniens n´est plus à déplorer?
RACHID LY : Il y a eu des élections transparentes. Des instruments tendant à poser les fondements de l’Etat de droit (CENI – enterrée avec la Transition – Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA), CNDH (Commission Nationale des Droits de l’Homme)) sont venus renforcer ceux qui existaient déjà ; d’autres verront prochainement le jour (le Conseil Economique et Social…). Mais le problème de ce pays n’est pas celui des instruments juridiques mais plutôt le comportement de ses responsables et de ses citoyens. La Mauritanie est sans doute le pays le plus complet en matière de textes, mais du formalisme de ceux-ci à la réalité sur le terrain existe un fossé que « le responsable » – ce grand enfant – comble à sa guise. Pour schématiser, je dirais que la Mauritanie est un pays démocratique mais que beaucoup de Mauritaniens ne sont pas des démocrates sincères. Nous venons de sortir d’une transition après avoir gémi longtemps sous le joug d’un système honni ; je pense qu’il est encore tôt de dresser le constat mais, l’avis général est que le nouveau président est animé de la volonté manifeste de sortir la Mauritanie de la cohorte des pays bananiers et dattiers… Je pense qu’il est utile de rappeler que les problèmes de cohabitation et d’unité nationale que le pays a connus sont dus plus au comportement irresponsable d’un système que des individus pris séparément ; un système qui a su poser les fondements solides d’une obscure technique du « diviser pour régner », qui a eu pour conséquence de cultiver l’incompréhension, semer la discorde et nourrir le ressentiment intercommunautaire. Et ce système recrutait, hélas, ses doungourous et ses seconds couteaux dans toutes les périphéries. Combien étaient-ils les négro-mauritaniens qui chantaient les louanges du régime désormais déchu ? Combien d’entre eux dansaient autour de notre scalp à peine coupé ? Qui venaient dans la Vallée prêcher la « bonne parole » en usant du chantage et de l’intimidation ? Ces Zoulous, ces VF ? Combien d’entre eux ont défendu Maaouya à Banjul, Bruxelles, Madrid, Durban ou Dakar ? Cette horde qui écrasait la Vallée du pied et du pneu était composée des fils de cette contrée. Ce n’était point des Maham, ni des Mahmoud mais des petits Mamadou bien de chez nous… Entre nos communautés, la vie n’était pas toujours rose mais la bonne entente existait, chaque maure ayant son kowri qu’il était prêt à défendre contre ses propres parents, s’il le faut ; et chaque kowri ayant son maure, son hartani auxquels il était attaché comme à la prunelle de ses yeux. Le retour d’un tel climat est possible, encore faut-il que la nouvelle république, comme vous dites, traduise dans les faits notre devise nationale : Honneur – Fraternité – Justice. « Le poisson pourrit par la tête », comme on dit ; hélas, le malheur de ce pays est toujours venu de sa tête qui pense mal.
FLAMNET : Que pensez-vous des FLAM, de leur lutte et du site Flamnet ?
RACHID LY : C’est une organisation qui, dès le départ, a su montrer du doigt les dangers qui guettent la Mauritanie. Malheureusement, ses constats, ses mises en garde furent mal perçus ou tout simplement instrumentalisés. Sans doute aussi, avaient-elles commis une erreur de n’avoir pas rallié à leur combat ou associé à leur diagnostic les autres composantes nationales, passant ainsi, aux yeux de leurs détracteurs, pour une « entité » sectaire et communautariste… Cependant, ici, pendant le printemps électoral de 2006-2007 qui avait pris les allures de catharsis, bien des masques sont tombés, bien des voiles de pudeurs, oripeaux couvrant des pans entiers de lâchetés, d’opportunisme inconscient et du réalisme bas de gamme, ont été jetés aux orties. Le discours qui valait hier à leurs auteurs le qualificatif « d’ennemis de la nation » était devenu subitement un cheval de bataille qu’enfourchaient tous les prétendants aux trônes. « Unité nationale », « retour des déportés », « règlement du passif humanitaire », « esclavage »… on eût dit que, brusquement, tout le monde s’était réveillé FLAMISTE. Comme qui dirait, « Be mbiyanooma tan cahen Be mbii alaa muuDen ! » (Il leur avait été conseillé : « Mouillons ce couscous avant de l’avaler », ils avaient rétorqué : « Que non ! Nous le préférons sec ! »)…
FLAMNET est un site qui a contribué grandement au débat sur les grandes questions nationales ; ce dont il doit être remercié.
FLAMNET : Votre dernier mot à nos lecteurs!
RACHID LY : La lutte pour une Mauritanie unie, juste et prospère… continue !
FLAMNET : Oui Rachid , la lutte doit continuer et merci d'avoir répondu à notre invitation.
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Propos recueillis par Kaaw Touré et Abdoulaye Thiongane.
Le mercredi 13 juin 2007
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