Depuis plus d’une dizaine d’années, Monsieur Boubacar Ould Messaoud va en croisade contre la pratique de l’esclavage et des esclavagistes. Mais cette pratique étant vue par ses coreligionnaires comme conforme à la pratique de la Sainte religion de l’Islam, sa lutte n’a jamais été une partie de plaisir. Son chemin a été souvent parsemé d’embûches. Mais devant toutes ces difficultés, il a tenu bon, très bon même. Car l’Etat vient de prendre une loi incriminant la pratique de l’esclavage en Mauritanie.
« Au contraire SOS esclaves va coopérer avec l’Etat, pour sortir de ce rapport conflictuel avec l’Etat. Mais nous serons des partenaires encore beaucoup plus proches. Parce qu’il est entrain de réaliser le programme pour lequel, on a créé cette organisation »
Que pensez-vous de la nouvelle loi qui incrimine la pratique de l’esclavage en Mauritanie ?
La loi qui incriminerait l’esclavage en Mauritanie est pour moi un acte attendu, souhaité et revendiqué par tous les militants anti-esclavagistes mauritaniens, tous les hommes de progrès à travers le pays et à l’extérieur. Ce n’est pas la seule mesure nécessaire, mais au stade actuel, elle est indispensable. Mais elle n’est pas l’unique mesure.
Elle devrait être accompagnée de mesures suffisamment claires pour permettre aux esclaves de s’en sortir. Parce que l’esclavage n’est pas simplement un problème de droit, de justice, de tribunaux ou de crime. Mais il y a également des conditions économiques et sociales des individus, leurs cultures. Tout ceci demande des interventions. Nous pensons que la loi doit être accompagnée, par exemple par une institution étatique, vers laquelle toute personne ayant des difficultés dans ce domaine puisse retourner et avoir une assistance nécessaire. Parce que les causes de l’esclavage sont très vieilles et elles sont difficiles à combattre.
Nous pensons également que cette institution doit entreprendre des projets et des actions orientées vers les descendants d’esclaves et les esclaves eux-mêmes pour qu’ils puissent être réellement insérés dans la vie économique, du reste et devenir totalement autonomes. Que cette institution veille à ce que qu’ils aient leur lopin de terre et qu’ils puissent de manière autonome utiliser cette terre pour cultiver, une partie de cette terre pour leur permettre de vivre de manière autonome. Il y a également le problème de culture et de l’aliénation.
L’esclavage, s’il a perduré, c’est parce que les Mauritaniens considèrent que c’est la volonté de Dieu, et que c’est conforme à leur religion. Les esclaves n’admettent en général leur affranchissement que lorsqu’il est prononcé par le maître. Donc, il s’agit de faire la sensibilisation et d’amener les imams dans les mosquées à reconnaître que l’abolition de l’esclavage est conforme à la charia, que personne n’a aujourd’hui le droit au nom de la religion de mettre l’autre en esclavage. Donc les missions de sensibilisation doivent être ouvertes à tout le monde, et elles doivent être menées dans tous les medias. Ces émissions de sensibilisations doivent être dans toutes les langues nationales. Voilà pour nous un peu les éléments, peut-être dit de manière amalgamée. Mais des solutions qu’il faut apporter à l’esclavage.
En fait pourquoi cette loi, parce qu’il faut finir avec l’impunité de la pratique esclavagiste. La loi va pourchasser ceux qui continuent délibérément à spolier les esclaves ou les descendants d’esclaves. Ceux qui continuent à séquestrer les enfants ou à enlever les enfants de leur famille pour les mettre à leur service, de les partager entre leur imam et leur famille. Ce qui les empêchent d’aller à l’école comme les autres enfants. Ceux qui peuvent posséder une femme parce qu’elle est leur esclavage et abuser d’elle et ne pas d’ailleurs reconnaître sa progéniture le plus souvent. Ceux qui sont capables d’amener des filles pour faire le baby-sitter. Et elles restent les baby-sitters. Jusqu’à la fin de leurs jours dans les familles comme domestiques.
L’esclavage chez nous a une réalité, c’est que c’est un travailleur non rémunéré. Il ne l’est jamais que ça soit dans l’agropastoral ou dans la domesticité. Pour ça, il faudrait faire la différence, il ne faut pas faire croire aux gens que c’est une notion un peu vague, non. Ce sont des gens qui ne sont pas payés. Ce sont des gens qui peuvent être vendus. Ils peuvent être donnés et légués. Et ça, il faut le dire. Il y a également les séquelles, et nous pensons que cette loi, aussi, pourra non seulement criminaliser les actes des victimes d’esclavage, mais les délits aussi. Dans ce cadre aussi, il y a la stigmatisation et les insultes. Nous pensons qu’il y a les insultes d’ordre racial, d’ordre d’ethnique, d’ordre castal. Quand on vous traite de griot, de forgeron, ça vous rabaisse. Des insultes qui vous traitent de sale blanc ou sale nègre, pour nous c’est la même chose. Tous ces gens doivent être poursuivis et doivent répondre devant la loi.
Si on sait que le Président Haïdalla avait en son règne pris une loi abolissant la pratique de l’esclavage en Mauritanie, pensez- vous qu’une nouvelle loi peut vraiment mettre fin à cette pratique coutumière esclavagiste sur le sol mauritanien ?
Bon, je pense qu’aucune loi ne peut mettre fin à une pratique surtout que c’est une pratique traditionnelle sociale, mais elle fait partie de l’arsenal nécessaire pour combattre le phénomène. Pour parler de l’insuffisance des lois en tant que telles par rapport à ce phénomène, nous pensons que toutes les lois, qui ont été prises jusqu’ici, n’ont pas été en mesure de participer à la lutte contre l’esclavage. Parce qu’elles n’étaient pas des lois prises de manière sérieuse. Elles ne reflétaient pas de réelles volontés politiques c'est-à-dire elles ne traduisaient pas la réelle volonté politique de combattre l’esclavage.
Quand vous parlez de la loi prise par l’ancien Président Haïdalla en 1981, je vous dirai que cette loi était tout simplement un moyen de faire croire aux gens, que l’esclavage est fini. Mais en abolissant l’esclavage, on s’est précipité pour réconforter les esclavagistes, en disant qu’ils doivent être indemnisés. On a prévu un décret d’application qui n’a jamais été pris. Donc cette loi, enfin de compte, n’a jamais eu aucun effet. Il y a eu une deuxième loi, parce que vous ne l’avez pas cité, je vais la citer, qui parle des personnes. On la cite souvent maintenant comme étant prise pour combattre l’esclavage. Moi, je dirai qu’elle n’a pas été prise pour combattre l’esclavage traditionnel tel que nous le connaissons dans le pays.
Cette loi concerne la traite des personnes. Elle se limite essentiellement au trafic des enfants, des organes et la vente des organes, au travail des enfants, à l’enrôlement des enfants dans l’armée, à la prostitution forcée. Ces choses qui sont connues et sont pratiquées aujourd’hui dans pas mal de pays, qui correspondent à la notion de l’esclavage moderne. Ce que nous partageons avec beaucoup d’autres pays, c’est la traduction de la loi sur convention sur la traite des personnes. Mais les Mauritaniens se sont bien gardés de prendre en charge toute cette convention dans toute sa dimension.
Parce que la convention parle également de l’esclavage et des pratiques assimilées, je vous informe, que quand on a fait cette loi en 2003, le pouvoir mauritanien a enlevé de sa loi la référence à l’esclavage. C’est pour dire qu’il ne cherche pas à combattre l’esclavage qui est chez lui. Il laisse l’opinion nationale et internationale dans l’ignorance totale d’abord du phénomène qu’il pratique chez lui, qu’il continue à décrire, à identifier et à désigner par le terme séquelles. Moi, je dirai tout de suite à tous ces gens-là qui parlent de séquelles, que les séquelles ne se criminalisent pas. Les séquelles se traitent. Quand on criminalise, cela veut dire qu’il y a des faits, des éléments, des crimes et des délits commis. Ce sont ceux qu’on criminalise.
Donc pour moi, la loi n’est pas suffisante. Même la nouvelle loi, qu’on va prendre. Jusqu’ici, j’ai toujours été réconforté par le discours de la déclaration de politique générale du Premier Ministre devant l’Assemblée Nationale, quand il a stigmatisé l’esclavage. Il a clairement parlé de l’intention de prendre une loi contre l’esclavage pour le criminaliser. Mais je vous avoue aujourd’hui que ces discussions auxquelles, j’ai assistées, qui se voulaient une concertation sur l’avant-projet de la loi, n’étaient pas une concertation. C’était tout simplement une information. On n’a pas recueilli, ni synthétisé le débat pour en ressortir un document consensuel.
Cet exercice qui a été fait le 25 juin au Palais des Congrès ne me paraît pas encourageant. D’autant plus que le résultat a été tout de suite le lendemain présenté en conseil des ministres et approuvé dans une forme que j’ignore encore. Mais en tout cas, j’attends de voir, mais je pense quand même que la criminalisation de l’esclavage, c’est une bonne chose, si elle est réellement faite pour parler de l’esclavage, et pas simplement de ses séquelles.
Pensez-vous que l’esclavage en Mauritanie est l’apanage d’une seule composante ethnique ?
Pas le moins du monde, je ne pense pas que l’esclavage est l’apanage d’une seule ethnie en Mauritanie. Je pense que l’esclavage est un problème de société mauritanienne dans toutes ses composantes ethniques et nationales, à savoir qu’il y a ceux qui s’appellent les Arabes, les Soninkés, les Wolofs et les Poulars. Dans tous ces milieux, on pratique l’esclavage et on le tolère, c'est-à-dire culturellement on l’accepte comme rapport humain. Il est plus spectaculaire quand il s’agit des Maures, des Arabes, parce que souvent il met en relation les noirs et des blancs, et les esclaves sont en général noirs. Ce qui n’exclue pas, qu’on ne trouve pas des esclaves blancs en milieu maures. Mais les esclaves sont essentiellement noirs. Et entre les noirs Poulars, Soninkés, tout le monde se confond.
Par ailleurs dans toutes ces communautés, personne n’avoue être esclave ou avoir des esclaves. Cela est une caractéristique de nos populations. En réalité le mal, le mauvais, c’est toujours le voisin. Ce n’est jamais moi, ce n’est jamais ma famille, ce n’est jamais ma tribu, ce n’est jamais mon ethnie. Pour moi, en tout cas, pour mes amis militants de droits de l’Homme et anti-esclavagistes, nous savons et nous le disons en haute voix partout que l’esclavage n’est pas simplement une affaire de blancs et de noirs. C’est une affaire de société et nous savons qu’il y a encore des sociétés qui sont esclavagistes. Ce qui n’est pas nécessairement applicable à l’Etat. L’Etat n’est pas esclavagiste. L’institution de l’esclavage n’est pas reconnue par l’Etat mauritanien. Et aujourd’hui, l’Etat mauritanien est entrain de se dégager, parce qu’il essaye de prendre des mesures aptes à combattre ce phénomène de société. C’est cela son droit.
Moi, je vais aller plus loin par rapport à votre question. L’esclavage n’est pas seulement en Mauritanie. J’appelle nos amis de la sous région et de la région à se voir en face, nous ne sommes pas une îles dans le désert, ni dans la mer, nous sommes entourés des mêmes populations. Quand nous parlons de Maures, on en trouve au Sahara, au Mali. Quand nous parlons de Peulhs, on en trouve au Mali, au Sénégal et en Guinée. On trouve des Wolofs chez nous, au Sénégal. On trouve des Touaregs au Mali, au Niger. Ces sociétés sont encore esclavagistes. Cela, je le soutiens, je n’ai jamais dit que c’une affaire d’ethnie ou de race. C’est une affaire de société
Est-ce que les structures officielles de l’Etat vont prendre le relais de SOS Esclaves dans sa lutte ?
Je vous ai dit tout à l’heure au début, de toute façon pour nous la loi n’est pas suffisante. La loi n’est pas un élément nécessaire pour lutter contre l’impunité. Elle a un caractère pédagogique. Elle va montrer à tout un chacun que l’Etat ne cautionne plus l’esclavage, que les autorités ne cautionnent pas l’esclavage. Cela peut à notre avis faire reculer la pratique de l’esclavage. Mais ce n’est pas suffisant de combattre l’esclavage. Parce que l’esclavage est également une culture aujourd’hui. Ce sont des rapports de dominations multiples. Il y a une multiplicité de formes de dominations. Il y a des dominations économiques, culturelles, sociales…Et tout ceci demande des traitements, et donc des mesures d’accompagnement. J’en ai parlé tout à l’heure, c’est justement une organisation, une structure qui pourrait s’occuper des anciens esclaves, de leur insertion.
Une équipe dynamique peut engager des projets, des structures de formation, un travail autre que manuel, qui permet d’insérer ces gens-là, qui sont en général des bergers, des agriculteurs, des domestiques. Il faudrait qu’ils puissent faire autre chose que cela, qu’ils puissent pleinement bénéficier de tous les droits qui doivent provenir de l’Etat et de la communauté. Ils doivent bénéficier d’une certaine discrimination positive pour les ramener au même niveau que les autres. C’est ça le traitement de l’esclavage, c’est ça le traitement des séquelles de l’esclavage. Une fois que l’esclavage aura été interdit et pénalisé, nous pouvons parler des séquelles de l’esclavage. Aujourd’hui parler des séquelles de l’esclavage sans l’avoir combattu par une loi, pénaliser les gens et sanctionner des gens qui le pratiquent. En le faisant le rôle de l’Etat devient encore plus important, quand il prend une loi qui incrimine l’esclavage, cela veut dire qu’il s’engage plus dans le combat contre.
Si toutes vos doléances sont faites par l’Etat, quelle sera alors la nouvelle raison d’être de SOS Esclaves ?
Moi, je vous dirai que la nouvelle raison d’être de SOS Esclaves, quand l’Etat commencera à prendre en charge l’esclavage dans toutes ces dimensions, la société civile comme nous sommes une partie, un élément de cette société civile. Elle aura toujours son rôle à jouer, parce que l’esclavage ne peut pas être à plat en un jour, un dix jours, ni en dix ans. Donc, je pense que le travail de l’éducation, de sensibilisation, parce qu’il faut créer la citoyenneté. Il faut accompagner cet effort de sensibilisation d’émancipation, nous avons tous notre rôle. Et SOS Esclaves est une organisation des Droits de l’Homme, nous ne nous limitons pas depuis que nous sommes créées, il y a une dizaine d’années.
Nous ne sommes jamais limités uniquement aux problèmes d’esclaves. Nous parlons de tout, nous avons la discrimination à combattre, nous continuerons également à nous mettre au côté des victimes, de ceux qui sont sujets à des arrestations arbitraires, à des procès inéquitables, à des tortures. Si on est militant de Droit de l’Homme. Maintenant l’esclavage, nous savez qu’il existe l’esclavage moderne, il faut continuer à le combattre. L’esclavage traditionnel, il faut également continuer à le combattre. Ces pratiques ne vont pas disparaître en un jour. Moi, je ne pense pas pourquoi SOS Esclaves disparaît dès lors que l’Etat commence à s’occuper de l’esclavage.
Au contraire SOS esclaves va coopérer avec l’Etat, pour sortir avec ce rapport conflictuel avec l’Etat. Mais nous serons des partenaires encore beaucoup plus proche. Parce qu’il est entrain de réaliser le programme pour lequel, on a créé cette organisation.
source : Maghreb Quotidien via cridem
Interview réalisée par Camara Mamady
« Au contraire SOS esclaves va coopérer avec l’Etat, pour sortir de ce rapport conflictuel avec l’Etat. Mais nous serons des partenaires encore beaucoup plus proches. Parce qu’il est entrain de réaliser le programme pour lequel, on a créé cette organisation »
Que pensez-vous de la nouvelle loi qui incrimine la pratique de l’esclavage en Mauritanie ?
La loi qui incriminerait l’esclavage en Mauritanie est pour moi un acte attendu, souhaité et revendiqué par tous les militants anti-esclavagistes mauritaniens, tous les hommes de progrès à travers le pays et à l’extérieur. Ce n’est pas la seule mesure nécessaire, mais au stade actuel, elle est indispensable. Mais elle n’est pas l’unique mesure.
Elle devrait être accompagnée de mesures suffisamment claires pour permettre aux esclaves de s’en sortir. Parce que l’esclavage n’est pas simplement un problème de droit, de justice, de tribunaux ou de crime. Mais il y a également des conditions économiques et sociales des individus, leurs cultures. Tout ceci demande des interventions. Nous pensons que la loi doit être accompagnée, par exemple par une institution étatique, vers laquelle toute personne ayant des difficultés dans ce domaine puisse retourner et avoir une assistance nécessaire. Parce que les causes de l’esclavage sont très vieilles et elles sont difficiles à combattre.
Nous pensons également que cette institution doit entreprendre des projets et des actions orientées vers les descendants d’esclaves et les esclaves eux-mêmes pour qu’ils puissent être réellement insérés dans la vie économique, du reste et devenir totalement autonomes. Que cette institution veille à ce que qu’ils aient leur lopin de terre et qu’ils puissent de manière autonome utiliser cette terre pour cultiver, une partie de cette terre pour leur permettre de vivre de manière autonome. Il y a également le problème de culture et de l’aliénation.
L’esclavage, s’il a perduré, c’est parce que les Mauritaniens considèrent que c’est la volonté de Dieu, et que c’est conforme à leur religion. Les esclaves n’admettent en général leur affranchissement que lorsqu’il est prononcé par le maître. Donc, il s’agit de faire la sensibilisation et d’amener les imams dans les mosquées à reconnaître que l’abolition de l’esclavage est conforme à la charia, que personne n’a aujourd’hui le droit au nom de la religion de mettre l’autre en esclavage. Donc les missions de sensibilisation doivent être ouvertes à tout le monde, et elles doivent être menées dans tous les medias. Ces émissions de sensibilisations doivent être dans toutes les langues nationales. Voilà pour nous un peu les éléments, peut-être dit de manière amalgamée. Mais des solutions qu’il faut apporter à l’esclavage.
En fait pourquoi cette loi, parce qu’il faut finir avec l’impunité de la pratique esclavagiste. La loi va pourchasser ceux qui continuent délibérément à spolier les esclaves ou les descendants d’esclaves. Ceux qui continuent à séquestrer les enfants ou à enlever les enfants de leur famille pour les mettre à leur service, de les partager entre leur imam et leur famille. Ce qui les empêchent d’aller à l’école comme les autres enfants. Ceux qui peuvent posséder une femme parce qu’elle est leur esclavage et abuser d’elle et ne pas d’ailleurs reconnaître sa progéniture le plus souvent. Ceux qui sont capables d’amener des filles pour faire le baby-sitter. Et elles restent les baby-sitters. Jusqu’à la fin de leurs jours dans les familles comme domestiques.
L’esclavage chez nous a une réalité, c’est que c’est un travailleur non rémunéré. Il ne l’est jamais que ça soit dans l’agropastoral ou dans la domesticité. Pour ça, il faudrait faire la différence, il ne faut pas faire croire aux gens que c’est une notion un peu vague, non. Ce sont des gens qui ne sont pas payés. Ce sont des gens qui peuvent être vendus. Ils peuvent être donnés et légués. Et ça, il faut le dire. Il y a également les séquelles, et nous pensons que cette loi, aussi, pourra non seulement criminaliser les actes des victimes d’esclavage, mais les délits aussi. Dans ce cadre aussi, il y a la stigmatisation et les insultes. Nous pensons qu’il y a les insultes d’ordre racial, d’ordre d’ethnique, d’ordre castal. Quand on vous traite de griot, de forgeron, ça vous rabaisse. Des insultes qui vous traitent de sale blanc ou sale nègre, pour nous c’est la même chose. Tous ces gens doivent être poursuivis et doivent répondre devant la loi.
Si on sait que le Président Haïdalla avait en son règne pris une loi abolissant la pratique de l’esclavage en Mauritanie, pensez- vous qu’une nouvelle loi peut vraiment mettre fin à cette pratique coutumière esclavagiste sur le sol mauritanien ?
Bon, je pense qu’aucune loi ne peut mettre fin à une pratique surtout que c’est une pratique traditionnelle sociale, mais elle fait partie de l’arsenal nécessaire pour combattre le phénomène. Pour parler de l’insuffisance des lois en tant que telles par rapport à ce phénomène, nous pensons que toutes les lois, qui ont été prises jusqu’ici, n’ont pas été en mesure de participer à la lutte contre l’esclavage. Parce qu’elles n’étaient pas des lois prises de manière sérieuse. Elles ne reflétaient pas de réelles volontés politiques c'est-à-dire elles ne traduisaient pas la réelle volonté politique de combattre l’esclavage.
Quand vous parlez de la loi prise par l’ancien Président Haïdalla en 1981, je vous dirai que cette loi était tout simplement un moyen de faire croire aux gens, que l’esclavage est fini. Mais en abolissant l’esclavage, on s’est précipité pour réconforter les esclavagistes, en disant qu’ils doivent être indemnisés. On a prévu un décret d’application qui n’a jamais été pris. Donc cette loi, enfin de compte, n’a jamais eu aucun effet. Il y a eu une deuxième loi, parce que vous ne l’avez pas cité, je vais la citer, qui parle des personnes. On la cite souvent maintenant comme étant prise pour combattre l’esclavage. Moi, je dirai qu’elle n’a pas été prise pour combattre l’esclavage traditionnel tel que nous le connaissons dans le pays.
Cette loi concerne la traite des personnes. Elle se limite essentiellement au trafic des enfants, des organes et la vente des organes, au travail des enfants, à l’enrôlement des enfants dans l’armée, à la prostitution forcée. Ces choses qui sont connues et sont pratiquées aujourd’hui dans pas mal de pays, qui correspondent à la notion de l’esclavage moderne. Ce que nous partageons avec beaucoup d’autres pays, c’est la traduction de la loi sur convention sur la traite des personnes. Mais les Mauritaniens se sont bien gardés de prendre en charge toute cette convention dans toute sa dimension.
Parce que la convention parle également de l’esclavage et des pratiques assimilées, je vous informe, que quand on a fait cette loi en 2003, le pouvoir mauritanien a enlevé de sa loi la référence à l’esclavage. C’est pour dire qu’il ne cherche pas à combattre l’esclavage qui est chez lui. Il laisse l’opinion nationale et internationale dans l’ignorance totale d’abord du phénomène qu’il pratique chez lui, qu’il continue à décrire, à identifier et à désigner par le terme séquelles. Moi, je dirai tout de suite à tous ces gens-là qui parlent de séquelles, que les séquelles ne se criminalisent pas. Les séquelles se traitent. Quand on criminalise, cela veut dire qu’il y a des faits, des éléments, des crimes et des délits commis. Ce sont ceux qu’on criminalise.
Donc pour moi, la loi n’est pas suffisante. Même la nouvelle loi, qu’on va prendre. Jusqu’ici, j’ai toujours été réconforté par le discours de la déclaration de politique générale du Premier Ministre devant l’Assemblée Nationale, quand il a stigmatisé l’esclavage. Il a clairement parlé de l’intention de prendre une loi contre l’esclavage pour le criminaliser. Mais je vous avoue aujourd’hui que ces discussions auxquelles, j’ai assistées, qui se voulaient une concertation sur l’avant-projet de la loi, n’étaient pas une concertation. C’était tout simplement une information. On n’a pas recueilli, ni synthétisé le débat pour en ressortir un document consensuel.
Cet exercice qui a été fait le 25 juin au Palais des Congrès ne me paraît pas encourageant. D’autant plus que le résultat a été tout de suite le lendemain présenté en conseil des ministres et approuvé dans une forme que j’ignore encore. Mais en tout cas, j’attends de voir, mais je pense quand même que la criminalisation de l’esclavage, c’est une bonne chose, si elle est réellement faite pour parler de l’esclavage, et pas simplement de ses séquelles.
Pensez-vous que l’esclavage en Mauritanie est l’apanage d’une seule composante ethnique ?
Pas le moins du monde, je ne pense pas que l’esclavage est l’apanage d’une seule ethnie en Mauritanie. Je pense que l’esclavage est un problème de société mauritanienne dans toutes ses composantes ethniques et nationales, à savoir qu’il y a ceux qui s’appellent les Arabes, les Soninkés, les Wolofs et les Poulars. Dans tous ces milieux, on pratique l’esclavage et on le tolère, c'est-à-dire culturellement on l’accepte comme rapport humain. Il est plus spectaculaire quand il s’agit des Maures, des Arabes, parce que souvent il met en relation les noirs et des blancs, et les esclaves sont en général noirs. Ce qui n’exclue pas, qu’on ne trouve pas des esclaves blancs en milieu maures. Mais les esclaves sont essentiellement noirs. Et entre les noirs Poulars, Soninkés, tout le monde se confond.
Par ailleurs dans toutes ces communautés, personne n’avoue être esclave ou avoir des esclaves. Cela est une caractéristique de nos populations. En réalité le mal, le mauvais, c’est toujours le voisin. Ce n’est jamais moi, ce n’est jamais ma famille, ce n’est jamais ma tribu, ce n’est jamais mon ethnie. Pour moi, en tout cas, pour mes amis militants de droits de l’Homme et anti-esclavagistes, nous savons et nous le disons en haute voix partout que l’esclavage n’est pas simplement une affaire de blancs et de noirs. C’est une affaire de société et nous savons qu’il y a encore des sociétés qui sont esclavagistes. Ce qui n’est pas nécessairement applicable à l’Etat. L’Etat n’est pas esclavagiste. L’institution de l’esclavage n’est pas reconnue par l’Etat mauritanien. Et aujourd’hui, l’Etat mauritanien est entrain de se dégager, parce qu’il essaye de prendre des mesures aptes à combattre ce phénomène de société. C’est cela son droit.
Moi, je vais aller plus loin par rapport à votre question. L’esclavage n’est pas seulement en Mauritanie. J’appelle nos amis de la sous région et de la région à se voir en face, nous ne sommes pas une îles dans le désert, ni dans la mer, nous sommes entourés des mêmes populations. Quand nous parlons de Maures, on en trouve au Sahara, au Mali. Quand nous parlons de Peulhs, on en trouve au Mali, au Sénégal et en Guinée. On trouve des Wolofs chez nous, au Sénégal. On trouve des Touaregs au Mali, au Niger. Ces sociétés sont encore esclavagistes. Cela, je le soutiens, je n’ai jamais dit que c’une affaire d’ethnie ou de race. C’est une affaire de société
Est-ce que les structures officielles de l’Etat vont prendre le relais de SOS Esclaves dans sa lutte ?
Je vous ai dit tout à l’heure au début, de toute façon pour nous la loi n’est pas suffisante. La loi n’est pas un élément nécessaire pour lutter contre l’impunité. Elle a un caractère pédagogique. Elle va montrer à tout un chacun que l’Etat ne cautionne plus l’esclavage, que les autorités ne cautionnent pas l’esclavage. Cela peut à notre avis faire reculer la pratique de l’esclavage. Mais ce n’est pas suffisant de combattre l’esclavage. Parce que l’esclavage est également une culture aujourd’hui. Ce sont des rapports de dominations multiples. Il y a une multiplicité de formes de dominations. Il y a des dominations économiques, culturelles, sociales…Et tout ceci demande des traitements, et donc des mesures d’accompagnement. J’en ai parlé tout à l’heure, c’est justement une organisation, une structure qui pourrait s’occuper des anciens esclaves, de leur insertion.
Une équipe dynamique peut engager des projets, des structures de formation, un travail autre que manuel, qui permet d’insérer ces gens-là, qui sont en général des bergers, des agriculteurs, des domestiques. Il faudrait qu’ils puissent faire autre chose que cela, qu’ils puissent pleinement bénéficier de tous les droits qui doivent provenir de l’Etat et de la communauté. Ils doivent bénéficier d’une certaine discrimination positive pour les ramener au même niveau que les autres. C’est ça le traitement de l’esclavage, c’est ça le traitement des séquelles de l’esclavage. Une fois que l’esclavage aura été interdit et pénalisé, nous pouvons parler des séquelles de l’esclavage. Aujourd’hui parler des séquelles de l’esclavage sans l’avoir combattu par une loi, pénaliser les gens et sanctionner des gens qui le pratiquent. En le faisant le rôle de l’Etat devient encore plus important, quand il prend une loi qui incrimine l’esclavage, cela veut dire qu’il s’engage plus dans le combat contre.
Si toutes vos doléances sont faites par l’Etat, quelle sera alors la nouvelle raison d’être de SOS Esclaves ?
Moi, je vous dirai que la nouvelle raison d’être de SOS Esclaves, quand l’Etat commencera à prendre en charge l’esclavage dans toutes ces dimensions, la société civile comme nous sommes une partie, un élément de cette société civile. Elle aura toujours son rôle à jouer, parce que l’esclavage ne peut pas être à plat en un jour, un dix jours, ni en dix ans. Donc, je pense que le travail de l’éducation, de sensibilisation, parce qu’il faut créer la citoyenneté. Il faut accompagner cet effort de sensibilisation d’émancipation, nous avons tous notre rôle. Et SOS Esclaves est une organisation des Droits de l’Homme, nous ne nous limitons pas depuis que nous sommes créées, il y a une dizaine d’années.
Nous ne sommes jamais limités uniquement aux problèmes d’esclaves. Nous parlons de tout, nous avons la discrimination à combattre, nous continuerons également à nous mettre au côté des victimes, de ceux qui sont sujets à des arrestations arbitraires, à des procès inéquitables, à des tortures. Si on est militant de Droit de l’Homme. Maintenant l’esclavage, nous savez qu’il existe l’esclavage moderne, il faut continuer à le combattre. L’esclavage traditionnel, il faut également continuer à le combattre. Ces pratiques ne vont pas disparaître en un jour. Moi, je ne pense pas pourquoi SOS Esclaves disparaît dès lors que l’Etat commence à s’occuper de l’esclavage.
Au contraire SOS esclaves va coopérer avec l’Etat, pour sortir avec ce rapport conflictuel avec l’Etat. Mais nous serons des partenaires encore beaucoup plus proche. Parce qu’il est entrain de réaliser le programme pour lequel, on a créé cette organisation.
source : Maghreb Quotidien via cridem
Interview réalisée par Camara Mamady