« C’est aux deux Chefs d’Etat de veiller à cette relation entre le Sénégal et la Mauritanie. Il n’y a pas de raison que les Sénégalais puissent être inquiétés en Mauritanie».
Ahmed Ould Hamza est le Président de la Communauté Urbaine de Nouakchott pour un mandat qui commence à toucher à sa fin. Il est aussi Président de l’Association des maires de Mauritanie et dans sa vie normale, il est industriel fabriquant de pâtes alimentaires et de couscous depuis presque une quarantaine d’années.
Ould Hamza est également Président de la Fédération des Industries et des Mines et Président des Commissions des Relations Extérieures du Patronat et de la Chambre de Commerce de Mauritanie. Imprégné de la culture sénégalaise où il a vécu la plus grande partie de sa jeunesse, Ahmed Ould Hamza affiche le profil d’un homme intègre connu pour son franc parler.
Sa position actuelle, en tant que premier magistrat de la ville de Nouakchott, proche des populations et du pouvoir, fait que l’homme est interpellé sur beaucoup de questions qui touchent les relations entre le Sénégal et la Mauritanie. Aujourd'hui, au moment où les relations entre ces deux pays traversent des moments difficiles, nous l’avons approché et l’homme s’est prêté à nos questions. Entretien.
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L’Enquête : Monsieur le Président, les relations entre le Sénégal, votre pays d’enfance et la Mauritanie, votre propre pays, sont tumultueuses depuis un certain temps. En tant que premier magistrat de la ville de Nouakchott qui abrite un nombre important de ressortissants sénégalais, quelle appréciation faites-vous ou quel commentaire vous inspire cette situation?
Ahmed Ould Hamza : L’expression relations tumultueuses est excessive. Car entre deux pays comme le Sénégal et la Mauritanie, il ne peut y avoir de relations tumultueuses. C’est une même famille, qu’on le veuille ou non. Il peut y avoir des incompréhensions momentanées et passagères entre les gouvernements. Mais entre les peuples mauritanien et sénégalais unis par l’histoire, le sang, la culture, la religion et la communauté de destin, il ne peut y avoir de problèmes.
Les évènements de 1989 appartiennent déjà au passé. C’est une erreur qui ne se répétera plus jamais. Même s’il y a encore des chauvins de part et d’autre. Il arrivera un jour, où l’on pensera à une appellation commune ( Maurisénégal ou Sénémauritanie) pour désigner les deux Etats qui, en réalité, n’en font qu’un seul. Il n’y aura plus de place, comme c’est le cas aujourd’hui, aux égoïsmes étroits qui engendrent de faux problèmes.
L’Enquête : Voilà justement, j’allais dire que depuis 2008, il y a le problème du transport routier qui sévit, celui du transport aérien est venu l’accentuer même s’il a connu un dénouement heureux. Comment voyez-vous tout cela, quelle est, selon vous, la solution ou la voie à emprunter pour sortir de cette situation?
AOH : Vous savez, nous vivons, aujourd’hui, dans un monde guidé essentiellement par les motivations matérielles et sous l’emprise des intérêts égoïstes qui créent, parfois et la où il ne fallait pas, des incompréhensions, des problèmes qui peuvent freiner le développement. Nous subissons, tous, la mondialisation envahissante et la loi des grands ensembles politiques et économiques. La Mauritanie et le Sénégal ne peuvent échapper à ce diktat et à ces contraintes. Ce que leurs gouvernants actuels ont bien appréhendé.
S’agissant de ce problème de transport routier entre les deux pays et auquel vous venez de faire allusion, c’est pour moi, une anomalie, pour ne pas dire une aberration qui n’a pas sa place d’être et qui devrait, rapidement, être dépassée. Il faudrait assurer la libre circulation des biens et des personnes entre la Mauritanie et le Sénégal. C’est à l’avantage des deux parties. Plus question donc de contingentements au niveau du secteur du transport routier. Les difficultés ne concerneraient donc que le transport des personnes.
Pour ce qui est du transport des biens et marchandises, il n’y a pas, réellement de problèmes. Car le mouvement est, en grande partie, dans un seul sens, du Sénégal vers la Mauritanie. L’inverse est très rare. Je profite de cette occasion, pour m’interroger sur les raisons du retard de construction du pont reliant les deux rives du fleuve Sénégal et dont on parle depuis un certain temps.
Je dirai aussi que la fluidité du transport des personnes et des biens entre le Sénégal et la Mauritanie est une condition déterminante du renforcement des échanges entre les deux pays et, par conséquent, l’un des piliers de leur développement.
J’en appelle à la sagesse et au patriotisme des deux Chefs d’Etats pour préserver la relation privilégiée entre leurs deux peuples. Ces derniers devront y contribuer dynamiquement en refusant tout ce qui pourrait altérer cette relation. Nos deux peuples frères ne devront (et certainement n’accepteront pas) qu’un problème banale puisse se transformer en grave différent entre eux.
L’Enquête : Oui, les populations des deux côtés se plaignent souvent des tracasseries au niveau de la frontière et de la route. Elles n’apprécient pas le fait que le problème du transport aérien qui est assez récent trouve une solution, alors que celui du transport routier plus ancien et concernant beaucoup de personnes n’en trouve pas.
AOH : Je crois que, quelque part, on se cache la vérité. Je pense que nos deux Chefs d’Etat doivent se retrouver pour parler entre frères. Il n’y a pas de raison que les Sénégalais puissent être inquiétés en Mauritanie ni que les Mauritaniens le soient au Sénégal. Ils sont chez eux et ils doivent pouvoir y vivre comme tel. En tout cas, moi, je ne vois pas de différence. Je me sens aussi bien sénégalais que mauritanien et c’est le cas de beaucoup de Mauritaniens. Les Sénégalais font ce que les mauritaniens ne font pas et vice- versa. Nous sommes complémentaires et non adversaires.
Il faut que nous soyons sérieux. Entre le Sénégal et la Mauritanie, on ne doit pas se considérer comme étranger, parce que nous sommes indissociables. Nos hommes politiques doivent le comprendre et chercher à créer des synergies pour éviter que des personnes trop zélées puissent ternir cette vieille relation. Il faut que les têtes tombent à chaque fois qu’il est porté préjudice à cette relation. Il faut que l’Etat, au plus haut niveau, fasse preuve d’intransigeance. Que les sanctions appropriées interviennent qu’il s’agisse de la Douane, de la Police des frontières, de la Gendarmerie … Les gens doivent comprendre qu’il n’est pas tolérable ni acceptable qu’entre le Sénégal et la Mauritanie, il puisse y avoir de blocage.
L’Enquête : Le problème de l’enrôlement en Mauritanie se pose avec beaucoup d’acuité. Vous avez l’habitude de dire que vous êtes blanc mais vous réfléchissez black. Qu’en pensez vous, par rapport à cette question?
AOH : C’est la première fois que je parle de cette question. Vous savez, malheureusement, cet important projet de mise en place d’un état civil fiable est hautement sécurisé a été biaisé dès le départ. En effet, si le principe en lui-même est irréprochable et salutaire, la démarche qui a été adoptée fut défaillante par de nombreux aspects. Il y a eu défaillance de communication, notamment, en amont. Il y a eu aussi, de la part des commissions de supervision et d’exécution, des comportements inadmissibles, puisque frustrants. Frustration dont ont été l’objet, en particulier, les Négro Mauritaniens et les Mauritaniens naturalisés qui ont choisi la Mauritanie et en sont fiers. Ce choix doit donc être récompensé par l’obtention de tous leurs droits de citoyenneté.
Ces citoyens ont droit à un état civil moderne et sécurisé. Tout Mauritanien quel que soit son lieu de naissance et ayant démontré preuves à l’appui, sa mauritanité doit être enrôlé sans retard, ni tracasseries.
Les Pouvoirs publics semblent avoir bien compris ces insuffisances et travaillent à les combler, loin de toute discrimination. Le Pouvoir n’est donc pas raciste et ne peut être raciste, car qui a vécu avec les populations noir ne peut que les aimer et ne peut, en conséquence être chauvin.
Aussi et c’est le lieu de le rappeler, les doutes sur la mauritanité pèsent aussi bien sur la composante négro-africaine que sur la composante maure de la société mauritanienne. Tous les maures ne sont pas Mauritaniens. Il y a parmi eux des Maliens, des Marocains et des Sahraouis, et j’en passe…
Néanmoins, cela ne doit déboucher sur des comportements chauvins. Le chauvinisme doit être rigoureusement combattu au sein de toutes les composantes du peuple mauritanien. La force de la Mauritanie réside en sa diversité ethnique et culturelle. C’est une source d’enrichissement. La Mauritanie n’est pas un pays seulement arabe, mais un pays arabo-africain. Un jour, peut être, elle deviendra métissée.
L’Enquête : Est-ce que vous ne pensez pas que le projet en lui-même est mal conçu? Parce que ce n’est pas seulement les Négro-mauritaniens qui ont des problèmes, il y a également les arabo-berbères qui en ont pour se faire enrôler.
AOH : Votre question confirme, comme je le disais tantôt, qu’il ne s’agit pas d’une situation dirigée ou d’une action prémédité. Le projet de mise en place d’état civil mauritanien fiable et sécurisé est une véritable révolution. C’est une initiative salutaire. Mais, dans l’exécution la charrue a été avant les bœufs. Il fallait communiquer et expliquer le processus avant sa mise en œuvre. Il y a eu manquement de médiatisation.
C’est l’une des causes du piétinement et de la frustration chez de nombreux Mauritaniens qui n’ont pu être enrôlés. Autant les Négro-Mauritaniens ont eu les plus grandes difficultés à être enrôlés, autant les Maures ont eu leur lot de frustration de tracasserie.
Par la seule faute du manque d’informations et du zèle de certains membres des commissions d’enrôlement. Il est vrai qu’au niveau de certains centres d’enrôlement, tout Noir, à priori, est suspecté d’être étranger. Ce qui n’est pas le cas du Maure qui, lui aussi, peut être algérien, libyen, malien ou marocain. Cette attitude est bien sûr frustrante. Cependant, je crois que, présentement, la situation d’enrôlement s’est nettement améliorée dans le sens d’une plus grande justice. Et il est temps que la situation générale soit pacifiée dans l’intérêt supérieur de la Nation mauritanienne.
Il faudrait que tout les Mauritaniens nés en Mauritanie ou ailleurs ou ceux qui ont été naturalisés puissent, tous et sans discrimination, se faire enrôler sans difficulté. J’irais plus loin pour dire qu’il est nécessaire d’ouvrir un fichier pour les étrangers établis en Mauritanie et qui y vivent depuis long temps pour certains. Ils doivent se faire enregistrer et jouir des documents nécessaires. Ils doivent se sentir chez eux et bénéficier des droits de citoyenneté.
L’Enquête : Vous êtes le Président de l’Association des Maires de Mauritanie. Il y a quelques mois, vous avez reçu vos homologues du Mali et du Sénégal pour instaurer ce qu’on pourrait appeler la diplomatie des villes. En quoi cela peut être profitable aux populations de ces pays?
AOH : Vous savez, les Etats ont des relations à haut niveau. Il y a l’Etat central qui s’occupe de la politique étrangère. Aujourd’hui, le monde a changé. Il y a la diplomatie décentralisée, parce que dans les villes il y a des élus. Le maire est l’élu de proximité, le plus proche des populations. Et quelque part, il y a des choses qui échappent à l’Etat central. Nous pensons que les villes comme Nouakchott, Dakar, Bamako ou Ziguinchor (parce que le Président des maires du Sénégal est maire de cette ville) ont intérêt à coopérer entre elles. Nous avons deux réseaux, celui des maires des capitales et celui de l’association des maires.
Moi j’ai la chance d’être maire d’une capitale et président de l’association des maires, mais il y a d’autres villes où le Président de l’Association des maires, n’est pas le maire de la capitale comme le cas du Sénégal. Ces réseaux sont créés pour être plus proche des citoyens. L’axe Bamako-Dakar-Nouakchott est un axe lié à l’OMVS. Moi, je suis un homme de principe. Je veux que mon pays ait des relations avec tous les pays, notamment, ceux du voisinage en particulier.
En conjuguant nos efforts, en tant qu’élus nous pouvons compléter l’action des pouvoirs publics, en développant les acquis relationnels entre nos différents peuples aux plans culturel, sportif et social. Et, cela à travers l’organisation de colonies de vacance, l’échange de troupes artistiques et de groupes sportifs. Une diplomatie urbaine au service des populations.
A cet effet, nous oeuvré au renforcement de l’axe Bamako-Dakar-Nouakchott, en prélude à un autre axe plus large. Cette initiative a commencé à produire ses effets non seulement au plan intérieur, mais également au plan international.
L’Enquête : Dans quel cadre précis vous êtes solidaires ? Dans les candidatures à l’extérieur ou quoi ?
AOH : Oui nous sommes solidaires au niveau des institutions décentralisées. Aujourd’hui, le maire de Dakar est élu vice président mondial pour l’Afrique au niveau de CGLU. Si nous n’avions pas une synergie entre nous, cela n’aura pas été possible. On se soutient mutuellement et on se partage les rôles. Nous faisons un travail de lobbying et nous partageons nos idées. Nous sommes plus que des amis, nous sommes des frères condamnés par la communauté du destin et les contraintes de la mondialisation à coopérer et à unir nos efforts.
L’Enquête : Revenons-en à vous-même. Hamza est sollicité par tous, il reçoit des distinctions notamment des pays étrangers et des ONG au titre de mérite pour service rendu. Quel est le secret de tout cela ?
AOH : Je suis très honoré et fier que les gens puissent me trouver des mérites. Pourtant, je n’ai fait que mon devoir d’élu et de maire d’une grande ville comme Nouakchott. Mais voyez-vous, dans ma vie de maire, j’agis comme un opérateur économique privé et non comme un fonctionnaire sous les ordres de ses supérieurs. Je suis, avant tout, un homme d’affaires habitué au marketing pour mieux vendre mon produit. Je me devais d’aller vers les autres. C’est ce que j’ai fait pendant quarante ans en commercialisant les pâtes alimentaires.
C’est cet esprit entrepreneur que j’ai voulu transposer dans mes activités d’élu de proximité. Cette fois, le produit à vendre c’est le citoyen qu’il faut éduquer à la citoyenneté et aider, dans la limite des moyens disponibles, pour accéder à un niveau de vie meilleur.
A cette fin, je me suis attelé à aider les citoyens et les acteurs de la société civile à travers des volets sociaux, culturels, sportifs. Mais, avouons-le, cette tâche n’est pas facile quand le premier magistrat de la ville (capitale du pays de surcroît) et l’Etat central ne sont pas du même bord politique, comme c’est notre cas.
Cependant le fait que des personnes de bonne foi aient apprécié que j’ai fait plus que d’habituel constitue pour moi un réconfort et en facteur d’encouragement.
Propos recueillis par Ibou Badiane, Correspondant en Mauritanie
Source : cridem
Ahmed Ould Hamza est le Président de la Communauté Urbaine de Nouakchott pour un mandat qui commence à toucher à sa fin. Il est aussi Président de l’Association des maires de Mauritanie et dans sa vie normale, il est industriel fabriquant de pâtes alimentaires et de couscous depuis presque une quarantaine d’années.
Ould Hamza est également Président de la Fédération des Industries et des Mines et Président des Commissions des Relations Extérieures du Patronat et de la Chambre de Commerce de Mauritanie. Imprégné de la culture sénégalaise où il a vécu la plus grande partie de sa jeunesse, Ahmed Ould Hamza affiche le profil d’un homme intègre connu pour son franc parler.
Sa position actuelle, en tant que premier magistrat de la ville de Nouakchott, proche des populations et du pouvoir, fait que l’homme est interpellé sur beaucoup de questions qui touchent les relations entre le Sénégal et la Mauritanie. Aujourd'hui, au moment où les relations entre ces deux pays traversent des moments difficiles, nous l’avons approché et l’homme s’est prêté à nos questions. Entretien.
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L’Enquête : Monsieur le Président, les relations entre le Sénégal, votre pays d’enfance et la Mauritanie, votre propre pays, sont tumultueuses depuis un certain temps. En tant que premier magistrat de la ville de Nouakchott qui abrite un nombre important de ressortissants sénégalais, quelle appréciation faites-vous ou quel commentaire vous inspire cette situation?
Ahmed Ould Hamza : L’expression relations tumultueuses est excessive. Car entre deux pays comme le Sénégal et la Mauritanie, il ne peut y avoir de relations tumultueuses. C’est une même famille, qu’on le veuille ou non. Il peut y avoir des incompréhensions momentanées et passagères entre les gouvernements. Mais entre les peuples mauritanien et sénégalais unis par l’histoire, le sang, la culture, la religion et la communauté de destin, il ne peut y avoir de problèmes.
Les évènements de 1989 appartiennent déjà au passé. C’est une erreur qui ne se répétera plus jamais. Même s’il y a encore des chauvins de part et d’autre. Il arrivera un jour, où l’on pensera à une appellation commune ( Maurisénégal ou Sénémauritanie) pour désigner les deux Etats qui, en réalité, n’en font qu’un seul. Il n’y aura plus de place, comme c’est le cas aujourd’hui, aux égoïsmes étroits qui engendrent de faux problèmes.
L’Enquête : Voilà justement, j’allais dire que depuis 2008, il y a le problème du transport routier qui sévit, celui du transport aérien est venu l’accentuer même s’il a connu un dénouement heureux. Comment voyez-vous tout cela, quelle est, selon vous, la solution ou la voie à emprunter pour sortir de cette situation?
AOH : Vous savez, nous vivons, aujourd’hui, dans un monde guidé essentiellement par les motivations matérielles et sous l’emprise des intérêts égoïstes qui créent, parfois et la où il ne fallait pas, des incompréhensions, des problèmes qui peuvent freiner le développement. Nous subissons, tous, la mondialisation envahissante et la loi des grands ensembles politiques et économiques. La Mauritanie et le Sénégal ne peuvent échapper à ce diktat et à ces contraintes. Ce que leurs gouvernants actuels ont bien appréhendé.
S’agissant de ce problème de transport routier entre les deux pays et auquel vous venez de faire allusion, c’est pour moi, une anomalie, pour ne pas dire une aberration qui n’a pas sa place d’être et qui devrait, rapidement, être dépassée. Il faudrait assurer la libre circulation des biens et des personnes entre la Mauritanie et le Sénégal. C’est à l’avantage des deux parties. Plus question donc de contingentements au niveau du secteur du transport routier. Les difficultés ne concerneraient donc que le transport des personnes.
Pour ce qui est du transport des biens et marchandises, il n’y a pas, réellement de problèmes. Car le mouvement est, en grande partie, dans un seul sens, du Sénégal vers la Mauritanie. L’inverse est très rare. Je profite de cette occasion, pour m’interroger sur les raisons du retard de construction du pont reliant les deux rives du fleuve Sénégal et dont on parle depuis un certain temps.
Je dirai aussi que la fluidité du transport des personnes et des biens entre le Sénégal et la Mauritanie est une condition déterminante du renforcement des échanges entre les deux pays et, par conséquent, l’un des piliers de leur développement.
J’en appelle à la sagesse et au patriotisme des deux Chefs d’Etats pour préserver la relation privilégiée entre leurs deux peuples. Ces derniers devront y contribuer dynamiquement en refusant tout ce qui pourrait altérer cette relation. Nos deux peuples frères ne devront (et certainement n’accepteront pas) qu’un problème banale puisse se transformer en grave différent entre eux.
L’Enquête : Oui, les populations des deux côtés se plaignent souvent des tracasseries au niveau de la frontière et de la route. Elles n’apprécient pas le fait que le problème du transport aérien qui est assez récent trouve une solution, alors que celui du transport routier plus ancien et concernant beaucoup de personnes n’en trouve pas.
AOH : Je crois que, quelque part, on se cache la vérité. Je pense que nos deux Chefs d’Etat doivent se retrouver pour parler entre frères. Il n’y a pas de raison que les Sénégalais puissent être inquiétés en Mauritanie ni que les Mauritaniens le soient au Sénégal. Ils sont chez eux et ils doivent pouvoir y vivre comme tel. En tout cas, moi, je ne vois pas de différence. Je me sens aussi bien sénégalais que mauritanien et c’est le cas de beaucoup de Mauritaniens. Les Sénégalais font ce que les mauritaniens ne font pas et vice- versa. Nous sommes complémentaires et non adversaires.
Il faut que nous soyons sérieux. Entre le Sénégal et la Mauritanie, on ne doit pas se considérer comme étranger, parce que nous sommes indissociables. Nos hommes politiques doivent le comprendre et chercher à créer des synergies pour éviter que des personnes trop zélées puissent ternir cette vieille relation. Il faut que les têtes tombent à chaque fois qu’il est porté préjudice à cette relation. Il faut que l’Etat, au plus haut niveau, fasse preuve d’intransigeance. Que les sanctions appropriées interviennent qu’il s’agisse de la Douane, de la Police des frontières, de la Gendarmerie … Les gens doivent comprendre qu’il n’est pas tolérable ni acceptable qu’entre le Sénégal et la Mauritanie, il puisse y avoir de blocage.
L’Enquête : Le problème de l’enrôlement en Mauritanie se pose avec beaucoup d’acuité. Vous avez l’habitude de dire que vous êtes blanc mais vous réfléchissez black. Qu’en pensez vous, par rapport à cette question?
AOH : C’est la première fois que je parle de cette question. Vous savez, malheureusement, cet important projet de mise en place d’un état civil fiable est hautement sécurisé a été biaisé dès le départ. En effet, si le principe en lui-même est irréprochable et salutaire, la démarche qui a été adoptée fut défaillante par de nombreux aspects. Il y a eu défaillance de communication, notamment, en amont. Il y a eu aussi, de la part des commissions de supervision et d’exécution, des comportements inadmissibles, puisque frustrants. Frustration dont ont été l’objet, en particulier, les Négro Mauritaniens et les Mauritaniens naturalisés qui ont choisi la Mauritanie et en sont fiers. Ce choix doit donc être récompensé par l’obtention de tous leurs droits de citoyenneté.
Ces citoyens ont droit à un état civil moderne et sécurisé. Tout Mauritanien quel que soit son lieu de naissance et ayant démontré preuves à l’appui, sa mauritanité doit être enrôlé sans retard, ni tracasseries.
Les Pouvoirs publics semblent avoir bien compris ces insuffisances et travaillent à les combler, loin de toute discrimination. Le Pouvoir n’est donc pas raciste et ne peut être raciste, car qui a vécu avec les populations noir ne peut que les aimer et ne peut, en conséquence être chauvin.
Aussi et c’est le lieu de le rappeler, les doutes sur la mauritanité pèsent aussi bien sur la composante négro-africaine que sur la composante maure de la société mauritanienne. Tous les maures ne sont pas Mauritaniens. Il y a parmi eux des Maliens, des Marocains et des Sahraouis, et j’en passe…
Néanmoins, cela ne doit déboucher sur des comportements chauvins. Le chauvinisme doit être rigoureusement combattu au sein de toutes les composantes du peuple mauritanien. La force de la Mauritanie réside en sa diversité ethnique et culturelle. C’est une source d’enrichissement. La Mauritanie n’est pas un pays seulement arabe, mais un pays arabo-africain. Un jour, peut être, elle deviendra métissée.
L’Enquête : Est-ce que vous ne pensez pas que le projet en lui-même est mal conçu? Parce que ce n’est pas seulement les Négro-mauritaniens qui ont des problèmes, il y a également les arabo-berbères qui en ont pour se faire enrôler.
AOH : Votre question confirme, comme je le disais tantôt, qu’il ne s’agit pas d’une situation dirigée ou d’une action prémédité. Le projet de mise en place d’état civil mauritanien fiable et sécurisé est une véritable révolution. C’est une initiative salutaire. Mais, dans l’exécution la charrue a été avant les bœufs. Il fallait communiquer et expliquer le processus avant sa mise en œuvre. Il y a eu manquement de médiatisation.
C’est l’une des causes du piétinement et de la frustration chez de nombreux Mauritaniens qui n’ont pu être enrôlés. Autant les Négro-Mauritaniens ont eu les plus grandes difficultés à être enrôlés, autant les Maures ont eu leur lot de frustration de tracasserie.
Par la seule faute du manque d’informations et du zèle de certains membres des commissions d’enrôlement. Il est vrai qu’au niveau de certains centres d’enrôlement, tout Noir, à priori, est suspecté d’être étranger. Ce qui n’est pas le cas du Maure qui, lui aussi, peut être algérien, libyen, malien ou marocain. Cette attitude est bien sûr frustrante. Cependant, je crois que, présentement, la situation d’enrôlement s’est nettement améliorée dans le sens d’une plus grande justice. Et il est temps que la situation générale soit pacifiée dans l’intérêt supérieur de la Nation mauritanienne.
Il faudrait que tout les Mauritaniens nés en Mauritanie ou ailleurs ou ceux qui ont été naturalisés puissent, tous et sans discrimination, se faire enrôler sans difficulté. J’irais plus loin pour dire qu’il est nécessaire d’ouvrir un fichier pour les étrangers établis en Mauritanie et qui y vivent depuis long temps pour certains. Ils doivent se faire enregistrer et jouir des documents nécessaires. Ils doivent se sentir chez eux et bénéficier des droits de citoyenneté.
L’Enquête : Vous êtes le Président de l’Association des Maires de Mauritanie. Il y a quelques mois, vous avez reçu vos homologues du Mali et du Sénégal pour instaurer ce qu’on pourrait appeler la diplomatie des villes. En quoi cela peut être profitable aux populations de ces pays?
AOH : Vous savez, les Etats ont des relations à haut niveau. Il y a l’Etat central qui s’occupe de la politique étrangère. Aujourd’hui, le monde a changé. Il y a la diplomatie décentralisée, parce que dans les villes il y a des élus. Le maire est l’élu de proximité, le plus proche des populations. Et quelque part, il y a des choses qui échappent à l’Etat central. Nous pensons que les villes comme Nouakchott, Dakar, Bamako ou Ziguinchor (parce que le Président des maires du Sénégal est maire de cette ville) ont intérêt à coopérer entre elles. Nous avons deux réseaux, celui des maires des capitales et celui de l’association des maires.
Moi j’ai la chance d’être maire d’une capitale et président de l’association des maires, mais il y a d’autres villes où le Président de l’Association des maires, n’est pas le maire de la capitale comme le cas du Sénégal. Ces réseaux sont créés pour être plus proche des citoyens. L’axe Bamako-Dakar-Nouakchott est un axe lié à l’OMVS. Moi, je suis un homme de principe. Je veux que mon pays ait des relations avec tous les pays, notamment, ceux du voisinage en particulier.
En conjuguant nos efforts, en tant qu’élus nous pouvons compléter l’action des pouvoirs publics, en développant les acquis relationnels entre nos différents peuples aux plans culturel, sportif et social. Et, cela à travers l’organisation de colonies de vacance, l’échange de troupes artistiques et de groupes sportifs. Une diplomatie urbaine au service des populations.
A cet effet, nous oeuvré au renforcement de l’axe Bamako-Dakar-Nouakchott, en prélude à un autre axe plus large. Cette initiative a commencé à produire ses effets non seulement au plan intérieur, mais également au plan international.
L’Enquête : Dans quel cadre précis vous êtes solidaires ? Dans les candidatures à l’extérieur ou quoi ?
AOH : Oui nous sommes solidaires au niveau des institutions décentralisées. Aujourd’hui, le maire de Dakar est élu vice président mondial pour l’Afrique au niveau de CGLU. Si nous n’avions pas une synergie entre nous, cela n’aura pas été possible. On se soutient mutuellement et on se partage les rôles. Nous faisons un travail de lobbying et nous partageons nos idées. Nous sommes plus que des amis, nous sommes des frères condamnés par la communauté du destin et les contraintes de la mondialisation à coopérer et à unir nos efforts.
L’Enquête : Revenons-en à vous-même. Hamza est sollicité par tous, il reçoit des distinctions notamment des pays étrangers et des ONG au titre de mérite pour service rendu. Quel est le secret de tout cela ?
AOH : Je suis très honoré et fier que les gens puissent me trouver des mérites. Pourtant, je n’ai fait que mon devoir d’élu et de maire d’une grande ville comme Nouakchott. Mais voyez-vous, dans ma vie de maire, j’agis comme un opérateur économique privé et non comme un fonctionnaire sous les ordres de ses supérieurs. Je suis, avant tout, un homme d’affaires habitué au marketing pour mieux vendre mon produit. Je me devais d’aller vers les autres. C’est ce que j’ai fait pendant quarante ans en commercialisant les pâtes alimentaires.
C’est cet esprit entrepreneur que j’ai voulu transposer dans mes activités d’élu de proximité. Cette fois, le produit à vendre c’est le citoyen qu’il faut éduquer à la citoyenneté et aider, dans la limite des moyens disponibles, pour accéder à un niveau de vie meilleur.
A cette fin, je me suis attelé à aider les citoyens et les acteurs de la société civile à travers des volets sociaux, culturels, sportifs. Mais, avouons-le, cette tâche n’est pas facile quand le premier magistrat de la ville (capitale du pays de surcroît) et l’Etat central ne sont pas du même bord politique, comme c’est notre cas.
Cependant le fait que des personnes de bonne foi aient apprécié que j’ai fait plus que d’habituel constitue pour moi un réconfort et en facteur d’encouragement.
Propos recueillis par Ibou Badiane, Correspondant en Mauritanie
Source : cridem