Celui qui fait aujourd’hui office de président de l'AJD/MR après bien des péripéties politiques, s’y emploie à un exercice peu commun, où le tutoiement permanent à l’endroit d’un jamais-vu peut paraitre inhabituel à celui qui manquerait de voir que le parallélisme des souffrances, toutes proportions gardées, autorise ce genre de familiarité où le modèle est décrété comme proche.
[Cliquer pour écouter le CD1 sur pulaagu.com]
SARR
Secrétaire Général de
Action pour le Changement
Nouakchott
Mauritanie
A
Monsieur MADIBA ROHLILAHLA
Alias NELSON MANDELA Président
de la République de l’Afrique du Sud
PRETORIA
Madiba,
Nouakchott, le 16 mai 1996
Source: site de l'AJD/MR
IMS y fait œuvre de pédagogie en tentant d’expliquer à Madiba la souffrance des noirs en Mauritanie. Fidèle au principe de pédagogie dans cet exercice, le rescapé de Walata, par ailleurs poète de grande renommée, envisage la production de deux CD audio dans lesquels le livre de Mandela ‘’ Un long chemin vers la liberté ’’, sera mis à la portée des locuteurs de langue Pulaar dans un récit conté.
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SARR
Secrétaire Général de
Action pour le Changement
Nouakchott
Mauritanie
A
Monsieur MADIBA ROHLILAHLA
Alias NELSON MANDELA Président
de la République de l’Afrique du Sud
PRETORIA
Madiba,
Je formule le vœu que, celui qui aura la charge de te transmettre cette lettre mesure l’intérêt pour moi et pour tout un peuple ; qu’elle te parvienne et que tu la lises personnellement afin que tu te rendes compte encore une fois, combien tu as raison.
Celui qui t’écrit ces lignes a «bu» UN LONG CHEMIN VERS LA LIBERTE. Il ne t’a que trop compris.
En effet Madiba, même si tu refuses par modestie de te rendre à l’évidence, comme un prophète de notre temps, c’ est toi que DIEU le TOUT Puissant a envoyé pour libérer le peuple sud-africain de la misère humaine dans laquelle l’avait plongé l’intolérance.
Je te tutoie sans effort, Madiba, car ta geste m’a redonné espoir et à chacune de tes lignes, j’ai cru que tu écrivais pour moi, comme tu vas t’en rendre compte. Oui, les Walter et Kathy ont eu raison de te demander de rédiger cette autobiographie. Toi seul pouvais le faire avec autant de sensibilité, autant de simplicité et d’amour du pardon ; mais aussi, avec autant de haine pour l’injustice et l’intolérance.
Je suis né en 1949, trente ans après toi, ma deuxième arrestation a eu lieu le 04 septembre 1986, vingt-deux ans après ta dernière arrestation. J’ai fait seulement le 7è de tes années de prison, c’est-à-dire 4 ans.
En 1974, j’avais été surpris par la police pendant que j’apprenais à lire et écrire dans ma langue maternelle. Alors, j’ai été jugé et j’ai bénéficié d’un non-lieu. Pour ma deuxième arrestation cette fois-ci, j’ai été d’abord enfermé dans la prison civile de Nouakchott où nous avons connu, mes camarades et moi, une période de réclusion totale. Quelques mois avant cette arrestation, une délégation de l’ANC (African National Congress) était à Nouakchott dans le cadre de la popularisation de sa lutte. Tout en la soutenant et devant les autorités mauritaniennes, nous avions crié haut et fort dans la salle : «Dites aux frères noirs d’Afrique du Sud, que l’apartheid existe aussi chez nous !». Nous avions aussi lancé le slogan « Libérez Mandela ! ». La police nous chassa et nous transformions notre débandade en manifestation dans les rues de Nouakchott.
Nous n’avions pas été arrêtés pour avoir créé comme toi, une branche armée des FLAM (Forces de Libération Africaines de Mauritanie). Nous avions seulement rédigé «le Manifeste du Négro Mauritanien Opprimé» : un solide réquisitoire contre la domination des maures blancs (Beydane) sur l’ensemble des noirs de Mauritanie. Nous avions été arrêtés par des Beydane, gardés par des Beydane et jugés par des Beydane et nous étions tous des négro-africains. La sentence maximale pour un tel délit : cinq ans de réclusion totale avec interdiction de séjour dans les principales villes du pays pendant dix ans, en plus d’une amande de 100.000 Ouguiya soit, à l’époque, 1.500 Dollars.
Après un an et demi passé dans la prison de Nouakchott, nous avons été parqués comme des animaux, dans un camion remorque pour parcourir 1.300 Km vers le Nord-Est, dans la région la plus inaccessible du pays. Le Fort de WALATA qui a été rebaptisé par la presse internationale « Mouroir de Walata » a vu périr quatre d’entre nous dont un ancien Ministre, DJIGO TAFSIROU et le célèbre écrivain poète TENE YOUSSOUF GUEYE, qui était par ailleurs mon beau-père et ami. Tous ces décès dus aux mauvais traitements et une mauvaise alimentation ont eu lieu en l’espace de 8 mois seulement, après notre arrivée au fort.
Devant la réaction de la Communauté internationale et les ONG des droits de l’Homme d’une part, et l’emballement de la presse de l’autre (presse qui annonçait au fur et à mesure les décès, parfois sans fondement d’ailleurs, comme par exemple ma propre mort, provoquant ainsi un grand émoi parmi mes confrères journalistes africains qui me connaissaient bien), le Gouvernement s’est vu obligé de nous transférer à un endroit plus clément et plus accessible à près de 900 km de Nouakchott, au Fort de AIOUN EL ATROUSS. Mais, à cette même période, un grand drame attendait notre peuple. A la faveur d’un conflit avec le Sénégal, pays voisin accusé par l’Etat mauritanien de supporter notre cause, notre pays fut plongé dans une épuration ethnique sans précédent où la police à côté de groupes de Beydanes racistes massacra des centaines de noirs, tout en déportant plus de 60.000 autres vers le Sénégal et le Mali. Après la défaite de Saddam Hussein dont il était parmi les rares soutiens à travers le monde, le gouvernement mauritanien fut enfin obligé de nous libérer après quatre années de détention. La Mauritanie était en ce moment isolée diplomatiquement.
Madiba,
Moi aussi je suis né dans un petit village au bord du fleuve. J’ai connu les mêmes joies d’une enfance sans soucis, une enfance de liberté malgré la rigueur d’un père très fier et autoritaire, un vieux rescapé de la première guerre mondiale qui nous a malheureusement quitté très tôt. J’ai été à l’école des blancs après l’apprentissage de quelques versets du Coran et l’initiation par la circoncision au village presque dans les mêmes conditions que tu as merveilleusement décrites. Comme toi, j’ai eu un premier mariage qui m’a donné deux filles. J’ai connu un deuxième mariage avec la fille de TENE YOUSSOUF GUEYE, qui a dû supporter toute seule les années difficiles de mon incarcération comme le faisait en son temps WINNY MANDELA.
Je suis journaliste de RADIO et TELEVISION, et c’est moi qui ai fait démarrer les premières émissions de Télévision de Mauritanie pour être le premier journaliste mauritanien formé dans ce domaine à L’Université de DAKAR (Sénégal). J’ai connu beaucoup de gloire dans ce métier en Mauritanie et à travers le monde où mes différents reportages ont pu me conduire. Ainsi, avant mon arrestation, en plus de l’Afrique, j’ai visité l’Europe, l’Amérique du Nord (USA, CANADA) et l’Asie (COREE DU SUD). J’ai également eu beaucoup d’amertume du fait de la politique raciale de mon pays qui m’empêchait de m’exprimer comme je pouvais et surtout, devais le faire.
Moi aussi j’ai connu en prison ces moments d’angoisse et de tristesse mêlés à un certain sentiment de culpabilité, quand je pensais à ma vielle mère, restée toute seule au village, sans assistance. Et je me suis posé les mêmes questions que toi : avais-je raison de l’abandonner ainsi en me consacrant entièrement à la lutte pour la libération du peuple, elle et mes filles qui n’ont presque pas connu leur père ?
A ma libération, je suis allé la voir au village. En route, je priais DIEU de faire en sorte qu’elle soit la première à me voir et me serrer dans ses bras (chez nous cela est permis). Quand je suis arrivé dans notre concession personne n’avait remarqué ma présence ; il faisait nuit et le village dormait. Ma mère elle, ne dormait pas elle était assise face à l’Est, comme dans les moments de prières pour les musulmans. Lorsque je l’ai approchée et décliné mon identité, elle a simplement appelé les voisins au secours exactement comme l’avait ta maman qui t’avait pris pour un fantôme à ton retour de clandestinité! Dix minutes après, tout le village a dansé jusqu’au petit matin, pour le retour du mort parmi les vivants…
Malgré l’amnistie décrétée par le gouvernement qui éteint ainsi tout notre passé délictuel aux yeux de la loi, et malgré la décision du chef de l’Etat le Colonel MAOUIYA, responsable en chef de toutes les exactions décrites, de faire revenir le pays à un régime civile après une parenthèse de 12 ans de dictature militaire, ma situation administrative comme celle de tous mes anciens camarades de prison n’a pas changé. Nous n’avons pas été réintégrés dans nos fonctions respectives. Nous n’en continuons pas moins notre lutte par les moyens qui sont à notre disposition. En fait, la démocratie amorcée depuis 1991 et qui a permis à MAOUIYA de se faire élire par la force et la fraude, appuyé par les puissances occidentales qui ont des intérêts solides dans la pêche et les mines de Mauritanie, cette démocratie donc, ne nous donne que la «liberté» de dire tout haut, ce que nous avions écrit dans la clandestinité et qui nous avait valu la prison et la mort en détention.
Le mouvement que nous avions créé en 1983, les FLAM (Forces de Libération Africaines de Mauritanie) est une fusion de trois autres organisations clandestines : l’UDM (Union Démocratique Mauritanienne) que certains amis et moi-même avions mis sur pied en 1979, l’ODINAM (Organisation pour la Défense des Intérêts des Négro-africains de Mauritanie) et le MPAM (Mouvement Populaire Africain) qui sont des dissidences de l’UDM. Les FLAM ont connu les mêmes dissensions internes, et les mêmes tentations aux extrêmes que l’ANC dans ses rapports avec le P.C le PAC ou Conscience Noire.
Moi aussi j’ai combattu ces tentations dans les rangs du mouvement. Je me suis opposé à des actions que j’estimais suicidaires. J’ai refusé de cautionner une grève de la faim en prison exactement comme tu l’avais fait.
C’était pour ma part beaucoup plus pour des raisons religieuses. En tant que musulman je considérais que nous n’avions pas le droit de détériorer volontairement notre santé ce qui peut entraîner la mort et constituer ainsi un suicide, chose que l’Islam proscrit.
En lisant ton autobiographie, j’ai mesuré ton courage qui frise la témérité. Moi je ne suis pas assez courageux à mon goût.
Je trouve que souvent la chance sinon la protection de DIEU a été au rendez-vous avec toi.
D’après ton récit tu n’as jamais été physiquement brutalisé par les geôliers. Lorsque à WALATA un des nôtres qui protestait contre les chaînes que nous portions aux chevilles et qui nous écorchaient la peau, a dit au commandant du Fort que cette situation lui rappelle la traite négrière, il a été ligoté et couché sur le ventre et battu à sang. Il n’était pas question de tribunal pour nous en prison. Nous n’avions aucun droit. Nous n’avions même pas des devoirs, nous étions seulement obligés et contraints sous peine de tortures. Je dois dire à la décharge des racistes sud-africains qu’eux au moins, étaient respectueux des lois qu’ils avaient adoptées ; même si elles sont d’essence raciste. Ce n’est pas le cas en Mauritanie. Les juges ne jugent pas, ils prononcent le verdict déjà décidé par les autorités – les avocats sont parfois mis dans l’impossibilité de plaider.
Madiba,
Aujourd’hui je suis le Secrétaire Général (2ème personnalité) du Parti Action pour le Changement (AC) qui regroupe toutes les communautés ethniques du Pays. Le Président du Parti est un descendant d’anciens esclaves de Beydanes (blancs). La communauté dont il est issu a été longtemps asservie par les Beydanes (blancs),La Mauritanie n’a aboli officiellement l’esclavage qu’en 1980. Mais aujourd’hui cette pratique inhumaine existe encore dans le Pays. Ces anciens esclaves (haratines) représentent plus de 40% de la population. Ils sont les moins instruits les plus exploités et les plus opprimés de la société mauritanienne ; car, certains d’entre eux trouvent toujours normal de travailler pour le maître blanc. Il parait que « cela ouvre les portes du paradis »... En effet, une fausse interprétation de l’Islam favorise la pérennité du système. Ce sont ces maîtres blancs qui représentent selon certaines statistiques non officielles moins de 30 % de la population, qui utilisent les haratines pour s’attaquer aux autres noirs – (les Pulaar, Wolof et Soninké)- Ils l’avaient déjà fait en 1966 et l’ont réédité en 1989-1990.
Notre Parti, Action pour le Changement a décidé de régler cette question nationale et sociale de manière définitive dans le cadre d’un projet de société qui donne toute sa place à l’Homme, sa liberté et aux valeurs de l’humanité. AC est devenu en moins de deux ans d’existence le principal parti d’opposition au régime chauvin et dictatorial. Il inquiète les tenants du système qui cherchent par tous les moyens à neutraliser ses dirigeants ou à l’interdire.
Les Beydanes (blancs) contrôlent toute l’économie du pays, toute l’administration, l’armée et les forces de sécurité, l’appareil judiciaire.
Nous avons dû, mes camarades et moi, faire preuve de beaucoup de patience et de tact politique pour faire accepter les idées que nous avions toujours défendues par certains groupes politiques maures blancs. Ils ont accepté de signer avec nous la Charte du Front des Partis d’Opposition pour combattre le régime qui s’agrippe à ses privilèges, et instaurer un système plus humain parce que solidaire et démocratique.
Madiba,
Dans mon salon, traîne une belle photo de toi, car je pense que les africains n’ont plus besoin d’aller chercher un modèle. Tu incarnes toutes les luttes pour la libération de l’homme et des peuples. Tu es l’espoir du dialogue humain et le symbole vivant de la capacité de l’homme africain à réaliser les rêves impossibles.
Je sais que la plus grande lutte pour toi, a commencé dès ta libération. Que l’unité de notre continent, seul moyen de lui faire jouer son rôle historique, est aujourd’hui ta préoccupation essentielle.
Je te demande d’être attentif à notre lutte ici en Mauritanie et d’apporter ta contribution en tant que combattant pour la liberté et en tant que Chef de l’Etat le plus puissant d’Afrique, pour que le racisme et l’esclavage disparaissent à jamais de mon Pays.
Baba Mall, le musicien Sénégalais que tu as reçu récemment est un vieil ami. Il a repris dix de mes compositions poétiques. Ses chansons avaient été interdites de diffusion, lui-même déclaré persona non grata en Mauritanie à cause de notre amitié.
J’ai décidé de reprendre « UN LONG CHEMIN VERS LA LIBERTE » sous forme d’un récit oral dans ma langue maternelle le Pulaar (fulfuldé) parlé de la Mauritanie au Nigéria. Je veux le faire sous forme de cassette audio. Cela permettra à beaucoup de gens qui ne savent pas lire, de bien connaitre l’histoire d’un certain Rolihlahla de Mvezo le fils de Gedla Henry Mphakanyiswe et de Nozeki Fanny.
Longue vie a toi ! Celui qui t’écrit ces lignes a «bu» UN LONG CHEMIN VERS LA LIBERTE. Il ne t’a que trop compris.
En effet Madiba, même si tu refuses par modestie de te rendre à l’évidence, comme un prophète de notre temps, c’ est toi que DIEU le TOUT Puissant a envoyé pour libérer le peuple sud-africain de la misère humaine dans laquelle l’avait plongé l’intolérance.
Je te tutoie sans effort, Madiba, car ta geste m’a redonné espoir et à chacune de tes lignes, j’ai cru que tu écrivais pour moi, comme tu vas t’en rendre compte. Oui, les Walter et Kathy ont eu raison de te demander de rédiger cette autobiographie. Toi seul pouvais le faire avec autant de sensibilité, autant de simplicité et d’amour du pardon ; mais aussi, avec autant de haine pour l’injustice et l’intolérance.
Je suis né en 1949, trente ans après toi, ma deuxième arrestation a eu lieu le 04 septembre 1986, vingt-deux ans après ta dernière arrestation. J’ai fait seulement le 7è de tes années de prison, c’est-à-dire 4 ans.
En 1974, j’avais été surpris par la police pendant que j’apprenais à lire et écrire dans ma langue maternelle. Alors, j’ai été jugé et j’ai bénéficié d’un non-lieu. Pour ma deuxième arrestation cette fois-ci, j’ai été d’abord enfermé dans la prison civile de Nouakchott où nous avons connu, mes camarades et moi, une période de réclusion totale. Quelques mois avant cette arrestation, une délégation de l’ANC (African National Congress) était à Nouakchott dans le cadre de la popularisation de sa lutte. Tout en la soutenant et devant les autorités mauritaniennes, nous avions crié haut et fort dans la salle : «Dites aux frères noirs d’Afrique du Sud, que l’apartheid existe aussi chez nous !». Nous avions aussi lancé le slogan « Libérez Mandela ! ». La police nous chassa et nous transformions notre débandade en manifestation dans les rues de Nouakchott.
Nous n’avions pas été arrêtés pour avoir créé comme toi, une branche armée des FLAM (Forces de Libération Africaines de Mauritanie). Nous avions seulement rédigé «le Manifeste du Négro Mauritanien Opprimé» : un solide réquisitoire contre la domination des maures blancs (Beydane) sur l’ensemble des noirs de Mauritanie. Nous avions été arrêtés par des Beydane, gardés par des Beydane et jugés par des Beydane et nous étions tous des négro-africains. La sentence maximale pour un tel délit : cinq ans de réclusion totale avec interdiction de séjour dans les principales villes du pays pendant dix ans, en plus d’une amande de 100.000 Ouguiya soit, à l’époque, 1.500 Dollars.
Après un an et demi passé dans la prison de Nouakchott, nous avons été parqués comme des animaux, dans un camion remorque pour parcourir 1.300 Km vers le Nord-Est, dans la région la plus inaccessible du pays. Le Fort de WALATA qui a été rebaptisé par la presse internationale « Mouroir de Walata » a vu périr quatre d’entre nous dont un ancien Ministre, DJIGO TAFSIROU et le célèbre écrivain poète TENE YOUSSOUF GUEYE, qui était par ailleurs mon beau-père et ami. Tous ces décès dus aux mauvais traitements et une mauvaise alimentation ont eu lieu en l’espace de 8 mois seulement, après notre arrivée au fort.
Devant la réaction de la Communauté internationale et les ONG des droits de l’Homme d’une part, et l’emballement de la presse de l’autre (presse qui annonçait au fur et à mesure les décès, parfois sans fondement d’ailleurs, comme par exemple ma propre mort, provoquant ainsi un grand émoi parmi mes confrères journalistes africains qui me connaissaient bien), le Gouvernement s’est vu obligé de nous transférer à un endroit plus clément et plus accessible à près de 900 km de Nouakchott, au Fort de AIOUN EL ATROUSS. Mais, à cette même période, un grand drame attendait notre peuple. A la faveur d’un conflit avec le Sénégal, pays voisin accusé par l’Etat mauritanien de supporter notre cause, notre pays fut plongé dans une épuration ethnique sans précédent où la police à côté de groupes de Beydanes racistes massacra des centaines de noirs, tout en déportant plus de 60.000 autres vers le Sénégal et le Mali. Après la défaite de Saddam Hussein dont il était parmi les rares soutiens à travers le monde, le gouvernement mauritanien fut enfin obligé de nous libérer après quatre années de détention. La Mauritanie était en ce moment isolée diplomatiquement.
Madiba,
Moi aussi je suis né dans un petit village au bord du fleuve. J’ai connu les mêmes joies d’une enfance sans soucis, une enfance de liberté malgré la rigueur d’un père très fier et autoritaire, un vieux rescapé de la première guerre mondiale qui nous a malheureusement quitté très tôt. J’ai été à l’école des blancs après l’apprentissage de quelques versets du Coran et l’initiation par la circoncision au village presque dans les mêmes conditions que tu as merveilleusement décrites. Comme toi, j’ai eu un premier mariage qui m’a donné deux filles. J’ai connu un deuxième mariage avec la fille de TENE YOUSSOUF GUEYE, qui a dû supporter toute seule les années difficiles de mon incarcération comme le faisait en son temps WINNY MANDELA.
Je suis journaliste de RADIO et TELEVISION, et c’est moi qui ai fait démarrer les premières émissions de Télévision de Mauritanie pour être le premier journaliste mauritanien formé dans ce domaine à L’Université de DAKAR (Sénégal). J’ai connu beaucoup de gloire dans ce métier en Mauritanie et à travers le monde où mes différents reportages ont pu me conduire. Ainsi, avant mon arrestation, en plus de l’Afrique, j’ai visité l’Europe, l’Amérique du Nord (USA, CANADA) et l’Asie (COREE DU SUD). J’ai également eu beaucoup d’amertume du fait de la politique raciale de mon pays qui m’empêchait de m’exprimer comme je pouvais et surtout, devais le faire.
Moi aussi j’ai connu en prison ces moments d’angoisse et de tristesse mêlés à un certain sentiment de culpabilité, quand je pensais à ma vielle mère, restée toute seule au village, sans assistance. Et je me suis posé les mêmes questions que toi : avais-je raison de l’abandonner ainsi en me consacrant entièrement à la lutte pour la libération du peuple, elle et mes filles qui n’ont presque pas connu leur père ?
A ma libération, je suis allé la voir au village. En route, je priais DIEU de faire en sorte qu’elle soit la première à me voir et me serrer dans ses bras (chez nous cela est permis). Quand je suis arrivé dans notre concession personne n’avait remarqué ma présence ; il faisait nuit et le village dormait. Ma mère elle, ne dormait pas elle était assise face à l’Est, comme dans les moments de prières pour les musulmans. Lorsque je l’ai approchée et décliné mon identité, elle a simplement appelé les voisins au secours exactement comme l’avait ta maman qui t’avait pris pour un fantôme à ton retour de clandestinité! Dix minutes après, tout le village a dansé jusqu’au petit matin, pour le retour du mort parmi les vivants…
Malgré l’amnistie décrétée par le gouvernement qui éteint ainsi tout notre passé délictuel aux yeux de la loi, et malgré la décision du chef de l’Etat le Colonel MAOUIYA, responsable en chef de toutes les exactions décrites, de faire revenir le pays à un régime civile après une parenthèse de 12 ans de dictature militaire, ma situation administrative comme celle de tous mes anciens camarades de prison n’a pas changé. Nous n’avons pas été réintégrés dans nos fonctions respectives. Nous n’en continuons pas moins notre lutte par les moyens qui sont à notre disposition. En fait, la démocratie amorcée depuis 1991 et qui a permis à MAOUIYA de se faire élire par la force et la fraude, appuyé par les puissances occidentales qui ont des intérêts solides dans la pêche et les mines de Mauritanie, cette démocratie donc, ne nous donne que la «liberté» de dire tout haut, ce que nous avions écrit dans la clandestinité et qui nous avait valu la prison et la mort en détention.
Le mouvement que nous avions créé en 1983, les FLAM (Forces de Libération Africaines de Mauritanie) est une fusion de trois autres organisations clandestines : l’UDM (Union Démocratique Mauritanienne) que certains amis et moi-même avions mis sur pied en 1979, l’ODINAM (Organisation pour la Défense des Intérêts des Négro-africains de Mauritanie) et le MPAM (Mouvement Populaire Africain) qui sont des dissidences de l’UDM. Les FLAM ont connu les mêmes dissensions internes, et les mêmes tentations aux extrêmes que l’ANC dans ses rapports avec le P.C le PAC ou Conscience Noire.
Moi aussi j’ai combattu ces tentations dans les rangs du mouvement. Je me suis opposé à des actions que j’estimais suicidaires. J’ai refusé de cautionner une grève de la faim en prison exactement comme tu l’avais fait.
C’était pour ma part beaucoup plus pour des raisons religieuses. En tant que musulman je considérais que nous n’avions pas le droit de détériorer volontairement notre santé ce qui peut entraîner la mort et constituer ainsi un suicide, chose que l’Islam proscrit.
En lisant ton autobiographie, j’ai mesuré ton courage qui frise la témérité. Moi je ne suis pas assez courageux à mon goût.
Je trouve que souvent la chance sinon la protection de DIEU a été au rendez-vous avec toi.
D’après ton récit tu n’as jamais été physiquement brutalisé par les geôliers. Lorsque à WALATA un des nôtres qui protestait contre les chaînes que nous portions aux chevilles et qui nous écorchaient la peau, a dit au commandant du Fort que cette situation lui rappelle la traite négrière, il a été ligoté et couché sur le ventre et battu à sang. Il n’était pas question de tribunal pour nous en prison. Nous n’avions aucun droit. Nous n’avions même pas des devoirs, nous étions seulement obligés et contraints sous peine de tortures. Je dois dire à la décharge des racistes sud-africains qu’eux au moins, étaient respectueux des lois qu’ils avaient adoptées ; même si elles sont d’essence raciste. Ce n’est pas le cas en Mauritanie. Les juges ne jugent pas, ils prononcent le verdict déjà décidé par les autorités – les avocats sont parfois mis dans l’impossibilité de plaider.
Madiba,
Aujourd’hui je suis le Secrétaire Général (2ème personnalité) du Parti Action pour le Changement (AC) qui regroupe toutes les communautés ethniques du Pays. Le Président du Parti est un descendant d’anciens esclaves de Beydanes (blancs). La communauté dont il est issu a été longtemps asservie par les Beydanes (blancs),La Mauritanie n’a aboli officiellement l’esclavage qu’en 1980. Mais aujourd’hui cette pratique inhumaine existe encore dans le Pays. Ces anciens esclaves (haratines) représentent plus de 40% de la population. Ils sont les moins instruits les plus exploités et les plus opprimés de la société mauritanienne ; car, certains d’entre eux trouvent toujours normal de travailler pour le maître blanc. Il parait que « cela ouvre les portes du paradis »... En effet, une fausse interprétation de l’Islam favorise la pérennité du système. Ce sont ces maîtres blancs qui représentent selon certaines statistiques non officielles moins de 30 % de la population, qui utilisent les haratines pour s’attaquer aux autres noirs – (les Pulaar, Wolof et Soninké)- Ils l’avaient déjà fait en 1966 et l’ont réédité en 1989-1990.
Notre Parti, Action pour le Changement a décidé de régler cette question nationale et sociale de manière définitive dans le cadre d’un projet de société qui donne toute sa place à l’Homme, sa liberté et aux valeurs de l’humanité. AC est devenu en moins de deux ans d’existence le principal parti d’opposition au régime chauvin et dictatorial. Il inquiète les tenants du système qui cherchent par tous les moyens à neutraliser ses dirigeants ou à l’interdire.
Les Beydanes (blancs) contrôlent toute l’économie du pays, toute l’administration, l’armée et les forces de sécurité, l’appareil judiciaire.
Nous avons dû, mes camarades et moi, faire preuve de beaucoup de patience et de tact politique pour faire accepter les idées que nous avions toujours défendues par certains groupes politiques maures blancs. Ils ont accepté de signer avec nous la Charte du Front des Partis d’Opposition pour combattre le régime qui s’agrippe à ses privilèges, et instaurer un système plus humain parce que solidaire et démocratique.
Madiba,
Dans mon salon, traîne une belle photo de toi, car je pense que les africains n’ont plus besoin d’aller chercher un modèle. Tu incarnes toutes les luttes pour la libération de l’homme et des peuples. Tu es l’espoir du dialogue humain et le symbole vivant de la capacité de l’homme africain à réaliser les rêves impossibles.
Je sais que la plus grande lutte pour toi, a commencé dès ta libération. Que l’unité de notre continent, seul moyen de lui faire jouer son rôle historique, est aujourd’hui ta préoccupation essentielle.
Je te demande d’être attentif à notre lutte ici en Mauritanie et d’apporter ta contribution en tant que combattant pour la liberté et en tant que Chef de l’Etat le plus puissant d’Afrique, pour que le racisme et l’esclavage disparaissent à jamais de mon Pays.
Baba Mall, le musicien Sénégalais que tu as reçu récemment est un vieil ami. Il a repris dix de mes compositions poétiques. Ses chansons avaient été interdites de diffusion, lui-même déclaré persona non grata en Mauritanie à cause de notre amitié.
J’ai décidé de reprendre « UN LONG CHEMIN VERS LA LIBERTE » sous forme d’un récit oral dans ma langue maternelle le Pulaar (fulfuldé) parlé de la Mauritanie au Nigéria. Je veux le faire sous forme de cassette audio. Cela permettra à beaucoup de gens qui ne savent pas lire, de bien connaitre l’histoire d’un certain Rolihlahla de Mvezo le fils de Gedla Henry Mphakanyiswe et de Nozeki Fanny.
Nouakchott, le 16 mai 1996
Source: site de l'AJD/MR