Après les conflits, une information objective revitalise la société civile
Au Rwanda, en Côte d’Ivoire et au Congo, la radio a été utilisée pour attiser les flammes du génocide et de la guerre. Aujourd’hui, une nouvelle génération d’animateurs de radio utilise les ondes avec l’aide de l’ONU pour encourager la paix. L’Afrique est à l’écoute, mais les radios de la paix pourront-elles rester sur les ondes ?
Radio Mega FM n’est guère écoutée au-delà du Nord de l’Ouganda, une région ravagée pendant des décennies par l’insurrection de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), cependant elle a un impact certain. Oryema, un ancien enfant-soldat de la LRA qui l’a quittée pour retourner chez lui explique pourquoi : “Tuer ne me posait aucun problème. Jusqu’à ce que je commence à écouter Radio Mega… C’est réellement à la radio que j’ai entendu raconter… comment nous brûlions les villages… Et j’ai commencé à réfléchir, ‘Est-ce que nous combattons dans une guerre normale ?”
Financée par le Ministère britannique du développement international (DFID), Mega FM est une des stations lancées en Afrique par l’ONU, des organismes d’aide au développement, des églises et des ONG pour aider les communautés locales après la fin d’un conflit.
L’ONU a lancé ce genre d’émissions dans les pays en situation d’après conflit depuis les années 80. Là où des factions ethniques et politiques incitaient à la haine et au génocide et menaient des campagnes de propagande, les stations de l’ONU ont essayé de contrecarrer les messages de ces émissions, comme au Rwanda et en ex-Yougoslavie.
M. William Orme, conseiller technique du développement des médias indépendants au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), pense que ces stations jouent un rôle crucial. “Si vous n’avez pas d’espace neutre où diffuser des informations objectives et les doléances du public, un conflit peut se réanimer. Ces médias ne sont pas un luxe, ils constituent une nécessité.”
Encourager action et responsabilité
Mme Frances Fortune dirige des programmes dans huit pays qui sortent de situations de conflit, dont l’Angola, le Burundi, la Sierra Leone et le Libéria pour Search for Common Ground (SFCG), elle observe que “les gouvernements ne communiquent pas très bien avec leur population, alors qu’il se passe souvent, pendant et après un conflit, des tas de choses que les gens ont besoin de savoir et de comprendre. Le rôle que les médias peuvent jouer pour renforcer la paix est immense.”
Longtemps après une guerre, affirme Mme Fortune. “Les gens ont des attentes énormes qu’il faut gérer pour éviter un renouvellement du conflit. Beaucoup de gens soutiennent que des informations objectives suffisent. Ce n’est pas le cas. Les médias doivent être utilisés pour soutenir le processus de paix. Même la prévention des conflits est possible si vous présentez aux gens des idées différentes assez tôt.”
Ces stations peuvent aussi encourager la bonne gouvernance. En Sierra Leone, la loi exige que les autorités locales affichent leurs recettes et dépenses sur un panneau d’affichage public, beaucoup de gens qui sont analphabètes ne comprennent pas comment les ressources sont utilisées et ne peuvent pas le contester. Face à ce problème, SFCG a lancé une émission intitulée “Rendre des comptes immédiatement”. M. James Ambrose, le directeur, a expliqué à Afrique Renouveau : “Nous prenons un micro et nous allons demander au secrétaire ou au responsable financier du conseil local de lire les comptes en expliquant pourquoi les dépenses sont faites et à quoi elles servent. Cela permet à la population de demander des comptes aux autorités.”
Risques et objections
Mais certains pensent que ce media ne devrait pas jouer un rôle politique aussi important. Des professionnels des médias traditionnels et des experts en résolution de conflits estiment que la consolidation de la paix exige des compétences spéciales que les journalistes ne possèdent pas. M. Yves Laplume, ancien directeur des programmes de Radio Okapi, la très estimée radio de l’ONU en République démocratique du Congo (RDC), soutient que “les gens ont besoin d’information, mais ils ne veulent pas qu’on leur dise ce qu’il faut penser. Nous donnons aux gens des faits vérifiés auprès des meilleures sources sans ajouter aucun commentaire. Ils veulent que vous leur donniez les informations et que vous les laissiez se faire une opinion. C’est élémentaire, mais cela a un profond effet.”
Et les risques peuvent être élevés. Dans le Nord de l’Ouganda, des chefs de la LRA, comprenant le rôle des émissions de radio dans la défection de certains de leurs combattants, ont essayé de limiter l’accès aux postes de radio. Ils se sont livrés à de violentes représailles, massacrant les habitants du village d’un ex-chef de la LRA qui avait parlé de sa décision sur les ondes.
Le dilemme de la pérennisation
A long terme, le plus sérieux problème auquel ces programmes font face est qu’ils sont financés par des ONG, l’ONU ou des organismes comme le DfID. Une fois qu’un conflit a pris fin, il devient plus difficile d’assurer le financement pour poursuivre ces opérations. La station de la fondation suisse Hirondelle au Libéria, Star Radio, a essayé d’atteindre l’autonomie en vendant de la publicité. Mais elle n’a réussi à couvrir qu’un tiers de ses frais car l’économie est affaiblie et peu d’entreprises peuvent faire de la publicité. Pour ceux qui ont des ressources locales, le risque est que leurs journalistes les mieux formés soient séduits par des postes mieux payés ou que le gouvernement ou des groupes politiques s’emparent du matériel ou exercent des pressions sur la rédaction.
Le PNUD suggère que les bailleurs de fonds et les pays africains concernés transforment ces stations en service public similaire à la BBC au Royaume-Uni ou à Radio France. Ils pensent que même dans des pays ne se relevant pas d’un conflit, “des services de radiodiffusion publics à l’échelle nationale dotés d’une rédaction indépendante et de journalistes professionnels nécessitent des subventions considérables de l’Etat ou du secteur privé”.
Selon M. Orme, “les gens doivent se rendre compte que ce genre de travail n’est pas rentable par lui-même. Cependant, si nous reconnaissons tous que ce travail est important pour la démocratie et le rétablissement de la paix, les bailleurs de fonds doivent avoir un regard différent sur les médias. Ils doivent penser à tous les objectifs — droits de l’homme, OMD, VIH/sida — et [considérer] les médias comme essentiels pour les atteindre. Il est crucial d’avoir ces stations de radio, et il existe potentiellement assez de fonds disponibles pour les pérenniser”.
Mary Kimani, pour ONU Afrique Renouveau
Source: afrik.com
(M)
Au Rwanda, en Côte d’Ivoire et au Congo, la radio a été utilisée pour attiser les flammes du génocide et de la guerre. Aujourd’hui, une nouvelle génération d’animateurs de radio utilise les ondes avec l’aide de l’ONU pour encourager la paix. L’Afrique est à l’écoute, mais les radios de la paix pourront-elles rester sur les ondes ?
Radio Mega FM n’est guère écoutée au-delà du Nord de l’Ouganda, une région ravagée pendant des décennies par l’insurrection de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), cependant elle a un impact certain. Oryema, un ancien enfant-soldat de la LRA qui l’a quittée pour retourner chez lui explique pourquoi : “Tuer ne me posait aucun problème. Jusqu’à ce que je commence à écouter Radio Mega… C’est réellement à la radio que j’ai entendu raconter… comment nous brûlions les villages… Et j’ai commencé à réfléchir, ‘Est-ce que nous combattons dans une guerre normale ?”
Financée par le Ministère britannique du développement international (DFID), Mega FM est une des stations lancées en Afrique par l’ONU, des organismes d’aide au développement, des églises et des ONG pour aider les communautés locales après la fin d’un conflit.
L’ONU a lancé ce genre d’émissions dans les pays en situation d’après conflit depuis les années 80. Là où des factions ethniques et politiques incitaient à la haine et au génocide et menaient des campagnes de propagande, les stations de l’ONU ont essayé de contrecarrer les messages de ces émissions, comme au Rwanda et en ex-Yougoslavie.
M. William Orme, conseiller technique du développement des médias indépendants au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), pense que ces stations jouent un rôle crucial. “Si vous n’avez pas d’espace neutre où diffuser des informations objectives et les doléances du public, un conflit peut se réanimer. Ces médias ne sont pas un luxe, ils constituent une nécessité.”
Encourager action et responsabilité
Mme Frances Fortune dirige des programmes dans huit pays qui sortent de situations de conflit, dont l’Angola, le Burundi, la Sierra Leone et le Libéria pour Search for Common Ground (SFCG), elle observe que “les gouvernements ne communiquent pas très bien avec leur population, alors qu’il se passe souvent, pendant et après un conflit, des tas de choses que les gens ont besoin de savoir et de comprendre. Le rôle que les médias peuvent jouer pour renforcer la paix est immense.”
Longtemps après une guerre, affirme Mme Fortune. “Les gens ont des attentes énormes qu’il faut gérer pour éviter un renouvellement du conflit. Beaucoup de gens soutiennent que des informations objectives suffisent. Ce n’est pas le cas. Les médias doivent être utilisés pour soutenir le processus de paix. Même la prévention des conflits est possible si vous présentez aux gens des idées différentes assez tôt.”
Ces stations peuvent aussi encourager la bonne gouvernance. En Sierra Leone, la loi exige que les autorités locales affichent leurs recettes et dépenses sur un panneau d’affichage public, beaucoup de gens qui sont analphabètes ne comprennent pas comment les ressources sont utilisées et ne peuvent pas le contester. Face à ce problème, SFCG a lancé une émission intitulée “Rendre des comptes immédiatement”. M. James Ambrose, le directeur, a expliqué à Afrique Renouveau : “Nous prenons un micro et nous allons demander au secrétaire ou au responsable financier du conseil local de lire les comptes en expliquant pourquoi les dépenses sont faites et à quoi elles servent. Cela permet à la population de demander des comptes aux autorités.”
Risques et objections
Mais certains pensent que ce media ne devrait pas jouer un rôle politique aussi important. Des professionnels des médias traditionnels et des experts en résolution de conflits estiment que la consolidation de la paix exige des compétences spéciales que les journalistes ne possèdent pas. M. Yves Laplume, ancien directeur des programmes de Radio Okapi, la très estimée radio de l’ONU en République démocratique du Congo (RDC), soutient que “les gens ont besoin d’information, mais ils ne veulent pas qu’on leur dise ce qu’il faut penser. Nous donnons aux gens des faits vérifiés auprès des meilleures sources sans ajouter aucun commentaire. Ils veulent que vous leur donniez les informations et que vous les laissiez se faire une opinion. C’est élémentaire, mais cela a un profond effet.”
Et les risques peuvent être élevés. Dans le Nord de l’Ouganda, des chefs de la LRA, comprenant le rôle des émissions de radio dans la défection de certains de leurs combattants, ont essayé de limiter l’accès aux postes de radio. Ils se sont livrés à de violentes représailles, massacrant les habitants du village d’un ex-chef de la LRA qui avait parlé de sa décision sur les ondes.
Le dilemme de la pérennisation
A long terme, le plus sérieux problème auquel ces programmes font face est qu’ils sont financés par des ONG, l’ONU ou des organismes comme le DfID. Une fois qu’un conflit a pris fin, il devient plus difficile d’assurer le financement pour poursuivre ces opérations. La station de la fondation suisse Hirondelle au Libéria, Star Radio, a essayé d’atteindre l’autonomie en vendant de la publicité. Mais elle n’a réussi à couvrir qu’un tiers de ses frais car l’économie est affaiblie et peu d’entreprises peuvent faire de la publicité. Pour ceux qui ont des ressources locales, le risque est que leurs journalistes les mieux formés soient séduits par des postes mieux payés ou que le gouvernement ou des groupes politiques s’emparent du matériel ou exercent des pressions sur la rédaction.
Le PNUD suggère que les bailleurs de fonds et les pays africains concernés transforment ces stations en service public similaire à la BBC au Royaume-Uni ou à Radio France. Ils pensent que même dans des pays ne se relevant pas d’un conflit, “des services de radiodiffusion publics à l’échelle nationale dotés d’une rédaction indépendante et de journalistes professionnels nécessitent des subventions considérables de l’Etat ou du secteur privé”.
Selon M. Orme, “les gens doivent se rendre compte que ce genre de travail n’est pas rentable par lui-même. Cependant, si nous reconnaissons tous que ce travail est important pour la démocratie et le rétablissement de la paix, les bailleurs de fonds doivent avoir un regard différent sur les médias. Ils doivent penser à tous les objectifs — droits de l’homme, OMD, VIH/sida — et [considérer] les médias comme essentiels pour les atteindre. Il est crucial d’avoir ces stations de radio, et il existe potentiellement assez de fonds disponibles pour les pérenniser”.
Mary Kimani, pour ONU Afrique Renouveau
Source: afrik.com
(M)