"Actuellement, le pouvoir pense plutôt à l’indemnisation des victimes qu’au règlement judiciaire. Certes, les victimes ont le droit d’être indemnisées mais il ne faudrait pas oublier que la question judiciaire constitue le fond du passif humanitaire. Nous n’avons jamais baissé les bras et nous ne les baisserons jamais tant que ce dossier ne sera pas réglé définitivement".
Depuis plusieurs années, les veuves dont les maris ont disparus en 1991 continuent de se battre pour la reconnaissance de leurs droits et de la réparation des torts qu’elles ont subis.
Dans l’interview suivante qu’elle a bien voulu accorder au Rénovateur Quotidien, Madame Maimouna Alpha Sy, Secrétaire Générale du Collectif des veuves, analyse l’évolution actuelle du dossier du passif humanitaire tout en exprimant ses craintes de voir cette question étouffée par la mauvaise volonté politique ou la loi des bourreaux…
Le Rénovateur : Vous suivez de près l’évolution du dossier du passif humanitaire. En tant que veuve, qu’est-ce qui a changé par rapport à cette question depuis le discours du Président de la République Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Durant les événements de 1991, nos maris qui travaillaient dans l’armée ont été tués dans des circonstances tenues secrètes. C’est le cas de mon mari qui était un lieutenant de la douane assassiné à la brigade de gendarmerie de Nouadhibou. ( Elle se tut un moment l’air triste Ndlr ), il y a eu des centaines de disparus et d’assassinés. Pourquoi ? On se pose toujours la question. On nous a fait croire par la suite qu’ils fomentaient un coup d’état. Mais au fond on a su que c’était plutôt une épuration ethnique.
Depuis lors, on se bat pour que justice soit faite et la vérité dite sur ces massacres. Lorsque le gouvernement de la transition s’est installé, nous avions cru qu’il y aurait un changement. Mais ce fut une déception pour nous. Le Président Ely n’a même pas daigné parler de ce dossier. Il a reçu dans son palais tout le monde sauf les victimes du passif humanitaire. Et depuis le discours du nouveau Président de la République Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, il y a eu un grand espoir qui s’est dessiné. Mais…mais jusqu’à présent, il n y a encore rien de concret.
Le Rénovateur : Avez-vous engagé une action visant à approcher les autorités actuelles notamment le Président de la République pour reposer ce problème ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Nous avons uniquement rencontré le Ministre de l’Intérieur et nous avons parlé de tous les problèmes relatifs à cette question. Le Ministre nous a rassuré du soutien de l’Etat. Nous attendons… Nous sommes prêts à discuter et à parler avec les autorités de ce pays.
Le Rénovateur : Estimez-vous que le règlement du passif humanitaire devra passer nécessairement par le jugement des bourreaux comme le préconisent certains ?
Madame Maimouna Alpha Sy : En aucun cas, nous ne pouvons pas pardonner. Nous n’oublierons jamais ce qui s’est passé. Et comment peut-on pardonner aussi alors que les tortionnaires sont là. Nous les voyons tous les jours. Ceux qui ont été tués : qu’est-ce qu’ils ont fait et pourquoi ont-ils été tués ? Nous nous posons toujours ces mêmes questions.
Le Rénovateur : Au sein de votre collectif, est-ce que vous continuez à mener des démarches pour faire avancer ce dossier sur le plan international ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Nous n’avons jamais baissé les bras et nous ne les baisserons jamais tant que ce dossier ne sera pas réglé définitivement. Si on arrive à lui trouver des solutions tant mieux sinon on fera appel à la communauté internationale pour que ce problème soit résolu.
Le Rénovateur : Maintenant que le Président Ould Taya n’est plus au pouvoir, est-ce que vous envisagez d’introduire une plainte contre lui ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Sûrement ! C’est lui le principal responsable de toute cette situation. Nous le poursuivrons en justice. Nous avions déjà tenté de porter plainte contre lui mais cela n’a pas réussi. Actuellement, sur le plan international, il y a une plainte qui a été déposée contre lui.. S’il y a possibilité de porter plainte contre lui nous le ferons encore.
Le Rénovateur : La plupart des tortionnaires sont encore dans l’armée où ils occupent d’importantes responsabilités. Pensez-vous que ces gens là vont accepter qu’on les traduise devant la justice ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Cela m’étonnerait personnellement ! Car ayant participé à ces massacres, ils ne seront pas d’accord et ils feront tout pour que ce problème ne soit pas réglé judiciairement. D’ailleurs, c’est ce qui retarde le règlement définitif de ce dossier.. Les rescapés connaissent bien leurs tortionnaires. Mais nous remercions Dieu d’être des musulmans parce que sinon nous aurions toujours gardé un esprit de vengeance. Nous voulons que la lumière soit faite, les responsabilités situées pour qu’on ne répète plus ces choses pareilles.
Le Rénovateur : Entre l’indemnisation et le règlement judiciaire, à votre avis, qu’est-ce qui vous semble le plus envisagé par le pouvoir ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Actuellement, le pouvoir pense plutôt à l’indemnisation des victimes qu’au règlement judiciaire. Certes, les victimes ont le droit d’être indemnisées mais il ne faudrait pas oublier que la question judiciaire constitue le fond du passif humanitaire.
Le Rénovateur : On estime aujourd’hui à combien le nombre de veuves ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Rien qu’au niveau de Nouakchott, nous avons pu recenser plus de 217 veuves. Il y a des veuves qui ne se sont pas encore manifestées. Mais nous savons que le nombre dépasse ce chiffre.
Le Rénovateur : Est-ce que vous avez reçu des soutiens par rapport à la reconnaissance de vos droits ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Cela n’a jamais fait défaut. Nous recevons de partout par le monde des soutiens notamment de la part des organisations de défense des droits de l’Homme tant mauritaniennes qu’étrangères.
Le Rénovateur : Quel message adresseriez- vous au Président de la République ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Certes il a, nous le saluons, eu le courage de parler du passif humanitaire et cela devant tout le monde. Mais j’ai l’impression qu’il y a des gens qui ne voudraient pas que ce problème soit réglé. J’espère cependant qu’il remplira ses engagements et tiendra sa parole.
Le Rénovateur : Donc, on peut dire qu’il y a de l’espoir ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Nous pouvons le penser mais nous éprouvons d’autre part des appréhensions car le dossier semble traîner. Nous gardons espoir de voir un jour ce dossier réglé définitivement.
Propos recueillis par
Cheikh Tidiane Dia
Le renovateur quotidien
Depuis plusieurs années, les veuves dont les maris ont disparus en 1991 continuent de se battre pour la reconnaissance de leurs droits et de la réparation des torts qu’elles ont subis.
Dans l’interview suivante qu’elle a bien voulu accorder au Rénovateur Quotidien, Madame Maimouna Alpha Sy, Secrétaire Générale du Collectif des veuves, analyse l’évolution actuelle du dossier du passif humanitaire tout en exprimant ses craintes de voir cette question étouffée par la mauvaise volonté politique ou la loi des bourreaux…
Le Rénovateur : Vous suivez de près l’évolution du dossier du passif humanitaire. En tant que veuve, qu’est-ce qui a changé par rapport à cette question depuis le discours du Président de la République Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Durant les événements de 1991, nos maris qui travaillaient dans l’armée ont été tués dans des circonstances tenues secrètes. C’est le cas de mon mari qui était un lieutenant de la douane assassiné à la brigade de gendarmerie de Nouadhibou. ( Elle se tut un moment l’air triste Ndlr ), il y a eu des centaines de disparus et d’assassinés. Pourquoi ? On se pose toujours la question. On nous a fait croire par la suite qu’ils fomentaient un coup d’état. Mais au fond on a su que c’était plutôt une épuration ethnique.
Depuis lors, on se bat pour que justice soit faite et la vérité dite sur ces massacres. Lorsque le gouvernement de la transition s’est installé, nous avions cru qu’il y aurait un changement. Mais ce fut une déception pour nous. Le Président Ely n’a même pas daigné parler de ce dossier. Il a reçu dans son palais tout le monde sauf les victimes du passif humanitaire. Et depuis le discours du nouveau Président de la République Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, il y a eu un grand espoir qui s’est dessiné. Mais…mais jusqu’à présent, il n y a encore rien de concret.
Le Rénovateur : Avez-vous engagé une action visant à approcher les autorités actuelles notamment le Président de la République pour reposer ce problème ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Nous avons uniquement rencontré le Ministre de l’Intérieur et nous avons parlé de tous les problèmes relatifs à cette question. Le Ministre nous a rassuré du soutien de l’Etat. Nous attendons… Nous sommes prêts à discuter et à parler avec les autorités de ce pays.
Le Rénovateur : Estimez-vous que le règlement du passif humanitaire devra passer nécessairement par le jugement des bourreaux comme le préconisent certains ?
Madame Maimouna Alpha Sy : En aucun cas, nous ne pouvons pas pardonner. Nous n’oublierons jamais ce qui s’est passé. Et comment peut-on pardonner aussi alors que les tortionnaires sont là. Nous les voyons tous les jours. Ceux qui ont été tués : qu’est-ce qu’ils ont fait et pourquoi ont-ils été tués ? Nous nous posons toujours ces mêmes questions.
Le Rénovateur : Au sein de votre collectif, est-ce que vous continuez à mener des démarches pour faire avancer ce dossier sur le plan international ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Nous n’avons jamais baissé les bras et nous ne les baisserons jamais tant que ce dossier ne sera pas réglé définitivement. Si on arrive à lui trouver des solutions tant mieux sinon on fera appel à la communauté internationale pour que ce problème soit résolu.
Le Rénovateur : Maintenant que le Président Ould Taya n’est plus au pouvoir, est-ce que vous envisagez d’introduire une plainte contre lui ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Sûrement ! C’est lui le principal responsable de toute cette situation. Nous le poursuivrons en justice. Nous avions déjà tenté de porter plainte contre lui mais cela n’a pas réussi. Actuellement, sur le plan international, il y a une plainte qui a été déposée contre lui.. S’il y a possibilité de porter plainte contre lui nous le ferons encore.
Le Rénovateur : La plupart des tortionnaires sont encore dans l’armée où ils occupent d’importantes responsabilités. Pensez-vous que ces gens là vont accepter qu’on les traduise devant la justice ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Cela m’étonnerait personnellement ! Car ayant participé à ces massacres, ils ne seront pas d’accord et ils feront tout pour que ce problème ne soit pas réglé judiciairement. D’ailleurs, c’est ce qui retarde le règlement définitif de ce dossier.. Les rescapés connaissent bien leurs tortionnaires. Mais nous remercions Dieu d’être des musulmans parce que sinon nous aurions toujours gardé un esprit de vengeance. Nous voulons que la lumière soit faite, les responsabilités situées pour qu’on ne répète plus ces choses pareilles.
Le Rénovateur : Entre l’indemnisation et le règlement judiciaire, à votre avis, qu’est-ce qui vous semble le plus envisagé par le pouvoir ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Actuellement, le pouvoir pense plutôt à l’indemnisation des victimes qu’au règlement judiciaire. Certes, les victimes ont le droit d’être indemnisées mais il ne faudrait pas oublier que la question judiciaire constitue le fond du passif humanitaire.
Le Rénovateur : On estime aujourd’hui à combien le nombre de veuves ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Rien qu’au niveau de Nouakchott, nous avons pu recenser plus de 217 veuves. Il y a des veuves qui ne se sont pas encore manifestées. Mais nous savons que le nombre dépasse ce chiffre.
Le Rénovateur : Est-ce que vous avez reçu des soutiens par rapport à la reconnaissance de vos droits ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Cela n’a jamais fait défaut. Nous recevons de partout par le monde des soutiens notamment de la part des organisations de défense des droits de l’Homme tant mauritaniennes qu’étrangères.
Le Rénovateur : Quel message adresseriez- vous au Président de la République ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Certes il a, nous le saluons, eu le courage de parler du passif humanitaire et cela devant tout le monde. Mais j’ai l’impression qu’il y a des gens qui ne voudraient pas que ce problème soit réglé. J’espère cependant qu’il remplira ses engagements et tiendra sa parole.
Le Rénovateur : Donc, on peut dire qu’il y a de l’espoir ?
Madame Maimouna Alpha Sy : Nous pouvons le penser mais nous éprouvons d’autre part des appréhensions car le dossier semble traîner. Nous gardons espoir de voir un jour ce dossier réglé définitivement.
Propos recueillis par
Cheikh Tidiane Dia
Le renovateur quotidien