Quatre mois après l’adoption de la loi criminalisant la pratique de l’esclavage en Mauritanie, les associations anti-esclavagistes espèrent que les nouveaux financements annoncés pour la réinsertion des anciens esclaves permettront de résoudre les nombreux problèmes auxquels ils sont encore confrontés dans la société mauritanienne.
« Bien évidemment, nous nous réjouissons de cette l’annonce », s’est exclamé Biram Ould Dah Ould Abeid, membre de SOS Esclaves, une organisation qui lutte depuis des années contre la pratique de l’esclavage en Mauritanie.
« C’est un geste fort que le gouvernement envoie aux esclaves et aussi la preuve que les autorités ont entendu nos appels ». Lorsque l’esclavage a été criminalisé au mois d’août, les organisations anti-esclavagistes et de défense des droits humains ont exhorté le gouvernement – comme elles le font depuis des années – à mettre en place des structures d’accompagnement afin de rendre la loi plus efficace.
Aboli officiellement depuis 1981, l’esclavage reste largement pratiqué dans toutes les communautés mauritaniennes – généralement dans les zones rurales –aussi bien chez les Maures blancs (Arabes berbères) de la bourgeoisie, que chez les Négro-africains. Selon une estimation de l’organisation non-gouvernementale Open Society Justice Initiative, le nombre d’esclaves et d’anciens esclaves représente 20 pour cent de la population - soit environ 500 000 personnes – mais il est difficile de confirmer ces chiffres.
Le 23 novembre, Abderrahmane Ould Hamma Vezaz, le ministre mauritanien des Finances, a annoncé l’octroi d’une enveloppe de 19 millions d’euros (27,8 millions de dollars) pour financer des programmes de réinsertion des anciens esclaves. « Cette somme s’inscrit dans le cadre de la lutte contre les séquelles de l’esclavage et contre la pauvreté », a affirmé M. Ould Hamma Vezaz. Cette enveloppe a été dégagée du budget 2008 qui doit être adopté définitivement par le Parlement avant la fin de l’année.
Première condamnation
Depuis l’arrivée au pouvoir en mars 2007 du premier président de Mauritanie élu démocratiquement, des avancées ont été enregistrées sur cette question. « Pour la première fois dans l’histoire du pays, un maître a été mis en prison mi-octobre pour crime d’esclavage sur deux jeunes enfants », s’est réjoui M. Ould Dah Ould Abeid, ajoutant que l’affaire avait été jugée devant le tribunal régional de Kiffa, dans la région d’Assaba. Mais selon lui, le gouvernement doit encore aller plus loin. « Les esclaves ont désormais besoin d’une refonte de l’administration et de la justice afin que celles-ci aient un visage multi-classe et citoyen », a-t-il ajouté. « Les cas d’esclavage ne sont pas encore traités comme il le faut par les tribunaux ». Malgré les modifications apportées à la loi, les esclaves continuent d’être attachés à leur maître et d’être victimes de discrimination.
Nulle part où aller
Hanna Mint Salem, une habitante de Riyad, un quartier de Nouakchott, la capitale, raconte comment elle s’est enfuie de chez ses maîtres dans la région de Trarza. Hanna est âgée d’une trentaine d’années, mais elle en paraît 15 de plus. Partie précipitamment, elle a dû laisser là-bas ses deux enfants de deux et huit ans.
Aujourd’hui, un esclave qui tente de fuir son maître n’a nulle part où aller. En l’absence de centres d’accueil ou de structures de réinsertion, les esclaves se réfugient souvent auprès de sympathisants de l’organisation SOS Esclaves. « J’ai cherché de l’aide auprès de la brigade de gendarmerie de R’Kiz, [à Trarza], », a murmuré Mme Mint Salem. « Ils m’ont renvoyée vers le président du tribunal régional, qui n’a pas souhaité s’occuper de moi. Je suis alors retournée à la brigade et ils ont menacé de jeter mon mari en prison si nous continuions à venir leur parler d’esclavage ». « Aujourd’hui, je suis là. Je ne sais pas où aller. Mais je n’ai plus confiance en la justice ».
Ségrégation
Selon Malek Chebel, anthropologue algérien et auteur du livre Esclavage en terre d’Islam, publié récemment, en dépit des efforts entrepris par le gouvernement, les pratiques en Mauritanie sont tenaces et dures à éradiquer. « Malgré les démentis, l’esclavage reste une réalité manifeste », a-t-il confié à IRIN. Dans certains villages de Guidimakha, dans le sud de la Mauritanie, à la frontière avec le Sénégal, les esclaves sont toujours enterrés dans des cimetières distincts. Il y a des mosquées pour les nobles et des mosquées pour les esclaves. « La ségrégation spatiale reste extrêmement forte, y compris dans les quartiers d’habitation », a expliqué Demba Marico, professeur de géographie à l’université de Nouakchott. Le sujet demeure particulièrement sensible, pour ne pas dire tabou, surtout chez les maîtres négro-africains.
La question foncière
Après l’adoption de la nouvelle loi, les esclaves affranchis commencent progressivement à sortir de leur réserve et à revendiquer leurs droits – mais ils continuent de se heurter à certaines résistances. Messaoud Ould Meybi est membre de la communauté haratine, qui comprend les esclaves, les esclaves affranchis et les descendants d’esclaves. A Kiffa, capitale de la région d’Assaba, il a été mis au ban de son village pour avoir cherché à faire valoir ses droits et à prendre possession des terres qu’il cultive depuis des années. « L’ancien maître s’est arrangé pour monter tout le monde contre moi – aussi bien les Maures que les Haratines. Aujourd’hui, je me retrouve seul et on me dit que je dois faire attention dans mes déplacements car il pourrait m’arriver un malheur », a-t-il dit.
Bon nombre de personnes pensent que la question foncière est au cœur de la problématique de l’esclavage en Mauritanie. « Les terres cultivables sont monopolisées par les anciens maîtres. Et pourtant c’est nous qui les exploitons », a affirmé Yeslim Ould Warmit, un paysan haratine du village de Leuceïba. « En fait, pour eux, esclaves nous sommes nés, esclaves nous resterons », a renchéri Abdallahi Ould Mohamed Salem, un autre esclave affranchi. « Ca ne changera pas tant que l’administration locale soutiendra les anciens maîtres ».
C’est pour cette raison que les activistes anti-esclavagistes pensent que même si la loi criminalisant l’esclavage a été adoptée, la mise en œuvre de structures d’accompagnement reste essentielle. « La question foncière est cruciale », a affirmé Mamadou Sarr, secrétaire exécutif du Forum national des associations des droits de l’homme en Mauritanie. « Car aujourd’hui, personne ne joue le jeu. Ni les maires, ni les préfets, ni même les gouverneurs. Ils sont encore à la solde des grands propriétaires terriens ». Pour Ould Dah Ould Abeid de SOS Esclaves, les 19 millions d’euros octroyés par le gouvernement doivent être investis dans deux directions fondamentales. « Il faut des mesures capables de réaliser l’affranchissement économique des esclaves.
Mais il faut aussi insuffler une révolution culturelle pour déconstruire les mentalités sociales ; car les esclaves eux-mêmes restent prisonniers de cette conception archaïque de la vie, surtout dans les zones rurales », a-t-il dit. « Mais tout ne peut pas changer du jour au lendemain, cela demande un accompagnement », a-t-il fait remarquer. « Et j’espère que cet argent sera utilisé à bon escient ».
Irin
via- ja
« Bien évidemment, nous nous réjouissons de cette l’annonce », s’est exclamé Biram Ould Dah Ould Abeid, membre de SOS Esclaves, une organisation qui lutte depuis des années contre la pratique de l’esclavage en Mauritanie.
« C’est un geste fort que le gouvernement envoie aux esclaves et aussi la preuve que les autorités ont entendu nos appels ». Lorsque l’esclavage a été criminalisé au mois d’août, les organisations anti-esclavagistes et de défense des droits humains ont exhorté le gouvernement – comme elles le font depuis des années – à mettre en place des structures d’accompagnement afin de rendre la loi plus efficace.
Aboli officiellement depuis 1981, l’esclavage reste largement pratiqué dans toutes les communautés mauritaniennes – généralement dans les zones rurales –aussi bien chez les Maures blancs (Arabes berbères) de la bourgeoisie, que chez les Négro-africains. Selon une estimation de l’organisation non-gouvernementale Open Society Justice Initiative, le nombre d’esclaves et d’anciens esclaves représente 20 pour cent de la population - soit environ 500 000 personnes – mais il est difficile de confirmer ces chiffres.
Le 23 novembre, Abderrahmane Ould Hamma Vezaz, le ministre mauritanien des Finances, a annoncé l’octroi d’une enveloppe de 19 millions d’euros (27,8 millions de dollars) pour financer des programmes de réinsertion des anciens esclaves. « Cette somme s’inscrit dans le cadre de la lutte contre les séquelles de l’esclavage et contre la pauvreté », a affirmé M. Ould Hamma Vezaz. Cette enveloppe a été dégagée du budget 2008 qui doit être adopté définitivement par le Parlement avant la fin de l’année.
Première condamnation
Depuis l’arrivée au pouvoir en mars 2007 du premier président de Mauritanie élu démocratiquement, des avancées ont été enregistrées sur cette question. « Pour la première fois dans l’histoire du pays, un maître a été mis en prison mi-octobre pour crime d’esclavage sur deux jeunes enfants », s’est réjoui M. Ould Dah Ould Abeid, ajoutant que l’affaire avait été jugée devant le tribunal régional de Kiffa, dans la région d’Assaba. Mais selon lui, le gouvernement doit encore aller plus loin. « Les esclaves ont désormais besoin d’une refonte de l’administration et de la justice afin que celles-ci aient un visage multi-classe et citoyen », a-t-il ajouté. « Les cas d’esclavage ne sont pas encore traités comme il le faut par les tribunaux ». Malgré les modifications apportées à la loi, les esclaves continuent d’être attachés à leur maître et d’être victimes de discrimination.
Nulle part où aller
Hanna Mint Salem, une habitante de Riyad, un quartier de Nouakchott, la capitale, raconte comment elle s’est enfuie de chez ses maîtres dans la région de Trarza. Hanna est âgée d’une trentaine d’années, mais elle en paraît 15 de plus. Partie précipitamment, elle a dû laisser là-bas ses deux enfants de deux et huit ans.
Aujourd’hui, un esclave qui tente de fuir son maître n’a nulle part où aller. En l’absence de centres d’accueil ou de structures de réinsertion, les esclaves se réfugient souvent auprès de sympathisants de l’organisation SOS Esclaves. « J’ai cherché de l’aide auprès de la brigade de gendarmerie de R’Kiz, [à Trarza], », a murmuré Mme Mint Salem. « Ils m’ont renvoyée vers le président du tribunal régional, qui n’a pas souhaité s’occuper de moi. Je suis alors retournée à la brigade et ils ont menacé de jeter mon mari en prison si nous continuions à venir leur parler d’esclavage ». « Aujourd’hui, je suis là. Je ne sais pas où aller. Mais je n’ai plus confiance en la justice ».
Ségrégation
Selon Malek Chebel, anthropologue algérien et auteur du livre Esclavage en terre d’Islam, publié récemment, en dépit des efforts entrepris par le gouvernement, les pratiques en Mauritanie sont tenaces et dures à éradiquer. « Malgré les démentis, l’esclavage reste une réalité manifeste », a-t-il confié à IRIN. Dans certains villages de Guidimakha, dans le sud de la Mauritanie, à la frontière avec le Sénégal, les esclaves sont toujours enterrés dans des cimetières distincts. Il y a des mosquées pour les nobles et des mosquées pour les esclaves. « La ségrégation spatiale reste extrêmement forte, y compris dans les quartiers d’habitation », a expliqué Demba Marico, professeur de géographie à l’université de Nouakchott. Le sujet demeure particulièrement sensible, pour ne pas dire tabou, surtout chez les maîtres négro-africains.
La question foncière
Après l’adoption de la nouvelle loi, les esclaves affranchis commencent progressivement à sortir de leur réserve et à revendiquer leurs droits – mais ils continuent de se heurter à certaines résistances. Messaoud Ould Meybi est membre de la communauté haratine, qui comprend les esclaves, les esclaves affranchis et les descendants d’esclaves. A Kiffa, capitale de la région d’Assaba, il a été mis au ban de son village pour avoir cherché à faire valoir ses droits et à prendre possession des terres qu’il cultive depuis des années. « L’ancien maître s’est arrangé pour monter tout le monde contre moi – aussi bien les Maures que les Haratines. Aujourd’hui, je me retrouve seul et on me dit que je dois faire attention dans mes déplacements car il pourrait m’arriver un malheur », a-t-il dit.
Bon nombre de personnes pensent que la question foncière est au cœur de la problématique de l’esclavage en Mauritanie. « Les terres cultivables sont monopolisées par les anciens maîtres. Et pourtant c’est nous qui les exploitons », a affirmé Yeslim Ould Warmit, un paysan haratine du village de Leuceïba. « En fait, pour eux, esclaves nous sommes nés, esclaves nous resterons », a renchéri Abdallahi Ould Mohamed Salem, un autre esclave affranchi. « Ca ne changera pas tant que l’administration locale soutiendra les anciens maîtres ».
C’est pour cette raison que les activistes anti-esclavagistes pensent que même si la loi criminalisant l’esclavage a été adoptée, la mise en œuvre de structures d’accompagnement reste essentielle. « La question foncière est cruciale », a affirmé Mamadou Sarr, secrétaire exécutif du Forum national des associations des droits de l’homme en Mauritanie. « Car aujourd’hui, personne ne joue le jeu. Ni les maires, ni les préfets, ni même les gouverneurs. Ils sont encore à la solde des grands propriétaires terriens ». Pour Ould Dah Ould Abeid de SOS Esclaves, les 19 millions d’euros octroyés par le gouvernement doivent être investis dans deux directions fondamentales. « Il faut des mesures capables de réaliser l’affranchissement économique des esclaves.
Mais il faut aussi insuffler une révolution culturelle pour déconstruire les mentalités sociales ; car les esclaves eux-mêmes restent prisonniers de cette conception archaïque de la vie, surtout dans les zones rurales », a-t-il dit. « Mais tout ne peut pas changer du jour au lendemain, cela demande un accompagnement », a-t-il fait remarquer. « Et j’espère que cet argent sera utilisé à bon escient ».
Irin
via- ja