Premier président du Tanganyika indépendant, créateur de la Tanzanie, promoteur du socialisme africain, ''l’Ujamaa'', panafricaniste convaincu, membre fondateur de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), pilier des mouvements de libération africains, Julius Nyerere est l’un des hommes d’Etat africains qui a marqué le 20ème siècle.
Julius Nyerere, est né en 1922 à Butiama, près des chutes du lac victoria, dans le territoire du Tanganyika alors administré par les britanniques. Il commence à fréquenter l’école à l’âge de 12 ans (en 1934) et se révèle rapidement bon élève. Il obtient un certificat d’enseignant à l’université de Makerere à Kampala en Ouganda, et commence à enseigner dans une école catholique à Tabora de 1946 à 1949.
Puis grâce à une bourse gouvernementale, il va poursuivre des études à l’université d’Edinburgh, d’où il sort diplômé en 1952 (il obtient l’équivalent d’une licence). Un diplôme qui fait de lui le premier habitant du Tanganyika à obtenir un diplôme universitaire. Son métier d'enseignant lui vaudra plus tard le surnom de "Mwalimu" qui signifie "le professeur" en langue swahili.
Lors de son séjour à l’université d’Edinburgh, il est membre du conseil écossais pour les questions africaines qui exerce à l’époque un lobbying contre la présence croissante blanche dans la zone du Tanganyika. C’est à l’université d’Edinburgh que Nyerere commence à se forger ses idées politiques, sur le socialisme notamment, qu’il adoptera jusqu’à la fin de ses jours. De retour dans son pays en 1953, il épouse Maria Magige (ils auront cinq garçons et deux filles).
La quête de l'indépendance
En 1954, Julius Nyerere crée un parti politique, la TANU (Tanganyika African National Union) et s’attaque à d’incroyables obstacles : le Tanganyika est un pays pauvre : les sols sont pauvres, les pluies tombent rarement et il y a peu de ressources naturelles. En 55 et 56, Nyerere se rend à l’ONU pour demander l’établissement d’une date butoir concernant l’indépendance du Tanganyika.
Bien que cette requête fut rejetée par la Grande-Bretagne, Nyerere était devenu incontournable, et fut nommé à l’assemblée législative du Tanganyika. En 1957, seulement 10 % de la population du Tanganyika sait lire et écrire, seulement 5% des personnes éligibles fréquentent l’école primaire. Les rares terres fertiles sont entre les mains de colons blancs.
La TANU ne se concentre pas immédiatement sur l’obtention de l’indépendance, mais sur l’amélioration des conditions de vie et des conditions de travail. L’adhésion de la population est massive : l’année de sa création, plus de 200 000 personnes adhèrent au parti. La montée en puissance de la TANU est mal vue par les autorités coloniales qui essayent de la contrecarrer, encourageant même la création de partis politiques rivaux.
Mais sous la pression de Londres, les autorités coloniales organisent en 1958 les premières élections législatives dans le pays. Les candidats de la TANU remportent les 15 sièges. En 60, de nouvelles élections ont lieu, également remportées par la TANU. Julius Nyerere entame des discussions avec la Grande-Bretagne et l’ONU au sujet de l’indépendance, qui est finalement obtenue en 1961 ; Nyerere est premier ministre, et prône un "socialisme démocratique comme forme de gouvernement".
Il prône l’existence d’un parti unique permettant la "liberté d’opposition", mais pas "une opposition organisée" Il justifie sa décision par le fait que les attaques extérieures peuvent diviser un Tanganyika encore fragile tandis que des individus irresponsables peuvent mettre à mal l’unité du pays. Il considère le parti unique comme nécessaire à la stabilité.
Partisan de l’unité africaine, il pense que les tentatives de diviser l’Afrique viendront des grandes puissances qui utiliseront les nations africaines les unes contre les autres pour atteindre leurs objectifs. En 62, Nyerere démissionne de son poste de premier ministre, et fait le tour du pays pour expliquer sa philosophie, et faire campagne pour la TANU.
En décembre 62, de nouvelles élections ont lieu, et Nyerere est élu, devenant ainsi le premier président du Tanganyika qui devient une république. En juin 63, Nyerere est nommé chancelier de l’université d’Afrique de l’Est et en 65 sponsorise la tenue d’un congrès international d’historiens africains en Tanzanie. Séduit par les idées de Nyerere, le guyanais Walter Rodney enseignera ainsi en Tanzanie.
L'unité africaine et le soutien aux mouvements de libération
Nyerere est également un panafricaniste convaincu : en 1958, il alors qu’il assiste aux cérémonies d’indépendance du Ghana, il a l’occasion de discuter avec George Padmore et Kwame Nkrumah des contours de ce qui allait devenir la AACP (All African People Party), une organisation mise en place par George Padmore pour promouvoir le panafricanisme. En compagnie de Tom Mboya et Joseph Murumbi, Nyerere discute également des contours ce qui va devenir le mouvement panafricain pour l’Afrique centrale et de l’Est (PAFMECA), une organisation régionale qui allait exister jusqu’en 77.
En 63, Nyerere réitéra la volonté selon laquelle il devait y avoir une réelle unité africaine : "notre but doit être d’arriver aux Etats-Unis d’Afrique" affirmait-il. Mais lui ainsi que les panafricanistes les plus ardents, dont faisaient partie Nkrumah et l’égyptien Gamal Abdel Nasser, sortirent perdants des débats qui eurent lieu à Addis Abeba à l’occasion de la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). Finalement aucun plan d’unification entre Etats africains ne fut proposé.
La même année, un coup d’Etat mené par le parti de l’Umma renversa le gouvernement de Zanzibar qui avait obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne en 63. La réunification entre Zanzibar et le Tanganyika donna naissance à la Tanzanie en 1964. Nyerere instaura le parti unique l’année suivante. La signature d’un accord avec le parti de l’Umma (dirigé par Cheikh Abed Karume), d’essence communiste plongea la Tanzanie dans la guerre froide car l’aide extérieure, qui provenait essentiellement des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne s’assécha.
Nationaliste convaincu, Nyerere apporta tout son soutien aux mouvements de libération africains, comme l’ANC (African National Congress) et le PAC (Panafrican Congress) qui luttaient contre l’apartheid en Afrique du Sud, le Frelimo (Front de libération du Mozambique), et la Zanla (Zimbabwe African National Liberation Army).
La Zanla qui était la branche armée de la Zanu (Zimbabwe African National Union, actuel parti au pouvoir au Zimbabwe NDLR) luttait contre le régime pro-apartheid institué par la minorité blanche dans ce qui s’appelait alors la Rhodésie. La Tanzanie boycottait les biens sud-africains et n’acceptaient pas que les vols à destination de l’Afrique du Sud fassent escale sur son territoire, et accueillait des réfugiés provenant de pays comme le Rwanda, le Burundi, le Zaïre, le Mozambique...[Entre 500 000 et 1 millions de réfugiés vécurent ainsi en Tanzanie]
En 1965, la Tanzanie fut l’un des sept pays à suivre une résolution de l’Union Africaine demandant la rupture des liens diplomatiques avec la Grande-Bretagne si elle n’intervenait pas contre la déclaration unilatérale de Ian Smith, le dirigeant blanc de la Rhodésie (futur Zimbabwé) raciste. Ian Smith avait en effet déclaré unilatéralement l’indépendance de la Rhodésie qu’il entendait gouverner sur un mode proche de l’apartheid en Afrique du Sud.
Nyerere s’opposa également à une participation africaine à la guerre du Vietnam ou à l’intervention belge au Congo. Ces prises de position qui étaient moins pro-occidentales qu’à ses débuts, coûtèrent cher financièrement à la Tanzanie (83% du budget de développement 1964-65 venait de l’aide extérieure), tandis que la situation économique ne s’améliorait pas aussi vite que Nyerere l’aurait souhaité. Des grèves eurent lieu, ainsi qu’une mutinerie de l’armée qui ne fut contenue qu’avec l’aide britannique.
L'Ujamaa et le discours d'Arusha
En 1967, Nyerere annonça lors de la célèbre déclaration d’Arusha la mise en place d’un socialisme africain appelé "Ujamaa" ainsi que la politique de la "self reliance", c’est-à-dire la volonté de ne compter que sur soi-même. L’Ujamaa était fondé sur le développement rural à travers les villages, et un système de collectivisation du système agricole du pays.
L’Ujamaa était pour Nyerere un prolongement des systèmes communautaires, traditionnels et familiaux africains qui existaient avant l’arrivée des impérialistes en Afrique. L’Ujamaa était aussi une répudiation du capitalisme, et Nyerere pensait qu’avec la mise en place de l’Ujamaa, le développement agricole suivrait, les paysans pourraient bénéficier plus facilement de l’accès à l’éducation et aux services médicaux.
Plus de 10 millions de paysans furent déplacés, leurs terres confisquées pour la pratique d’une agriculture collective. Mais l’Ujamaa ne donna pas de résultats satisfaisants, et au contraire, la production agricole déclina. En 76, les programmes de collectivisation furent arrêtés, tandis que la Tanzanie qui était le 1er exportateur africain de produits agricoles était devenu le 1er importateur...Economiquement, l’Ujamaa fut un échec.
Sur le plan de l’éducation, les choses allaient mieux puisqu’en 1975, 79% des garçons et 60% des filles âgées de 7 à 13 ans étaient scolarisés. Mais l’industrialisation ne suivit pas "naturellement" l’amélioration de l’éducation. A la fin des années 70, la Tanzanie se trouvait dans une situation économique délicate.
La chute d'Idi Amin Dada
Parallèlement, Nyerere était toujours actif au niveau africain. Il fit partie du groupe de pays africains qui poussèrent l’Afrique du Sud sous apartheid à sortir du Commonwealth. En 1974, la Tanzanie accueillit le sixième congrès panafricain, et un peu plus tard, en 1979, il contribuait à créer la SADC (Communauté des Etats d’Afrique Australe), une organisation formée pour réduire la dépendance vis-à-vis de l’Afrique du Sud (la SADC existe toujours de nos jours NDLR).
Nyerere fut avec le zambien Kenneth Kaunda, un des présidents des Etats de la "ligne de front" qui faisaient campagne pour la fin du règne de la minorité blanche en Afrique du Sud. En 1978, Nyerere conduisit la Tanzanie à entrer en guerre contre l’Ouganda, ce qui aboutit à la défaite et l’exil d’Idi Amin Dada, le fantasque dictateur ougandais. Nyerere engagea la guerre contre Amin en violation des règles de l’Union africaine, et en affirmant qu’il répondait au déploiement de troupes ougandais dans le Nord de la Tanzanie.
Amin Dada avait en effet brièvement occupé le Nord de la Tanzanie. Et Nyerere répliqua. Mais les troupes tanzaniennes ne s’arrêtèrent pas à la frontière puisqu’en réalité, Nyerere cherchait à débarrasser l’Afrique d’Amin Dada. Les habitants de Kampala accueillirent les soldats tanzaniens en chantant le nom de Nyerere...Ce fut la première fois dans l’Afrique post-indépendance qu’un Etat africain envahissait un autre et arrivait à en prendre la capitale.
Nyerere quitte le pouvoir
Cette guerre coûta près d’1 milliard de dollars à la Tanzanie, dont la situation économique alors que le pays connaissait une situation économique qui n’était guère reluisante. Nyerere fut donc critiqué pour avoir consacré de l’argent, du temps, et de l’énergie à la politique étrangère négligeant ainsi les problèmes internes de son pays. En 1981, la Tanzanie du faire appel au FMI et subir un programme d’ajustement structurel. En 1986, la dette extérieure du pays atteignait 3,7 milliards de dollars.
Nyerere annonça qu’il se retirerait après les présidentielles de 1985 et qu’il laisserait le pays expérimenter une économie capitaliste. Lors de son discours d’Adieu, commentant ses politiques économiques, il déclara qu’il avait "échoué". "Il faut l’admettre" ajouta t-il. Il précisa néanmoins qu’il ne rejettait pas pour autant le socialisme. Après avoir quitté le pouvoir, il resta cinq ans président du CCM (le parti au pouvoir) jusqu’en 1990, influençant encore largement la vie politique du pays.
Lors d’une assemblée générale du CCM, Nyerere fit savoir qu’il quittait la politique pour de bon et se retira dans son village natal à Butiama, situé dans le nord de la Tanzanie. Pendant sa retraite, Nyerere voyagea, rencontra de nombreux chefs d’Etat ou de gouvernement, essayant d’utiliser son prestige et son aura pour se faire l’avocat des pays pauvres, ou promouvoir la coopération entre pays du Sud. Il reçut divers doctorats honorifiques et continuait de bénéficier d’un grand respect au niveau international. Il fut médiateur dans le conflit burundais en 1996. En août 1998, Nyerere apprit qu’il souffrait de leucémie. Il décéda le 14 octobre 1999 des suites d’une leucémie dans un hôpital londonien à l’âge de 77 ans.
L’échec économique de la Tanzanie n’avait pas entamé le crédit de son dirigeant, réputé être l'un des rares dirigeants africains considérant les relations internationales avec une certaine rectitude morale et des principes. Réputé pour son intégrité, voire son idéalisme, Nyerere était l’un des premiers dirigeants africains (avec le sénégalais Senghor et le camerounais Ahidjo) à quitter le pouvoir de sa propre volonté, chose rare dans l'Afrique des partis uniques dans les années 1980.
Des hommages lui furent rendus dans toute l’Afrique tandis que le peuple tanzanien pleura le héros de l’indépendance. L’échec du socialisme africain et de l’Ujamaa dont il s’était fait l’un des chantres ne l’empêche pas de demeurer dans l’histoire comme un ardent défenseur de l’unité africaine, un panafricaniste convaincu qui a accueilli en Tanzanie un certain nombres de mouvements de libération africains dont plusieurs finirent par prendre le pouvoir dans leur pays.
Nyerere fut l'auteur de plusieurs livres ("liberté et socialisme", "Liberté et développement") et traduisit deux pièces de Shakespeare en Swahili.
Julius Nyerere, est né en 1922 à Butiama, près des chutes du lac victoria, dans le territoire du Tanganyika alors administré par les britanniques. Il commence à fréquenter l’école à l’âge de 12 ans (en 1934) et se révèle rapidement bon élève. Il obtient un certificat d’enseignant à l’université de Makerere à Kampala en Ouganda, et commence à enseigner dans une école catholique à Tabora de 1946 à 1949.
Puis grâce à une bourse gouvernementale, il va poursuivre des études à l’université d’Edinburgh, d’où il sort diplômé en 1952 (il obtient l’équivalent d’une licence). Un diplôme qui fait de lui le premier habitant du Tanganyika à obtenir un diplôme universitaire. Son métier d'enseignant lui vaudra plus tard le surnom de "Mwalimu" qui signifie "le professeur" en langue swahili.
Lors de son séjour à l’université d’Edinburgh, il est membre du conseil écossais pour les questions africaines qui exerce à l’époque un lobbying contre la présence croissante blanche dans la zone du Tanganyika. C’est à l’université d’Edinburgh que Nyerere commence à se forger ses idées politiques, sur le socialisme notamment, qu’il adoptera jusqu’à la fin de ses jours. De retour dans son pays en 1953, il épouse Maria Magige (ils auront cinq garçons et deux filles).
La quête de l'indépendance
En 1954, Julius Nyerere crée un parti politique, la TANU (Tanganyika African National Union) et s’attaque à d’incroyables obstacles : le Tanganyika est un pays pauvre : les sols sont pauvres, les pluies tombent rarement et il y a peu de ressources naturelles. En 55 et 56, Nyerere se rend à l’ONU pour demander l’établissement d’une date butoir concernant l’indépendance du Tanganyika.
Bien que cette requête fut rejetée par la Grande-Bretagne, Nyerere était devenu incontournable, et fut nommé à l’assemblée législative du Tanganyika. En 1957, seulement 10 % de la population du Tanganyika sait lire et écrire, seulement 5% des personnes éligibles fréquentent l’école primaire. Les rares terres fertiles sont entre les mains de colons blancs.
La TANU ne se concentre pas immédiatement sur l’obtention de l’indépendance, mais sur l’amélioration des conditions de vie et des conditions de travail. L’adhésion de la population est massive : l’année de sa création, plus de 200 000 personnes adhèrent au parti. La montée en puissance de la TANU est mal vue par les autorités coloniales qui essayent de la contrecarrer, encourageant même la création de partis politiques rivaux.
Mais sous la pression de Londres, les autorités coloniales organisent en 1958 les premières élections législatives dans le pays. Les candidats de la TANU remportent les 15 sièges. En 60, de nouvelles élections ont lieu, également remportées par la TANU. Julius Nyerere entame des discussions avec la Grande-Bretagne et l’ONU au sujet de l’indépendance, qui est finalement obtenue en 1961 ; Nyerere est premier ministre, et prône un "socialisme démocratique comme forme de gouvernement".
Il prône l’existence d’un parti unique permettant la "liberté d’opposition", mais pas "une opposition organisée" Il justifie sa décision par le fait que les attaques extérieures peuvent diviser un Tanganyika encore fragile tandis que des individus irresponsables peuvent mettre à mal l’unité du pays. Il considère le parti unique comme nécessaire à la stabilité.
Partisan de l’unité africaine, il pense que les tentatives de diviser l’Afrique viendront des grandes puissances qui utiliseront les nations africaines les unes contre les autres pour atteindre leurs objectifs. En 62, Nyerere démissionne de son poste de premier ministre, et fait le tour du pays pour expliquer sa philosophie, et faire campagne pour la TANU.
En décembre 62, de nouvelles élections ont lieu, et Nyerere est élu, devenant ainsi le premier président du Tanganyika qui devient une république. En juin 63, Nyerere est nommé chancelier de l’université d’Afrique de l’Est et en 65 sponsorise la tenue d’un congrès international d’historiens africains en Tanzanie. Séduit par les idées de Nyerere, le guyanais Walter Rodney enseignera ainsi en Tanzanie.
L'unité africaine et le soutien aux mouvements de libération
Nyerere est également un panafricaniste convaincu : en 1958, il alors qu’il assiste aux cérémonies d’indépendance du Ghana, il a l’occasion de discuter avec George Padmore et Kwame Nkrumah des contours de ce qui allait devenir la AACP (All African People Party), une organisation mise en place par George Padmore pour promouvoir le panafricanisme. En compagnie de Tom Mboya et Joseph Murumbi, Nyerere discute également des contours ce qui va devenir le mouvement panafricain pour l’Afrique centrale et de l’Est (PAFMECA), une organisation régionale qui allait exister jusqu’en 77.
En 63, Nyerere réitéra la volonté selon laquelle il devait y avoir une réelle unité africaine : "notre but doit être d’arriver aux Etats-Unis d’Afrique" affirmait-il. Mais lui ainsi que les panafricanistes les plus ardents, dont faisaient partie Nkrumah et l’égyptien Gamal Abdel Nasser, sortirent perdants des débats qui eurent lieu à Addis Abeba à l’occasion de la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). Finalement aucun plan d’unification entre Etats africains ne fut proposé.
La même année, un coup d’Etat mené par le parti de l’Umma renversa le gouvernement de Zanzibar qui avait obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne en 63. La réunification entre Zanzibar et le Tanganyika donna naissance à la Tanzanie en 1964. Nyerere instaura le parti unique l’année suivante. La signature d’un accord avec le parti de l’Umma (dirigé par Cheikh Abed Karume), d’essence communiste plongea la Tanzanie dans la guerre froide car l’aide extérieure, qui provenait essentiellement des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne s’assécha.
Nationaliste convaincu, Nyerere apporta tout son soutien aux mouvements de libération africains, comme l’ANC (African National Congress) et le PAC (Panafrican Congress) qui luttaient contre l’apartheid en Afrique du Sud, le Frelimo (Front de libération du Mozambique), et la Zanla (Zimbabwe African National Liberation Army).
La Zanla qui était la branche armée de la Zanu (Zimbabwe African National Union, actuel parti au pouvoir au Zimbabwe NDLR) luttait contre le régime pro-apartheid institué par la minorité blanche dans ce qui s’appelait alors la Rhodésie. La Tanzanie boycottait les biens sud-africains et n’acceptaient pas que les vols à destination de l’Afrique du Sud fassent escale sur son territoire, et accueillait des réfugiés provenant de pays comme le Rwanda, le Burundi, le Zaïre, le Mozambique...[Entre 500 000 et 1 millions de réfugiés vécurent ainsi en Tanzanie]
En 1965, la Tanzanie fut l’un des sept pays à suivre une résolution de l’Union Africaine demandant la rupture des liens diplomatiques avec la Grande-Bretagne si elle n’intervenait pas contre la déclaration unilatérale de Ian Smith, le dirigeant blanc de la Rhodésie (futur Zimbabwé) raciste. Ian Smith avait en effet déclaré unilatéralement l’indépendance de la Rhodésie qu’il entendait gouverner sur un mode proche de l’apartheid en Afrique du Sud.
Nyerere s’opposa également à une participation africaine à la guerre du Vietnam ou à l’intervention belge au Congo. Ces prises de position qui étaient moins pro-occidentales qu’à ses débuts, coûtèrent cher financièrement à la Tanzanie (83% du budget de développement 1964-65 venait de l’aide extérieure), tandis que la situation économique ne s’améliorait pas aussi vite que Nyerere l’aurait souhaité. Des grèves eurent lieu, ainsi qu’une mutinerie de l’armée qui ne fut contenue qu’avec l’aide britannique.
L'Ujamaa et le discours d'Arusha
En 1967, Nyerere annonça lors de la célèbre déclaration d’Arusha la mise en place d’un socialisme africain appelé "Ujamaa" ainsi que la politique de la "self reliance", c’est-à-dire la volonté de ne compter que sur soi-même. L’Ujamaa était fondé sur le développement rural à travers les villages, et un système de collectivisation du système agricole du pays.
L’Ujamaa était pour Nyerere un prolongement des systèmes communautaires, traditionnels et familiaux africains qui existaient avant l’arrivée des impérialistes en Afrique. L’Ujamaa était aussi une répudiation du capitalisme, et Nyerere pensait qu’avec la mise en place de l’Ujamaa, le développement agricole suivrait, les paysans pourraient bénéficier plus facilement de l’accès à l’éducation et aux services médicaux.
Plus de 10 millions de paysans furent déplacés, leurs terres confisquées pour la pratique d’une agriculture collective. Mais l’Ujamaa ne donna pas de résultats satisfaisants, et au contraire, la production agricole déclina. En 76, les programmes de collectivisation furent arrêtés, tandis que la Tanzanie qui était le 1er exportateur africain de produits agricoles était devenu le 1er importateur...Economiquement, l’Ujamaa fut un échec.
Sur le plan de l’éducation, les choses allaient mieux puisqu’en 1975, 79% des garçons et 60% des filles âgées de 7 à 13 ans étaient scolarisés. Mais l’industrialisation ne suivit pas "naturellement" l’amélioration de l’éducation. A la fin des années 70, la Tanzanie se trouvait dans une situation économique délicate.
La chute d'Idi Amin Dada
Parallèlement, Nyerere était toujours actif au niveau africain. Il fit partie du groupe de pays africains qui poussèrent l’Afrique du Sud sous apartheid à sortir du Commonwealth. En 1974, la Tanzanie accueillit le sixième congrès panafricain, et un peu plus tard, en 1979, il contribuait à créer la SADC (Communauté des Etats d’Afrique Australe), une organisation formée pour réduire la dépendance vis-à-vis de l’Afrique du Sud (la SADC existe toujours de nos jours NDLR).
Nyerere fut avec le zambien Kenneth Kaunda, un des présidents des Etats de la "ligne de front" qui faisaient campagne pour la fin du règne de la minorité blanche en Afrique du Sud. En 1978, Nyerere conduisit la Tanzanie à entrer en guerre contre l’Ouganda, ce qui aboutit à la défaite et l’exil d’Idi Amin Dada, le fantasque dictateur ougandais. Nyerere engagea la guerre contre Amin en violation des règles de l’Union africaine, et en affirmant qu’il répondait au déploiement de troupes ougandais dans le Nord de la Tanzanie.
Amin Dada avait en effet brièvement occupé le Nord de la Tanzanie. Et Nyerere répliqua. Mais les troupes tanzaniennes ne s’arrêtèrent pas à la frontière puisqu’en réalité, Nyerere cherchait à débarrasser l’Afrique d’Amin Dada. Les habitants de Kampala accueillirent les soldats tanzaniens en chantant le nom de Nyerere...Ce fut la première fois dans l’Afrique post-indépendance qu’un Etat africain envahissait un autre et arrivait à en prendre la capitale.
Nyerere quitte le pouvoir
Cette guerre coûta près d’1 milliard de dollars à la Tanzanie, dont la situation économique alors que le pays connaissait une situation économique qui n’était guère reluisante. Nyerere fut donc critiqué pour avoir consacré de l’argent, du temps, et de l’énergie à la politique étrangère négligeant ainsi les problèmes internes de son pays. En 1981, la Tanzanie du faire appel au FMI et subir un programme d’ajustement structurel. En 1986, la dette extérieure du pays atteignait 3,7 milliards de dollars.
Nyerere annonça qu’il se retirerait après les présidentielles de 1985 et qu’il laisserait le pays expérimenter une économie capitaliste. Lors de son discours d’Adieu, commentant ses politiques économiques, il déclara qu’il avait "échoué". "Il faut l’admettre" ajouta t-il. Il précisa néanmoins qu’il ne rejettait pas pour autant le socialisme. Après avoir quitté le pouvoir, il resta cinq ans président du CCM (le parti au pouvoir) jusqu’en 1990, influençant encore largement la vie politique du pays.
Lors d’une assemblée générale du CCM, Nyerere fit savoir qu’il quittait la politique pour de bon et se retira dans son village natal à Butiama, situé dans le nord de la Tanzanie. Pendant sa retraite, Nyerere voyagea, rencontra de nombreux chefs d’Etat ou de gouvernement, essayant d’utiliser son prestige et son aura pour se faire l’avocat des pays pauvres, ou promouvoir la coopération entre pays du Sud. Il reçut divers doctorats honorifiques et continuait de bénéficier d’un grand respect au niveau international. Il fut médiateur dans le conflit burundais en 1996. En août 1998, Nyerere apprit qu’il souffrait de leucémie. Il décéda le 14 octobre 1999 des suites d’une leucémie dans un hôpital londonien à l’âge de 77 ans.
L’échec économique de la Tanzanie n’avait pas entamé le crédit de son dirigeant, réputé être l'un des rares dirigeants africains considérant les relations internationales avec une certaine rectitude morale et des principes. Réputé pour son intégrité, voire son idéalisme, Nyerere était l’un des premiers dirigeants africains (avec le sénégalais Senghor et le camerounais Ahidjo) à quitter le pouvoir de sa propre volonté, chose rare dans l'Afrique des partis uniques dans les années 1980.
Des hommages lui furent rendus dans toute l’Afrique tandis que le peuple tanzanien pleura le héros de l’indépendance. L’échec du socialisme africain et de l’Ujamaa dont il s’était fait l’un des chantres ne l’empêche pas de demeurer dans l’histoire comme un ardent défenseur de l’unité africaine, un panafricaniste convaincu qui a accueilli en Tanzanie un certain nombres de mouvements de libération africains dont plusieurs finirent par prendre le pouvoir dans leur pays.
Nyerere fut l'auteur de plusieurs livres ("liberté et socialisme", "Liberté et développement") et traduisit deux pièces de Shakespeare en Swahili.
Julius Nyerere et son épouse
CITATION
Un tas de pays étaient dans une très mauvaise situation économique à la fin des années 70 et ils n’étaient pas socialistes (...) Il y a certaines valeurs que nous essayions de mettre en œuvre à travers le socialisme, à savoir des valeurs de justice, de respect des êtres humains, un développement centré sur les gens, un développement qui faisait attention aux gens.
Il était impossible de laisser le développement d’un pays à un système capitaliste qui est sans pitié et sans sentiments. Qui allait aider les pauvres (et la majorité des gens dans nos pays sont pauvres). Qui allait les défendre ? Certainement pas le marché. Donc je ne regrette pas d’avoir essayé de construire un pays reposant sur ces principes. Il faudra réaliser que ce qui a donné un visage humain au capitalisme, ce sont les valeurs (qu’on les appelle socialistes ou non) que j’essayais de promouvoir dans mon pays.
Source: grioo
(M)
Un tas de pays étaient dans une très mauvaise situation économique à la fin des années 70 et ils n’étaient pas socialistes (...) Il y a certaines valeurs que nous essayions de mettre en œuvre à travers le socialisme, à savoir des valeurs de justice, de respect des êtres humains, un développement centré sur les gens, un développement qui faisait attention aux gens.
Il était impossible de laisser le développement d’un pays à un système capitaliste qui est sans pitié et sans sentiments. Qui allait aider les pauvres (et la majorité des gens dans nos pays sont pauvres). Qui allait les défendre ? Certainement pas le marché. Donc je ne regrette pas d’avoir essayé de construire un pays reposant sur ces principes. Il faudra réaliser que ce qui a donné un visage humain au capitalisme, ce sont les valeurs (qu’on les appelle socialistes ou non) que j’essayais de promouvoir dans mon pays.
Source: grioo
(M)