« Le cercle des noyés » est un film documentaire réalisé par Pierre Yves Vanderweerd, un réalisateur belge. Ce film raconte l’histoire douloureuse des détenus de la prison de Oualata. Ce film, qui a eu beaucoup de succès en Europe sera projeté selon toute vraisemblance, entre le 23 et le 29 juin en Mauritanie. En attendant la projection du film dans notre pays, Fara Bâ, narrateur du film, a bien voulu nous en parler un peu plus sur ce film.
Le Rénovateur : Comment une expérience carcérale a-t-elle pu inspirer un film ?
Fara Bâ : Ce film est né d’une rencontre entre le cinéaste belge Pierre Yves Vanderweerd et moi. Je lui ai raconté mon histoire en tant qu’ancien détenu politique du bagne de Oualata et l’histoire l’avait beaucoup bouleversée. De là nous avons voulu réaliser cette histoire.
C’est un film sur les droits humains. C’est un travail de mémoire que nous avons fait ensemble, un devoir de mémoire parce que celle-ci, il faut la préserver. Il faut donner de la valeur à la mémoire. C’est un film contre l’oubli. C’est très important de faire cette mise au point. Nous pensons également que ce film pourrait servir de thérapie en Mauritanie, parce que nous avons fait une véritable descente aux enfers pendant la garde-à-vue en prison. Nous avons subi les tortures les plus atroces et cela a été durement pénible.
Le Rénovateur : Pourquoi le choix sur votre personne pour faire la narration historique ?
Fara Bâ : Bon, c’est une rencontre par le biais d’amis. Un ami personnel précisément a permis cette relation et de parler des arrestations de 86, des conditions de détention. C’est de là qu’a germé l’idée de faire un tel film. Et c’est extrêmement important puisque le film doit être projeté ici en Mauritanie. Nous pensons qu’il va servir comme une sorte de cataclysme. Tout le monde saura que ce que nous avons vécu a été atroce et innommable. Et cela va pousser les mauritaniens à s’interroger, se poser des questions, qu’on se dise plus jamais ça dans notre pays. Cela est essentiel.
Le Rénovateur : Vous êtes le narrateur du film, du point de vue technique comment ça s’est passé ?
Fara Bâ : Je devrais dire d’emblée qu’il s’agit d’un film documentaire. Ce n’est pas une fiction. Je ne suis que le narrateur du film. Il y a un texte qu’il faut lire. Cette narration est soutenue par des images du quotidien de la Mauritanie parce que le cinéaste a pu filmer le fort, des scènes de vie quotidienne à Nouakchott, sur la route de l’espoir. Il y a également l’interview de mon épouse.
Le Rénovateur : Qu’est-ce que vous avez ressenti lorsqu’on vous a proposé de relater votre vie carcérale dans un film documentaire ?
Fara Bâ : Moi-même, j’ai beaucoup poussé Pierre à faire ce film là parce que pour moi c’était une nécessité. Et évidemment, je ne suis pas le seul à œuvrer pour la réalisation de ce genre de film. J’ai travaillé avec d’autres amis qui étaient avec moi en prison, avec des camarades d’infortune qui ont apporté leurs témoignages parce que ce film là c’est la somme de plusieurs témoignages.
Le Rénovateur : Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour faire un film sur votre vie carcérale alors que vous pouviez même le faire sous le régime de Taaya. Pourquoi un tel choix ?
Fara Bâ : Nous avons pensé que c’était périlleux de faire ce film à cette période. Parce que comme vous le savez, Taaya était un dictateur. Notre pays a vécu une dictature exécrable et détestable et qu’il aspirait à une pérennité. C’était donc risqué d’entreprendre ce film là. Donc on a attendu mais l’attente a été un peu longue parce que nous avons commencé à nous concerter depuis 1996.A un moment donné, j’ai dit à Pierre que nous allons faire ce film advienne que pourra parce qu’il faut que la mémoire soit préservée. Il faut lutter impérativement contre l’oubli.
Le Rénovateur : On sait très bien que la vie carcérale laisse des souvenirs inoubliables. A votre avis, est-ce que ce film a constitué pour vous une sorte de délivrance ?
Fara Bâ : La prison, elle est extrêmement dure surtout quand vous êtes privé de liberté, quand vous subissez l’enfermement. C’est toujours une expérience pénible. Quand on sort de prison, on en sort souvent diminué. Mais c’est bon de pouvoir extérioriser ce qu’on a enduré en prison. Je pense que ça sert aussi à décompresser. Je voulais dire malgré tout ce que nous avons enduré, les tortures, l’enfermement, la privation, je n’ai pas de rancune contre personne. Je ne suis pas animé par un quelconque désir de vengeance que ce soit.
Le Rénovateur : Et vous pensez en vue de tout cela que ce film aura un écho favorable en Mauritanie notamment chez certaines élites politiques ou lobbies ?
Fara Bâ : Je pense qu’avec la nouvelle donne en Mauritanie, il y a un changement extrêmement important. Il y a un processus démocratique très significatif qui a été enclenché. Je ne pense pas que le nouveau régime puisse brandir encore la censure. J’ai la ferme conviction que ce film va sortir et il est prévu qu’il sorte ici entre le 23 et le 29 juin. S’il sortait également, il faudrait qu’il y ait un débat après la visualisation du film par rapport aux dimensions droits de l’homme, culturelle, politique et mémorielle. Je pense que tout cela est essentiel.
Le Rénovateur : Pensez vous que ce film a pu restituer l’essentiel de cette période que vous avez ou bien est-ce que ça était une restitution parcellaire d’une grande souffrance que vous avez vécu ?
Fara Bâ : Je voudrai rappeler que dans ce film, il n y a aucune incitation à la violence ni à la haine. C’est un film documentaire tout simplement. Maintenant, restituer ce que nous avons vécu ce n’est pas possible. Mais je pense que l’essentiel a été dit dans ce film par rapport à ce que nous avons enduré. Ce film c’est par rapport à un vécu. Il y a des choses que j’ai vues, que j’ai endurées, des analyses que j’en ai faites. Et ce n’est pas certes comme cela l’évoquerait une personne qui n’a pas connu tout cela. Moi, je pense avoir dit l’essentiel sans choquer qui que ce soit, c’est mon sentiment. Il y a eu des réactions. Certains ont pensé qu’il fallait faire une fiction par rapport à ce vécu, qu’il fallait reconstituer les chaînes que nous avions aux pieds, les tortures que nous avons subies, les jaguars, la brique le soir où vous êtes à genoux…
Le Rénovateur : Vous avez partagé avec Boye Harouna la même cellule. Est-ce que son livre vous a été d’une certaine utilité dans le cadre de la réalisation de ce film ?
Fara Bâ : J’ai lu son livre il y a quelques temps mais j’avoue que je n’ai pas pris de notes après lecture du livre de mon ami Harouna Boye. Je me suis fondé sur mon expérience personnelle, sur ce que j’ai enduré, ce qui me reste dans la mémoire. Je ne me suis pas appuyé sur ce livre à vrai dire sur ce livre pour faire faire ce film.
Le Rénovateur : Que représente pour vous la prison de Oualata ?
Fara Bâ : Elle a été nommée le mouroir de Oualata. Je ne pense qu’il y ait en Mauritanie une prison aussi dure parce que la prison de Oualata est au même titre que celle de Tazmamarte au Maroc ou bien le camp Boiro en Guinée d’autres prisons tristement célèbres. Ça c’est une situation particulière parce que c’est des militants du FLAM qui ont été arrêtés. Il fallait les casser systématiquement, les humilier pour que ça serve de leçons et que d’autres ne tentent plus de poser les problèmes des négro africains et ceux de la cohabitation. Je pense que cette prison est assez spéciale pour moi parce que nous avions des arrêtés aux pieds, nous sommes restés cinq mois sans se laver, nous avons été torturés en prison sans compter les injures du lieutenant qui commandait le fort, on nous a traités de juifs, de sales nègres.
Le Rénovateur : Quelques années après cette période de braise, qu’est ce que vous éprouvez envers ceux qui vous ont torturé dans la geôle de Oualata ?
Fara Bâ : Je rencontre souvent mes tortionnaires. D’ailleurs dans ce film, cette situation est évoquée. On se salue, c’est comme si de rien n’était. On s’enquiert des nouvelles de la famille et ça s’arrête là. Comme je l’ai dit tantôt, je ne suis pas animé par un sentiment de vengeance. Moi je veux qu’on dépasse tout cela. Evidemment, il faut que la vérité soit dite, qu’il y ait une réconciliation nationale. Il y a des problèmes plus graves et nous savons qu’en 1990, il y a eu des exécutions sommaires et extrajudiciaires, des massacres contre des négro africains. Tant que ces problèmes ne sont pas réglés, on ne peut pas parier la pérennité de la Mauritanie et de sa viabilité.
Le Rénovateur : A Oualata, il y a eu des décédés parmi les détenus. Est-ce qu’ils tiennent une certaine place dans ce film ?
Fara Bâ : Bien évidemment, on a parlé de ceux qui sont morts dans la geôle de Oualata dans le film. Nous avons perdu Ken Youssou Guéye qui est mort à la prison de Néma, Taphsir Diop, Abdoul Khoudouss Bâ et Alassane Oumar Bâ. Dans le film, il y ales tombeaux qui sortent. C’est une scène de nuit très poignante et leurs photos ont apparu dans ce film.
Le Rénovateur : Merci.
Propos recueillis par Cheikh Tidiane Dia et Babacar Baye Ndiaye
source : Le Rénovateur Quotidien (Mauritanie) via cridem
Le Rénovateur : Comment une expérience carcérale a-t-elle pu inspirer un film ?
Fara Bâ : Ce film est né d’une rencontre entre le cinéaste belge Pierre Yves Vanderweerd et moi. Je lui ai raconté mon histoire en tant qu’ancien détenu politique du bagne de Oualata et l’histoire l’avait beaucoup bouleversée. De là nous avons voulu réaliser cette histoire.
C’est un film sur les droits humains. C’est un travail de mémoire que nous avons fait ensemble, un devoir de mémoire parce que celle-ci, il faut la préserver. Il faut donner de la valeur à la mémoire. C’est un film contre l’oubli. C’est très important de faire cette mise au point. Nous pensons également que ce film pourrait servir de thérapie en Mauritanie, parce que nous avons fait une véritable descente aux enfers pendant la garde-à-vue en prison. Nous avons subi les tortures les plus atroces et cela a été durement pénible.
Le Rénovateur : Pourquoi le choix sur votre personne pour faire la narration historique ?
Fara Bâ : Bon, c’est une rencontre par le biais d’amis. Un ami personnel précisément a permis cette relation et de parler des arrestations de 86, des conditions de détention. C’est de là qu’a germé l’idée de faire un tel film. Et c’est extrêmement important puisque le film doit être projeté ici en Mauritanie. Nous pensons qu’il va servir comme une sorte de cataclysme. Tout le monde saura que ce que nous avons vécu a été atroce et innommable. Et cela va pousser les mauritaniens à s’interroger, se poser des questions, qu’on se dise plus jamais ça dans notre pays. Cela est essentiel.
Le Rénovateur : Vous êtes le narrateur du film, du point de vue technique comment ça s’est passé ?
Fara Bâ : Je devrais dire d’emblée qu’il s’agit d’un film documentaire. Ce n’est pas une fiction. Je ne suis que le narrateur du film. Il y a un texte qu’il faut lire. Cette narration est soutenue par des images du quotidien de la Mauritanie parce que le cinéaste a pu filmer le fort, des scènes de vie quotidienne à Nouakchott, sur la route de l’espoir. Il y a également l’interview de mon épouse.
Le Rénovateur : Qu’est-ce que vous avez ressenti lorsqu’on vous a proposé de relater votre vie carcérale dans un film documentaire ?
Fara Bâ : Moi-même, j’ai beaucoup poussé Pierre à faire ce film là parce que pour moi c’était une nécessité. Et évidemment, je ne suis pas le seul à œuvrer pour la réalisation de ce genre de film. J’ai travaillé avec d’autres amis qui étaient avec moi en prison, avec des camarades d’infortune qui ont apporté leurs témoignages parce que ce film là c’est la somme de plusieurs témoignages.
Le Rénovateur : Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour faire un film sur votre vie carcérale alors que vous pouviez même le faire sous le régime de Taaya. Pourquoi un tel choix ?
Fara Bâ : Nous avons pensé que c’était périlleux de faire ce film à cette période. Parce que comme vous le savez, Taaya était un dictateur. Notre pays a vécu une dictature exécrable et détestable et qu’il aspirait à une pérennité. C’était donc risqué d’entreprendre ce film là. Donc on a attendu mais l’attente a été un peu longue parce que nous avons commencé à nous concerter depuis 1996.A un moment donné, j’ai dit à Pierre que nous allons faire ce film advienne que pourra parce qu’il faut que la mémoire soit préservée. Il faut lutter impérativement contre l’oubli.
Le Rénovateur : On sait très bien que la vie carcérale laisse des souvenirs inoubliables. A votre avis, est-ce que ce film a constitué pour vous une sorte de délivrance ?
Fara Bâ : La prison, elle est extrêmement dure surtout quand vous êtes privé de liberté, quand vous subissez l’enfermement. C’est toujours une expérience pénible. Quand on sort de prison, on en sort souvent diminué. Mais c’est bon de pouvoir extérioriser ce qu’on a enduré en prison. Je pense que ça sert aussi à décompresser. Je voulais dire malgré tout ce que nous avons enduré, les tortures, l’enfermement, la privation, je n’ai pas de rancune contre personne. Je ne suis pas animé par un quelconque désir de vengeance que ce soit.
Le Rénovateur : Et vous pensez en vue de tout cela que ce film aura un écho favorable en Mauritanie notamment chez certaines élites politiques ou lobbies ?
Fara Bâ : Je pense qu’avec la nouvelle donne en Mauritanie, il y a un changement extrêmement important. Il y a un processus démocratique très significatif qui a été enclenché. Je ne pense pas que le nouveau régime puisse brandir encore la censure. J’ai la ferme conviction que ce film va sortir et il est prévu qu’il sorte ici entre le 23 et le 29 juin. S’il sortait également, il faudrait qu’il y ait un débat après la visualisation du film par rapport aux dimensions droits de l’homme, culturelle, politique et mémorielle. Je pense que tout cela est essentiel.
Le Rénovateur : Pensez vous que ce film a pu restituer l’essentiel de cette période que vous avez ou bien est-ce que ça était une restitution parcellaire d’une grande souffrance que vous avez vécu ?
Fara Bâ : Je voudrai rappeler que dans ce film, il n y a aucune incitation à la violence ni à la haine. C’est un film documentaire tout simplement. Maintenant, restituer ce que nous avons vécu ce n’est pas possible. Mais je pense que l’essentiel a été dit dans ce film par rapport à ce que nous avons enduré. Ce film c’est par rapport à un vécu. Il y a des choses que j’ai vues, que j’ai endurées, des analyses que j’en ai faites. Et ce n’est pas certes comme cela l’évoquerait une personne qui n’a pas connu tout cela. Moi, je pense avoir dit l’essentiel sans choquer qui que ce soit, c’est mon sentiment. Il y a eu des réactions. Certains ont pensé qu’il fallait faire une fiction par rapport à ce vécu, qu’il fallait reconstituer les chaînes que nous avions aux pieds, les tortures que nous avons subies, les jaguars, la brique le soir où vous êtes à genoux…
Le Rénovateur : Vous avez partagé avec Boye Harouna la même cellule. Est-ce que son livre vous a été d’une certaine utilité dans le cadre de la réalisation de ce film ?
Fara Bâ : J’ai lu son livre il y a quelques temps mais j’avoue que je n’ai pas pris de notes après lecture du livre de mon ami Harouna Boye. Je me suis fondé sur mon expérience personnelle, sur ce que j’ai enduré, ce qui me reste dans la mémoire. Je ne me suis pas appuyé sur ce livre à vrai dire sur ce livre pour faire faire ce film.
Le Rénovateur : Que représente pour vous la prison de Oualata ?
Fara Bâ : Elle a été nommée le mouroir de Oualata. Je ne pense qu’il y ait en Mauritanie une prison aussi dure parce que la prison de Oualata est au même titre que celle de Tazmamarte au Maroc ou bien le camp Boiro en Guinée d’autres prisons tristement célèbres. Ça c’est une situation particulière parce que c’est des militants du FLAM qui ont été arrêtés. Il fallait les casser systématiquement, les humilier pour que ça serve de leçons et que d’autres ne tentent plus de poser les problèmes des négro africains et ceux de la cohabitation. Je pense que cette prison est assez spéciale pour moi parce que nous avions des arrêtés aux pieds, nous sommes restés cinq mois sans se laver, nous avons été torturés en prison sans compter les injures du lieutenant qui commandait le fort, on nous a traités de juifs, de sales nègres.
Le Rénovateur : Quelques années après cette période de braise, qu’est ce que vous éprouvez envers ceux qui vous ont torturé dans la geôle de Oualata ?
Fara Bâ : Je rencontre souvent mes tortionnaires. D’ailleurs dans ce film, cette situation est évoquée. On se salue, c’est comme si de rien n’était. On s’enquiert des nouvelles de la famille et ça s’arrête là. Comme je l’ai dit tantôt, je ne suis pas animé par un sentiment de vengeance. Moi je veux qu’on dépasse tout cela. Evidemment, il faut que la vérité soit dite, qu’il y ait une réconciliation nationale. Il y a des problèmes plus graves et nous savons qu’en 1990, il y a eu des exécutions sommaires et extrajudiciaires, des massacres contre des négro africains. Tant que ces problèmes ne sont pas réglés, on ne peut pas parier la pérennité de la Mauritanie et de sa viabilité.
Le Rénovateur : A Oualata, il y a eu des décédés parmi les détenus. Est-ce qu’ils tiennent une certaine place dans ce film ?
Fara Bâ : Bien évidemment, on a parlé de ceux qui sont morts dans la geôle de Oualata dans le film. Nous avons perdu Ken Youssou Guéye qui est mort à la prison de Néma, Taphsir Diop, Abdoul Khoudouss Bâ et Alassane Oumar Bâ. Dans le film, il y ales tombeaux qui sortent. C’est une scène de nuit très poignante et leurs photos ont apparu dans ce film.
Le Rénovateur : Merci.
Propos recueillis par Cheikh Tidiane Dia et Babacar Baye Ndiaye
source : Le Rénovateur Quotidien (Mauritanie) via cridem